DYSMICROBISME
DE L’ENFANT – DIARRHEE POST ANTIBIOTIQUE
F. Gottrand
Unité de Gastro-Entérologie,
Hépatologie et Nutrition,
Clinique de Pédiatrie,
Hôpital Jeanne de Flandre
CHU Lille.
Si le
tube digestif de l’homme est stérile à la naissance, une flore intestinale se
met en place rapidement résultant de l’interaction entre l’alimentation du nouveau-né
et son environnement. Cette flore a des fonctions importantes et en particulier
dans la résistance aux infections. De nombreux facteurs peuvent influencer la
flore intestinale : infectieux, nutritionnels, médicamenteux.
I. Flore intestinale
normale
A
l’état physiologique la flore intestinale contient 1010 à 1011
bactéries par gramme de contenu intestinal et plus de 400 espèces bactériennes
différentes. Cette flore forme une barrière vis à vis des pathogènes. La flore
intestinale possède une puissante activité enzymatique capable de dégrader les
résidus ayant résisté à la digestion intestinale ainsi que certains composés
endogènes issus des sécrétions digestives et des cellules intestinales desquamées.
Par ailleurs, la dégradation bactérienne produit des métabolites, comme les
acides gras à chaînes courtes qui, absorbés par le colon, préservent son intégrité
et son bon fonctionnement. La flore intestinale et ses métabolites stimulent
une motricité colique normale et constituent un élément important d’hydratation
des selles. Enfin, la flore joue un rôle important dans le développement des
réponses immunitaires.
Les effets sur l’immunité des bactéries lactiques, c’est-à-dire des bifidobactéries
et des lactobacilles ont été particulièrement étudiés du fait de leur intérêt
connu dans la prévention et le traitement des diarrhées. Il a ainsi été démontré
que les bactéries lactiques avaient des effets immunomodulateurs en augmentant
in vivo l’activité phagocytaire des macrophages chez le rat et in vitro, la
production d’IL6, d’IFNg et d’IL10. Certaines souches de bifidobactéries induisent
de plus une synthèse d’IgA.
Le rôle antibactérien de la flore intestinale repose :
sur le maintien à un niveau élevé d’une flore bactérienne non pathogène qui
représente la majorité de la flore digestive ;
- sur
le maintien grâce au métabolisme de la flore normale d’un environnement colique
acide qui inhibe la croissance de certaines bactéries, comme Escherichia
coli, Clostridium perfringens ;
- sur
la synthèse par certaines bactéries de substances antibactériennes (Bactériocine),
- sur
une compétition pour les substrats et les sites d’attachement épithéliaux
entre les bactéries de la flore et d’autres bactéries pathogènes ;
- par
les interactions des bactéries avec le système immunitaire local.
II. Effets
des antibiotiques sur la flore (1)
Les
antibiotiques par leur effet bactéricide et/ou bactériostatique déséquilibrent
la flore intestinale et peuvent induire une diarrhée, en particulier par le
fait de l’émergence de souches pathogènes. Certaines de ces souches, habituellement
saprophytes, peuvent devenir pathogènes comme Klebsiella, Candida,
Escherichia coli. La fréquence des diarrhées secondaires à la prise d’antibiotiques
varie chez l’enfant entre 8 et 30 % selon les études. Dans une étude multicentrique
Française récente (2), 11% des 650 enfants étudiés prospectivement et recevant
une antibiothérapie orale ont présenté un épisode de diarrhée associée aux antibiotiques.
La durée moyenne de l’épisode était de 4 +/- 3 jours et survenait en moyenne
5,3 +/- 3,5 jours après le début de l’antibiothérapie. La diarrhée post antibiotique
était plus fréquente chez les enfants agés de moins de 2 ans (18% versus 2%
chez les plus de 2 ans).
Toutes les familles d’antibiotiques peuvent induire une diarrhée, mais certaines
avec une fréquence plus élevée. Ainsi, selon les études, la cefixime, l’association
amoxicilline et acide clavulanique, l’erythromycine et ses associations peuvent
donner jusqu’à 30 % de diarrhée lors de leurs utilisations. D’autres antibiotiques,
comme l’amoxicilline, la josamycine, la cefatroxil, n’entraînent que 10 à 15
% de diarrhée. Cette diarrhée peut se compliquer de désordres hydro-électrolytiques.
Une colite pseudo-membraneuse est rarement observée au décours d’une antibiothérapie
chez l’enfant. Elle se manifeste par des lésions ulcéro-nécrotiques intestinales
en rapport avec la sécrétion d’une toxine pathogène du Clostridium difficile.
