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Titre: Critères foetaux d’extraction avant 32 semaines
Année: 2002
Auteurs: - Audibert F.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Pathologie vasculo rénal

Critères fœtaux d'extraction avant 32 semaines

François Audibert

Hôpital Antoine Béclère, Clamart


Résumé

Les complications vasculaires de la grossesse (HTA gravidique, prééclampsie, retard de croissance d'origine vasculaire) représentent la première cause de morbidité et de mortalité maternelles et fœtales. En l'absence de traitement étiologique, la décision obstétricale repose sur le choix du moment de l'accouchement, visant à diminuer les risques maternels et fœtaux. Nous décrivons les techniques et les performances des examens évaluant la tolérance fœtale : enregistrement du rythme cardiaque fœtal, vélocimétrie Doppler ombilicale, cérébrale, veineuse, mais aussi les indications maternelles de terminaison de la grossesse, dans la mesure où retard de croissance et prééclampsie sont souvent associés.

Introduction

Au cours des pathologies vasculaires de la grossesse (HTA, prééclampsie, hypotrophie fœtale d'origine vasculaire), la terminaison de la grossesse a pour objectif de soustraire le fœtus aux risques de mort in utero ou d'hypoxie sévère et prolongée, et d'éviter pour la mère les risques de complications sévères (hématome rétro-placentaire, éclampsie, hémorragie cérébrale…). Bien souvent cette décision se pose à un âge gestationnel précoce (24-32 SA) où le choix du moment de l'accouchement représente un compromis entre les risques maternels ou fœtaux liés à la prolongation de la grossesse d'une part, et les risques liés à la grande prématurité d'autre part. L'objectif de ce travail est de décrire les différents éléments de la décision obstétricale dans ces situations, en examinant notamment les moyens d'évaluation de la tolérance du fœtus hypotrophe, les possibilités de traitement conservateur dans les pathologies hypertensives maternelles, et la prise de décision aux âges gestationnels critiques. Bien que ces situations soient très souvent intriquées, nous décrirons successivement les éléments de la décision d'extraction pour indication fœtale puis pour indication maternelle.

Les difficultés à étudier le retard de croissance intra-utérin débutent dès sa définition (entre 3 et 10% des grossesses selon le seuil choisi). L'imperfection des courbes de référence pour une population donnée et la multiplicité des étiologies compliquent encore la tâche (dans cet exposé nous nous limiterons au cas des RCIU d'origine vasculaire). Le terme de " retard de croissance " lui-même est trompeur et il serait plus juste de parler de " restriction de la croissance intra-utérine ". Les tentatives d'estimation dynamique de la croissance fœtale sont probablement plus proches de la réalité mais moins aisées à utiliser en pratique clinique. A la naissance, la définition est plus aisée, on parle alors d'hypotrophie pour les nouveau-nés dont le poids est inférieur au 3e, 5e, ou 10e percentile des courbes de référence pour l'âge gestationnel.
Les progrès de l'échographie et de la vélocimétrie permettent en 1999 de mieux appréhender le diagnostic de RCIU, d'estimer le poids fœtal avec une marge d'erreur acceptable, de mieux apprécier la tolérance fœtale à l'insuffisance placentaire afin de choisir plus objectivement et plus efficacement le moment de la naissance.

1. Surveillance du fœtus hypotrophe et décision d'extraction

De nombreux moyens d'analyse de la tolérance fœtale sont utilisés. Certains font l'objet d'une utilisation clinique routinière (compte des mouvements actifs, analyse du rythme cardiaque fœtal), d'autres relèvent d'examens complémentaires plus ou moins spécialisés (échographie, analyse informatisée du RCF, vélocimétrie Doppler de la circulation artérielle) ou sont encore du domaine de la recherche (Doppler veineux, rénal, mésentérique, gazométrie fœtale...).

1.1. Analyse du rythme cardiaque fœtal (RCF)

L'analyse du RCF représente le moyen de surveillance le plus répandu et le plus simple à mettre en œuvre. Pour la majorité des auteurs ce paramètre reste l'élément majeur dans la décision d'extraction prématurée du fœtus hypotrophe.

