Contaminants et
développement cérébral
-F. DUHAMEL, M. LAURANS et J.
BROUARD*
* CHU de CAEN - Service de Pédiatrie - Avenue Georges
Clémenceau - 14033 Caen Cedex.
Le rôle des contaminants dans le développement cérébral est
un domaine évoqué ou abordé depuis l'Antiquité. Dans la période actuelle, de nouveaux
agents interférant dans la croissance ou la maturation du cerveau et de nouveaux
mécanismes d'action des contaminants ont été mis en évidence.La toxicité potentielle
des oligoéléments reconnue pour le plomb depuis l'Antiquité [1], pour l'iode ou pour le
mercure depuis des siècles [2] s'est complétée plus récemment avec la mise en
évidence d'une toxicité de l'aluminium [3], du manganèse et dans les dernières années
du tellurium [4]. Les interactions entre oligoéléments (fer-zinc, zinc-cuivre,
fer-plomb, mercure-sélénium), comme le rôle du cadmium renforcent la complexité des
analyses biologiques et cliniques quant à la toxicité de ces minéraux inhalés,
administrés ou consommés en excès [5].Un second groupe de substances qui retentissent
sur le développement cérébral du ftus et du jeune enfant est celui des "
poisons sociaux ". Au premier rang d'entre eux, se situe l'alcool avec ses
conséquences de gravité variable [6] ; au retard de développement staturo-pondéral
s'associent des anomalies du cerveau, un retard du développement psychomoteur et mental,
une dysmorphie faciale. Si le rôle pathogène de l'alcool est démontré, la (ou les)
raison(s) pour laquelle (ou lesquelles) les enfants sont inégalement atteints, de même
que l'impact de toxiques associés, tabac et drogues doivent être analysés [7]. Sans
vouloir les envisager toutes, nous prendrons comme exemple la cocaïne en raison de
l'importance de sa consommation, des travaux récents la concernant, et de son impact
particulier sur les structures cérébrales du ftus et son développement
neurologique [8].Les toxiques présents dans l'environnement, tels les pesticides que l'on
peut retrouver dans l'eau de boisson, le lait de femme, particulièrement dans les
régions agricoles sont également intéressants à considérer mais nous les réserverons
pour la discussion [9].Le cerveau du ftus peut également souffrir de consommation
de substances médicamenteuses par la mère pendant sa grossesse. Même s'il ne s'agit pas
à proprement parler de contaminants, nous rappellerons que ces substances, par exemple
certains anticonvulsivants - ceux dont le métabolisme interfère avec celui des folates
étant ici en première position - méritent une attention particulière.Ajoutons-y le
rôle possiblement tératogène de la vitamine A [10].
RAPPEL SUR LE DEVELOPPEMENT CEREBRAL.
Pendant la vie intra-utérine, le développement des structures cérébrales débute très
précocement puis se prolonge dans chaque région selon des séquences bien synchronisées
[11].Dès les premières semaines de la vie embryonnaire, apparaît la plaque neurale
(entre le 22e et le 26e jour de vie). La fermeture de la gouttière neurale intervient peu
après. Entre la 4e et la 7e semaine, les noyaux gris de la base, le thalamus et
l'hypothalamus se forment, le proencéphale s'évagine en deux hémisphères ; les bulbes
olfactifs apparaissent. Entre la 8e et la 16e semaine, les grandes structures sont en
place, la plaque corticale se forme à partir de la division et de la migration des
neurones jeunes. Après la 16e semaine, les neurones augmentent de taille, les fibres
afférentes et les cellules gliales se multiplient - les circonvolutions et les sillons se
forment, les capillaires corticaux prolifèrent. La myélinisation atteint la base des
hémisphères vers le terme.A terme, le cerveau du ftus pèse environ 400 g, le
cervelet 6 à 7 % du poids du cerveau. Il est composé pour 60 % de lipides et consomme
pendant sa phase de développement intra-utérin la plus rapide jusqu'à 70 % de
l'énergie délivrée par sa mère [12].La période des divisions cellulaires les plus
actives se situe dans les premières semaines du développement embryonnaire. Après la
naissance, c'est la multiplication des connections synaptiques entre les cellules qui est
le phénomène le plus remarquable. Pour que le développement et la maturation optimale
des fonctions cérébrales et visuelles s'effectuent depuis la conception, les acides gras
des lignées n-6 et n-3 sont indispensables, les acides gras à longue chaîne, acide
arachidonique (AA) et acide docosahexaénoïque (DHA), étant les plus importants. Au
cours de la première année de la vie, le poids du cerveau augmente d'un peu moins de 2
g/jour pour atteindre 90 % de son poids définitif à l'âge d'un an.
