Chapitre 5
âge paternel et descendance
M. AUROUX
introduction
De même que le vieillissement ovarien, le vieillissement
testiculaire ne concerne pas que l'individu : par l'intermédiaire
des gamètes, il concerne aussi sa lignée. Les premiers
signes du vieillissement testiculaire sont précoces (revue
générale: 1). En effet, dès la trentaine,
la vascularisation commence à s'appauvrir, comme en témoigne
une chute progressive de la densité des capillaires ;
la membrane propre des tubes séminifères, qui est
un des éléments essentiels de la barrière
hémato-testiculaire, commence à s'épaissir
et le nombre des cellules de Sertoli à décroître.
Quant à l'amortissement endocrinien, il n'apparaîtrait
qu'une dizaine d'années plus tard, avec d'ailleurs des
variations considérables d'un individu à l'autre.
Ces modifications s'accompagnent d'une lente diminution
du nombre des spermatozoïdes et d'une altération de
leur qualité (morphologie et mobilité) (figure 1) (2).
Pour un âge féminin donné, on assiste ainsi
à une diminution progressive de la fertilité masculine.
La qualité des gamètes est basse, aussi, lorsque
l'homme est très jeune, ce que l'on retrouve chez la souris
(3) et le taureau (4). Elle passe ainsi par un maximum autour
de la trentaine (figure 1). Point important, et qui prendra une
valeur particulière lorsque nous envisagerons le retentissement
de l'âge des hommes sur la qualité de leur progéniture,
la qualité des spermatozoïdes est génétiquement
déterminée (5). Cela suggère que les messages
qui la déterminent s'améliorent entre la puberté
et la trentaine et s'altèrent ensuite.
ÂGE PATERNEL ET DÉVELOPPEMENT DU CONCEPTUS
Le vieillissement paternel peut être responsable,
dans les spermatozoïdes, d'anomalies chromosomiques de nombre
ou de structure s'accompagnant parfois d'anomalies chez l'enfant.
Il peut aussi être la cause de mutations dominantes ou récessives
entraînant chez la descendance l'apparition de syndromes
bien définis ou de modifications fonctionnelles parfois
très subtiles, concernant par exemple certains phénomènes
cérébraux.
1. Anomalies chromosomiques
Dans une population normale d'hommes âgés de 30 ans,
environ 5% de spermatozoïdes présentent une non disjonction
d'origine méiotique, ce qui conduit à une aneuploidie
(6,Ê7, 8). Pour certains auteurs, 5 à 10% des trisomies
21 seraient ainsi d'origine masculine (9, 10) mais, dans ce cas,
le rôle de l'âge paternel est très discuté:
perceptible pour les uns (11, 12, 13), il est actuellement inappréciable
pour les autres (10, 14, 15). Environ 50% des Klinefelter seraient
aussi, pour HASSOLD (16), dus au vieillissement masculin. En revanche
les autres aneuploïdies comme les trisomies 13 et 18, 47
XXX et 47 XYY ou la monosomie 45 X ne seraient pas liées
à l'âge paternel.
En ce qui concerne les anomalies de structure des chromosomes,
on a montré qu'il existait une corrélation entre
leur taux et l'augmentation de l'âge (6). Au dessus de 44 ans
par exemple, il existe 13% de gamètes porteurs d'anomalies
de structures. Cependant ces anomalies paraissent ne pas avoir
d'effet sur la descendance (6). Enfin, selon Hook et al. (17),
le vieillissement paternel s'accompagne d'une élévation
du taux des translocations réciproques balancées
d'origine paternelle chez le foetus.
