Chapitre 2
hépatites virales chroniques et grossesse
D. CH. VALLA
Les virus responsables d'hépatites chroniques sont les virus B, D et C de
l'hépatite. L'association d'une hépatite virale chronique et d'une grossesse pose
plusieurs problèmes : (a) le diagnostic, positif et étiologique, de l'hépatite virale
chronique quand elle est découverte à l'occasion de la grossesse ; (b) l'évaluation du
retentissement de la grossesse sur l'hépatite chronique ; (c) l'évaluation du
retentissement de l'hépatite chronique sur la grossesse.
I Hépatite virale B chronique
1. Rappel (1)
Le virus de l'hépatite B est un virus à ADN dont la particule virale
complète est entourée d'une enveloppe. Ses modes de transmission sont la
transmission materno-infantile, la transmission sexuelle et la transmission sanguine.
La primo-infection par le virus de l'hépatite B passe cliniquement
inaperçue dans 90 % des cas, et se traduit par une hépatite aiguë ictérique bénigne
dans 10 % des cas. Exceptionnellement (moins de 1 % des cas), la primo-infection est
responsable d'une hépatite fulminante dont l'évolution spontanée est mortelle dans 75 %
des cas.
Après la guérison de la maladie aiguë, la primo-infection aboutit à
l'immunisation contre le virus B, dans 90 % des cas. Toutefois, chez certains sujets, un
portage chronique du virus peut succéder à la primo-infection. Ce risque est de l'ordre
de 90 % lorsque la primo-infection survient chez le nouveau-né, d'environ 20 % chez
l'enfant, de moins de 5 % chez l'adulte immunocompétent, de plus de 50 % chez le
vieillard, et de près de 100 % chez l'adulte immunodéprimé.
Il est admis que le virus de l'hépatite B n'est pas directement
cytopathogène. L'atteinte hépatique est due à une destruction des hépatocytes par le
système immunitaire. Les lymphocytes T cytotoxiques prennent pour cible les hépatocytes
présentant à leur surface des peptides viraux.
Le portage chronique du virus de l'hépatite B correspond à la
présence chronique du génome viral, l'ADN du virus B (ADN-VHB), dans les hépatocytes.
En fonction de la réplication virale, le portage chronique peut prendre, à un moment
donné, l'un des 3 aspects suivants.
(I) Le portage chronique avec réplication virale sans lésion hépatique
ou avec lésions hépatiques minimes
Les transaminases sont normales ou presque. Il n'y a ni nécrose ni
inflammation hépatique. Les hépatocytes sont le siège d'une réplication complète du
virus qui est sécrété dans la circulation. On met constamment en évidence, dans le
sérum, l'antigène de l'enveloppe (ou de surface, antigène (Ag) HBs) et l'ADN-VHB.
L'antigène HBe (Ag HBe) est un constituant de la capside virale. Sa présence dans le
sérum correspond presque toujours à une réplication virale complète ; en revanche, son
absence ne signifie pas nécessairement l'absence de réplication virale. A ce stade, le
sujet est très infectieux (sang, salive, sécrétions génitales).
(II) L'hépatite chronique virale B
Les transaminases sont augmentées à un degré variable, dans le temps et
d'un individu à l'autre. Comme dans la situation précédente, on met en évidence dans
le sérum les marqueurs d'une réplication active : Ag HBs et ADN-VHB, parfois (mais pas
toujours) Ag HBe. Le sujet est infectieux.
(III) Le portage chronique sans réplication virale.
Les transaminases sont toujours normales. Il n'y a ni inflammation, ni
nécrose hépatocytaire. Seule l'enveloppe virale est synthétisée par les hépatocytes
et exportée dans le sérum. On met en évidence dans le sérum l'Ag HBs. Il n'y a pas
d'ADN-VHB dans la circulation. Parce qu'il n'y a pas de réplication virale, l'anticorps
anti-HBe est constamment présent. Le sujet n'est pas infectieux.
L'histoire naturelle longitudinale de l'infection chronique par le virus
de l'hépatite B prend successivement, et dans l'ordre, chacun de ces trois aspects. En
d'autres termes (i) le premier aspect correspond à un état de tolérance du virus ; (II)
les poussées de cytolyse de l'hépatite chronique correspondent à des tentatives
permanentes ou répétées d'éliminer les hépatocytes siège d'une réplication active
du virus ; (III) le dernier aspect correspond à un état de latence virale et de
rémission complète de la maladie. Ce dernier stade est atteint spontanément par les
sujets atteints d'hépatite chronique avec une incidence annuelle de 10 %.