CONSEQUENCES D'UNE CONTAMINATION PAR LE ZINC, LE CUIVRE, LE PLOMB, LE MERCURE OU
L'ALUMINIUM SUR LE DEVELOPPEMENT CEREBRAL.
De nombreux oligoéléments peuvent intervenir dans le développement cérébral. Ainsi,
pendant la grossesse, une carence en zinc pourrait réduire le périmètre crânien ; à
l'opposé un excès de zinc favoriserait une carence en cuivre avec comme conséquence, à
côté des anomalies du métabolisme lipidique, une réduction des leucine et méthionine
enképhalines. La maladie de Menkes, comme la maladie de Wilson, illustrent le lien entre
statut en cuivre, développement et fonctionnement cérébral. En outre, dans les dix
dernières années, de nombreux travaux ont été publiés concernant les conséquences
d'une carence en fer sur le développement psychomoteur au cours des premières années de
la vie.Pour l'iode, les anomalies observées sont avant tout dues à sa carence, qu'elle
survienne pendant la grossesse ou au cours des premiers mois de la vie. Par contre, la
toxicité de l'aluminium (Al) s'exprime essentiellement après la naissance, notamment
chez le jeune enfant en nutrition parentérale prolongée ou en insuffisance rénale et
sous dialyse [3]. Parmi les organes où l'aluminium en excès se stocke, figure le
cerveau. Chez les sujets en hémodialyse prolongée, des encéphalopathies ont été
décrites [3] ; il s'y associe des troubles neurologiques moteurs, des troubles de la
conscience avec anomalies de l'EEG et à un stade très avancé, un coma. Ces faits ont
imposé l'utilisation de milieux d'épuration dont la concentration en Al est limitée à
5 µg/l et le contrôle des taux plasmatiques d'Al dans les nutritions parentérales très
prolongé : l'apport ne doit pas dépasser 2 µg/kg - celui-ci est toxique au-dessus de 60
µg/kg.Par opposition à l'aluminium, compte-tenu du mécanisme de l'intoxication :
poussières riches en plomb, ingestion d'écailles de peinture de logements anciens,
l'intoxication par le plomb, pose un véritable problème de santé publique chez le jeune
enfant. Selon le CDC d'Atlanta, l'intoxication est réelle au-dessus de 150 µg/l,
l'imprégnation au-dessus de 50 µg/l de plasma. Au sein des populations exposées,
l'incidence est particulièrement forte entre les âges de 18 et 24 mois. Les
conséquences sur le développement cérébral et intellectuel observées pour des
plombémies > 100 µg/l (soit 0,48 µmol/l) s'observent plutôt dans les populations
urbaines. Dès le second siècle avant JC, des manifestations neurologiques liées à
cette intoxication avaient été rapportées ; au début de notre siècle, HM. Thomas et
KD. Blackfan ont repris la description de l'encéphalopathie et de la neuropathie
périphérique liée au plomb ; en 1982, RWT. Thathcher et al, rapportent des troubles
neuropsychologiques liés à une intoxication par le plomb. Depuis, de nombreuses études
ont été publiées, particulièrement aux Etats-Unis ; elles insistent sur la fréquence
des imprégnations et intoxications (en 1984, 17 % d'enfants américains avaient une
plombémie > 150 µg/l) ; l'Académie Américaine de Pédiatrie souligne que des
anomalies sensorielles peuvent apparaître à partir de niveaux de 100 µg/l, les
anomalies neurologiques pour des valeurs plus élevées - associées à des troubles de la
sécrétion de la GH ; une réduction du QI de 4 à 5 points à 6 ans est notée pour des
plombémies entre 100 et 300 µg/l. L'intoxication pendant la grossesse retentit non
seulement sur le développement cérébral mais également sur la taille du nouveau-né.
Les mesures prises dans les pays occidentaux et aux Etats-Unis en vue de réduire les
contaminations par le plomb, ont permis d'observer depuis dix ans une réduction de ces
risques.
LE MERCURE.
Par un mécanisme mal défini, le cerveau est l'une des cibles prévilégiées de
l'intoxication mercurielle [2]. La toxicité du mercure a été rapportée au 16e siècle
chez des mineurs, puis au XIXe siècle dans l'industrie du chapeau, où les troubles du
comportement liés à l'utilisation de nitrate de mercure par les chapeliers sont à
l'origine de l'expression populaire" travailler du chapeau ". Aujourd'hui, les
intoxications par le mercure sont rares chez l'enfant. Elles associent des troubles du
comportement, des anomalies neurologiques, de la vue, une dermatose périphérique et une
hypertension artérielle. Les lésions du système nerveux peuvent intéresser le cerveau,
le cervelet, la moelle, les nerfs périphériques ; une intoxication pendant la grossesse
est à l'origine de lésions chez le ftus [1]. Le syndrome d'acrodynie, lié à
l'inhalation de vapeurs riches en mercure reste néanmoins un sujet de réflexion ; la
confirmation du diagnostic est parfois difficile : mercurémie > 25 nmol/l,
mercururie/créatinurie > 28 nmol/mmol ; la susceptibilité à l'intoxication est
variable. Elle peut épargner les mères alors que le ftus présente des signes
d'intoxication [1].