2. Syndromes dominants et récessifs
On sait depuis longtemps que le vieillissement paternel est à
l'origine de mutations autosomiques dominantes se traduisant par
des malformations macroscopiques comme l'achondroplasie (18),
la maladie d'Apert, le syndrome de MARFAN, la fibrodysplasie ossifiante
progressive etc. (Revue générale: 1). Si la fréquence
de chacun de ces syndromes est très faible, leur nombre
total dépasse le millier, ce qui multiplie évidemment
les risques. Ainsi, la fréquence des anomalies dues au
vieillissement paternel à partir de 40 ans atteindrait
0,3 à 0,5% des naissances ce qui, selon Friedman (19),
situerait le risque au niveau de la T21 pour une femme de 35-40
ans. Tandis que Hook critique ces estimations qui, selon lui,
ne reflètent que les limites supérieures du phénomène
(15) Lian et al (20), étudiant environ 7500 nouveau-nés
anormaux, montrent que le risque d'anomalie congénitale
est de 2% lorsque le père à 20 ans, 2,4% lorsqu'il
en a 40 et 2,6% lorsqu'il en a 50. Cette augmentation de 0,6%
se rapproche donc des résultats de Friedman. Les mutations
autosomiques dominantes peuvent également être à
l'origine d'anomalies plus discrètes que les malformations:
il s'agit par exemple de la neurofibromatose de Recklinghausen,
syndrome le plus fréquent (1 pour 3000 naissances) dans
lequel l'âge du père parait être impliqué
(tableau 1) (21).
Pour certains auteurs, il semble enfin que des mutations récessives
liées à l'X peuvent également résulter
du vieillissement paternel, comme l'hémophilie A ou la
myopathie de Duchenne. Dans ces cas, la première mutation
apparaîtrait chez le grand-père maternel, serait
transmise par ses filles et s'exprimerait chez la moitié
de ses petits-fils(22).
origine des mutations
Les mutations dont on vient de parler peuvent être dues
à des facteurs exogènes (rayonnements, produits
chimiques) ou à des facteurs endogènes. Ceux-ci
ne sont généralement pas pris en compte et, pourtant,
ils sont en rapport avec les caractères de la spermatogenèse.
La probabilité d'apparition des anomalies géniques
est en effet beaucoup plus grande chez le mâle que chez
la femelle. On explique ce fait de la manière suivante.
On sait que les phases de multiplications cellulaires sont sources
de mutations géniques en particulier à cause d'erreur
de recopiage du message génétique(22). Chez la femelle,
les ovogonies se sont multipliées pendant la phase foetale
et c'est à partir de ce stock, sans multiplications nouvelles
que, après la puberté, seront périodiquement
fournis les ovocytes. Chez le mâle, au contraire, les spermatogonies,
dont les multiplications avaient eu lieu pendant la phase foetale
puis s'étaient arrêtées, vont se multiplier
sans cesse à partir de la puberté et jusqu'à
un âge très avancé (au delà de 80 ans),
même si la production diminue graduellement. Pendant la
période de pleine activité sexuelle, le rythme est
d'environ 23 multiplications par an. Les spermatozoïdes d'un
homme de 28 ans auront ainsi derrière eux, depuis la puberté,
à peu près 380 divisions cellulaires, et ceux d'un
homme de 35 ans à peu près 540. On comprend mieux,
à partir de ces données, l'augmentation du risque
de mutation.
3. Modifications fonctionnelles cérébrales
Au delà des anomalies ponctuelles dont nous venons de parler,
l'âge paternel parait impliqué dans des variations
subtiles et continues de la qualité du conceptus. Nous
avons en effet montré que le vieillissement paternel entraînait,
à âge maternel constant:
- Chez l'animal, une diminution progressive de la capacité
d'apprentissage de la progéniture (figure 2) (23).
- Chez l'homme, une diminution de la réussite à
des tests psychométriques (24). Ces tests sont ceux qui
sont effectués par les jeunes hommes du contingent, âgés
de 18 ans, avant leur incorporation dans l'armée.
Une première étude a porté sur plus de 1700
recrues. L'influence du vieillissement paternel se manifeste à
partir de la trentaine. Symétriquement, nous avons constaté
qu'un très jeune âge paternel (post pubère)
entraînait le même effet, les performances des enfants
s'améliorant au fur et à mesure que l'âge du
père augmentait, cela jusque vers la trentaine. La courbe
générale de la réussite aux tests a donc la
forme d'une parabole dont le sommet correspond à la trentaine
paternelle (figure 3). Lorsque c'est l'âge du père
qui est maintenu constant, l'association entre la valeur de la
note et l'âge de la mère n'existe pas : l'âge
de la mère n'aurait donc pas d'influence sur l'évolution
des paramètres considérés.
