Les mastodynies,
risque cancérigène
et place du traitement progestatif à la préménopause
C. Pélissier
Les mastodynies, douleurs localisées ou diffuses des seins, cycliques le
plus souvent, apparaissent en deuxième partie du cycle menstruel, pour disparaître en
général avec les règles. Mais elles peuvent être nettement plus marquées au niveau
d'un sein (le plus glandulaire) être de plus en plus gênantes, survenir de plus en plus
tôt dans le cycle, pour durer de plus en plus, presque tout le mois. Elles peuvent
s'accompagner d'un oedème mammaire évident, avec une forte augmentation de volume,
pouvant atteindre en quelques jours une à deux tailles de soutien gorge. Elles sont
parfois associées à une très impressionnante circulation collatérale veineuse, qui
explique la rougeur, la chaleur des téguments et l'inconfort majeur dont se plaint la
patiente. Ces femmes, en préménopause, qui n'ont pas connu de tels troubles
antérieurement, consultent certes, pour ne plus subir cliniquement ces inconvénients,
mais aussi parce qu'elles sont inquiètes, et craignent d'avoir un risque accru de cancer
du sein. Ces mastodynies, qui ne sont plus ces simples tensions mammaires
prémenstruelles, durant 4 à 5 jours, mais qui entraînent de véritables modifications
anatomiques des seins, avec des veines apparentes accentuées et nettement visualisées
lors de l'écho-doppler mammaire, une augmentation sensible du volume des deux glandes,
une douleur constante et pulsatile, gênent la femme, la dérangent dans sa vie sociale et
intime. Ces mastodynies vraies que le clinicien saura éventuellement différencier de
douleurs intercostales, irradiant vers les seins, en retrouvant une douleur exquise sur le
trajet costal, sont en fait en cette période préménopausique, exceptionnellement
isolées. Très souvent elles accompagnent la maladie fibrokystique du sein, affection
mammaire très répandue chez la femme, encore appelée dystrophie mammaire ou maladie
polykystique. C'est dire que micro et macro-kystes sont fréquents, surtout développés
aux dépends des extrémités distales des canaux galactophores. Souvent s'associent une
sclérose plus ou moins importante du tissu conjonctif avoisinant, mais aussi une
hyperplasie épithéliale à l'histologie. Or si mastodynies intenses, et maladies
fibro-kystiques du sein, font partie des mastopathies bénignes, elles sont très
fréquentes chez la femme préménopausique. 50 % de ces femmes souffrent d'une
mastopathie bénigne, ce qui en fait un réel problème de santé publique, pour nos pays
occidentaux. En effet, leur grande fréquence, l'inconfort qu'elles occasionnent tout au
long de la vie génitale et particulièrement en période préménopausique, et surtout la
possibilité d'une hyperplasie atypique associée, découverte seulement à
l'anatomopathologie, avec alors la certitude d'un risque accru de cancer du sein, en font
un véritable fléau féminin, pour lequel, et c'est très paradoxal, les attitudes
thérapeutiques sont loin d'être univoques. En effet si les mastodynies vraies,
c'est-à-dire les mastodynies hormonales, liées à la réponse du tissu glandulaire,
conjonctif et graisseux du sein, aux incitations hormonales cycliques, n'ont pas de
pronostic péjoratif vis-à-vis du cancer du sein, il faut savoir que certaines
mastodynies sont liées à des lésions organiques du sein, bénignes le plus souvent,
mais aussi à des cancers, et sans que l'on ne retrouve de lien hormonal certain.
Ainsi se retrouvent associés :
- kystes sous tension ;
- ectasies galactophoriques ;
- cysto-stéatonécrose ;
- mais aussi cancer.
C'est pourquoi, toute mastodynie objective, doit faire l'objet, non
seulement d'un examen clinique attentif, mais aussi d'explorations complémentaires
exhaustives, surtout en période préménopausique :
- mammographie ;
- échographie mammaire ;
- voire cyto-ponction.
En effet si ce ne sont pas les gros kystes qui se cancérisent, tous les
auteurs s'accordent à penser que c'est le tissu avoisinant, foyer d'adénose,
d'épithéliose, qui peut dégénérer. La dysplasie mammaire, qui accompagne si
fréquemment la mastodynie doit faire considérer la femme comme une " femme à
risque accru " et nécessite par conséquent une surveillance clinique,
mammographique et échographique régulière, mais également une surveillance
thérapeutique attentive. C'est ainsi que certaines zones atypiques pourront faire l'objet
d'une cytoponction échoguidée, d'un drill biopsie, ou d'une micro-biopsie également
échoguidée ou avec stéréotaxie, voire d'une biopsie chirurgicale. Ainsi peut se
révéler une hyperplasie épithéliale simple, mais aussi une mastopathie complexe,
associant plusieurs lésions dystrophiques, à d'autres proliférantes. Le risque de
cancer du sein est plus souvent associé aux hyperplasies atypiques chez les femmes en
périodes préménopausiques. Aussi pour Dupont le risque relatif de cancer du sein passe
de 1,9 pour les hyperplasies sans atypies, à 5,3 pour celles avec atypies. Il paraît
donc évident que la mastodynie en soi ne signifie que l'existence objective d'un
déséquilibre hormonal, particulièrement fréquent en période préménopausique où, se
succèdent une alutéinie totale avec hyperoestrogénie considérable, des phases de
sécrétion normales et équilibrées, et d'autres où existent des trous sécrétoires.
