Les XXIIe JTA
> Présentation
> Programme
> Comité scientifique
> Intervenants
> Contacter les JTA

En pratique
> S'inscrire
> Renseignements
> Hébergement
> Programme social
> Post-congrès

Les archives
> Andrologie
> Biologie
> Gynécologie
> Infertilité
> Médecine foetale
> Néonatologie
> Nutrition
> Obstétrique
> Pédiatrie
> Périnatalité
> Périnéologie
> Phlébologie
> Psychosomatique

Rechercher

Titre: Contaminants et developpement cerebral
Année: 1996
Auteurs: - Duhamel J F.
Spécialité: Médecine foetale
Theme: cerveau et contaminants

Contaminants et développement cérébral

-F. DUHAMEL, M. LAURANS et J. BROUARD*

* CHU de CAEN - Service de Pédiatrie - Avenue Georges Clémenceau - 14033 Caen Cedex.

Le rôle des contaminants dans le développement cérébral est un domaine évoqué ou abordé depuis l'Antiquité. Dans la période actuelle, de nouveaux agents interférant dans la croissance ou la maturation du cerveau et de nouveaux mécanismes d'action des contaminants ont été mis en évidence.La toxicité potentielle des oligoéléments reconnue pour le plomb depuis l'Antiquité [1], pour l'iode ou pour le mercure depuis des siècles [2] s'est complétée plus récemment avec la mise en évidence d'une toxicité de l'aluminium [3], du manganèse et dans les dernières années du tellurium [4]. Les interactions entre oligoéléments (fer-zinc, zinc-cuivre, fer-plomb, mercure-sélénium), comme le rôle du cadmium renforcent la complexité des analyses biologiques et cliniques quant à la toxicité de ces minéraux inhalés, administrés ou consommés en excès [5].Un second groupe de substances qui retentissent sur le développement cérébral du fœtus et du jeune enfant est celui des " poisons sociaux ". Au premier rang d'entre eux, se situe l'alcool avec ses conséquences de gravité variable [6] ; au retard de développement staturo-pondéral s'associent des anomalies du cerveau, un retard du développement psychomoteur et mental, une dysmorphie faciale. Si le rôle pathogène de l'alcool est démontré, la (ou les) raison(s) pour laquelle (ou lesquelles) les enfants sont inégalement atteints, de même que l'impact de toxiques associés, tabac et drogues doivent être analysés [7]. Sans vouloir les envisager toutes, nous prendrons comme exemple la cocaïne en raison de l'importance de sa consommation, des travaux récents la concernant, et de son impact particulier sur les structures cérébrales du fœtus et son développement neurologique [8].Les toxiques présents dans l'environnement, tels les pesticides que l'on peut retrouver dans l'eau de boisson, le lait de femme, particulièrement dans les régions agricoles sont également intéressants à considérer mais nous les réserverons pour la discussion [9].Le cerveau du fœtus peut également souffrir de consommation de substances médicamenteuses par la mère pendant sa grossesse. Même s'il ne s'agit pas à proprement parler de contaminants, nous rappellerons que ces substances, par exemple certains anticonvulsivants - ceux dont le métabolisme interfère avec celui des folates étant ici en première position - méritent une attention particulière.Ajoutons-y le rôle possiblement tératogène de la vitamine A [10].

            RAPPEL SUR LE DEVELOPPEMENT CEREBRAL.

