ANTICORPS ANTIPHOSPHOLIPIDE ET GROSSESSE
Stéphane Bentolila, Sylvia Bellucci, Ludovic Drouet. Service d’Angio-Hématologie, Hôpital Lariboisière.
Le syndrome des antiphospholipides intéresse depuis environ 20 ans de nombreux spécialistes dont les gynécologues-obstétriciens. Comme d’autres pathologies auto-immunes, le syndrome des antiphospholipides (SAPL) est lié à la présence d’autoanticorps. Le SAPL est dû à la présence d’anticorps antiphospholipides (APL) : diagnostiqués par la présence concomitante ou isolée d’un anticoagulant circulant de type lupique (ACC), d’un anticorps anticardiolipine, d’un faux VDRL positif. Les manifestations cliniques du SAPL sont des thromboses artérielles ou veineuses, les pertes foetales, la thrombopénie. D’autres tableaux cliniques ont été associés, livedo, préeclampsie, migraine. De nombreux SAPL sont retrouvés chez des patients porteurs d’une autre pathologie auto-immune, le plus souvent un lupus érythémateux disséminé faisant porter le diagnostic de SAPL secondaire. De plus en plus, des SAPL sont diagnostiqués sans que le patient soit porteur d’une autre pathologie auto-immune, faisant ainsi porter le diagnostic de SAPL primaire.
Détection au laboratoire des anticorps antiphospholipides.
Les APL se lient aux phospholipides chargés négativement et peuvent être détectés au laboratoire par plusieurs méthodes différentes. Les trois méthodes sont complémentaires, en effet seulement la moitié des femmes porteuses d’un faux VDRL positif ont un anticorps anticardiolipine, beaucoup moins sont porteuses d’un ACC. Chez environ 70% des patients porteurs d’un ACC on retrouve un ACL.
Les ACC sont détectés en utilisant un test de coagulation dépendant des phospholipides. De nombreux facteurs peuvent interférer dans ce test comme la rapidité entre le prélèvement et le test, la présence d’anticoagulants, des déficits en facteurs de la coagulation (in vivo où in vitro). Pour éliminer un déficit en facteur de la coagulation, le laboratoire procède à un mélange du plasma à tester avec un plasma témoin. Une fois l’inhibiteur diagnostiqué afin d’éliminer un inhibiteur spécifique dirigé contre un facteur de la coagulation, il est recommandé de pratiquer un test utilisant l’adjonction de phospholipides afin d’affirmer la présence d’anticorps antiphospholipides.
Les ACL sont des anticorps détectés dans du sérum à l’aide d’une technique ELISA. Une standardisation certes imparfaite a été tentée et le ACL sont rendus en unités GPL pour les IgG ACL et en unités MPL pour les IgM ACL. Même dans des mains entraînées les coefficients de variation sont de 16% pour les ACL IgG et de 19% pour les ACL IgM. Outre cette variabilité due au laboratoire lui même il existe une variabilité entre les différents laboratoires et pour le même patient au cours du temps, impliquant d’une part de pratiquer les examens au même laboratoire et de les renouveler en cas de forte suspicion clinique.
Divers tests comme les anticorps antib2glycoprotéine 1, les anticorps antiprothombine, les anticorps anti-annexine V nécessitent de plus amples investigations cliniques visant à évaluer leur intérêt en pratique quotidienne.
SAPL et perte ftale.
La présence d’APL est retrouvée dans 2.2% à 4% des grossesses normales (1). Mais la question de la proportion des pertes ftales liés aux APL n’est pas complètement résolue, comme en témoigne la différence entre les fréquences retrouvées dans diverses études (Tableau).
Tableau: Incidence des APL chez les patientes avec pertes ftales récurrentes.
Auteur |
Année |
Patients |
APL + (n) |
APL + % |
Test |
Carreras |
1981 |
24 |
2 |
8 |
ACC |
Derue |
1985 |
23 |
16 |
69 |
ACL |
Cowchock |
1986 |
61 |
8 |
13 |
ACL |
Lockwood |
1986 |
55 |
15 |
27 |
ACL |
Clauvel |
1986 |
14 |
7 |
50 |
ACC |
Edelman |
1986 |
120 |
12 |
10 |
ACC |
Pattison |
1987 |
27 |
22 |
81 |
ACL |
Howard |
1987 |
29 |
14 |
48 |
ACC |
Petri |
1987 |
44 |
5 |
11 |
ACL |
Unander |
1987 |
99 |
42 |
42 |
ACL |
Barbui |
1987 |
63 |
11 |
17 |
ACC |
Kalunian |
1988 |
23 |
13 |
57 |
ACL |
Derksen |
1988 |
19 |
13 |
68 |
ACC |
Long |
1989 |
19 |
12 |
63 |
ACC |
Tincani |
1989 |
187 |
38 |
20 |
ACL+/-ACC |
Maier |
1989 |
20 |
10 |
50 |
ACL |
L’étude des placentas issus de grossesse avec pertes ftales au cours du SAPL montre des placentas comportant des infarctus multiples, et de taille inférieure à celle voulue par le terme de la grossesse (2). Diverses mécanismes physiopathogéniques ont été proposés dont une modification de l’annexine V liée aux phospholipides (3), ou des anticorps antitrophoblaste (4).
