JOURNEES DE TECHNIQUES AVANCEES EN GYNECOLOGIE OBSTETRIQUE ET PERINATALOGIE PMA, Fort
de France 11 - 18 janvier 1996
Problèmes pédiatriques posés par les jumeaux
M. DEHAN*
* Service de pédiatrie et de réanimation néonatales. Hôpital Antoine-Béclère,
157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92141 Clamart.
Introduction
Bien qu'ils ne représentent qu'un faible pourcentage des naissances, les jumeaux
occupent cependant une place importante dans les unités ou services de néonatologie*,
car nombre d'entre eux nécessitent des soins spécialisés ou intensifs au cours des
premiers jours de leur vie. La morbidité particulière de ces enfants est essentiellement
en rapport avec la grande fréquence de la prématurité et de l'hypotrophie. La
surdistension utérine, l'infection ascendante sub-clinique, la rupture prématurée des
membranes sont des éléments pouvant expliquer la prématurité. La limitation des
surfaces d'échanges placentaires, le syndrome toxémique, plus fréquent en cas de
grossesse gémellaire, peuvent expliquer les retards de croissance intra-utérine. En
outre, les jumeaux risquent de souffrir de pathologies qui leur sont spécifiques :
les anastomoses vasculaires placentaires entre deux jumeaux monozygotes sont responsables
du syndrome des jumeaux transfuseur-transfusé et des lésions viscérales d'origine
vasculaire observées chez le survivant après mort in utero d'un jumeau. Enfin, la
limitation du volume de la cavité utérine peut entraîner des malpositions fatales,
l'accouchement par voie basse peut être long et difficile avec possibilité d'anoxie
per-partum surtout pour le second jumeau, et l'incidence des malformations est plus
fréquente chez les jumeaux surtout monozygotes. Toutes ces raisons expliquent la
mortalité et la morbidité accrues observées chez les jumeaux. Après avoir rappelé
quelques données statistiques générales, nous décrirons les attitudes pédiatriques
particulières nécessaires à mettre en place en maternité et à l'hôpital pour aborder
les problèmes spécifiques posés par les jumeaux.
DONNEES STATISTIQUES GENERALES
1 - Mortalité périnatale
Toutes les statistiques font état d'une mortalité périnatale plus élevée (de 3 à
10 fois) dans les grossesses gémellaires par rapport aux grossesses uniques [1]. Cette
mortalité est 2 à 3 fois plus importante en cas de grossesse monochoriale, par rapport
aux grossesses dichoriales. Les causes de cet excès de mortalité sont essentiellement
attribuées à la prématurité, à l'hypotrophie, aux accidents placentaires. L'excès de
mortalité est aussi bien observé avant la naissance qu'en période néonatale et
post-néonatale : ainsi au total, la mortalité foeto-infantile dans les grossesses
gémellaires est-elle multipliée par trois.
Cette surmortalité chez les jumeaux continue à être observée, malgré les progrès
réalisés dans la surveillance des grossesses et dans la prise en charge des enfants.
Ainsi, une étude récente [2] ayant inclus 33 873 grossesses, montre que, si les jumeaux
ne représentent que 2,6 % des nouveau-nés, ils constituent pourtant 9,5 % de la
mortalité foetale, 15,4 % de la mortalité néonatale, et 12,2 % de la mortalité
périnatale.
Cet excès de mortalité peut être essentiellement attribué à la prématurité,
puisque, lorsque les jumeaux prématurés sont comparés aux enfants uniques, à âge
gestationnel égal, la morbidité et la mortalité deviennent similaires.
2 - Prématurité
L'accouchement prématuré est donc le risque majeur des grossesses gémellaires :
l'âge gestationnel moyen est inférieur de 3 semaines à celui des grossesses uniques.
Dans environ 50 % des cas, l'accouchement survient avant 37 semaines de gestation. Fort
heureusement, la plupart des enfants prématurés naissent au-delà de la 32e semaine
(environ 85 % lorsque les grossesses sont bien suivies), correspondant ainsi à une
prématurité de moindre gravité. Ce qu'il faut en effet éviter, c'est la grande, voire
très grande prématurité, c'est-à-dire les naissances survenant avant 32 semaines,
voire 28 semaines d'aménorrhée.