            Pendant la vie intra-utérine, le développement des structures cérébrales débute très précocement puis se prolonge dans chaque région selon des séquences bien synchronisées [11].Dès les premières semaines de la vie embryonnaire, apparaît la plaque neurale (entre le 22e et le 26e jour de vie). La fermeture de la gouttière neurale intervient peu après. Entre la 4e et la 7e semaine, les noyaux gris de la base, le thalamus et l'hypothalamus se forment, le proencéphale s'évagine en deux hémisphères ; les bulbes olfactifs apparaissent. Entre la 8e et la 16e semaine, les grandes structures sont en place, la plaque corticale se forme à partir de la division et de la migration des neurones jeunes. Après la 16e semaine, les neurones augmentent de taille, les fibres afférentes et les cellules gliales se multiplient - les circonvolutions et les sillons se forment, les capillaires corticaux prolifèrent. La myélinisation atteint la base des hémisphères vers le terme.A terme, le cerveau du fœtus pèse environ 400 g, le cervelet 6 à 7 % du poids du cerveau. Il est composé pour 60 % de lipides et consomme pendant sa phase de développement intra-utérin la plus rapide jusqu'à 70 % de l'énergie délivrée par sa mère [12].La période des divisions cellulaires les plus actives se situe dans les premières semaines du développement embryonnaire. Après la naissance, c'est la multiplication des connections synaptiques entre les cellules qui est le phénomène le plus remarquable. Pour que le développement et la maturation optimale des fonctions cérébrales et visuelles s'effectuent depuis la conception, les acides gras des lignées n-6 et n-3 sont indispensables, les acides gras à longue chaîne, acide arachidonique (AA) et acide docosahexaénoïque (DHA), étant les plus importants. Au cours de la première année de la vie, le poids du cerveau augmente d'un peu moins de 2 g/jour pour atteindre 90 % de son poids définitif à l'âge d'un an.

            CONSEQUENCES D'UNE CONTAMINATION PAR LE ZINC, LE CUIVRE, LE PLOMB, LE MERCURE OU L'ALUMINIUM SUR LE DEVELOPPEMENT CEREBRAL.

            De nombreux oligoéléments peuvent intervenir dans le développement cérébral. Ainsi, pendant la grossesse, une carence en zinc pourrait réduire le périmètre crânien ; à l'opposé un excès de zinc favoriserait une carence en cuivre avec comme conséquence, à côté des anomalies du métabolisme lipidique, une réduction des leucine et méthionine enképhalines. La maladie de Menkes, comme la maladie de Wilson, illustrent le lien entre statut en cuivre, développement et fonctionnement cérébral. En outre, dans les dix dernières années, de nombreux travaux ont été publiés concernant les conséquences d'une carence en fer sur le développement psychomoteur au cours des premières années de la vie.Pour l'iode, les anomalies observées sont avant tout dues à sa carence, qu'elle survienne pendant la grossesse ou au cours des premiers mois de la vie. Par contre, la toxicité de l'aluminium (Al) s'exprime essentiellement après la naissance, notamment chez le jeune enfant en nutrition parentérale prolongée ou en insuffisance rénale et sous dialyse [3]. Parmi les organes où l'aluminium en excès se stocke, figure le cerveau. Chez les sujets en hémodialyse prolongée, des encéphalopathies ont été décrites [3] ; il s'y associe des troubles neurologiques moteurs, des troubles de la conscience avec anomalies de l'EEG et à un stade très avancé, un coma. Ces faits ont imposé l'utilisation de milieux d'épuration dont la concentration en Al est limitée à 5 µg/l et le contrôle des taux plasmatiques d'Al dans les nutritions parentérales très prolongé : l'apport ne doit pas dépasser 2 µg/kg - celui-ci est toxique au-dessus de 60 µg/kg.Par opposition à l'aluminium, compte-tenu du mécanisme de l'intoxication : poussières riches en plomb, ingestion d'écailles de peinture de logements anciens, l'intoxication par le plomb, pose un véritable problème de santé publique chez le jeune enfant. Selon le CDC d'Atlanta, l'intoxication est réelle au-dessus de 150 µg/l, l'imprégnation au-dessus de 50 µg/l de plasma. Au sein des populations exposées, l'incidence est particulièrement forte entre les âges de 18 et 24 mois. Les conséquences sur le développement cérébral et intellectuel observées pour des plombémies > 100 µg/l (soit 0,48 µmol/l) s'observent plutôt dans les populations urbaines. Dès le second siècle avant JC, des manifestations neurologiques liées à cette intoxication avaient été rapportées ; au début de notre siècle, HM. Thomas et KD. Blackfan ont repris la description de l'encéphalopathie et de la neuropathie périphérique liée au plomb ; en 1982, RWT. Thathcher et al, rapportent des troubles neuropsychologiques liés à une intoxication par le plomb. Depuis, de nombreuses études ont été publiées, particulièrement aux Etats-Unis ; elles insistent sur la fréquence des imprégnations et intoxications (en 1984, 17 % d'enfants américains avaient une plombémie > 150 µg/l) ; l'Académie Américaine de Pédiatrie souligne que des anomalies sensorielles peuvent apparaître à partir de niveaux de 100 µg/l, les anomalies neurologiques pour des valeurs plus élevées - associées à des troubles de la sécrétion de la GH ; une réduction du QI de 4 à 5 points à 6 ans est notée pour des plombémies entre 100 et 300 µg/l. L'intoxication pendant la grossesse retentit non seulement sur le développement cérébral mais également sur la taille du nouveau-né. Les mesures prises dans les pays occidentaux et aux Etats-Unis en vue de réduire les contaminations par le plomb, ont permis d'observer depuis dix ans une réduction de ces risques.

