Chapitre 4
transmission périnatale du VIH mécanismes et traitements préventifs
J.F. DELFRAISSY
introduction
En 1994 l'infection à VIH chez l'enfant est essentiellement la
conséquence d'une transmission dite verticale ou périnatale (C'est à dire de la mère
au foetus, ou au nouveau-né). C'est un problème majeur de santé publique en Afrique où
le pourcentage de femmes infectées en âge de procréer peut atteindre 20% dans certaines
zones suburbaines (1-2).
Au cours des deux dernières années, quatre données importantes ont pu
être établies concernant la transmission materno-foetale du VIH : (i) En Europe et
en Amérique du Nord, le taux de transmission périnatale se situe entre 15 et 25% et ce
chiffre parait relativement constant au cours du temps dans les différentes cohortes
prospectives. (ii) Le diagnostic précoce (avant 15 mois) de l'infection chez le
nouveau-né est maintenant possible avec une bonne fiabilité par les techniques de
culture virale et de PCR essentiellement. (iii) Le devenir des enfants infectés a été
précisé avec une évolution bimodale retrouvée par la plupart des équipes. (iiii) La
prise d'AZT (ZDV) durant la grossesse, l'accouchement les premières semaines de vie du
nouveau-né réduit de façon significative le taux de transmission chez les femmes ayant
des CD4 > 200/mm3). Toutefois, plusieurs inconnues demeurent concernant des points
essentiels : Périodes exactes du passage (in utéro, péripartum ou post-partum) et
leur fréquence relative, mécanismes du passage du virus et en particulier rôle du
placenta, facteurs maternels, facteurs liés au virus ou au foetus lui-meme pouvant
influencer et réguler cette transmission. Ces questions actuellement sans réponse
définitive sont urgentes à résoudre pour dépister d'éventuels groupes de femmes à
haut risque de transmission, pour mettre au point un diagnostic anténatal fiable, pour le
développement de stratégies thérapeutiques visant à prévenir la transmission
verticale (césarienne, association d'antirétroviraux) et enfin pour informer au mieux
les femmes VIH séropositives.
i épidémiologie : taux de transmission materno-foetale
u Le taux de transmission maternofoetale (TMF) a fait l'objet de nombreuses
études épidémiologiques à travers le monde. D'abord estimée entre 30 et 40%,
le taux de passage du virus de la mère à l'enfant est actuellement évalué entre 15 et
25% au moins dans les enquêtes réalisées en pays industrialisés (3-7). Il ne s'agit
pas d'une baisse à proprement parler du taux de transmission mais d'un affinement à
travers l'amélioration des réseaux de surveillance que supposent ce type d'étude.
Plusieurs biais méthodologiques ont été à l'origine de cette surestimation notamment
le fait qu'il est plus facile et rapide d'obtenir des informations d'un enfant infecté et
malade que d'un enfant indemne et devenu séronégatif. Ainsi dans l'enquête nationale
française où une première analyse estimait le taux de transmission à 26% (3) une
analyse plus récente l'estime à 19,7% et surtout montre que ce taux est parfaitement
stable dans le temps de l'enquête.
Le taux de transmission dans cette enquête ne semble pas être
influencé par le mode de contamination de la mère ni pas son origine géographique,
notamment pour les femmes originaires d'Afrique. Ce dernier point est important puisque
d'autres enquêtes similaires menées en pays africains ont initialement montré des taux
de transmission plus élevés situés entre 20 et 40% d'enfants contaminés. Il reste donc
à établir si ces enquêtes sont soumises aux mêmes biais méthodologiques rencontrés
dans les pays occidentaux ou s'il existe, notamment par le biais de co-infection virale ou
parasitaire, ou de l'allaitement un risque plus élevé (10). La transmission
materno-foetale du VIH2 survient avec un taux beaucoup plus faible que pour le VIH-1 (11).
L'infection de l'enfant par ce virus est toutefois possible (12).
ii mécanismes de la transmission périnatale du VIH
Il est probable que la transmission verticale de VIH peut survenir à
différents moments (in utéro, per partum, post partum, par allaitement) et n'est pas
liée à un mécanisme unique (passage du virus libre, associée aux cellules, infection
du placenta). Plusieurs voies de transmission ont été décrites souvent à l'occasion de
courtes séries, mais le risque relatif de transmission par chacune d'entre elles n'est
pas connu, de même que leur rôle éventuel sur le profil évolutif des nouveau-nés
infectés (2).
1. la transmission périnatale peut survenir tout au long de la grossesse mais surtout
en péripartum
Le passage précoce bien que rare est suggéré par la
détection du virus sur les produits d'avortement aussi jeunes que 13 semaines de vie
foetale (13-14). Plusieurs organes sont alors atteints notamment le foie, la rate, le
cerveau. Ces études sont toutefois soumises au risque élevé de contamination de
l'échantillon par des cellules maternelles, surtout en cas de foetus très jeune. Plus
convaincante, mais rarement réalisée est la description d'anomalies histologiques
notamment sur l'encéphale ou le thymus, de foetus infectés (15, 16). L'existence, dès
la naissance, de perturbations immunitaires pourrait être un autre argument pour un
passage précoce. La molécule CD4 est présente dès la 12ème-13ème semaine de vie
foetale (17) et on pourrait observer au moins des anomalies quantitatives du taux de CD4
à la naissance en cas de passage précoce du virus. Les résultats sur ce point sont
difficiles à analyser mais globalement ne montrent pas d'anomalies quantitatives ou
fonctionnelles (production de cytokines, répertoire T -V beta) notables des sous
populations CD4 des nouveau-nés infectés.
u Le rôle du placenta dans la transmission in utéro du VIH est complexe.