Analyse visuelle du RCF
L'enregistrement est en général réalisé sur 20 à 30 minutes et les paramètres analysés comportent la fréquence cardiaque de base, la variabilité, les décélérations, les accélérations, et la réactivité aux mouvements fœtaux ou aux stimulations. Une des limites de cette méthode est le caractère subjectif de l'analyse, qui explique en partie ses performances médiocres en terme de sensibilité et spécificité pour la prédiction de la souffrance fœtale et néonatale. Dans une étude portant sur 290 fœtus hypotrophes, Devoe rapporte une sensibilité de 51% et une spécificité de 85% pour prédire la morbidité néonatale. Gagnon constate que 35% des tracés non réactifs et 80% des décélérations reconnus par une analyse informatisée du RCF ne sont pas identifiés à l'œil nu.

Analyse informatisée du RCF
Les limites de l'analyse visuelle ont conduit de nombreux auteurs à proposer une analyse automatisée du RCF. Le système le plus utilisé actuellement est le système Oxford 8000 de Dawes et Redman, qui fournit une analyse objective du rythme de base, de la variabilité à court terme (battement à battement) et à long terme, et des décélérations. Le paramètre qui apparaît le plus intéressant est la variabilité à court terme (VCT), dont l'analyse visuelle est impossible et qui serait étroitement corrélé à l'existence d'une hypoxie fœtale. Dawes n'observe aucun décès in utero lorsque la VCT est supérieure à 3 millisecondes, y compris en présence de décélérations. A l'inverse la majorité des fœtus présentant une VCT inférieure à 2.6 ms seront en situation d'acidose métabolique à la naissance1.
Dans une étude portant sur 58 fœtus hypotrophes, Visser et al.2 observent une hypoxie et/ou une acidose fœtale chez 67% des fœtus avec décélérations, 63% des fœtus sans accélération, et 89% des fœtus dont la variation est inférieure à 5 battements par minute.
Un point important mérite d'être connu dans l'interprétation d'un RCF microoscillant : l'administration maternelle de bétaméthasone diminue de façon très significative la variabilité du RCF dans les 3 à 4 jours qui suivent le traitement3. Cet effet est entièrement réversible et ne s'accompagne pas d'une altération de l'oxygénation fœtale. Ceci peut conduire à des extractions prématurées injustifiées. Cet effet n'est pas observé avec la dexaméthasone.

1.2. Analyse échographique du bien-être fœtal

L'échographie permet d'apprécier un grand nombre de paramètres évaluant la tolérance fœtale dans des situations d'hypotrophie ou de pathologie maternelle.

Mouvements actifs fœtaux
Gagnon et al. ont étudié les mouvements de fœtus hypotrophes sans acidose à différents âges gestationnels. Comparés à des fœtus eutrophiques appariés pour l'âge, les mouvements étaient réduits en moyenne de 60% entre 26 et 32 SA et de 40% entre 33 et 40 SA.4

Mouvements respiratoires
La présence de mouvements respiratoires fœtaux (MRF) est considérée comme un signe de bien-être fœtal. Gagnon et al. ont constaté une réduction significative de ces mouvements chez des fœtus hypotrophes entre 26 et 32 SA. En revanche cette différence n'apparaît plus au-delà de 33 SA. Pour d'autres auteurs les MRF ne sont diminués que pour une proportion non significative des hypotrophes. En pratique l'intérêt clinique de ce signe considéré isolément paraît limité.

Evaluation de la quantité de liquide amniotique
Un oligoamnios est fréquemment observé chez les fœtus présentant un RCIU. Il est souhaitable d'en faire une évaluation quantitative par la mesure de la plus grande citerne ou le calcul de l'index amniotique. Cet oligoamnios est secondaire à une oligurie fœtale, elle-même liée à une redistribution des flux sanguins fœtaux avec élévation des résistances des artères rénales. Le risque majeur de cet oligoamnios est la compression funiculaire, ce qui justifie une surveillance intensive du RCF dans cette situation.

Profil biophysique
Ce score d'évaluation échographique du bien-être fœtal, proposé par Manning5 en 1980, regroupe différents paramètres (tableau I). La durée de l'examen doit être de 20 à 30 minutes, chaque paramètre est coté 0 ou 2, le score varie donc de 0 à 10. Pour l'auteur un score supérieur à 8 est considéré comme normal, un score inférieur à 4 impose l'extraction fœtale en raison du risque élevé de mort in utero.