Le but du traitement antiviral (interféron-alpha ou vidarabine
monophosphate) est de porter cette incidence à 40 %. Un tel traitement est
contre-indiqué pendant la grossesse et l'allaitement.
L'évolution lésionnelle de l'hépatite virale B chronique, quoique
variable d'un sujet à l'autre, est relativement monomorphe dans son déroulement. C'est
au cours du stade d'hépatite chronique que se constituent les lésions de cirrhose et, à
plus long terme (environ 20 ans au moins) l'atrophie conduisant à l'insuffisance
hépatique terminale. Lorsque la phase d'hépatite chronique est très courte, le stade de
latence virale est atteint sans que se constituent des lésions marquées. Le carcinome
hépatocellulaire, qui prédomine chez les sujets mâles, complique 20 % des cas
d'hépatite chronique B ayant progressé jusqu'à des lésions de cirrhose. Dans les
processus de carcinogenèse, le rôle direct du virus et ceux de l'inflammation et de la
régénération hépatocytaire ne sont pas clairement élucidés.
2. Influence de la grossesse sur l'hépatite virale B chronique
La grossesse n'a généralement pas d'influence délétère sur
l'évolution de l'hépatite virale B chronique. Au décours de l'accouchement, la
multiplication virale B diminue souvent ; dans 20 % des cas, elle s'annule de façon
apparemment définitive, ce qui est plus fréquent que dans une population de femmes
témoins appariées, non enceintes (2).
3. Influence de l'hépatite virale B chronique sur la grossesse
On admet généralement que l'hépatite chronique maternelle n'augmente
pas le risque de malformation foetale, d'avortement, de mort néonatale, ni de
complications de l'accouchement.
Au stade de cirrhose avec insuffisance hépatique, la stérilité est
habituelle (3,4).
4. Prévalence des marqueurs du virus B chez les femmes enceintes
La prévalence de l'infection par le virus B a une distribution
géographique très hétérogène. Les pays de forte endémie sont situés en Afrique
noire, en Extrême-Orient, en Europe de l'Est et en Alaska : la prévalence de l'infection
chronique par le virus de l'hépatite B, identifiée par la présence de l'AgHBs dans le
sérum, y atteint 10 à 20 %. Les zones d'endémie intermédiaire sont situées au
pourtour du bassin méditerranéen, aux Antilles et en Amérique du Sud : la prévalence y
est de 1 à 5 %. Les zones de faible endémie sont représentées par les pays d'Europe
occidentale et d'Amérique du Nord. La prévalence y est de moins de 1 %, à l'exception
de certaines populations défavorisées chez lesquelles elle est plus élevée (5-12).
Dans les pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord, le risque
d'infection par le virus de l'hépatite B est élevé dans certains groupes de la
population. Il s'agit des migrants originaires des zones de forte endémie, des
utilisateurs de drogue par voie intraveineuse et de leurs partenaires sexuels. Ces
données s'expliquent par les voies de transmission du virus.
Tous les facteurs de risque de portage chronique du virus de l'hépatite B
ne sont pas connus ou identifiables par l'interrogatoire des femmes enceintes. C'est
pourquoi le dépistage ne peut reposer que sur la recherche systématique de l'Ag HBs dans
le sérum (13-15). Ce dépistage au 2e trimestre de grossesse est maintenant une
obligation légale en France.
5. Transmission néonatale du virus B
La contamination de l'enfant se fait principalement lors de
l'accouchement. On l'attribue soit à la déglutition de liquide infecté maternel, soit
aux microtransfusions sanguines lors du travail (16). La transmission prénatale est
discutée. Elle semble favorisée par les menaces d'accouchement prématuré ; celles ci
pourraient provoquer des failles dans la barrière placentaire (17). La contamination
postnatale rend compte des autres cas de transmission materno-infantile (18,19).
Le risque de transmission néonatale est fortement influencé par le
type de portage chronique chez la mère. Le portage avec multiplication virale
(présence de l'ADN-VHB dans le sérum) est associé à une contamination de l'enfant dans
100 % des cas (20). Le portage chronique sans multiplication virale décelable (absence de
l'ADN-VHB dans le sérum) est associé à une contamination de l'enfant dans moins de 10 %
des cas.
Le rôle joué par la transmission néonatale du virus B dans la diffusion
de l'infection virale dans les zones de forte endémie est variable d'une zone à l'autre.