L'interface materno-foetale comporte le trophoblaste villositaire du
placenta et le trophoblaste extra-villositaire. Au cours d'une infection virale
maternelle, le virus rencontrera obligatoirement cette "barrière"
trophoblastique dont le rôle est primordial. Le trophoblaste villositaire est constitué
de villosités placentaires se présentant comme des doigts de gants, baignant dans la
circulation maternelle, et recouvertes comme un gant par un syncithium
(syncytiotrophoblastes). Directement en dessous de cette couche, se situent les
trophoblastes mononucléaires (cytotrophoblastes) et des macrophages tissulaires (cellules
de Hobfbauer). Le reste des villosités est composée de capillaires foetaux et d'un tissu
conjonctif de soutien. La structure et les propriétés fonctionnelles du placenta
évoluent au cours de la grossesse, en particulier durant les dernières semaines où le
passage des cellules maternelles vers la circulation foetale est probablement un
événement non exceptionnel (18).
Les systèmes cellulaires et humoraux de défense du placenta s'exercent
physiologiquement pour permettre le développement de l'embryon et du foetus qui constitue
une greffe semi-allogénique. Les mêmes systèmes associés à la réponse immune
maternelle empêchent l'infection virale placentaire et constituent une barrière de
protection efficace contre l'infection du foetus. Plusieurs mécanismes sont en cause: la
production locale par les cellules trophoblastiques de cytokines (TNF Alpha,
Interférons), et la capacité importante de phagocytose des monocytes des villosités.
Ce rôle protecteur du placenta est essentiel au cours de différentes
infections virales durant la grossesse en particulier pour les virus HBV et HTLV1. Au
cours de l'infection par le VIH, ce rôle protecteur est également très important
puisque 80% environ des nouveaux nés ne sont pas infectés. L'infection trans-placentaire
du VIH peut néanmoins survenir au cours d'une virémie maternelle ou par l'intermédiaire
de cellules maternelles infectées par le virus: (i) Le virus sous forme libre ou de
complexes immuns, est phagocyté par les cellules macrophagiques placentaires. Il existe
en effet un grand nombre de récepteurs pour le Fc des IgG présents sur la membrane
cytoplasmique du syncytiotrophoblaste, sur les cellules d'Hofbauer et les cellules
endothéliales des villosités. Les complexes IgG- particules virales arrivant dans
l'espace sanguin intervilleux se fixeraient sur le syncytiotrophoblaste, puis
pénètreraient dans l'axe villositaire pour se fixer sur les cellules d'Hofbauer et
éventuellement être phagocytés et/ou sur les cellules endothéliales pour être
déversés dans la circulation sanguine foetale (ii). Le passage du virus libre ou
associé aux cellules se fait de façon passive à travers les brèches du
syncytiotrophoblaste. Ce mécanisme pourrait essentiellement être en cause au cours
des infections tardives, au cours du 3ème trimestre ou en pré-partum immédiat, période
durant laquelle le syncytiotrophoblaste a déjà perdu certaines de ses propriétés
fonctionnelles (iii). L'infection spécifique du placenta ou d'une ou de plusieurs des
couches cellulaires constituant le trophoblaste est également possible. In vitro,
plusieurs équipes ont récemment montré que différentes souches virales
(à tropisme T CD4 ou monocytaire) peuvent infecter des lignées tumorales
trophoblastiques ou des cultures en lignée continue de cellules trophoblastiques isolées
à partir de placentas normaux. Les cellules trophoblastiques expriment la molécule CD4
en faible quantité. Deux types de molécules sont impliqués dans la phase d'infection,
la molécule CD4 et le récepteur Fc des IgG (Fc R II). L'infection est en général peu
productive, nécessitant un système de co-culture pour sa mise en évidence. Le DNA viral
est retrouvé par PCR. De façon intéressante, l'infection et la replication virale des
cellules trophoblastiques sont augmentées par des anticorps facilitant l'infection de
lignée monocytaire ou T-CD4. Les cellules macrophagiques placentaires peuvent également
être infectées. Certaines protéines du VIH peuvent en dehors de toute infection,
induire une augmentation de la synthèse des cytokines par les cellules trophoblastiques
en particulier IL1 Alpha, IL6, TNF Alpha (18). Le rôle régulateur des différentes
cytokines démontré sur l'infection latente de certaines lignées monocytaires, n'est
pas connu sur la replication du VIH au niveau des cellules trophoblastiques.
In vivo, les données sont beaucoup moins claires.
Histologiquement, le placenta des femmes séropositives est le plus souvent normal, ou
siège d'un infiltrat lymphomonocytaire aspécifique. La chorio-ammiotite peut être
simplement le reflet d'une infection gynécologique banale dont on connaît la fréquence
accrue chez les femmes séropositives. L'antigène P24 a été détecté au niveau des
cellules de Hofbauer villositaires par certaines équipes et la culture virale de cellules
placentaires a été positive dans quelques cas. L'interprétation de ces résultats doit
être très prudente. En effet, il s'agit le plus souvent de courtes séries, les produits
des gênes du VIH1 notamment gp 120 - p17, P24, ont été retrouvés dans des placentas
humains normaux, enfin les cultures virales sont curieusement presque toujours négatives.