            LE MERCURE.

            Par un mécanisme mal défini, le cerveau est l'une des cibles prévilégiées de l'intoxication mercurielle [2]. La toxicité du mercure a été rapportée au 16e siècle chez des mineurs, puis au XIXe siècle dans l'industrie du chapeau, où les troubles du comportement liés à l'utilisation de nitrate de mercure par les chapeliers sont à l'origine de l'expression populaire" travailler du chapeau ". Aujourd'hui, les intoxications par le mercure sont rares chez l'enfant. Elles associent des troubles du comportement, des anomalies neurologiques, de la vue, une dermatose périphérique et une hypertension artérielle. Les lésions du système nerveux peuvent intéresser le cerveau, le cervelet, la moelle, les nerfs périphériques ; une intoxication pendant la grossesse est à l'origine de lésions chez le fœtus [1]. Le syndrome d'acrodynie, lié à l'inhalation de vapeurs riches en mercure reste néanmoins un sujet de réflexion ; la confirmation du diagnostic est parfois difficile : mercurémie > 25 nmol/l, mercururie/créatinurie > 28 nmol/mmol ; la susceptibilité à l'intoxication est variable. Elle peut épargner les mères alors que le fœtus présente des signes d'intoxication [1].

            TABAC et COCAÏNE.

            Ces deux poisons sociaux ont en commun leur utilisation croissante chez les femmes jeunes et un retentissement sur le développement du fœtus. Le tabac a un rôle délétère à tous les stades de la grossesse. Son impact sur le fœtus est connu et étudié depuis 1957 avec une réduction du poids à terme de 5 à 10 % en fonction du degré de tabagisme, en liaison avec un ralentissement de la croissance plus marqué au 3e trimestre de la gestation. Des études de 1993 et 1994 ont souligné la relation pour le fœtus entre tabac et réduction du périmètre crânien, altération du développement neurologique, tabac et troubles du développement intellectuel [7]. Les mécanismes invoqués sont de trois types : hypoxémie fœtale, altération de l'ultrastructure des villosités placentaires, ou altération de la bio-activité des récepteurs du facteur de croissance épidermique placentaire. En outre, la responsabilité du tabac dans la survenue de malformations cardiaques ou digestives a été rapportée dans quelques études mais mérite confirmation.

            COCAÏNE.

