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Titre: Grossesse et thrombose
Année: 2002
Auteurs: - Aiach M.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Thrombose et grossesse

GROSSESSE ET THROMBOSE

Martine Aiach et Joseph Emmerich

Service d'Hématologie biologique A et Service de Médecine vasculaire, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris et Unité INSERM 428, Faculté de Pharmacie de l'Université Paris V.


Les modifications du système de l'hémostase prédisposant à la thrombose veineuse

On distingue des facteurs génétiques, des facteurs acquis et des facteurs dont l'origine héréditaire est probable mais non démontrée.

  • Les facteurs de risque génétiques
    En 1965, Egeberg décrit le premier cas de thrombophilie héréditaire associé à un déficit héréditaire en antithrombine (AT), Les déficits héréditaires en protéine C (PC) et en protéine S (PS), deux autres inhibiteurs physiologiques de la coagulation, sont également impliqués dans la thrombophilie familiale. Les déficits en AT, PC et PS, sont rares et n'affectent que 5 à 10 % des patients atteints de MTE. Les mutations des gènes de l'AT, de la PC et de la PS sont très nombreuses et regroupées dans des bases de données. A noter l'existence de cas sporadiques, avec des mutations de novo, ce qui expliquerait la diversité des anomalies de ces gènes.
    La plus fréquente des anomalies génétiques associées à la MTE (20 à 30 % des cas) est la résistance à la PCa découverte en 1993 par Dahlbäck. L'anomalie est due à une mutation du facteur (F) V, Arg506Gln ou FV Leiden, qui ralentit le clivage du FVa par la PCa. Le FV Leiden affecte essentiellement les populations d'origine caucasienne en Europe et en Amérique du Nord, avec une fréquence de 3 à 8 % dans la population générale.
    Plus récemment, le groupe de Bertina a identifié, dans le gène de la prothrombine (FII), une mutation associée à la MTE qui affecte la région 3' non traduite du gène et conduit à une augmentation de la quantité d'ARN messagers traduits en protéine. Le FII G20210A, qui semble avoir le même type de distribution géographique que le FV Leiden, est observé chez environ 10 % des patients atteints de MTE.
    La thrombophilie se manifeste de façon plus ou moins sévère et précoce en fonction du génotype qui peut être hétérozygote, homozygote ou hétérozygote composite ou associer plusieurs facteurs de risque génétiques différents (tableau II).
    Chez les hétérozygotes, la maladie se manifeste, dans la grande majorité des cas, à l'âge adulte par des thromboses veineuses profondes, souvent récidivantes. L'incidence de la MTE augmente avec l'âge et dépend de l'exposition à des facteurs de risque circonstanciels (contraceptifs oraux, chirurgie, grossesse), bien qu'elle puisse apparaître en l'absence de facteur de risque identifié. Les valeurs du risque relatif (RR) sont autour de 4 pour le FII G20210A, de 5 pour le FV Leiden et entre 5 et 10 pour les déficits en PC ou en PS. Le déficit en AT a une expression clinique plus sévère, avec des RR entre 10 et 20.
    Il existe une forme grave, homozygote, de thrombophilie due à l'absence totale de PC ou de PS circulante, avec un processus thrombotique dès la naissance qui entraîne des nécroses cutanées et un tableau de purpura fulminans nécessitant un traitement par des concentrés de PC purifiée et le maintien sous anticoagulant à vie. Chez les sujets homozygotes pour la mutation Leiden du FV, le risque de MTE est majeur, avec un risque relatif de l'ordre de 50 à 100, mais la maladie n'apparaît pas avant la puberté.
    Plusieurs études récentes montrent que la présence simultanée de deux facteurs de risque génétiques majore le risque de thrombose, avec des RR de l'ordre de 20. L'étude des familles thrombophiliques fait souvent apparaître plusieurs anomalies génétiques.
    Ainsi, bien que la transmission de chacune des anomalies biologiques soit autosomique dominante, l'expression clinique chez les apparentés est variable. La conjonction de différents facteurs de risque étant assez fréquente, le mode de transmission de la maladie est complexe, faisant intervenir plusieurs déterminants génétiques. Pour un facteur donné, la pénétrance, bien que plus élevée chez les homozygotes que chez les hétérozygotes, n'est pratiquement jamais complète.
  • Les facteurs de risque acquis
    Les anticorps antiphospholipides sont associés à des TVP, particulièrement ceux qui ont, in vitro, un effet anticoagulant ("anticoagulant lupique"). Ils sont soit associés à une maladie autoimmune systémique (lupus), soit idiopathiques, déterminant le syndrome des antiphospholipides primaires. Dans les deux cas, le risque thrombotique est particulièrement important au cours de la grossesse et du post-partum.
    L'hyperhomocystéinémie (> 18,5 µmol/l) est également observée chez 10 % des patients ayant une MTEV. Elle est ou non associée à une carence en folates et/ou en vitamine B12.
  • Autres facteurs de risque
    Plusieurs études parues récemment montrent qu'une concentration en FVIII > ou = 150 % en dehors de tout contexte inflammatoire est un facteur de risque de MTEV. Il a été également montré, chez 360 patients suivis pendant plusieurs années, que le taux de récidive est multiplié par 10 chez les sujets ayant un FVIII > 234 % (correspondant aux valeurs au delà du 90ème percentile [1]. La concentration du FVIII est contrôlée par des facteurs génétiques non identifiés à l'heure actuelle et par des facteurs environnementaux. Elle est associée au groupe sanguin, les sujets O ayant une concentration de FVIII plus basse que les sujets A, B ou AB. Ainsi, le fait d'appartenir à un groupe non O est en soi un facteur de risque de MTEV.
    L'élévation des FIX et XI a été également associée, dans une étude cas-contrôle (la Leiden Thrombophilia Study), à la MTEV, ces résultats méritant d'être vérifiés dans d'autres études.
  • En pratique, la recherche d'une anomalie de l'hémostase prédisposant à la thrombose veineuse doit, au minimum, comporter le dosage de l'AT, de la PC et de la PS, la recherche de la mutation Leiden du FV (par biologie moléculaire pour différencier les homozygotes des hétérozygotes), la recherche de la mutation G20210A du FII, ainsi que le dosage du FVIII et la recherche d'anticorps antiphospholipides (anticardiolipine et anticoagulant circulant) (tableau III). L'examen doit être fait en dehors de toute période aiguë, en l'absence de traitement anticoagulant, hormonal et en dehors de toute grossesse. Les déficits en PS, les élévations du FVIII et les anticorps antiphospholipides doivent être vérifiés à deux mois, seules les anomalies permanentes étant à prendre en compte.