Peuchmaur sur une série de 75 placentas (45 interruptions et 30 accouchements) de femmes
séropositives n'a pas retrouvé de protéines ou d'acides nucléïques du VIH par
immunocytochimie et hybridation in situ (23). Ces résultats contradictoires pouvaient
être expliqués par une sensibilité insuffisante des techniques de détection ou par une
infection virale latente non productive. En fait Ehrnst et al étudiant 12 placentas du
1er ou du 2ème trimestre, n'a retrouvé aucun marqueur d'infection par culture,
hybridation in situ ou PCR (24).
De l'ensemble de ces données in vitro et in vivo sur le placenta, on
peut conclure les points suivants : (i) Les cellules trophoblastiques sont
permissives pour le virus VIH, mais dans des conditions particulières d'infection, et
avec une faible réplication. (ii) Au cours de la grossesse, l'infection du placenta
parait un événement rare, correspondant peut être à une transmission précoce du VIH
du 1er et du 2ème trimestre. La transmission in utéro tardive (peut être la plus
fréquente) peut survenir indépendamment de l'infection des cellules trophoblastiques à
travers un placenta modifié. (iii) Le diagnostic anténatal par biopsie de trophoblaste,
un moment envisagé, n'est pas possible avec les techniques actuelles.
Plusieurs arguments en faveur d'une prédominance du passage
tardif péripartum du VIH se sont accumulés récemment : absence de
morbidité périnatale, absence le plus souvent d'anomalie immunitaire détectable à la
naissance, profil évolutif des Western Blot chez les enfants infectés et enfin
difficulté d'isoler le virus ou le génome viral dans les premiers jours de vie d'un
enfant qui se révélera ultérieurement infecté (25). Ce passage tardif peut intervenir
soit par contamination de l'enfant lors de son passage dans la filière génitale, soit
par le biais d'échanges sanguins materno-foetaux qui interviennent juste avant ou durant
le travail. La première hypothèse avait été progressivement écartée malgré
l'isolement du VIH dans les glaires cervicales car la pratique d'une césarienne ne
semblait pas modifier le risque de transmission (3). Il s'agissait toutefois le plus
souvent de césariennes non programmées effectuées pour des raisons obstétricales,
une fois le travail débuté. Une analyse récente sur le risque d'infection des jumeaux
issus de mères séropositive (26) relance la discussion en montrant que le risque de
contamination est spécifiquement plus élevé pour le premier jumeau et qu'une des
hypothèses pourrait être la contamination au contact du col et de la filière génitale.
La possibilité d'un passage de lymphocyte de la mère à l'enfant au moment de
l'accouchement est connu depuis longtemps. Il peut être responsable, chez les enfants
porteurs d'un déficit immunitaire combiné sévère, d'une réaction du greffon contre
l'hôte alors que les cellules d'origine maternelles sont normalement détruites par les
lymphocytes T alloréactifs de l'enfant sain (27). Ce phénomène pourrait donc
aboutir à la contamination de l'enfant même chez une mère ayant un faible degré de
réplication virale et peu de particules virales à l'état libre dans le plasma.
Enfin plusieurs arguments suggèrent une possibilité de contamination
ou de "surcontamination" par le lait où le virus peut être isolé. Plusieurs
observations de mères contaminées par transfusion juste après l'accouchement ont donné
naissance à des enfants se révélant ultérieurement infectés alors qu'ils avaient
allaité (28-29). Enfin, plusieurs enquêtes épidémiologiques montrent maintenant un
risque accru d'infection VIH chez les enfants allaités (3, 30-32).
Au total, la transmission tardive péripartum (précédant ou durant
l'accouchement) parait être le mécanisme prédominant en Europe et aux USA avec un effet
de surcontamination lié à l'allaitement en Afrique.
2. Facteurs influençant la transmission périnatale du VIH.
La transmission périnatale peut théoriquement dépendre de facteurs maternels, de la
souche virale et de ses propriétés, de la réceptivité du foetus et de cofacteurs
(immunologiques et virologiques) en particulier infectieux ou obstétricaux. En fait,
cette énumération traduit une grande méconnaissance du rôle joué réellement par ces
différents paramètres. Le point essentiel est que le taux de transmission parait
relativement constant dans le temps autour de 15-20% en Europe et aux Etats-Unis. On peut
ainsi se demander si la place respective de ces différents facteurs pourra être
précisée en 1994 alors que l'histoire naturelle de l'infection par le VIH est entrain
d'être modifiée par les thérapeutiques. La transmission périnatale de l'HIV constitue
pourtant un modèle unique parmi les 3 grands modes de contamination car elle n'est pas
limitée dans le temps, peut se produire pendant plusieurs semaines ou mois et permet donc
une analyse quantitative et qualitative des différents paramètres (33).