Paramètres Normal (score=2) Anormal (score=0)
Mouvements respiratoires =1 épisode en 30 min absent
Mouvements du corps =3 mouvements en 30 min = 2 épisodes
Tonus fœtal = 1 extension active avec retour en flexion membres extension lente ou absence de mouvement
RCF = 2 accélérations de =15 bpm < 2 épisodes
Liquide amniotique = 1 citerne mesurant =1 cm aucune citerne = 1 cm

Tableau I. Score du profil biophysique (Manning)

En 1983, Vintzileos propose d'associer à ce score un indice de maturité placentaire.
De nombreuses études ont démontré une corrélation entre l'acidose fœtale et le profil biophysique. Ribbert retrouve une corrélation significative entre le profil biophysique et la gazométrie fœtale obtenue par cordocentèse chez 14 fœtus hypotrophes. Manning et al.6 forment les mêmes conclusions sur une population de 104 hypotrophes, où un score égal à 0 était toujours associé à un pH néonatal <7.20 et un score égal à 10 était toujours associé à un pH>7.20. La valeur prédictive positive d'un score " équivoque " (égal à 6) pour un pH<7.25 était de 10% dans cette série.
Les effets de l'hypoxie puis de l'acidose fœtale altèrent les différents paramètres du score de façon séquentielle et progressive. La réactivité et la variabilité du RCF seraient diminuées en premier, suivies par les mouvements respiratoires, les mouvements actifs, et enfin le tonus fœtal en cas d'acidose sévère. C'est pourquoi les différents éléments du score ne doivent pas être interprétés de la même façon : devant une variabilité normale du RCF avec liquide amniotique en quantité normale, la probabilité d'une acidose est minime et la recherche des autres critères devient facultative. En revanche l'altération de l'un de ces paramètres impose la vérification des mouvements respiratoires et fœtaux.
En conclusion le profil biophysique est étroitement corrélé au degré d'hypoxie et/ou d'acidose fœtale. Toutefois son utilité clinique est limitée par la durée nécessaire à l'examen d'autant qu'il doit être idéalement répété quotidiennement. De plus sa valeur prédictive négative de souffrance fœtale n'est pas meilleure que l'analyse du RCF, éventuellement couplée à la simple évaluation du liquide amniotique. Enfin aucune étude randomisée ne permet actuellement de dire si l'extraction fœtale décidée sur un profil anormal apporte un bénéfice néonatal.

1.3. Vélocimétrie Doppler

L'avènement de la vélocimétrie fœtale depuis une quinzaine d'années a bouleversé les modalités de la surveillance fœtale en cas de RCIU. Il est désormais bien établi que le fœtus répond à l'hypoxie par une redistribution des flux sanguins au profit du cerveau, du cœur et des surrénales, et que le Doppler permet de mesurer ce phénomène.

Doppler à l'artère ombilicale
Il existe une association indiscutable entre un Doppler ombilical altéré et la survenue d'un retard de croissance intra-utérin et/ou d'une souffrance fœtale dans une population à haut risque7. En particulier l'existence d'un index diastolique nul (IDN), et a fortiori d'une inversion du flux en diastole (reverse flow) est une situation à très haut risque: Nicolaides retrouve 80% de fœtus hypoxiques et 46% d'acidoses sur une série d'hypotrophes avec IDN8. Dans une étude multivariée, Yoon montre que le Doppler ombilical est un meilleur prédicteur d'hypoxie et d'acidose fœtale que le profil biophysique9.
L'IDN est associé à une morbidité et une mortalité élevées. Farine a colligé toutes les études rapportant l'issue de grossesses avec IDN ombilical ou reverse flow et retrouve une mortalité néonatale de 36% et une association très forte avec un accouchement par césarienne, un accouchement prématuré (âge gestationnel moyen de 30,1 à 33,5 SA selon les études), une hypotrophie fœtale (83% des cas en moyenne), et une admission en réanimation néonatale (96 à 100% des cas).
L'interprétation de ce résultat est toutefois limitée par le fait que des délais très variables ont été décrits entre la découverte d'un IDN et l'apparition d'anomalies du RCF motivant l'extraction fœtale, allant de moins de 24 heures à plusieurs semaines.
La décision d'extraire un fœtus sur la présence d'un IDN est controversée depuis le début des études sur le Doppler ombilical. Karsdorp estime que, compte tenu des risques très élevés de décès et de complications périnatales, il est recommandé de réaliser une césarienne si l'âge gestationnel et l'estimation du poids fœtal le permettent. Pour Farine, la plupart des équipes ont adopté une conduite moins agressive et ne prennent pas de décision sur le seul résultat du Doppler ombilical. Il n'existe malheureusement aucun essai randomisé ayant tenté de répondre à cette question. A ce jour il n'est certainement pas justifié d'extraire un fœtus hypotrophe quel que soit l'âge gestationnel (au moins avant 34 SA) sur la seule notion d'une diastole ombilicale nulle.