Thrombophilie et risque de thrombose pendant la grossesse

L'incidence de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) augmente avec l'âge. Chez la femme en âge de procréer, elle se situe entre 0,40 et 0,70/1 000 par an (tableau I).
Au cours de la grossesse, le risque est multiplié par 5, la majorité des thromboses veineuses profondes (TVP) survenant durant le 3ème trimestre de la grossesse et dans la période du post-partum. A noter que la césarienne multiplie le risque par 5. L'âge supérieur à 37 ans et le surpoids (BMI > 29 kg/m²) sont également associés à un risque plus élevé [2]. Dans 85 % des cas, la TVP est à gauche, elle est le plus souvent proximale.
Quelle qu'en soit l'origine, un antécédent de MTEV augmente d'un facteur 4 le risque de thrombose pendant la grossesse. Cependant, la mise en route d'une prophylaxie pendant la grossesse est loin d'être sans risque, ce qui incite à la prudence, d'autant plus que l'incidence des embolies pulmonaires fatales est très faible.
Une étude prospective récente évalue le risque de récidive pendant la grossesse chez 125 femmes ayant un antécédent de MTEV. Dans l'ensemble, le risque de récidive ante-partum est bas (2,4 %), ne justifiant pas l'utilisation d'héparine [3].
Le risque, chez les femmes thrombophiliques, est sans doute plus important, comme le montre l'étude rétrospective de 119 femmes ayant une MTEV pendant la grossesse ou le post-partum. La fréquence des anomalies thrombophiliques est plus élevée chez ces 119 cas comparés à 233 contrôles appariés (tableau IV). Les études prospectives de familles thrombophiliques confirment le risque élevé, même en l'absence d'antécédents, associé à la mutation du FV à l'état homozygote et aux anomalies combinées [4]. Ainsi, dans ces cas exceptionnels, on peut envisager une prophylaxie au cours du 3ème trimestre et du post-partum, même en l'absence d'antécédents.
Les femmes asymptomatiques porteuses d'une anomalie thrombophilique unique à l'état hétérozygote ne relèvent pas d'un traitement préventif pendant la grossesse, sauf s'il s'agit d'un déficit en antithrombine. La prophylaxie durant le post-partum est probablement justifiée dans cette situation mais non formellement démontrée, compte tenu de la fréquence importante de ces anomalies dans la population générale.
Chez les femmes ayant déjà eu un épisode de maladie thromboembolique, qu'elles aient ou pas une anomalie responsable de thrombophilie, une prophylaxie par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) dans le post-partum est toujours justifiée. Le port de contention veineuse durant toute la grossesse et le post-partum est également toujours de mise. La prophylaxie durant la grossesse est en revanche non codifiée. En cas de déficit en antithrombine, nous recommandons une prophylaxie dès le début de la grossesse en raison du risque élevé de thrombose. En cas de déficit hétérozygote en protéine C, protéine S, ou chez les porteuses de la mutation Leiden du facteur V ou de l'allèle A20210 de la prothrombine, le début de la prophylaxie au plus tard dès le début du troisième trimestre, et pour cetains plus précocement, doit être systématique. L'intérêt de l'association d'aspirine à faible dose (100 mg/j) à une HBPM à dose prophylactique mériterait d'être évaluée dans certaines situations. Enfin, en cas de syndrome des antiphospholipides avéré, une traitement anticoagulant efficace par HBPM associé à 100 mg d'aspirine est recommandé. En raison de l'absence précise de codification de ces traitements, de la difficulté d'apprécier le risque de récidive d'une patiente à une autre, les indications de prophylaxie devraient toujours être posées en milieu spécialisé en étroite collaboration avec l'équipe obstétricale.