u État clinique et importance du déficit immunitaire chez la mère
Les facteurs maternels les plus étudiés sont le stade clinique de la mère, la durée
de l'infection, le taux de CD4/mm3 et l'existence ou non d'une antigénémie P24. Une
étude initiale avait montré que des femmes atteintes de SIDA avaient un taux de
transmission très élevé autour de 60%. Au sein des grandes cohortes prospectives de
femmes enceintes (3-7), le nombre de patientes ayant le SIDA est très faible. En effet,
la plupart des femmes enceintes VIH+ en Europe et aux Etats-Unis sont asymptomatiques avec
un taux de CD4 > 200/mm3, ceci étant lié à une date d'infection plus récente que la
population homosexuelle. Plusieurs études souvent rétrospectives montrent que le taux de
transmission est plus élevé chez les femmes ayant des manifestations cliniques et un
taux bas de CD4/mm3 (en particulier < 200 CD4/mm3). Cette notion a été
initialement indiquée dans une série de femmes Africaines à Kinshasa au Zaïre (8) et
confirmée dans la cohorte Française (2, 3, 34) et Européenne (7) ainsi que dans des
séries italiennes (6) et Nord Américaine (35). L'évolution du taux des CD4 au cours de
la grossesse est mal connue mais on sait qu'il existe des modifications des sous
populations de type TH1 ou TH2. Aucune donnée n'est disponible au cours de la grossesse
VIH+. En pratique clinique, la relation entre taux des CD4 (mm3) et TMF est suffisamment
établie pour que les cliniciens puissent l'utiliser pour l'information éclairée des
patientes.
u Réponses immunitaires anti-VIH chez la mère
Le rôle protecteur de la réponse immune spécifique anti HIV au cours
de l'évolution de l'infection est encore peu clair. Plusieurs types d'anticorps
neutralisants ont été mis en évidence dirigés contre différentes parties de la
glycoprotéine d'enveloppe gp 120. Ces anticorps peuvent reconnaître des séquences
peptidiques ou être dirigés contre des épitopes de type conformationnel. Il existe deux
types d'anticorps anti gp 120 dans le sérum des patients infectés par le VIH (i), un
premier groupe est dirigé contre l'épitope immunodominant dans la "loop" V3 de
gp 120 (acides aminés 308-322) qui constitue le principal domaine de neutralisation
(PN.D), (ii) le deuxième groupe d'anticorps est dirigé contre un épitope moins
immunogénique qui est impliqué dans la liaison avec le CD4 (acides aminés 397-439). Les
anticorps neutralisants dirigés contre la loop V3 neutralisent l'infection virale en
interférant avec un événement "post-binding". Ils sont spécifiques de type,
car leur effet neutralisant s'exerce contre la souche virale utilisée pour
l'immunisation. Les structures primaire, secondaire ou tertiaire de la région V3 sont
importantes pour la liaison de l'anticorps et la neutralisation. La région V3 loop peut
aussi induire l'apparition d'anticorps facilitants et des anticorps impliqués dans l'ADCC
anti-VIH (antibody dependant cell cytotoxicity).
Récemment, le rôle de ces différents types d'anticorps au cours de la
transmission périnatale a été étudié en posant la question suivante : Y a t'il
une corrélation entre la présence de ces anticorps spécifiques (qui peuvent passer de
la mère vers l'enfant) avec le taux de transmission et/ou le profil évolutif de la
maladie chez les enfants infectés ?
La présence et le titre d'anticorps de type ADCC ou d'anticorps
bloquant la formation de syncytia ne sont pas corrélés avec le devenir de l'enfant
(enfant infecté ou non infecté) (36).
Par contre, des études préliminaires suggéraient que des anticorps
maternels dirigés contre la gp 120 ou différents épitopes de la "loop" V3
pouvaient être associés avec un taux plus bas de transmission de la mère à l'enfant
(37, 39). Ces résultats prometteurs n'ont pas été confirmés par plusieurs équipes
mettant ainsi en cause l'intérêt de ce type d'étude limité à des ELISA peptides.
Parekh et al (40) ont étudié les sérums de 13 femmes transmettant et de 23 femmes
ne transmettant pas, originaires des U.S.A. La réactivité de ces sérums contre les 4
régions de V3 loop HIV MN a été analysée. Parmi les 4 peptides testés, seulement des
anticorps dirigés contre la région C53 (PND) ont été retrouvés sans aucune
différence entre les 2 groupes de mères, sans aucune différence au niveau de
l'affinité des anticorps dirigés contre C53 MN. Aucun anticorps n'a été mis en
évidence contre la région C51, C57, C58. La signification et le rôle éventuel dans la
transmission périnatale des anticorps anti-gp41 n'est pas connue. Plusieurs raisons
peuvent expliquer ces résultats discordants (i) petit nombre de sujets examinés, (ii)
différences cliniques au niveau des populations étudiées, (iii) problèmes techniques
en particulier sur les préparations peptidiques qui, pour une même séquence, peuvent
donner lieu à une réactivité différente des sérums, (iiii) ces tests ne dépistent
pas la présence d'anticorps neutralisants dirigés contre des épitopes situés en dehors
de la "loop" V3. Le problème est en fait plus général pour l'interprétation
et l'intérêt de ces anticorps anti-V3 Loop. Le grand nombre de variant de virus chez un
individu et la possibilité d'une transmission d'un virus "mutant" à
l'enfant limite l'intérêt d'une technique utilisant une séquence peptidique unique
(41). La mise en évidence d'anticorps neutralisant nécessite de tester chaque sérum
dans un test fonctionnel de neutralisation d'infection si possible contre sa propre
souche.
D'autres paramètres de la réponse immune maternelle n'ont pratiquement
pas été étudiés. La présence d'anticorps facilitants (qui peuvent reconnaître des
séquences au sein de la loop V3) pourraient favoriser l'infection de cellules
trophoblastiques par le virus libre. Des données préliminaires montrent que des CTL anti
VIH dirigés contre différentes protéines sont trouvées chez les femmes enceintes
séropositive (42, 43) mais on ne sait pas si leur capacité fonctionnelle peut être
modifiée au cours de la grossesse par les différents facteurs placentaires, et si leur
expression est quantitativement ou qualitativement différente selon que l'enfant est
infecté ou non infecté.
u Paramètres virologiques.
