Préparations
lactées et prévention de l'allergie
Pr
J. SARLES
Marseille
Que
ce soit un fait réel ou une apparence liée à l'amélioration
des moyens diagnostiques et à la diminution d'un grand nombre de pathologies
infantiles, l'allergie est devenue une des grandes causes de morbidité
de l'enfance. Sa prévalence est assez diversement appréciée
selon les critères diagnostiques retenus, mais on peut considérer
que globalement elle concerne 12 à 30% des enfants, l'allergie alimentaire
concernant 3 à 5% selon les études les plus rigoureuses.
Il y a plusieurs raisons pour s'interroger sur le rôle de l'alimentation
du nourrisson dans l'apparition ultérieure de troubles de nature allergique.
Le tube digestif est, plus encore que la peau et les voies aériennes,
un lieu de contact privilégié avec les antigènes du milieu
extérieur, et le lait de vache, substitut le plus utilisé de l'allaitement
maternel, contient certaines protéines qui passent pour les antigènes
les plus puissants de notre alimentation. De plus, le début de la vie
semble être, sur le plan de la réponse immunitaire, une période
tout à fait particulière au cours de laquelle peut s'installer
vis à vis d'un antigène étranger un état de tolérance
ou au contraire d'hypersensibilité selon le moment du premier contact
par rapport à la naissance et selon l'importance de la charge antigénique.
Enfin il apparaît de plus en plus clairement que l'écologie bactérienne
de la période néonatale, en influant sur la colonisation initiale
du tube digestif conditionne en partie le risque de développer des allergies
secondaires.
Les preuves des avantages nutritionnels, anti-infectieux et psychologiques de
l'allaitement maternel s'accumulent de jour en jour, mais la démonstration
que le lait maternel soit la meilleure prévention de l'allergie d'origine
alimentaire manque toujours pour des raisons de difficultés méthodologiques.
L'absence d'antigénicité des protéines du lait de femme
est cependant un fort argument pour admettre cette hypothèse, même
si de rares sensibilisations à des protéines étrangères
via le lait maternel sont parfois décrites. L'axiome selon lequel l'allaitement
maternel doit être préféré à toute autre forme
d'alimentation du nourrisson notamment chez ceux à risque d'allergie
doit donc être admis jusqu'à nouvel ordre. La question du choix
du type d'alimentation d'un enfant à risque ne se pose donc qu'en cas
de refus ou d'impossibilité d'un allaitement maternel. Nous examinerons
les données obtenues en matière de prévention avec différents
produits lactés proposés par l'industrie mais il ne sera pas question
des produits destinés au traitement de l'allergie tels que les hydrolysats
poussés ou les mélanges d'acides aminés dont le coût
et le goût sont peu compatibles avec une utilisation à grande echelle.
"
Laits " de soja
Ils constituent certainement l'alternative la plus ancienne au lait de vache
chez les enfants allergiques aux protéines du lait. Les protéines
du soja ont cependant un pouvoir antigénique non négligeable et
le risque d'antigénicité croisée entre ces deux familles
de protéines, bien que d'origines très différentes, est
certain, même s'il est très diversement apprécié
(5 à 25%). Le rôle préventif possible des " laits "
de soja chez les enfants à risque est controversé. La qualité
méthodologique des études concernées n'est pas suffisante
pour trancher définitivement et il est donc impossible aujourd'hui de
recommander le recours à ce type d'aliment pour diminuer la survenue
d'allergies diverses (1,2).
Préparations hypoallergéniques (HA)
Cette dénomination commerciale n'est pas réglementaire. Elle correspond
dans la plupart des cas à des produits identiques aux préparations
pour nourrissons à l'exclusion des protéines qui sont également
d'origine bovine (caséine ou protéines solubles) mais sont partiellement
hydrolysées. Le poids moléculaire (PM) des résidus protéiques
de ces préparations s'échelonne entre des valeurs comprises de
500 à 10-15 000 kilodaltons. Le seuiI d'antigénicité d'une
protéine se situant aux alentours de 2500 kilodaltons, il est évident
que ces produits conservent un certain pouvoir antigénique et ne doivent
donc pas être utilisés chez des enfants déjà sensibilisés.
Il existe par ailleurs des produits dont les protéines répondent
aux même critères d'hydrolyse en terme de PM mais dont l'origine
est le collagène de porc et le soja. Bien que seulement partiellement
hydrolysés ces produits peuvent en théorie être aussi bien
utilisés dans la prévention de l'allergie en général
que dans le traitement de l'allergie aux protéines du lait de vache.
Si l'on devait faire une classification des préparations hydrolysées,
ils se situeraient en position intermédiaire entre les préparations
hypoallergéniques et les hydrolysats poussés.