Dans les pays orientaux, la transmission néonatale rend compte de plus du tiers des
porteurs chroniques du virus dans la population générale. Dans ces pays, les femmes
enceintes sont souvent au stade de réplication virale complète (l'ADN-VHB est présent
dans leur circulation) : de ce fait, elles sont très infectieuses et contaminent leur
enfant lors de la naissance. En Afrique, la transmission néonatale rend compte de moins
du quart des cas de porteurs chroniques dans la population générale. Dans les pays
africains, les femmes enceintes sont plus souvent au stade de portage chronique de l'Ag
HBs sans réplication virale, l'anticorps anti-HBe est présent dans le sérum et l'ADN
viral n'y est pas détectable. Ces femmes sont moins infectieuses.
6. Infection virale B chez l'enfant contaminé à la naissance
Les enfants contaminés dans la période néonatale deviennent porteurs
chroniques du virus de l'hépatite B dans 90 % des cas. La maladie qu'ils développent est
habituellement peu active. Schématiquement, plus tôt l'enfant est contaminé, plus la
multiplication virale est grande, moins les transaminases sont élevées, moins marquées
sont les lésions hépatiques, moins grande est la probabilité d'un arrêt de la
multiplication virale, et moins bonne est la réponse au traitement antiviral (21-23).
Seule une petite proportion des enfants infectés par le virus B à la
naissance développent une hépatite aiguë sévère, parfois fulminante. Ces formes
atypiques pourraient être dues à un souche particulière de virus de l'hépatite B (24).
7. Prévention de la transmission materno-infantile
La transmission néonatale de l'hépatite virale B peut être prévenue
avec une efficacité de l'ordre de 85 % des cas par une immunoprophylaxie
(sérovaccination) combinant (I) l'administration dans les 12 premières heures de vie de
100 à 200 UI de gammaglobulines spécifiques anti-HBs, et (II) l'administration
intramusculaire de 10 microg de vaccin contre le virus B dans les 48 premières heures et
à l'âge de 1 mois, 2 mois et 1 an (25,26). Un rappel à 5 ans peut être nécessaire car
les enfants nés de mère infectée par le virus de l'hépatite B ont une réponse un peu
moins bonne à la vaccination que les enfants nés de mère indemne.
II Hépatite virale D chronique
1. Rappel
Le virus de l'hépatite D (ou delta) est un virus à ARN dépourvu
d'enveloppe. Il utilise celle du virus de l'hépatite B pour infecter les hépatocytes. On
distingue donc (I) la co-infection au cours de laquelle un sujet indemne s'infecte
simultanément par les virus B et D, et (II) la surinfection au cours de laquelle un sujet
déjà porteur chronique du virus l'hépatite B rencontre les virus B et D. La
co-infection virale B et D donne une hépatite aiguë généralement plus symptomatique
qu'une hépatite aiguë B. La proportion de guérison complète est supérieure à 90 %.
La surinfection entraîne une hépatite aiguë, parfois fulminante, qui peut être prise
pour une hépatite aiguë B de primo-infection si le portage chronique du virus de
l'hépatite B n'était pas connu. Dans les autre cas, la surinfection virale D se traduit
par une poussée souvent sévère ou grave de la maladie chronique du foie. La
surinfection virale D évolue pratiquement toujours vers une hépatite chronique, souvent
très active (27).
Comme le virus B, le virus de l'hépatite D est transmis par voie sanguine
et sexuelle.
2. Hépatite virale D chronique et grossesse
La grossesse ne semble pas modifier l'histoire naturelle de l'hépatite
chronique delta. Inversement, l'hépatite delta ne semble apporter aucune particularité
au déroulement de la grossesse. Le risque de transmission néonatale de l'hépatite D est
très faible (28). Théoriquement, la transmission devrait être prévenue par les mêmes
mesures d'immunoprophylaxie que celles utilisées pour l'infection par le virus de
l'hépatite B.
III Hépatite virale c chronique
1. Rappel
Le virus de l'hépatite C est un virus à ARN. La primo-infection
est cliniquement inapparente dans plus de 90 % des cas. Elle ne donne jamais lieu à une
forme grave. La probabilité d'une évolution chronique est supérieure à 50 %.
En règle, l'hépatite chronique C est caractérisée par un activité
modérée, parfois fluctuante, évoluant progressivement vers des lésions de fibrose
extensive, puis de cirrhose asymptomatique, à un rythme d'environ 20 % en 20 ans. Le seul
symptôme attribuable à la maladie est une asthénie. Ultérieurement, certains des
patients atteints de cirrhose verront se développer les complications graves des maladies
chroniques du foie (hémorragie digestive, ascite, infections, encéphalopathie
hépatique, carcinome hépatocellulaire) (29).