Il s’associe une altération importante de l’état général. Le Clostridium
difficile représente habituellement 1% de la population bactérienne colique,
mais après une antibiothérapie peut représenter jusqu’à 10 à 50 %. Cette diarrhée
est grave et nécessite un traitement par métronidazole ou vancomycine (cet antibiotique
utilisé par voie orale est actuellement non conseillé, en raison du risque potentiel
d’induction de résistance aux entérocoques, et donc un risque ultérieur de résistance,
des Staphylocoques à la vancomycine).
III. Diagnostic
positif d’un dysmicrobisme intestinal ou d’une pullulation
Celui-ci
est très difficile pour plusieurs raisons :
- il siège
habituellement plutôt au niveau de l’intestin grêle, zone qui est difficilement
accessible en dehors des situations où l’enfant est porteur d’une iléostomie
à des prélèvements bactériologiques directs ;
- les populations
bactériennes sont très variables d’un segment à l’autre de l’intestin et les
résultats obtenus sur un prélèvement bactériologique d’un tubage duodénal
par exemple ne sont pas forcément représentatifs de ce qui se passe au niveau
de l’iléon terminal ou du colon ;
- la mise
en culture des germes est difficile, en particulier en raison de leur nombre
important et surtout des difficultés techniques de prélèvements et de cultures
pour les germes anaérobies.
A
côté des méthodes directes (tubage duodénal, coproculture quantitative), il
existe des méthodes indirectes reposant, soit sur le dosage des métabolites
dans les selles produits par les germes intestinaux, comme les acides gras volatiles,
indicateurs précoces de germes anaérobies dans l’intestin (fermentation de substrats
organiques) ou le test respiratoire à l’hydrogène. Ce dernier est basé sur le
principe de la production d’hydrogène par dégradation des hydrates de carbone
alimentaires par des bactéries intestinales. Une partie de cet hydrogène est
absorbée dans le flux sanguin puis excrété rapidement par les poumons.
IV. Prévention,
Traitement
Plusieurs
études in vitro ont montré l’efficacité des probiotiques ou de certaines bactéries
sur des bactéries pathogènes. Les bifidobactéries ont une activité antibactérienne
par la production de bactériocine et par la production d’acide acétique et d’acide
lactique qui, diminuant le pH intestinal, inhibent la prolifération des pathogènes
(3).
Un probiotique est un micro-organisme vivant ayant une action bénéfique sur
l’hôte qui l’ingère. Parmi les probiotiques, les lactobacilles et les bifidobactéries
sont utilisés largement dans l’alimentation pour la fabrication des laits fermentés
(yaourt et kéfir) pour lesquels des effets bénéfiques sont reconnus de longue
date. Ils sont également des constituants normaux et permanents de la flore
colique normale intestinale.
L’effet des probiotiques est très différent d’une souche à une autre et dépend
de la durée d’administration et de la dose ingérée. Ainsi les résultats obtenus
avec un probiotique doivent être interprétés avec prudence pour une extrapolation
sur d’autres probiotiques ou en utilisant d’autres protocoles d’administration.
Les
prébiotiques sont des composants non digestibles de l’alimentation (sucres non
digestibles, lactoferrine, nucléotide, oligosaccharide) qui stimulent la croissance
ou l’activité d’une ou plusieurs espèces bactériennes coliques à effet bénéfique
pour l’hôte.
La
prévention des rechutes de la colite par Clostridium difficile a fait
l’objet de quelques études à partir de Lactobacillus casei souche
GG ou de Saccharomyces boulardii.
Chez l’adulte, une étude de 180 patients hospitalisés recevant des antibiotiques
et comparant un traitement par Saccharomyces boulardii à un placebo pendant
2 semaines après l’arrêt des antibiotiques a montré que les patients du groupe
traitement développaient moins fréquemment une diarrhée au cours de l’antibiothérapie
que les patients sous placebo (9,5 % versus 22 %) (4).
Parmi les produits étudiés pouvant prévenir la diarrhée de post antibiothérapie,
les probiotiques ont été récemment les plus étudiés. Ils font appel à des bifidobactéries,
du yaourt au Lactobacillus acidophilus ou Lactobacillus GG (5).
Plusieurs études ont montré une efficacité de certains probiotiques dans la
diarrhée post antibiotique (6).