Cette première enquête avait été faite
à Nancy en 1985 et l'on pouvait imaginer, pour expliquer
la courbe, l'existence d'un effet cohorte introduisant un biais.
Nous avons donc refait le même travail dans une autre région,
à une autre époque et sur un nombre plus important
de cas:
- La région a été l'ensemble de Paris/Ile-de-France,
où les brassages de population sont considérables.
- L'enquête s'est étalée sur 1989 et
1990 et a concerné 12000 recrues.
L'analyse des 5000 premiers cas fournit le même type de
courbe que précédemment (figure 4) (non publié).
Ces données dépassent évidemment le cadre
de la pathologie et concernent les facteurs généraux
pouvant influer sur la qualité du conceptus. Dans cette
perspective, il faut faire la part des facteurs culturels et vérifier
la neutralité de l'âge maternel : c'est un des
buts de notre deuxième enquête lorsque celle-ci aura
pris en compte les 12000 cas prévus. Si toutefois on fait
intervenir dès maintenant l'hypothèse génétique,
la forme de la courbe signifie qu'une amélioration très
subtile pourrait caractériser le génome du spermatozoïde
à partir de la puberté, la qualité de celui-ci
passant par un maximum autour de 30 ans, pour se dégrader
ensuite. Or c'est, comme on l'a vu, ce que l'on constate pour
les caractères qualitatifs des spermatozoïdes qui
passent par un maximum, chez l'homme, aux alentours de la trentaine
(2). Puisqu'on sait que la morphologie du spermatozoïde est
génétiquement déterminée (5), une
telle évolution suggère une amélioration
des facteurs informatifs dans la partie ascendante de la courbe,
et une dégradation de ces facteurs dans la partie descendante.
On peut donc se demander si des phénomènes analogues
ne pourraient pas concerner d'autres informations que celles qui
déterminent le phénotype des gamètes, c'est
à dire celles qui déterminent le phénotype
de l'individu.
La dégradation des facteurs informatifs dans la partie
descendante est facilement expliquée par les phénomènes
du vieillissement qui, comme ils touchent les cellules somatiques,
touchent sans doute les spermatogonies puisque des systèmes
réparateurs d'ADN y ont été mis en évidence
(25). Des travaux récents (26) viennent par ailleurs de
montrer que l'ADN mitochondrial était plus fragile que
celui du noyau vis-à-vis des mutations, en particulier
vis-à-vis de celles dues aux radicaux libres, qui s'accumulent
avec l'âge. Ces altérations entraînant une
chute du potentiel des phosphorylations oxydatives des mitochondries
on a là, bien que les mitochondries du spermatozoïde
ne représentent que 0,1% du stock mitochondrial du zygote,
un autre impact possible du vieillissement masculin.
Quant à la nature et à la subtilité des troubles
observés, il faut les rapprocher des résultats que
nous avons déjà obtenus en provoquant chez le rat
mâle des mutations expérimentales à l'aide
d'antimitotiques mutagènes : la progéniture
de ces mâles présente en effet une altération
de la capacité d'apprentissage, sous-tendue par une chute
de certains des supports biochimiques de la mémoire (27).
Il est plus difficile d'expliquer l'amélioration des facteurs
informatifs dans la partie montante de la courbe. Cependant, le
rôle actuellement attribué au cytoplasme dans l'arrangement
final de l'ADN des gamètes (28, 29, 30, 31) permet d'envisager
l'existence d'une période de rodage qui, pendant un temps
plus ou moins long, pourrait précéder la maturité
du génome. Quant à l'apparente neutralité
maternelle, elle pourrait être expliquée par les
rôles différents et complémentaires que jouent
les génomes maternel et paternel dans le développement
du conceptus (32, 33). Si les informations fournies par le père
et la mère ne sont pas équivalentes, on peut en
effet admettre que des changements dans l'un ou l'autre génome
ne produiront pas les mêmes effets et que, en l'occurrence,
les informations paternelles jouent un rôle prédominant
dans les caractères que nous avons explorés.