Bibliographie

1. Kyrle PA, Minar E, Hirschl M et al. High plasma levels of factor VIII and the risk of recurrent venous thromboembolism. N Engl J Med 2000 ; 343 : 457-462.
2. Eldor A. Thrombophilia, thrombosis and pregnancy. Thromb Haemost 2001 ; 86 : 104-111
3. Brill-Edwards P, Ginsberg JS, Gent M et al. Safety of withholding heparin in pregnant women with a history of venous thromboembolism. N Engl J Med 2000 ; 343 : 1439-1444.
4. Martinelli I, Legnani C, Bucciarelli P et al. Risk of pregnancy-related venous thrombosis in carriers of severe inherited thrombophilia. Thromb. Haemost. 2001 ; 86 : 800-803.
5. Oger E. Incidence of venous thromboembolism: a community-based study in Western France. EPI-GETBP Study Group. Groupe d'Etude de la Thrombose de Bretagne Occidentale Thromb Haemost 2000 ; 83 : 657-660.
6. Aiach M, Alhenc-Gelas M, Léger P, Levesque H. Recommandations de la Société française de génétique humaine - Commission "Pratique de la génétique" - Les Cahiers de diagnostic génétique, Inserm, 2000.
7. Gerhardt A, Scharf RE, Beckmann MW et al. Prothrombin and factor V mutations in women with a history of thrombosis during pregnancy and the puerperium N Engl J Med 2000 ; 342 : 374-380.

Tableau I - Incidence de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) chez la femme en fonction de l'âge

Incidence pour 1 000 par an
Age Thrombose veineuse
profonde
Embolie
pulmonaire
MTEV
0 - 19 0,02 - 0,02
20 - 39 0,29 0,13 0,42
40 - 49 0,55 0,16 0,71
60 - 74 2,26 0,92 3,18
> ou égal 75 5,14 4,06 9,20
Chez la femme en âge de procréer, l'incidence se situe entre 0,40 et 0,70
pour 1 000.
D'après Oger et al [5].

Tableau II - Evaluation du risque en fonction du génotype

 

Génotype

Odds ratio
Aucune anomalie 1
FII G20210A Hétérozygote 3 - 5
FV Leiden Hétérozygote 5 - 10
Déficit en PC ou en PS Hétérozygtote 5 - 10
Déficit en ATFV Hétérozygote 10 - 40
Leiden + une des autres anomalies Double hétérozygote 10 - 40
FV Leiden Homozygote 50 - 80
Déficit en PC ou en PS Homozygote ou hétérozygote composite > 100
Déficit en AT Homozygote Létal
D'après Aiach et al. [6].

Tableau III - Quel bilan de thrombose en 2001 ?

- Dosage de l'AT, de la PC et de la PS
- Recherche du FV Leiden- Recherche du FII G20210A
- Dosage du FVIII- Dosage de l'homocystéine
- Recherche des anticardiolipines et d'un anticoagulant circulant

Tableau IV - Facteurs génétiques de thrombophilie chez les femmes ayant souffert de thrombose veineuse pendant la grossesse ou le post-partum