-
Ainsi dans une étude comportant 30 volontaires adultes recevant de la clindamycine
et répartis dans un groupe recevant du Bifidobactérium longum et du Lactobacillus
acidophilus, versus placebo, une diminution moins importante de bactéroides
de la flore colique dans le groupe recevant les probiotiques, et la disparition
des Bifidobactéries et une diminution de la production d’acide gras volatile
dans les selles dans le groupe placebo. Enfin il y avait une incidence plus
faible de signes gastro-intestinaux dans le groupe recevant les probiotiques
que dans le groupe placebo (7).
- Dans
une des rares études spécifiquement pédiatriques et publiées récemment par le
groupe de Vanderhoof (8), 202 enfants, âgés de 6 mois à 10 ans, recevaient dans
une étude randomisée en double aveugle du Lactobacillus GG ou du placebo
alors qu’ils étaient mis sous traitement antibiotique oral pour des infections
aiguës respiratoires, urinaires ou de la peau. 25 enfants du groupe placebo,
mais seulement 7 du groupe probiotique, ont présenté de la diarrhée au cours
du traitement antibiotique. Le Lactobacillus GG diminuait significativement
la fréquence des selles et augmentait l’apparition de selles dures de 10 jours
par rapport au groupe placebo.
V. Conclusion
L’intérêt pour l’utilisation
d’agents microbiens vivants dans le but d’améliorer la santé ou de prévenir
la maladie, voire de la traiter, a considérablement augmenté depuis ces dernières
années. Beaucoup de ces organismes appelés probiotiques ont été proposés pour
traiter un grand nombre de maladies gastro-intestinales ou autres, allant de
la diarrhée à l’allergie et à la prévention du cancer. En effet l’approche logique
de situations pouvant perturber l’écologie microbienne du tube digestif (infection,
alimentation, prise d’antibiotique) est d’essayer de favoriser l’implantation
et l’association de germes non pathogènes spécifiques de notre organisme.
Ceci a été parfaitement montré dans la tolérance au lactose qui est améliorée,
quand le lactose est ingéré avec des bactéries telles le Streptococcus thermophilus,
Lactobacillus bulgaricus, qui permettent une digestion luminale du lactose
et donc une amélioration de la tolérance et de son absorption.
Plusieurs
études ont montré l’efficacité de ces probiotiques dans la prévention de la
diarrhée post-antibiotique, mais il faut insister sur le danger d’extrapoler
à tous les probiotiques une efficacité égale. L’effet dépend, en effet de chaque
probiotique, de la souche et de la dose utilisées et du protocole d’administration.
BIBLIOGRAPHIE
1. CHACHATY E., TANCREDE
C, Effet des antibiotiques sur la flore intestinale de l’homme. In Impact intestinal
de l’antibiothérapie. BERGOGNE-BEREZIN E; Phase 5 éditeur, Paris, 1999, pp :
26-40.
2. TURCK D, Diarrhées
associées aux antibiotiques en pédiatrie. In Impact intestinal de l’antibiothérapie.
BERGOGNE-BEREZIN E; Phase 5 éditeur, Paris, 1999, pp : 42-52.
3. IBRAHIM SA, BEZKOROVAINY
A, « Inhibition of Escherichia coli by Bifidobacteria », J Food Protec,
1993 : 56, 713-715.
4. SURAWICZ CM, ELMER
GW, SPEELMAN P et al. « Prevention of antibiotic-associated diarrhea by
Saccharomyces boulardii : a prospective study ». Gastroenterology,
1989 : 96, 981-988.
5. ARVOLA T, LAIHO
K, TORKKELI S et al, « Prophylactic Lactobacillus GG reduces antibiotic-associated
diarrhea in children with respiratory infections : a randomized study ».
Pediatrics, 1999 : 104 , 1121-1122.
6. SAAVEDRA JM, ABI-HANNA
A, « Clinical studies of probiotic agents ». In : Probiotics.
Other nutritional factors, and intestinal microflora., HANSON L, YOLKEN RH (ed),
Lippincott Raven, Philadelphia, 1999 : p 271-286.
7. ORRHAGE R, BRISMAR
B, NORD CE, « Effect of supplements with Bifidobacterium longum and Lactobacillus
acidophilus on the intestinal microbiota during administration of clindamycin ».
Microbial Ecol Health Dis, 1994 : 7, 17-25.
8. VANDERHOOF JA,
WHITNEY DB, ANTONSON DL et al, Lactobacillus GG in the prevention of antibiotic-associated
diarrhea in children, J Pediatr, 1999 : 135, 565-568.
|