3 - Le retard de croissance intra-utérine et l'hypotrophie foetale La définition d'un
retard de croissance intra-utérine, et donc d'une hypotrophie à la naissance, reste
sujet à controverse dans les grossesses gémellaires. Il y a 3 façons de définir un
retard de croissance intra-utérine chez les jumeaux [3] :
- en se référant aux courbes de croissance des jumeaux : jusqu'à présent, de
telles courbes étaient peu utilisables. Mais une publication récente [4] apporte des
données sur une population de 19 000 nouveau-nés jumeaux, nés entre 23 et 41 semaines
de gestation. Ces courbes montrent qu'il existe une légère différence entre les
garçons et les filles, les garçons pesant en moyenne 100 g de plus à partir de la 32e
semaine ;
- on peut également se référer aux courbes de croissance des singletons : il
est bien connu que la croissance des jumeaux se ralentit au fur et à mesure de
l'avancement de la grossesse. Ce ralentissement de croissance débute dès la 24e semaine,
et atteint une différence de 500 g à 38 semaines ;
- la comparaison de la croissance d'un jumeau par rapport à son homologue est la
troisième façon d'apprécier un retard de croissance intra-utérine. Les jumeaux
discordants ont fait l'objet de nombreux travaux. Pour qu'une discordance ait une réelle
signification clinique, il faut qu'elle soit supérieure à 30 % : dans une étude
récente, une discordance supérieure à 30 % est associée à 5 fois plus de
malformations congénitales, 3 fois plus de mortalités, et 10 fois plus de leucomalacies
périventriculaires [5].
Ces trois modalités d'appréciation ne sont pas exclusives l'une de l'autre, mais
devraient être au contraire complémentaires, afin de guider au mieux les indications
thérapeutiques et d'évaluer le plus précisément possible le pronostic.
4 - Souffrance foetale aiguë
La souffrance foetale aiguë est plus fréquemment notée en cas de grossesse
gémellaire. Les causes sont multiples : prématurité, hypotrophie, anomalies de
présentation. Le second jumeau est plus exposé à l'anoxie per-partum que le
premier : ces risques sont liés au retard à l'expulsion, à la possibilité d'une
procidence de cordon ou d'un décollement placentaire. Les conséquences néonatales sont
bien connues, dominées par l'inhalation de liquide amniotique et surtout par
l'encéphalopathie anoxo-ischémique.
5 - Pathologies neurologiques
Des anomalies de développement psychomoteur sont plus souvent mises en évidence chez
les jumeaux que dans la population des singletons, notamment pour ce qui concerne
l'infirmité motrice cérébrale. De vastes enquêtes ont révélé que les jumeaux
avaient un risque multiplié par 5 à 10 par rapport aux singletons [6]. L'augmentation du
risque est essentiellement attribuée à la prématurité et à l'hypotrophie, mais il
existe des risques spécifiques chez le jumeau survivant après le décès de son
homologue in utero (risque encore majoré par un facteur de 3 à 10). Il en est de même
lorsqu'il existe un syndrome transfuseur-transfusé au cours d'une grossesse monochoriale.
6 - En pratique
Le tableau I fournit quelques données chiffrées illustrant la part des jumeaux dans
l'activité du service de réanimation néonatale de l'hôpital Antoine-Béclère à
Clamart. Les jumeaux représentent 25 % des admissions et des décédés , 30 % des
prématurés et des maladies des membranes hyalines, 35 % des grands prématurés, 40 %
des pathologies respiratoires séquellaires. Tous ces pourcentages sont à l'évidence
considérables en termes de santé publique.
PARTICULARITES PEDIATRIQUES
1 - Organisation des soins
Le fait de devoir prendre en charge de façon concomitante deux enfants à la fois,
nécessite de programmer une organisation particulière, tant en maternité que dans les
services d'hospitalisation.