La principale voie de transmission du virus C est sanguine, expliquant les
contaminations par transfusion ou par partage de seringue chez les toxicomanes. La
transmission par voie sexuelle est possible mais paraît si rare que des conditions
exceptionnelles doivent probablement être réunies pour qu'elle survienne.
Le diagnostic d'hépatite chronique C repose sur les arguments suivants :
(I) lésions d'hépatite chronique, (II) absence d'autre cause de maladie chronique du
foie, (III) présence dans le sérum d'anticorps dirigés contre le virus de l'hépatite
C. La démonstration de l'ARN viral dans la circulation serait un argument de la plus
haute valeur pour ce diagnostic. Malheureusement, actuellement, la méthode utilisée pour
cette démonstration (amplification génomique, ou PCR) souffre encore d'un manque de
sensibilité et de spécificité de sorte que son utilisation en routine ne peut être
généralisée. Le principal traitement qui peut être proposé aux malades atteints
d'hépatite chronique C est l'interféron. Son utilisation est contre-indiquée pendant la
grossesse et l'allaitement.
2. Influence de la grossesse sur l'hépatite virale C chronique
L'activité de la maladie parait diminuer au cours de la grossesse et les
transaminases se normalisent volontiers dans la seconde moitié de la grossesse (30). Au
décours de l'accouchement une rechute survient habituellement. Cette diminution
d'activité ne semble pas due à une diminution de la réplication virale. Une hypothèse
serait qu'une relative immunodépression au cours de la grossesse explique une diminution
des lésions hépatiques.
3. Influence de l'hépatite virale C chronique sur la grossesse
Jusqu'à présent, il n'a pas été noté d'influence particulièrement
délétère de l'hépatite chronique virale non-A, non-B ou C sur le déroulement de la
grossesse. Toutefois, à notre connaissance il n'y a pas eu d'étude cas-témoin bien
documentée sur le sujet (30).
4. Prévalence des marqueurs du virus C chez les femmes enceintes
La prévalence des anticorps dirigés contre le virus de l'hépatite
C dans la population de femmes enceintes est de l'ordre de 0,5 à 5 % (31-34), variant
selon l'origine géographique (32,33). Les principaux facteurs de risque identifiés dans
cette population sont les antécédents d'utilisation de drogue par voie intraveineuse et,
à un moindre degré, de transfusion sanguine (31-34).
5. Transmission néonatale
La transmission néonatale du virus C a été difficile à documenter en
raison des performances insuffisantes des tests d'infection disponibles jusqu'à tout
récemment. Il est maintenant bien établi que la transmission du virus de l'hépatite C
de la mère à l'enfant est un phénomène rare (10 % des mères infectées par le virus)
mais possible. Le risque est influencé par la quantité de virus circulant. Le risque
semble nul lorsque celle ci est inférieure à 105 équivalent de génome par ml (35,36).
Le risque de transmission est très élevé chez les femmes co-infectées par le virus du
SIDA.
6. Infection virale C de l'enfant contaminé à la naissance
Initialement, l'infection de l'enfant ne peut être dépistée que par
la recherche de l'ARN viral dans la circulation. En effet, les anticorps dirigés contre
le virus de l'hépatite C présents au cours des 6 premiers mois de vie sont d'origine
maternelle et disparaissent avant que n'apparaissent, de façon retardée, les anticorps
de l'enfant. Les enfants contaminés à la naissance ont, au pire, une augmentation
fluctuante et très modérée des transaminases (34-36). On ignore leur devenir à long
terme mais rien n'indique qu'une maladie sévère survienne dans la grande enfance.
7. Prévention de la transmission materno-infantile du virus de
l'hépatite C
Il n'existe pas, actuellement, de méthode d'immunoprophylaxie permettant
d'éviter une éventuelle transmission materno-infantile du virus de l'hépatite C.
Les règles d'hygiène qui doivent être recommandées sont le non-partage
des instruments pouvant mettre en contact le sang du sujet infecté avec le sang de
l'enfant (objets de toilette, et en particulier les objets contondants).
Bien que la présence du virus dans le lait maternel n'ait pas été
définitivement prouvée, il parait prudent de préconiser un allaitement artificiel.
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Dominique-Charles VALLA
Service d'Hépatologie, Hôpital Beaujon, Clichy
: JOURNÉES
DE TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France
12 - 19 Janvier 1995
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