La charge virale circulante peut être mesurée par différentes
techniques dont la sensibilité, la signification et l'intérêt en fonction du stade de
la maladie sont différents: antigénémie P24 (P24 Ag), virémie plasmatique, virémie
cellulaire, PCRDNA, PCR-RNA avec technique semi-quantitative (44, 45). La plupart des
femmes enceintes séropositives ont des CD4> 200/mm3 et sont asymptomatiques.
L'antigénémie P24 et la virémie plasmatique ne sont positives que chez un nombre
limité d'entre elles. L'idée générale qui prévaut actuellement est qu'il existe une
relation entre la charge virale chez la mère et le caractère transmetteur ou non
transmetteur. En réalité, il y a jusqu'ici très peu de données sur ce sujet. Un
travail initial ne trouvait pas de valeur à l'antigénémie P24. Un travail récent a
montré que des virémies plasmatiques pouvaient être trouvées positives chez des mères
qui ne transmettaient pas l'infection au foetus ou au nouveau-né (24). Contrastant
avec ces résultats, plusieurs études montrent que les femmes ayant une antigénémie P24
positive (> 30 pg/ml) associée ou non à un taux bas de CD4/mm3 ont un taux de
transmission plus élevé (2, 6, 33-35) mais l'antigénémie P24 est positive chez
seulement 9 à 15% des femmes. Un petit nombre d'études virologiques a été
réalisé jusqu'ici, mais plusieurs cohortes de femmes enceintes sont en cours
d'investigation. La virémie plasmatique est trouvée positive chez environ 50% des mères
dans une série Suédoise de 44 femmes (46). Une étude italienne montre une plus grande
fréquence de PCR-DNA positive et d'isolement au virus chez les femmes qui transmettent.
Cette donnée a également été retrouvée dans des séries africaines et américaines
non publiées. A ce jour, il n'y a pratiquement pas de donnée sur les virémies
quantitatives plasmatiques ou cellulaires, en particulier aux différents moments de la
grossesse (47) et une étude pluricentrique est en cours au sein de la cohorte Française
SEROGEST. La charge virale est importante au cours des primo-infections à HIV, avec des
virémies plasmatiques quantitativement élevées. Plusieurs cas récents suggèrent que
la transmission materno-foetale est particulièrement élevée dans ces condition. Dans
une courte série française non publiée, 3 enfants sur 4 sont infectés. Dans l'étude
conduite au Rwanda, 16 séroconversions maternelles sont survenues après la naissance
dont 5 dans le post-partum immédiat (32). 4 enfants sur 5 ont été infectés,
probablement en fin de grossesse. Le devenir de ces enfants n'est pas connu, et on ne sait
pas s'ils ont développé une infection sévère rapidement évolutive. Ces données
préliminaires demandent a être confirmées, mais constituent un argument important pour
la relation entre charge virale chez la mère et le taux de transmission.
Les caractéristiques de la souche virale chez les mères transmetteuses
et non transmetteuses font l'objet de plusieurs études. En effet, plusieurs facteurs
liés au virus lui-même peuvent potentiellement être importants: capacité à une
réplication rapide ou lente, capacité à faire des syncithiums en culture, tropisme
particulier du virus pour les lymphocytes TCD4 et/ou pour les monocytes. Des travaux sont
également en cours sur l'identification moléculaire des souches virales par clonage et
séquencage après PCR pour savoir s'il existe des variations entre la souche de la mère
et du nouveau-né. Dans une étude limitée, la PCR et le séquencage du DNA montrent
qu'une forme rare chez la mère est le variant prédominant chez l'enfant. De plus, un
site spécifique de N glycosylation trouvé dans la séquence du virus maternel est absent
dans la séquence du virus de l'enfant (48). Ces résultats ont été en partie infirmés
par un autre groupe (49). On sait que des virus mutants au niveau des épitopes reconnus
par les cellules CD8 cytotoxiques peuvent apparaître chez les patients et échapper ainsi
au système immunitaire. Il sera intéressant de regarder si ces souches mutantes sont
retrouvées chez le nouveau-né.
u Paramètres liés au foetus.
La question posée est la suivante : existe-il une réceptivité
particulière à l'infection par le VIH-1 de certains foetus, fonctions de certains
paramètres génétiques ? Très peu de données sont disponibles sur ce sujet
difficile. Une étude récente montre que certains antigènes du MHC classe I ou classe II
sont trouvés avec une plus grande fréquence chez les enfants infectés (50) suggérant
que la présentation du virus au thymocytes immatures et/ou que la réponse immune
seraient sous la dépendance du MHC. Par ailleurs, le registre portant sur les jumeaux
nés de mères séropositives montre que les cas de dissociation enfant infecté/enfant
non infecté sont beaucoup plus fréquent chez les jumeaux dizygotes que chez les jumeaux
monozygotes suggèrant qu'il existe un facteur génétique (26). En fait, tout ceci
demande à être confirmé sur de plus grandes séries.
u Autres paramètres.