Plusieurs études ont montré durant la période d'administration
de préparations une réduction significative des manifestations
réputées allergiques (eczéma, bronchites obstructives,
troubles digestifs divers) chez les enfants recevant une formule hypoallergénique,
comparés à ceux recevant une formule à base de protéines
entières (3-5). A distance de cette utilisation, on note encore une diminution
de l'incidence de l'eczéma mais pas des autres manifestations allergiques.
L'étude de Chandra montre que l'utilisation de formules hypoallergéniques,
associée à un programme d'introduction progressif et tardif des
aliments réduit l'incidence de l'asthme et de l'eczéma à
l'âge de 5 ans (6). Cet effet est comparable à celui obtenu avec
l'allaitement maternel ou les hydrolysats de protéines.
Au total les formules hypoallergéniques ont un effet certain sur la survenue
de manifestations allergiques. Il n'est par contre pas encore clairement établi
si ces formules ont un réel effet préventif (diminution vraie
de l'incidence) ou seulement un effet suspensif (effet retardant sur la date
de survenue).
Formules avec probiotiques
La sensibilisation à des antigènes alimentaires résulte
en partie d'une rupture de la " barrière " physiologique que
constitue la muqueuse intestinale vis à vis de ces antigènes.
La flore intestinale, et singulièrement la flore néonatale initiale,
joue un rôle certain dans le fonctionnement de cette barrière en
modulant les phénomènes de régulation de l'inflammation
de la muqueuse et de la sous-muqueuse et en stimulant les mécanismes
de réponse immunitaire humorale et cellulaire. En pratique clinique,
on sait aujourd'hui que le simple fait qu'un nouveau-né soit mis à
l'écart de sa mère les premières heures suivant sa naissance
augmente le risque de rhume des foins des années plus tard (7). De même
la naissance par césarienne augmente le risque d'allergie ultérieure.
Parallélement la relation inverse démontrée entre la fréquence
des infections au début de la vie et la survenue d'allergies illustre
bien l'hypothèse de Strachan selon laquelle l'amélioration de
l'hygiène a plutôt un effet négatif sur l'incidence de l'atopie
(8). De ces notions a résulté l'idée d'intervenir sur le
risque allergique en modifiant la flore intestinale. Cette approche a essentiellement
été développée par l'équipe d'E. Isolauri
d'abord dans un but thérapeutique puis à visée préventive.
Très récemment cette équipe a publié une étude
randomisée contre placebo dans la quelle Lactobacillus GG était
administré chez la mère 2 à 4 semaines avant la naissance
puis chez le nouveau-né pendant 6 mois, dans des familles à risque
d'allergie (9). A deux ans les manifestations d'allergie étaient deux
fois moins fréquentes dans le groupe traité que dans le placebo.
Ce travail ouvre donc une piste très intéressante de prévention
de l'allergie par une méthode simple. Avant un passage à la pratique
il ne faut cependant pas négliger le fait que l'innocuité des
probiotiques n'est peut-être pas totale notamment chez le nouveau-né
(10)
Mots
clés : Allergie - Prévention - Probiotiques
Références
1/
Businco L, Bruno G, Giampetro PG, Cantani A. Allergenicity and nutritional adequacy
of soy protein formulas. J Pediatr 1992 ; 121 : S21-8.
2/ Commitee on Nutrition - American Academy of Pediatrics. Soy Protein-based
formulas : recommendations for use in infant feeding. Pediatrics 1998 ; 101
: 148-53.
3/ Ragno V, Giampetro PG, Bruno G, Businco L. Allergenicity of milk protein
hydrolysate formulae in children with cow's milk allergy. Eur J Pediatr 1993
; 15 : 760-2
4/ Vandenplas Y, Hauses B, Van den Borre C. The long term effect of à
partial whey hydrolysate formula on the prophylaxis of atopic disease. Eur J
Pediatr 1995 ; 154 : 488-94
5/ Marini A, Agosti M, Motta G, Mosca F. Effescts of dietary and environmental
prevention programm on the incidence of allergic symptoms in high risk atopic
infants : three years follow-up. Acta Paediatrica 1996 ; 85 Suppl 414 : 1-22
6/ Chandra LK. Five year follow-up of high-risk infants with family history
of allergy who were exclusively breast-fed or fed partial whey whey hydrolysate,
soy and conventionnal cow's milk formulas. J Pediatr Gastoenterol Nutr 1997
; 24 : 442-6
7/ Montgomery SM, Wakefield AJ, Morris DL, Pounder RE, Murch SH. The initial
care of newborn infants and subsequent hayfever. Allergy 2000 ; 55 : 916-22
8/ Strachan DP. Hay fever, hygiene and household size. BMJ 1989 ; 299 : 1259-60
9/ Kalliomäki M, Salminen S, Arvilommi H, Kero P, Koskinen P, Isolauri
E. Probiotics in primary prevention of atopic disease : a randomised placebo-controlled
trial. Lancet 2001 ; 357 : 1076-9
10/ Murch SH. Toll of allergy reduced by probiotics. Lancet 2001 ; 357 : 1057-9
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