conclusion
Ainsi l'âge paternel, qui intervient dans l'apparition de
syndromes parfaitement définis, interviendrait aussi dans
la détermination des plus fines potentialités du
conceptus. S'il se confirmait, ce dernier aspect du problème
serait particulièrement important puisqu'il concernerait
non plus l'apparition ponctuelle d'une symptomatologie, mais un
continuum de qualité intéressant la population en
général. Que les facteurs en cause soient psycho-sociaux,
génétiques ou les deux à la fois, il serait
alors d'autant plus utile de les répertorier qu'indépendamment
du comportement ils pourraient peut être, surtout si le
génome est en cause, agir sur d'autres paramètres
de la vie comme les moyens de défenses de l'organisme,
la morbidité, le vieillissement de l'individu, etc. Leur
recensement serait dès lors aussi utile que celui des toxiques
de l'environnement afin d'essayer d'obtenir, cette fois dans le
cadre de la normalité et pour un patrimoine génétique
donné, des conceptus de qualité maximum.
RÉSUMÉ
L'âge paternel concerne à la fois l'individu et sa
descendance. Chez l'individu, le vieillissement testiculaire modifie
la vascularisation, qui s'appauvrit dès la trentaine, les
cellules endocrines, de moins en moins réceptives aux gonadostimulines,
la barrière hémato-testiculaire, qui s'épaissit,
et les cellules de Sertoli qui se raréfient.
Ces modifications s'accompagnent d'une chute du nombre des spermatozoïdes
ainsi que d'une altération de leur morphologie et de leur
mobilité, ce qui entraîne une diminution progressive
de la fertilité. Cette qualité des gamètes
est basse, aussi, lorsque l'homme est très jeune; elle
passe par un maximum autour de la trentaine.
Chez la descendance, le vieillissement paternel est responsable
de mutations autosomiques dominantes à l'origine de différentes
malformations comme l'achondroplasie, la maladie d'Apert, le syndrome
de Marfan, la maladie de Recklinghausen etc. et, peut-être,
de certaines mutations récessives liées au sexe
comme l'hémophilie A ou la myopathie de Duchenne. Il pourrait
également être à l'origine de certaines aneuploïdies,
ainsi que d'anomalies de structure des chromosomes chez l'enfant.
En outre, chez l'animal et chez l'homme, le vieillissement du
père semble responsable d'une diminution progressive de
la réussite de la progéniture à des tests
psychométriques. Chez l'homme, un très jeune âge
paternel a des effets similaires. La réussite est maximum
lorsque le père avoisine la trentaine. L'ensemble de ces
résultats posent le problème de l'âge optimum
de la paternité.
Mots clés : Âge paternel - Spermatozoïde
- Progéniture - Mutations
a) Un même groupe de rats, successivement croisés
à 2.5, 6, 10, 14, 18 et 22 mois avec des femelles de 2.5
mois, engendre des petits qui, adultes (2.5 mois) sont de moins
en moins capables d'apprendre à éviter une stimulation
nociceptive (courant électrique) succédant à
une stimulation sensorielle banale (son + lumière). Les mâles
sont d'emblée plus atteints que les femelles, celles-ci n'étant
significativement concernées par le phénomène que
lorsque le père est âgé de 22 mois (on peut considérer
que cet âge correspond à 65-70 ans chez l'homme) ;
il est actuellement impossible de fournir une explication génétique
claire à cette différence sexuelle. Remarquons que
la plus grande fragilité du mâle impliquée
par ce résultat existe chez l'homme, dans la mesure où
une population de débiles mentaux comporte significativement
plus de garçons que de filles (34), ce qui pourrait être
mis sur le compte du syndrome de l'X fragile.
b) Des rats de 2.5 et 23 mois, simultanément
croisés avec des femelles de 2.5 mois, engendrent des petits
dont les capacités d'apprentissage sont significativement
plus faibles quand le père est âgé (expérience
faite pour confirmer la précédente (23).
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