Doppler aux artères cérébrales
Les phénomènes d'adaptation fœtale à l'hypoxie sont connus depuis longtemps, mais leurs conséquences à court et à long terme restent controversées. Il est tentant d'utiliser l'outil de la vélocimétrie Doppler dans le but d'évaluer ces phénomènes d'adaptation et de faciliter la décision d'extraction.
Les premières explorations vélocimétriques du flux cérébral ont été décrites par Marsal au niveau de la carotide interne puis par Wladimiroff au niveau de l'artère cérébrale moyenne. L'utilisation de l'artère cérébrale moyenne s'est progressivement imposée en raison de son caractère reproductible; de plus l'artère carotide interne vascularise également les territoires de la face et du cou, dans lesquels l'effet d'épargne cérébrale est absent, ce qui peut perturber l'interprétation des mesures. L'artère cérébrale moyenne est facilement repérée sur une coupe du polygone de Willis, plus basse que le diamètre bipariétal, au contact de l'aile du sphénoïde. L'utilisation du Doppler couleur facilite encore ce repérage.
L'étude du rapport entre les résistances cérébrales et ombilicales est apparu plus prédictif de l'état fœtal et néonatal que la seule analyse du flux cérébral, venant confirmer l'existence du phénomène de redistribution. Ce rapport est utilisé par la plupart des auteurs.
De nombreuses études ont démontré qu'il existe une corrélation entre la redistribution cérébrale et l'hypoxie fœtale, se basant sur l'étude des gaz du sang par cordocentèse ou à la naissance. Pour la majorité des auteurs le rapport des résistances cérébrales et ombilicales est mieux corrélé à l'état fœtal que l'étude isolée des résistances ombilicales ou cérébrales. Pour certains l'apport du Doppler cérébral par rapport au Doppler ombilical seul est minime.
Ces faits confirment sans ambiguïté le phénomène de redistribution mais ne démontrent pas l'utilité clinique de ces mesures pour la décision du moment de l'extraction fœtale. En effet il est connu que l'effet d'épargne cérébrale peut être présent durant plusieurs semaines chez un fœtus hypotrophe avant l'apparition de décélérations tardives. A l'inverse il n 'est pas démontré que ce phénomène, s'il se prolonge, ne s'accompagne d'effets délétères à long terme sur le cerveau fœtal.
On peut encore regretter l'absence de toute étude randomisée interventionnelle cherchant à démontrer si l'extraction d'un fœtus hypotrophe avec redistribution de la circulation cérébrale apporte ou non un bénéfice néonatal et à long terme.

Dopplers veineux
Parmi les différents sites d'évaluation de la circulation fœtale étudiés, le canal d'Arantius (ductus venosus) paraît l'un des plus prometteurs. Il s'agit d'un des trois shunts spécifiques de la circulation fœtale, situé entre la veine ombilicale et la veine cave inférieure, proche de l'oreillette droite. Il semble que ce vaisseau joue un rôle clé dans la distribution en oxygène du fœtus, et que des modifications du flux, notamment au moment de la contraction auriculaire, traduisent une détérioration de la fonction myocardique fœtale et précèdent de peu la survenue de la mort fœtale. Hecher10 a comparé la vélocimétrie artérielle et veineuse de 23 fœtus hypotrophes sévères à l'équilibre acido-basique obtenu par cordocentèse. Il a pu montrer qu'en présence d'une hypoxie modérée (pH entre -2 et -4 SD) la quasi-totalité des fœtus présente une redistribution de la circulation cérébrale alors que les flux au niveau du ductus venosus restent normaux. Lorsque l'hypoxie s'aggrave ou que survient une acidose, les index veineux deviennent pathologiques avec en particulier une onde a (contraction auriculaire) négative. Pour Hecher et Campbell, cette anomalie précède de 12 à 24 heures la survenue d'anomalies sévères du RCF imposant l'extraction fœtale. Cet examen pourrait permettre, lorsqu'il est rassurant et à condition d'une surveillance quotidienne, une attitude expectative maximaliste dans des situations d'extrême prématurité, alors même que les indicateurs vélocimétriques plus classiques sont pathologiques (diastole ombilicale nulle, redistribution), voire en présence d'altérations équivoques du RCF.