            Comme le tabac, sa consommation est croissante, isolée ou associée, particulièrement au tabac ou à l'alcool, ce qui complique l'interprétation des faits observés. Des groupes importants de mères usant de la cocaïne ont été suivis aux Etats-Unis pendant leur grossesse. La responsabilité de la cocaïne dans la prématurité et une réduction importante du poids de naissance ont été confirmées [13]. Point complémentaire et récent, la concentration de benzoylecgonine, métabolite de la cocaïne dans le méconium, serait en relation inverse avec le poids de naissance et avec le périmètre crânien. L'effet tératogène de la cocaïne avait été auparavant souligné par plusieurs équipes. Mais, si les revues récentes font état d'un presque consensus sur le lien entre cocaïne et retard de croissance intra-utérin (RCIU), entre cocaïne et prématurité, les conséquences sur le développement ultérieur des nouveau-nés restent par contre discutées. Certains pensent que les anomalies rencontrées sont proches de celles de groupes de prématurés ou de RCIU de mères non consommatrices ; d'autres soulignent que les anomalies sont majorées avec, à l'âge d'un an, un retard de développement cognitif et moteur.Une interrogation demeure quant au rôle agressif direct de la cocaïne sur le système nerveux central en rapport avec des anomalies des neurotransmetteurs ; certains faits peuvent n'être détectables qu'à l'âge de l' intégration scolaire. Si les effets de la cocaïne sur le système nerveux sont évidents chez l'adulte, les lésions sur le cerveau du fœtus et le système nerveux central sont probables - et ceci par de multiples mécanismes - mécaniques et pharmacologiques. Parmi les anomalies du développement cérébral, il a été constaté un risque majoré de microcéphalies, d'anomalies du développement du proencéphale, d'agénésie du corps calleux, de la migration ou de la différenciation neuronale et de la myélinisation [8, 13].Après la naissance, une minorité de nouveau-nés explorés pendant la grossesse présente un syndrome neurologique ; par contre, des anomalies de l'EEG sont possibles au cours des six premiers mois [13]. De même, les risques de mort subite du nourrisson sont majorés. Au total, le risque de consommation de la cocaïne pendant la grossesse sur le développement du cerveau est certain. Les lésions à la naissance sont liées à une hypoxémie fœtale et à l'agression directe liée au passage transplacentaire de la cocaïne. Pour la période post-natale, des inconnues sur le pronostic demeurent, le syndrome neurologique post-natal n'est pas majeur, les séquelles neurologiques ultérieures, hormis les risques de mort subite, sont difficiles à quantifier et à interpréter ; le pronostic neurologique à distance reste difficile à apprécier et des études complémentaires longitudinales et contrôlées apparaissent comme nécessaires [13].

BIBLIOGRAPHIE.

[1] SANDSTEAD HH. : A brief history of the influence of trace elements on brain function. Am J Clin Nutr 1986 ; 43 : 293-8.

[2] CLARKSON TW. : Mercury - an element of mystery. New Engl J Med 1990 ; 323 : 1137-9.

[3] KLEIN G. : " Aluminium in parental solutions revisited again ". Am J Clin Nutr 1995 ; 61 : 449-56.

[4] LARNER AJ. : " Biological effects of tellurium. A review ". Trace elements and electrolytes 1995 : 12 : 26-31.

[5] GOYER RA. : " Nutrition and metal toxicity ". Am J Clin Nutr 1995 ; 61 (suppl) : 646S-51S.

[6] HAROUSSEAU H., BORTEYRU J.P, MENUET JC. : " Les enfants de parents alcooliques : anomalies observées ". Ouest Médical 1968 ; 25 : 476-82.

[7] JACOBSON JL, JACOBSON S.W., SOKOL RJ., MARTIER SS., AGER JW., SHANKARAN S. : " Effects of alcohol use, smoking, and illicit drug use on fœtal growth in black infants ". J Pediatr 1994 : 124 : 757-64.

[8] VOLPE JJ. : " Effect of cocaïne use on the fœtus ". N Engl J Med 1992 : 327 : 399-407.

[9] MATSUMURA F. : " Mecanism of action of dioxin-type chemicals, pesticides, and other xenobiotics affecting nutritional indexes ".Am J Clin Nutr 1995 : 61 (suppl) : 695S-701S.

[10] BONATI M., NANNINI S., ADDIS A. : " Vitamin A supplementation during pregnancy in developed countries ". Lancet 1995 : i : 736-7.

[11] LARROCHE JC. : " Développement du système nerveux central ". In : Médecine Périnatale Relier JP. Laugier J. Salle BL : ed, Flammarion Médecine Sciences Paris 1989 : pp 181-187.

[12] CRAWFORD MA. : " The role of essential fatty acid in neural development : implications for perinatal nutrition ". Am J Clin Nutr 1993 : 57 (suppl) : 703S-10S.

[13] ZUCKERMAN B., FRANK DA. : " Prenatal cocaïne exposures : nine years later ". J Pediatr 1994 : 124 : 731-3.

Je remercie le Professeur Jean REY pour les conseils qu'il a bien voulu me donner pour la rédaction de cet article.