A la naissance, il est absolument indispensable que le pédiatre soit informé du
déroulement de la grossesse, des thérapeutiques maternelles en cours, de la vitalité
des deux jumeaux, des pathologies présentes ou suspectées chez eux, des décisions
obstétricales prises en fonction de leur état... La présence pédiatrique s'impose à
la naissance, en cas de grande prématurité, de césarienne pour souffrance foetale,
d'hypotrophie sévère, de syndrome transfuseur-transfusé, d'anomalies malformatives
graves, de mort d'un des deux foetus. Une conduite générale concernant l'accueil de ces
enfants à la naissance doit être respectée : pour faire face à l'éventualité
d'une réanimation néonatale simultanée, il faut réunir deux équipes complètes sur
place avant la naissance, disposer de deux plans de travail et de l'ensemble du matériel
nécessaire qui doit être en double. En cas de pathologies associées, il faut être
préparé à la réanimation d'un grand prématuré (mise en pression positive continue,
voire en ventilation artificielle avec ou non administration de surfactant exogène), à
celle d'un jumeau transfuseur (souvent né en état de mort apparente, possiblement en
hypovolémie), d'un jumeau transfusé (souvent pléthorique, nécessitant une
exsanguino-transfusion soustractive). En cas de détresse vitale, ou de grande
prématurité, le transport de ces enfants dans des centres de réanimation - soins
intensifs doit être effectué dans les meilleures conditions possible, par
l'intermédiaire d'équipes adaptées : on souligne ici l'intérêt et l'efficacité
des équipes de SMUR pédiatrique qui, le plus souvent, sont sous le contrôle technique
de services de réanimation néonatale, permettant ainsi d'organiser au mieux la
continuité des soins.
L'admission simultanée de deux jumeaux dans un service d'hospitalisation, surtout
lorsque ces enfants sont en situation de détresse vitale, impose également une
préparation particulière : ces services doivent être entièrement informés des
circonstances de naissance et de l'état des enfants, afin de pouvoir préparer les
chambres et le matériel nécessaire. Il faut pouvoir libérer à toute heure du jour et
de la nuit des équipes médicales et infirmières suffisamment disponibles pour pouvoir,
tout au moins lors des premières heures, prendre en charge chacun de ces enfants. Dans
certains cas, notamment en région parisienne, des problèmes de place font que les
jumeaux sont transférés dans des unités différentes, parfois très éloignées l'une
de l'autre.
Lorsque les enfants sont de terme et de poids suffisants, qu'ils n'ont pas de
pathologie aiguë sévère, et qu'il existe des structures d'accueil adaptées, l'enfant
peut rester en maternité. Depuis quelques années, s'est développé le concept
" d'unités kangourous ", dont le double but est d'assurer la
sécurité médicale des enfants, tout en évitant une séparation d'avec la mère,
toujours douloureuse et préjudiciable à l'établissement des liens affectifs. Le
bénéfice psychologique de la non séparation de la mère et de ses enfants est
considérable : la réalisation des soins aux nouveau-nés dans des conditions de
sécurité, auprès de la mère et avec sa participation, contribue à démédicaliser
cette période des premiers jours de vie et à rendre " normale "
l'issue d'une grossesse souvent perturbée [1].
En suites de couches, le rôle du pédiatre est multiple : certes il doit assurer
la surveillance des jumeaux qui n'ont pas été transférés, s'efforcer d'encourager
l'allaitement au sein (allaitement mixte au début en alternance), mais il doit aussi
assurer un soutien psychologique auprès des mères dont les enfants ont été
transférés : c'est lui qui doit transmettre et expliquer les informations
médicales, et qui doit rester à l'écoute des inquiétudes maternelles bien légitimes.
Au total, les grossesses gémellaires étant souvent des grossesses à haut risque, un
certain nombre de pathologies fatales pouvant être dépistées précocement, la prise en
charge pédiatrique étant compliquée, on conçoit l'intérêt et la logique de favoriser
le suivi des grossesses et la réalisation des accouchements dans des maternités où il
existe un service de néonatalogie et/ou de réanimation néonatale. Ces maternités dites
de niveau 2 et de niveau 3 doivent de plus en plus s'organiser pour participer à un
réseau national de soins périnatals, afin de favoriser les transferts in utero, qui
facilitent la prise en charge et améliorent les pronostics.