En marge des pertes ftales à proprement parler, certains auteurs associent à ce syndrome de pertes ftales des avortements du premier trimestre. Toutefois il faut être extrêmement prudent avant de porter le diagnostic de SAPL dans ce cas. En effet environ 50% des pertes ftales du premier trimestre ont une cause identifiable (anomalie chromosomique, , malformation utérine, infections , .....) et les APL outre leur caractère possiblement fortuit ne doivent donc n’être tenus comme responsables dans ces cas qu’avec une extrême précaution si cette situation clinique n’est pas liée à d’autres éléments cliniques du SAPL.
Traitement du SAPL primaire durant la grossesse.
Les premiers traitements utilisés pour traiter les femmes enceintes porteuses d’un SAPL ont employé les corticoïdes associés à l’aspirine dans le but de diminuer la production des auto-anticorps. Mais les effets secondaires de la corticothérapie même administrée à faible dose , ou diminués dès le milieu de la grossesse sont importants en terme obstétricaux et maternels, comme les accouchements prématurés (souvent dus à une rupture prématurée des membranes) et l’ostéoporose. Depuis la publication d’une étude randomisée démontrant un taux équivalent de naissances viables de 75% que la patiente ait été traitée par héparine ou corticoïdes (associés à de faible dose d’aspirine), le traitement par l’héparine a supplanté le traitement par corticoïdes (5). Toutefois l’utilisation d’une corticothérapie peut toujours être utile pour traiter des manifestations auto-immunes associées.
Les Immunoglobulines intraveineuse (IVIG) semblent pouvoir être un bon appoint quand le traitement standard a échoué. La place exacte des IVIG dans ce cas n’est pas clairement établie, mais elle semble pouvoir être envisagée en cas de thrombopénie résistant au traitement corticoïde au cours du SAPL.
Une autre étude randomisée a montré que l’addition d’héparine à l’aspirine est supérieure à l’aspirine seule.
En pratique, en cas de SAPL primaire sans antécédent thrombotique ni pertes foetales l’on aura recours à un traitement par aspirine seule. Au contraire, en cas d’antécédent thrombotique ou d’antécédent de pertes foetales l’héparine (ou une HBPM) sera associée à l’aspirine.
Les quantités d’héparine habituellement utilisées sont supérieures à celles utilisées chez une femme non enceinte, et pour ceci une surveillance biologique est préférable en utilisant soit le TCA, soit l’activité anti-Xa. Les héparines de bas poids moléculaire ont été montrées comme efficaces pour prévenir les pertes ftales dans un modèle murin de pertes ftales, et semblent aussi sûres chez la femme enceinte que les HNF. Toutefois nous n’avons pas de données bibliographiques comparant les HNF aux HBPM dans les grossesses avec SAPL.
Bibliographie
1) Lockwood CJ, Romero R, Feinberg RF, et al. The prevalence and the biologic significance of lupus anticoagulant and anticardiolipin antibodies in a general obstetric population. Am J Obstet Gynecol 161: 369: 1989.
2) Hanly JG, Gladman DD, Rose TH, Laskin CA, Urowitz MB. Lupus pregnancy : a prospective study of placental changes Arthritis Rheum 31: 358, 1988.
3) Rand J, Wu X, Andree A, Lockwood C, et coll. Pregnancy loss in the antiphospholipid syndrome- A possible thrombogenic mechanism. N Engl J Med 337: 154, 1997.
- McCrae K, DeMichele A, Pandhi P, Balsai M, Samuels P, Graham C, Kala P, Cines D. Anticardiolipin and pregnancy Blood 82; 2730, 1993).
5) Cowchock S. Prevention of fetal death in the antiphospholipid antibody syndrome. Lupus 5 ; 467, 1997
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