Il est possible que les infections bactériennes, ou parasitaires, survenant durant la
grossesse augmentent la réplication virale du VIH par l'intermédiaire de différentes
cytokines, et jouent ainsi un rôle indirect. Cette hypothèse est parfois avancée pour
expliquer le taux de transmission plus élevé trouvé dans les cohortes Africaines. Les
infections virales associées pourraient aussi se comporter comme des cofacteurs. On peut
citer l'infection par le CMV, HTLV1, HHV6, HBV, HCV. Des études initiales montraient un
taux de transmission plus élevé en Italie chez des femmes coinfectées HIV-HCV mais nous
n'avons pas retrouvé cette donnée dans une série française (51). L'étude de la
cohorte des jumeaux (26) montre que le risque d'infection est plus important pour le
premier jumeau. Ces résultats suggèrent que la transmission peut survenir lors du
passage du 1er jumeau à travers le tractus cervico-vaginal. A ce niveau, il existe
une excrétion de virus et une sécrétion d'anticorps anti-gp 120 en particulier d'IgA
qui jouent peut être un rôle protecteur (52). Une modification de la balance entre ces
deux phénomènes pourrait dans certains cas de transmission per-partum conduire ou non à
une infection du nouveau-né.
En conclusion de ce chapitre, de nombreux paramètres peuvent jouer un rôle sur la
transmission materno-foetale. Ils doivent être le plus souvent associés entre eux et il
parait peu réaliste même pour l'avenir de penser qu'un seul critère, aussi sophistiqué
soit-il, permettra de repérer les femmes à risque de transmission. Actuellement, on peut
penser que les femmes ayant des CD4 < 200/mm3, une antigénémie P24 positive, et une
virémie plasmatique élevée ont plus de chance de transmettre. A l'inverse, une femme
ayant des CD4 > 500/mm3 peut parfaitement transmettre. Au niveau du conseil individuel,
la notion de facteurs de risque pour une femme donnée est donc délicate à envisager.
La multiplicité de ces facteurs auxquels on doit ajouter des paramètres
démographiques (âge) et socioéconomique (Afrique) pose, nous l'avons vu, le problème
de leur signification immunopathologique réelle. Par ailleurs, les mêmes facteurs sont
également impliqués dans le profil évolutif de la maladie chez l'enfant infecté.
L'évolutivité de la maladie chez l'enfant est plus rapide, en cas de déficit
immunitaire important chez la mère (34) et donc probablement de charge virale élevée.
iii modèles animaux
Les modèles animaux de transmission périnatale de retrovirus sont peu nombreux
et souvent éloignés du modèle humain d'infection verticale par HIV. Chez la souris, les
modèles de transmission d'oncovirus de type C et de type D ont été les plus étudiés.
L'infection in utero peut conduire à différentes expressions de l'infection virale avant
et après la naissance. Par exemple dans le modèle expérimental utilisant des souris
transgéniques porteuses du virus Moloney (DNA) de la leucémie murine Mo-MuLV, la
production de particules virales survient soit in utéro soit à différents moments
après la naissance. De plus certains animaux transgéniques ne présentent pas
d'expression du DNA viral (53). Les modèles murins ont été utilisés pour mesurer
l'efficacité éventuelle des médicaments destinés à prévenir la transmission
materno-foetale des rétrovirus. Par exemple, dans le modèle Mo-MuLV, l'administration
d'AZT diminue la transmission périnatale: cet effet est moins net chez les souris
porteuse du Mo-MuLV qui ont une production virale in utero, que chez les souris ayant une
infection latente jusqu'à la naissance (54). Ces données chez l'animal sont à
rapprocher de la relation possible entre "charge virale" chez la mère et
transmission verticale que nous avons déjà discutée. Pour l'interprétation de ces
modèles, on doit cependant être conscient de certains faits : (i) l'architecture
placentaire des souris et des hommes n'est pas même, (ii) le métabolisme des
médicaments peut être différent chez les souris et autres animaux de ce qu'il est chez
l'homme, (iii) les oncovirus de type C n'ont pas les mêmes gènes régulateurs complexes
que ceux que l'on trouve chez les lentivirus. On pourra peut être surmonter certaines de
ces différences en utilisant des souris transgéniques de VIH ou des souris Hu-SCID
infectées par le VIH-1 ou VIH-2.
Chez les primates non-humanoïdes, le modèle de l'infection par le SIV du singe
macaque rhésus apporte des informations intéressantes. Il n'y a pas de transmission
verticale du SIV aux foetus ou aux nouveau-nés, du moins avec les souches SIV
utilisées (55). Mc Chasney et al ont mis au point un modèle expérimental
d'innoculation du SIV in utero à différents moments de la gestation correspondant à
différents stades de la différenciation du système immunitaire du foetus. Ce modèle
n'apportera pas d'information sur le taux de transmission, mais peut être utile pour
l'étude de médicaments (56) et pour analyser de façon fine la réponse immune-foetale
vis à vis du SIV (immunité ou tolérance) et son rôle éventuel dans le développement
de l'infection chez le nouveau-né. L'infection par le VIH2 (à la place du SIV) peut
être également étudiée dans le modèle chez les singes rhésus macaque.