Mais toute une pathologie mammaire complexe peut s'associer à cette mastodynie simple, et
le devoir du clinicien est de faire d'abord le bilan mammaire, puis hormonal complet et
d'essayer d'améliorer l'état mammaire. Le sein de la femme est à l'évidence un organe
hormono-dépendant, puisqu'à chaque étape de son développement les hormones
interviennent. estradiol 17 bêta et progestérone, doivent avoir une action
synergique et complémentaire. L'oestradiol induit la prolifération des cellules
épithéliales du sein, alors que la progestérone favorise le développement des lobules
et des acini. Une première grossesse menée à terme, permet la différenciation
cellulaire sécrétoire complète du tissu mammaire et met fin à la croissance mammaire
[1].
En période préménopausique, l'équilibre hormonal est particulièrement
instable d'un cycle à l'autre, et pendant le cycle. Anovulations, insuffisance lutéale,
sont fréquentes, et évidentes en préménopause. Il a donc paru logique de rétablir
l'équilibre hormonal, en donnant une thérapeutique progestative. La progestérone
micronisée et les progestatifs de synthèses, sont particulièrement utilisés en France,
au contraire d'autres pays [1].Mais si leurs effets sont universellement reconnus comme
protégeant l'endomètre de l'hyperplasie, leur action sur la glande mammaire est bien
plus controversée :Pour les uns, les progestatifs augmentent l'activité mitotique des
galactophores du sein, et sont donc suspects de favoriser l'apparition de lésions
hyperplasiques [2] et donc le risque cancérigène [3]. Ils ont un effet propre sur la
prolifération cellulaire en intervenant sur les récepteurs à l'EGF, IGF1 etc. A
l'inverse pour d'autres [5], la progestérone et les progestatifs diminuent l'activité
mitotique de l'épithélium galactophorique normal [4, 5, 6] et seraient même capables de
prévenir ou même de traiter les lésions hypertrophiques galactophoriques [7] une étude
récente, sur l'utilisation de progestatifs seuls, normodosés en discontinu par apport au
risque de cancer du sein, dans une cohorte de femmes préménopausées, ayant une
mastopathie bénigne, suggère une réduction de ce risque pour certaines catégories de
progestatifs [8].
C'est leur effet antioestrogène et antigonadotrope qui est utilisé au
niveau du tissu mammaire. Le taux des récepteurs à l'oestradiol intramammaire chez des
femmes atteintes de mastopathies fibrokystiques, diminue significativement [9]. Dans cette
pathologie fibrokystique, la fibrose l'emporte si la femme est en périménopause ;
l'adénomatose prédomine par contre s'il s'agit d'une femme plus jeune. Moins la lésion
mammaire est fibreuse, plus l'action thérapeutique du progestatif est grande. Ces
lésions disparaissent au moment de la ménopause, lorsque la carence oestrogénique
s'installe. Mais elles réapparaissent si le traitement hormonal substitutif est mal
équilibré, avec des doses d'oestradiol 17 bêta inappropriées, et/ou des progestatifs
mal dosés. Si Madelonde [9] a pu montrer l'effet bénéfique du Lynestrénol sur le sein,
il faut reconnaître que les progestatifs dérivés de la 19 Nor Testostérone ont des
impacts métaboliques et tensionnels non négligeables. Nous avons en France, toute une
série de progestatifs dérivés de la 17 OH progestérone, ou des Norprégnanes qui ont
fait la preuve de leur action antigonadotrope et de leur innocuité métabolique,
tensionnelle ou sur les paramètres de la coagulation [10, 11, 12].Le schéma n'utilisant
que leur activité lutéomimétique est insuffisant : 10 jours par mois du 15e au 25e jour
du cycle. Il faut profiter au contraire de leur effet antigonadotrope, (ce qui permet une
contraception très efficace à partir de 40 ans) et donc leurs effets antioestrogènes,
en les prescrivant du 8e au 26e jour du cycle, puis 18 jours sur 30, ce qui évite
l'absence d'hémorragie de privation, de saignements intercurrents par atrophie, et donc
permet une observance correcte. Si l'effet protecteur vis-à-vis du cancer du sein est
controversé, l'effet thérapeutique sur les tumeurs bénignes du sein est évident.
Associés aux antinervins et aux phlébotoniques, les gestagènes sont indispensables aux
gynécologues pour le traitement des mastodynies associées ou non à une dystrophie
mammaire. Aucune étude épidémiologique ne permet aujourd'hui de conclure sur l'effet
protecteur des progestatifs vis-à-vis du risque du cancer du sein. Les arguments pour ou
contre l'effet protecteur des progestatifs vis-à-vis du risque du cancer du sein sont dus
à des travaux d'expérimentation animale, à l'étude in vitro de cultures de cellules
mammaires normales ou cancéreuses, à la mesure du degré de prolifération de cellules
épithéliales prélevées lors d'interventions chirurgicales, à telle phase du cycle
menstruel ou après tel traitement. Cette incertitude scientifique sur une thérapeutique
couramment prescrite en France, et qui a manifestement des résultats cliniques
satisfaisants, montre la nécessité absolue d'études complémentaires, utilisant des
méthodes statistiques valables, pour évaluer en termes de risques de cancer du sein les
traitements hormonaux utilisés quotidiennement, qu'il s'agisse de la préménopause, mais
aussi de la ménopause confirmée.
BIBLIOGRAPHIE
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2 Page 17-21.
[12] BASDEVANT A., PELISSIER C., CONARD J., DEGRELLE H., GUYENNE T.,
THOMAS J.L. : Effects of Nomegestrol acetate on hormonal, metabolic and hemostatic
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