2. Pathologies maternelles hypertensives

La prééclampsie, définie par l'association d'une pression artérielle supérieure à 140/90 mmHg et d'une protéinurie > 0.3g/24 h, représente, avec le retard de croissance auquel elle est souvent associée, la situation dans laquelle la décision d'extraction prématurée se posera le plus souvent. La prééclampsie sévère est définie par la présence de l'un des signes suivants : PA systolique supérieure à 160 mmHg ou diastolique supérieure à 110 mmHg, albuminurie supérieure à 5 g/24 heures, oligurie (<400 ml/24 h), thrombopénie (<100000/mm3), œdème pulmonaire, céphalées rebelles, troubles visuels, douleur épigastrique.
L'évolution naturelle de la prééclampsie sévère est marquée par des complications maternelles ou fœtales sérieuses, et il est établi que le seul traitement efficace est la terminaison de la grossesse. Si la décision est aisée à l'approche du terme de la grossesse, la survenue de la maladie à un terme précoce (avant 34 SA) pose à l'obstétricien un dilemme. Depuis plusieurs années certaines équipes prônent la possibilité d'une attitude expectative dans la prééclampsie sévère, sous couvert d'une surveillance maternelle et fœtale intensive qui ne peut s'envisager que dans une structure spécialisée11. Au moins deux études randomisées ont comparé les attitudes interventionnistes (déclenchement ou césarienne après 48 heures de corticothérapie) et conservatrices (corticothérapie, antihypertenseurs, sulfate de magnésium, surveillance materno-fœtale intensive) devant une prééclampsie sévère avant 34 SA. Ces études démontrent un bénéfice néonatal dans le groupe expectative, sans élévation significative des complications maternelles. Le gain moyen était de 7 jours dans l'étude de Odendaal et al. et de 15 jours (32.9 vs. 30.8 SA) dans l'étude de Sibai et al. Les deux études montrent une diminution significative du taux et de la durée d'admission en réanimation néonatale et du taux de complications néonatales liées à la prématurité.