2 - Les jumeaux différents
Les jumeaux posent le problème de leur similitude et de leur différence. La mère a
tendance à les englober dans un même investissement affectif. Même lorsque ces jumeaux
sont différents (garçon-fille, un petit-un gros,...), il s'agit pour elle d'une même
grossesse qu'elle vit à un moment précis de sa vie, d'un même accouchement, dans un
même lieu, etc. Pour le pédiatre, il s'agit de deux enfants, bien individualisés, mais
qui naissent au même moment, et qu'il va examiner dans la même chambre, dans le même
contexte familial. L'accord ou le compromis qui doit se faire entre le semblable et le
distinct n'est pas toujours simple à faire, et se trouve impossible à réaliser, lorsque
les jumeaux présentent des pathologies très différentes, qui les obligent à les
distinguer totalement. Un des problèmes fréquents en unités de réanimation - soins
intensifs, est la situation où l'un des jumeaux va bien (ou son pronostic est tout à
fait favorable), et l'autre va réellement mal (ou son pronostic est menacé). Trois
situations sont particulièrement fréquentes : un enfant est très hypotrophe, alors
que l'autre est strictement normal ; un enfant a une maladie des membranes hyalines
extrêmement sévère, alors que l'autre n'a pas de problème ventilatoire ; un
enfant a des leucomalacies périventriculaires, et l'autre a un cerveau intact. L'équipe
pédiatrique va forcément essayer de traiter ces situations individuellement, mais elle
ne peut s'empêcher d'être " contaminée " par le fait qu'il s'agit
de jumeaux. Les parents peuvent avoir des réactions très divergentes, l'un s'attachant
plus à un enfant et négligeant l'autre, et réciproquement. L'investissement affectif ne
pourra parfois se faire que vers le bébé normal, ou parfois au contraire, ce bébé
normal, parce qu'il est normal et ne pose donc pas de problème, sera négligé au profit
du bébé le plus menacé, qui " consommera " la totalité de la
disponibilité des parents. Il faut bien reconnaître que ce sont des situations
extrêmement difficiles à vivre, mettant en tension des sentiments contradictoires,
empêchant les parents d'avoir une vision cohérente et univoque des problèmes. Ils sont
véritablement déchirés, et peu de solutions peuvent leur être proposées, sinon une
écoute et un accompagnement attentif. C'est bien entendu le rôle des équipes
pédiatriques, tant pendant le séjour à l'hôpital qu'après la sortie des enfants.
Deux situations sont tout à fait spécifiques de la gémellité, et sont
particulièrement délicates à gérer :
Le syndrome transfuseur-transfusé [7] : ce syndrome est observé en cas de
placenta monochorial, lorsqu'il existe des anastomoses connectant la circulation d'un
jumeau à la circulation de l'autre. Ces anastomoses entraînent des shunts qui sont le
plus souvent bidirectionnels. Dans un certain nombre de cas, il existe un déséquilibre
circulatoire en faveur d'un jumeau, pouvant aboutir à la situation classique du jumeau
pléthorique avec hydramnios, jouxtant un jumeau hypotrophe en anamnios. Mais les
situations sont souvent beaucoup plus complexes, car, lors de la naissance notamment, des
inversions de shunts peuvent se produire, ce qui fait que pour chaque enfant, la situation
doit être parfaitement analysée, tant sur le plan clinique que biologique. Le traitement
pour le jumeau transfuseur, en cas d'anémie aiguë avec hypovolémie, est une
urgence : transfusion de 20 ml/Kg de sang O Rh -, afin de ramener l'hémoglobine
au-delà de 8g/100 ml. Lorsque la transfusion a été chronique, le jumeau hypotrophe peut
se trouver en état de pré-anasarque : dans ces cas, il est préférable de recourir
à l'exsanguino-transfusion. Pour le jumeau transfusé, l'attitude thérapeutique est
fonction de la tolérance clinique et de l'importance de la polyglobulie. En cas
d'hématocrite supérieur à 70 %, une soustraction de 20 ml/Kg de sang est nécessaire,
remplacée par une perfusion équivalente d'albumine diluée à 5 %. Dans les cas les plus
sévères, une exsanguino-transfusion soustractive est parfois nécessaire. Cette prise en
charge hématologique doit être accompagnée d'une prise en charge respiratoire lorsqu'il
existe un oedème ou une immaturité pulmonaire. La diurèse sera particulièrement
surveillée, et en cas de ralentissement, elle sera stimulée par du furosémide. En cas
de polyglobulie, les risques d'ictère pendant les premiers jours de vie sont
particulièrement importants.