TABAC et COCAÏNE.
Ces deux poisons sociaux ont en commun leur utilisation croissante chez les femmes jeunes
et un retentissement sur le développement du ftus. Le tabac a un rôle délétère
à tous les stades de la grossesse. Son impact sur le ftus est connu et étudié
depuis 1957 avec une réduction du poids à terme de 5 à 10 % en fonction du degré de
tabagisme, en liaison avec un ralentissement de la croissance plus marqué au 3e trimestre
de la gestation. Des études de 1993 et 1994 ont souligné la relation pour le ftus
entre tabac et réduction du périmètre crânien, altération du développement
neurologique, tabac et troubles du développement intellectuel [7]. Les mécanismes
invoqués sont de trois types : hypoxémie ftale, altération de l'ultrastructure
des villosités placentaires, ou altération de la bio-activité des récepteurs du
facteur de croissance épidermique placentaire. En outre, la responsabilité du tabac dans
la survenue de malformations cardiaques ou digestives a été rapportée dans quelques
études mais mérite confirmation.
COCAÏNE.
Comme le tabac, sa consommation est croissante, isolée ou associée, particulièrement au
tabac ou à l'alcool, ce qui complique l'interprétation des faits observés. Des groupes
importants de mères usant de la cocaïne ont été suivis aux Etats-Unis pendant leur
grossesse. La responsabilité de la cocaïne dans la prématurité et une réduction
importante du poids de naissance ont été confirmées [13]. Point complémentaire et
récent, la concentration de benzoylecgonine, métabolite de la cocaïne dans le
méconium, serait en relation inverse avec le poids de naissance et avec le périmètre
crânien. L'effet tératogène de la cocaïne avait été auparavant souligné par
plusieurs équipes. Mais, si les revues récentes font état d'un presque consensus sur le
lien entre cocaïne et retard de croissance intra-utérin (RCIU), entre cocaïne et
prématurité, les conséquences sur le développement ultérieur des nouveau-nés restent
par contre discutées. Certains pensent que les anomalies rencontrées sont proches de
celles de groupes de prématurés ou de RCIU de mères non consommatrices ; d'autres
soulignent que les anomalies sont majorées avec, à l'âge d'un an, un retard de
développement cognitif et moteur.Une interrogation demeure quant au rôle agressif direct
de la cocaïne sur le système nerveux central en rapport avec des anomalies des
neurotransmetteurs ; certains faits peuvent n'être détectables qu'à l'âge de l'
intégration scolaire. Si les effets de la cocaïne sur le système nerveux sont évidents
chez l'adulte, les lésions sur le cerveau du ftus et le système nerveux central
sont probables - et ceci par de multiples mécanismes - mécaniques et pharmacologiques.
Parmi les anomalies du développement cérébral, il a été constaté un risque majoré
de microcéphalies, d'anomalies du développement du proencéphale, d'agénésie du corps
calleux, de la migration ou de la différenciation neuronale et de la myélinisation [8,
13].Après la naissance, une minorité de nouveau-nés explorés pendant la grossesse
présente un syndrome neurologique ; par contre, des anomalies de l'EEG sont possibles au
cours des six premiers mois [13]. De même, les risques de mort subite du nourrisson sont
majorés. Au total, le risque de consommation de la cocaïne pendant la grossesse sur le
développement du cerveau est certain. Les lésions à la naissance sont liées à une
hypoxémie ftale et à l'agression directe liée au passage transplacentaire de la
cocaïne. Pour la période post-natale, des inconnues sur le pronostic demeurent, le
syndrome neurologique post-natal n'est pas majeur, les séquelles neurologiques
ultérieures, hormis les risques de mort subite, sont difficiles à quantifier et à
interpréter ; le pronostic neurologique à distance reste difficile à apprécier et des
études complémentaires longitudinales et contrôlées apparaissent comme nécessaires
[13].
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[13] ZUCKERMAN B., FRANK DA. : " Prenatal cocaïne exposures
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Je remercie le Professeur Jean REY pour les conseils qu'il a bien
voulu me donner pour la rédaction de cet article.
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