Une forme particulièrement sévère de prééclampsie est représentée par le HELLP syndrome, dont la définition est biologique (hémolyse, cytolyse hépatique, thrombopénie). Depuis que Weinstein a forgé cet acronyme évocateur en 1982, une littérature abondante a alimenté les controverses sur la définition, la physiopathologie et la prise en charge du syndrome. Il est établi que les complications maternelles les plus sévères (CIVD, œdème pulmonaire, insuffisance rénale, éclampsie, hématome sous-capsulaire du foie) sont beaucoup plus fréquentes dans les formes complètes du syndrome12, par rapport aux formes partielles ou aux prééclampsies sévères sans aucun critère de HELLP syndrome. En revanche il apparaît que le pronostic néonatal en cas de naissance prématurée pour prééclampsie sévère est indépendant de la présence ou non d'un HELLP syndrome.
Depuis l'identification du HELLP syndrome, le principal sujet de discussion dans la littérature est l'indication du moment de l'extraction fœtale. La plupart des auteurs, s'appuyant sur le sombre pronostic materno-fœtal de cette affection et les dangers que ferait courir la poursuite de la grossesse, prônent l'interruption immédiate de la grossesse quelque soit son terme. Cette attitude n'est pas discutable au-delà de 32 SA. Il n'en va pas de même lorsque les risques liés à la grande prématurité sont pesés. Un certain nombre de publications font état de prolongation de la grossesse, voire de régression complète du syndrome avec un traitement symptomatique. Deux types d'attitude conservatrice sont ainsi proposés: l'une consiste à tenter de gagner 48 heures en instaurant un traitement par glucocorticoïdes pour accélérer la maturation pulmonaire fœtale et permettre le transfert maternel vers un centre périnatal spécialisé, puis proposer une césarienne ou un déclenchement du travail. L'autre attitude, beaucoup plus conservatrice, est décrite par Visser et Wallenburg dans une série de 128 HELLP syndromes avant 34 SA, appariés avec 128 prééclampsies sévères sans HELLP.13 La spécificité de cette équipe néerlandaise est d'utiliser un traitement de toutes les prééclampsies sévères par expansion volémique et vasodilatation, sous monitorage hémodynamique invasif (cathétérisme pulmonaire et radial). Ces auteurs rapportent une guérison complète dans 43% des cas, et seulement 17% des grossesses ont dû être interrompues dans les 48 heures suivant le diagnostic. La comparaison des résultats maternels et néonatals entre les deux groupes ne montre aucune différence, à l'exception des complications hémorragiques plus fréquentes dans le groupe HELLP. La conclusion des auteurs est que la présence d'un HELLP syndrome ne devrait pas modifier la prise en charge d'une prééclampsie sévère. A notre avis, ces résultats intéressants ne doivent pas être généralisés: ils sont le fruit d'une équipe entraînée depuis de longues années à des techniques de monitorage invasif, qui ne sont pas reproductibles dans tous les centres. De plus les auteurs ne précisent pas leurs indications d'extraction fœtale, et il est par exemple surprenant de constater que la survenue d'une crise d'éclampsie n'est pas une indication systématique à l'extraction.

3. La décision d'abandon fœtal


La survenue d'un retard de croissance majeur ou d'une prééclampsie sévère au deuxième trimestre de la grossesse amène parfois à se poser la question de l'interruption de grossesse à un moment où l'âge gestationnel et/ou l'estimation du poids fœtal ne permettent pas d'espérer une survie néonatale raisonnable ou sans risque. La précision de l'estimation pondérale du fœtus joue alors un rôle primordial. Nous utilisons habituellement la formule de Hadlock qui est souvent citée comme une des plus fiables pour l'estimation des fœtus hypotrophes, tout en sachant qu'une marge d'erreur de 10% existe. La précision de l'âge gestationnel est également fondamentale et ne peut se fonder dans ce contexte que sur l'échographie au premier trimestre.
Les décisions d'extraction dans ce contexte ne peuvent s'envisager que dans le cadre d'une collaboration obstétrico-pédiatrique étroite, en ayant déterminé à l'avance les limites que se fixe une équipe, et surtout en discutant au cas par cas en fonction du contexte clinique, familial, psychologique. Il est évident que toute décision doit tenir compte du choix des parents après information complète et loyale, mais qu'il n'est pas souhaitable de faire peser sur les parents la responsabilité de ce choix.
Dans notre équipe les limites inférieures pour envisager un " sauvetage " fœtal sont un âge gestationnel de 26 SA et un poids fœtal estimé de 600 grammes.

Conclusion

La décision du moment de la naissance dans un contexte de pathologie vasculaire de la grossesse demeure en 2002 un enjeu complexe, où sont intriqués des paramètres multiples relevant de la mère, du fœtus, mais aussi de choix d 'équipes et de considérations éthiques.
Les progrès spectaculaires de la réanimation néonatale depuis 10 ans amènent à réviser certaines attitudes obstétricales mais imposent la mise en place d'une évaluation rigoureuse et prolongée.
Le diagnostic non invasif de l'hypoxie et de l'acidose fœtale a certes progressé grâce notamment à l'apport de la vélocimétrie Doppler et de l'analyse informatisée du RCF, mais la décision finale repose toujours sur un faisceau d'arguments qu'il serait illusoire de vouloir présenter dans un schéma décisionnel rigide.
La prééclampsie sévère demeure une maladie redoutable pour la mère et le fœtus, dont les causes restent mal connues et le traitement décevant. Toutefois une meilleure compréhension des différents paramètres d'évaluation maternelle et surtout fœtale permet aujourd'hui de mieux choisir le moment opportun pour la naissance.

Références

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