Le décès d'un jumeau in utero n'est pas une situation exceptionnelle [8, 9,
10] : 7 à 10 % des grossesses gémellaires, fréquence plus élevée dans les
grossesses monozygotes que dans les grossesses dizygotes. Les causes sont multiples :
insuffisance placentaire liée à un syndrome toxémique, ou à une implantation anormale
d'un des cordons sur le placenta, pathologie funiculaire dans les grossesses
monoamniotiques, et surtout syndrome des jumeaux transfuseur-transfusé. La morbidité
périnatale concernant le jumeau survivant est différente selon qu'il s'agit d'une
grossesse bichoriale ou monochoriale. En cas de grossesse bichoriale, le risque est
essentiellement la prématurité, alors que dans les grossesses monochoriales, outre la
prématurité, le risque est le développement de lésions viscérales de type vasculaire,
principalement cérébrales et rénales. Longtemps attribuées au passage chez le jumeau
survivant de substances thrombo-plastiques provenant de l'organisme du jumeau décédé,
ces lésions sont actuellement plutôt rapportées à des variations hémodynamiques
aiguës entraînant une succession de chocs hypovolémiques et de phénomènes
hypoxo-ischémiques chez le survivant, par l'intermédiaire du shunt bidirectionnel entre
les deux circulations. Le problème de la prise en charge obstétrico-pédiatrique est
extrêmement délicat : si l'étiologie hémodynamique est la bonne, il est probable
que les lésions chez le survivant surviennent dans les quelques minutes ou heures après
le décès. Seule une extraction extrêmement rapide, avant même le décès du jumeau,
pourrait peut-être prévenir la survenue de ces lésions vasculaires, mais peut-on
prendre ce risque lorsque l'âge gestationnel est faible, de moins de 28 ou 30
semaines ? Il s'agit là encore d'un problème non résolu, qui doit être traité
cas par cas. Compte tenu de la gravité de ces situations, les tentatives d'interruption
des anastomoses placentaires par laser paraissent justifiées.
3 - Les parents confrontés au décès d'un des jumeaux
Contrairement à ce que l'on pourrait penser spontanément, la mort d'un jumeau doit
être prise en compte aussi sérieusement que le décès d'un singleton, et le fait qu'un
jumeau survive ne doit pas masquer le travail de deuil qui doit être effectué. Ces
parents vivent en fait une double perte : d'une part celle du jumeau décédé, mais
aussi l'expérience spécifique d'être des parents d'une paire de jumeaux [11]. Lorsque
le décès est survenu in utero, il est important que le pédiatre puisse s'entretenir
avec les parents pour parler du jumeau survivant, répondre à leurs questions concernant
le risque de séquelles, laissant entrevoir clairement qu'il n'y aura pas d'acharnement à
faire survivre un enfant qui risque d'être très handicapé, mais qu'il est nécessaire
de tout faire pour donner une chance raisonnable desauvetage à l'enfant survivant.
Lorsque le décès survient à la naissance ou dans les toutes premières heures de vie,
les parents auront à affronter une double dynamique qui risque de les laisser épuisés
moralement et physiquement : celle du deuil qui ne peut être occultée, et celle de
l'attachement au bébé survivant qui doit s'établir sans culpabilisation, et s'épanouir
vers l'enfant survivant, pour lui-même, sans référence à son frère ou à sa soeur
décédé. Lorsque les enfants ont dû être transférés dans deux unités différentes,
il est important qu'une coordination entre les équipes soit effectuée pour que
l'information donnée puisse être identique dans les deux endroits : il serait
inutile et dangereux pour l'évolution psychique des parents, que l'analyse de la
situation concernant le jumeau décédé soit faite différemment, pouvant entraîner
blocages relationnels, reproches, voire poursuites judiciaires.
CONCLUSION
Même si la plupart des grossesses gémellaires aboutissent à la naissance de deux
enfants normaux et qui resteront normaux, il n'en reste pas moins qu'on doit les
considérer comme des grossesses à risque. Elles doivent être particulièrement bien
surveillées, dans le but de prévenir au moins la grande prématurité et ses
conséquences. En cas de menace d'accouchement prématuré, de pathologie fatale, il est
nécessaire de favoriser les transferts avant la naissance vers des centres périnatals
correctement équipés où toutes les décisions pourront être prises en véritable
collaboration obstétrico-pédiatrique. Il faut rappeler à ce sujet l'intérêt
primordial de la prévention d'un certain nombre de pathologies en rapport avec la
prématurité (détresse respiratoire, hémorragie intra-ventriculaire, entérocolite) par
la corticothérapie anté-natale. Les recherches doivent être poursuivies afin de
prévenir le risque d'infirmité motrice cérébrale, qui reste un risque
particulièrement élevé chez les jumeaux et qui entraîne un véritable problème de
santé publique.
Enfin, les pathologies entraînées par la mort d'un jumeau in utero, ou par la
présence des anastomoses entre les deux jumeaux, reste une préoccupation majeure,
justifiant des tentatives thérapeutiques d'exception qui doivent être évaluées par une
surveillance prolongée des enfants survivants.
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M. DEHAN* Service de pédiatrie et de réanimation néonatales. Hôpital
Antoine-Béclère, 157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92141 Clamart.
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