L'infection par le VIH -1 des chimpanzés réalise un modèle de transmission in
utero comme le montre le cas accidentel rapporté par Eidiberg (57). Néanmoins, des
considérations pratiques et morales limitent le développement de ce modèle. Ainsi,
d'autres études avec diverses espèces d'animaux et divers isolats de virus sont
nécessaires pour pouvoir choisir le meilleur modèle à utiliser pour l'identification
des facteurs de la transmission et l'étude de la tolérance et de l'efficacité des
médicaments susceptibles d'empêcher la transmission du VIH de la mère à l'enfant.
iv perspectives cliniques : diagnostic anténatal et traitements préventifs
Un diagnostic prénatal invasif peut être réalisé par amniocentèse,
prélèvement de villosités chorioniques ou surtout prélèvement de sang foetal (58). En
fait, le diagnostic prénatal ne pourra être proposé tant que l'on n'aura pas résolu
les problèmes suivants: évaluation de la sensibilité et de la spécificité des
différentes techniques de mise en évidence du virus (culture, PCR), contamination
possible du prélèvement par du sang maternel, transmission iatrogène d'un foetus sain
par du sang maternel lors de la ponction. Des données préliminaires du groupe de
Viscarello montrent qu'après ponction de sang foetal, le risque d'infection n'est pas
augmenté et que le diagnostic de foetus infecté est possible par PCR, en utilisant un
marqueur de sang maternel. Ces données demandent à être confirmées.
La transmission tardive, péri-partum, rend probablement compte d'une
proportion importante de contamination. Dans cette hypothèse, le mode et les
conditions de l'accouchement pourraient jouer un rôle. Le taux de transmission était
jusqu'ici considéré comme identique dans les séries prospectives quelque soit le mode
d'accouchement (3) : césarienne ou par voie basse (la césarienne étant dans ces
cas réalisée pour des raisons obstétricales, le plus souvent en urgence non
programmée). Plusieurs éléments récents reposent la question du rôle éventuel des
conditions de l'accouchement (i) L'étude sur les Jumeaux montre que le premier
nouveau-né est infecté de façon plus fréquente que le second et ceci même en cas de
césarienne ou le TMF est alors diminué (59). Ce résultat surprenant n'a pas
d'explication claire, mais suggère que le passage à travers la filière génitale serait
un événement important. Il est possible que l'application vaginale systématique d'un
topique antiviral puisse réduire le taux de transmission, mais ceci reste à démontrer.
(ii) Une étude rétrospective de type meta analyse des principales cohortes mondiales
montre une tendance pour un rôle protecteur de la césarienne (toutes modalités
confondues) mais non significative au plan statistique (60). (iii) Par contre, 2 études
très récentes montrent un rôle protecteur de la césarienne. La courte série italienne
de Villari (60) et surtout les données de la cohorte Européenne (7) qui analyse 1012
accouchements dont 239 césariennes ainsi que les facteurs associés (état clinique,
CD4.), 31% des césariennes ont été réalisées en urgence, mais il n'y a pas de
différence pour le TMF entre les césariennes faites en urgences ou programmées. Le TMF
dans cette étude est plus faible en cas de césarienne en tenant compte du fait que les
femmes ayant une césarienne ont en moyenne un taux de CD4 plus bas ou sont plus
avancées. Ainsi, en attendant un éventuel essai contrôle, les médecins sont
actuellement devant un dilemme difficile : les données s'accumulent en faveur d'un
rôle protecteur de la césarienne, mais de façon non significative, et on doit tenir
compte avant de généraliser une telle procédure, des effets secondaires pour la mère
et le foetus surtout si la césarienne était pratiquée 2 ou 3 semaines avant le terme
théorique.
Les essais thérapeutiques au cours de la grossesse doivent tenir compte du
moment probablement variable de la transmission des mécanismes impliqués: virémie,
passage de cellules infectées, infection des cellules trophoblastiques (62). L'objectif
général du traitement est de diminuer la "charge virale" chez la mère, tout
en étant non toxique pour le foetus. Pour le foetus, il s'agit d'un traitement préventif
et non curatif et on peut penser que des traitements anti-viraux peu efficaces à moyen
terme dans l'infection à VIH, puissent l'être sur la courte période que représente la
grossesse. Plusieurs molécules peuvent théoriquement être utilisées. L'interféron
(IFN) Alpha ne passe pas la barrière foeto-placentaire (63), inhibe la réplication
virale au niveau des monocytes, et également au niveau des lignées trophoblastiques
infectées. La grossesse pourrait constituer un modèle privilégié pour l'étude des
immunoglobulines anti-VIH. (HIV IV Ig). Les IV Ig sont bien tolérés durant la
grossesse. Plusieurs types de préparations d'IV Ig anti-VIH polyclonales ayant in-vitro
une activité neutralisante sont disponibles. Il existe également plusieurs anticorps
monoclonaux dirigés contre différents épitopes de la V3 loop. Il a été récemment
montré que certaines de ces préparations pouvaient prévenir l'infection dans
différents modèles animaux (64, 65) si la dose infectante est faible ou modérée (10 T.
CID 50). Malgré le risque théorique de facilitation du passage transplacentaire du virus
(par l'intermédiaire du récepteur Fc) des études pilotes ont débuté.
Contrairement à sa grande efficacité in-vitro, les premiers résultats
in-vivo avec IgGCD4 recombinant chez des patients infectés ne montrent pas une
diminution importante de la charge virale. Par contre, l'immuno-adhesine IgG-CD4 prévient
l'infection expérimentale du chimpanzé par la souche III B. IgG-CD4 passe en faible
quantité la barrière placentaire. IgG-CD4 n'interfère pas in-vitro avec la maturation
des Thymocytes (66). Un essai de phase I est en cours chez la femme enceinte à la
dose deÊ1 mg/kg 2 fois par semaine.
Les données les plus nombreuses sur le traitement durant la grossesse
concernent l'azidothymidine (AZT). AZT et ddI ont un passage trans-placentaire
(67-70). La pharmacocinétique de l'AZT n'est pas modifiée durant la grossesse (71), mais
les concentrations d'AZT dans le sang foetal et le liquide ammiotique sont supérieures à
celles du sang maternel (72). L'efficacité de l'AZT en prophylaxie primaire a pu être
établie dans quelques modèles animaux: souris adultes inoculées par un oncovirus
Mo-MuLV, embryon de souris inoculé directement par un virus neurotrope, modèle SIV chez
le macaque, et plus récemment infection par le VIH de souris hu-SCID (73). La protection
par l'AZT est cependant incomplète. Chez l'homme, l'AZT ne prévient pas toujours
l'infection après un contage accidentel, et 3 cas d'enfants nés infectés alors que
leurs mères avaient reçu de l'AZT ont été rapportés (74-76). Plus de 300 femmes
enceintes séropositives ont été traitées par l'AZT durant la grossesse pour une durée
et avec des doses variables en dehors d'un essai thérapeutique contrôlé. La
tolérance est bonne et il n'a pas été décrit d'anomalie chez le nouveau-né à court
terme (77). Le recul à moyen et long terme est encore insuffisant chez l'homme, mais il
n'a pas été décrit d'effet tératogène chez l'animal. L'AZT est parfois indiqué au
cours de la grossesse pour une indication maternelle, en particulier lorsqu'il existe une
thrombopénie sévère qui est corrigée dans environ 60% des cas après quelques semaines
de traitement par l'AZT (78).
Un essai contrôle AZT versus placebo a débuté en Octobre 1991 (ACTG
076 - ANRSÊ024). Les patients étaient des femmes enceintes séropositives ayant des CD4
> 200/mm3 et n'ayant pas reçu d'AZT au début de grossesse. L'AZT/placebo (500
mg/jour) était débuté entre la 14 et 34ème semaine de grossesse (avec une
statification), poursuivi durant l'accouchement (2 mg/kg/IV en bolus sur 1 heure,
puis 1 mg/kg/heure jusqu'à l'accouchement). Les nouveaux nés recevaient l'AZT ou le
placebo durant les 6 premières semaines de vie. L'objectif de cet essai était
d'apprécier la tolérance et l'efficacité de l'AZT. Les résultats de la première
analyse intermédiaire (Février 1994) ont conduit le Comité indépendant à arrêter
l'essai en raison de l'efficacité de l'AZT. 477 étaient incluses dans l'essai, 409
femmes donnant naissance à 415 enfants. Le statut infectieux (sérologie à 18 mois et
résultat d'au moins une culture virale positive) était connu pour 363 nouveaux nés, 180
dans le groupe ZDV, 183 dans le groupe placebo. 13 enfants étaient infectés dans le bras
AZT et 40 dans le bras placebo.
Le TMF "estimé" par une analyse de Kaplan-Meier est de 8,3%
(95% CI, 3,9%-12,8%) dans le bras AZT et de 25,5% (95% CI, 18,4%-32,4%) dans le bras
placebo. La différence estimée entre les 2 groupes est de 17,2% et ceci correspond à
une réduction relative du taux de TMF de 67,5% (95% CI 40,7-82,1%) qui est hautement
significative (p = 0,000056). Le traitement est bien toléré chez les femmes et les
enfants. Les effets secondaires sont comparables dans les 2 groupes, à l'exception du
taux d'hémoglobine qui est légèrement inférieur chez les enfants traités par
AZT. Ces résultats de l'Essai 076 (en cours de publication) (79) viennent d'être
confirmés par une étude non contrôlée chez des patients du même type (80). Ces
résultats ont paru suffisamment robustes à différents groupes d'experts de plusieurs
pays, pour que des recommandations soient faites pour une prescription de l'AZT pour les
femmes enceintes séropositives dans les conditions de l'essai. Indiscutablement il
s'agit d'un pas décisif dans la prévention de la TMF dans les pays à haut revenu.
Cependant, plusieurs questions sont posées par le résultat de cet essai (1) Que faire
pour les femmes ayant des CD4 < 200/mm3. (2) Quelle est la période de traitement
réellement efficace : grossesse, accouchement, premières semaine de
vie ? (3) Ce protocole lourd sera-t-il appliqué en pratique courante dans sa
totalité(4). Que faire chez les femmes ayant déjà reçu l'AZT, compte-tenu des
phénomènes de résistance? (5) Surtout quel est le devenir à long terme des enfants
non infectés ayant reçu de l'AZT durant la grossesse ? Les données à court terme
sont rassurantes, mais un suivi à moyen et long terme doit être mis en place en France
avec tous les problèmes méthodologiques et éthiques posés par un tel suivi. (6) Enfin,
le problème majeur posé par ces résultats est celui de l'attitude à adopter en Afrique
et dans les pays du tiers monde ou la prévalence de la séropositivité peut atteindre 20
à 40% des femmes accouchant en zone sub-urbaines. Plusieurs stratégies sont possibles en
sachant que l'application intégrale du protocole 076-024 ne l'est pas. Plusieurs essais
utilisant des antirétroviraux sur une courte période encadrant l'accouchement devraient
débuter dans les mois qui viennent coordonnés par l'OMS.
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Jean-François DELFRAISSY
Professeur d'Immunologie Clinique et de Médecine Interne, Hôpital A. Béclère - 92140
Clamart , Hôpital K. Bicêtre - 94275 Kremlin Bicêtre Cedex
: JOURNÉES DE
TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12
- 19 Janvier 1995
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