Critères
ftaux d'extraction avant 32 semaines
François
Audibert
Hôpital
Antoine Béclère, Clamart
Résumé
Les
complications vasculaires de la grossesse (HTA gravidique, prééclampsie,
retard de croissance d'origine vasculaire) représentent la première
cause de morbidité et de mortalité maternelles et ftales.
En l'absence de traitement étiologique, la décision obstétricale
repose sur le choix du moment de l'accouchement, visant à diminuer les
risques maternels et ftaux. Nous décrivons les techniques et les
performances des examens évaluant la tolérance ftale : enregistrement
du rythme cardiaque ftal, vélocimétrie Doppler ombilicale,
cérébrale, veineuse, mais aussi les indications maternelles de
terminaison de la grossesse, dans la mesure où retard de croissance et
prééclampsie sont souvent associés.
Introduction
Au
cours des pathologies vasculaires de la grossesse (HTA, prééclampsie,
hypotrophie ftale d'origine vasculaire), la terminaison de la grossesse
a pour objectif de soustraire le ftus aux risques de mort in utero ou
d'hypoxie sévère et prolongée, et d'éviter pour
la mère les risques de complications sévères (hématome
rétro-placentaire, éclampsie, hémorragie cérébrale…).
Bien souvent cette décision se pose à un âge gestationnel
précoce (24-32 SA) où le choix du moment de l'accouchement représente
un compromis entre les risques maternels ou ftaux liés à
la prolongation de la grossesse d'une part, et les risques liés à
la grande prématurité d'autre part. L'objectif de ce travail est
de décrire les différents éléments de la décision
obstétricale dans ces situations, en examinant notamment les moyens d'évaluation
de la tolérance du ftus hypotrophe, les possibilités de
traitement conservateur dans les pathologies hypertensives maternelles, et la
prise de décision aux âges gestationnels critiques. Bien que ces
situations soient très souvent intriquées, nous décrirons
successivement les éléments de la décision d'extraction
pour indication ftale puis pour indication maternelle.
Les
difficultés à étudier le retard de croissance intra-utérin
débutent dès sa définition (entre 3 et 10% des grossesses
selon le seuil choisi). L'imperfection des courbes de référence
pour une population donnée et la multiplicité des étiologies
compliquent encore la tâche (dans cet exposé nous nous limiterons
au cas des RCIU d'origine vasculaire). Le terme de " retard de croissance
" lui-même est trompeur et il serait plus juste de parler de "
restriction de la croissance intra-utérine ". Les tentatives d'estimation
dynamique de la croissance ftale sont probablement plus proches de la
réalité mais moins aisées à utiliser en pratique
clinique. A la naissance, la définition est plus aisée, on parle
alors d'hypotrophie pour les nouveau-nés dont le poids est inférieur
au 3e, 5e, ou 10e percentile des courbes de référence pour l'âge
gestationnel.
Les progrès de l'échographie et de la vélocimétrie
permettent en 1999 de mieux appréhender le diagnostic de RCIU, d'estimer
le poids ftal avec une marge d'erreur acceptable, de mieux apprécier
la tolérance ftale à l'insuffisance placentaire afin de
choisir plus objectivement et plus efficacement le moment de la naissance.
1.
Surveillance du ftus hypotrophe et décision d'extraction
De
nombreux moyens d'analyse de la tolérance ftale sont utilisés.
Certains font l'objet d'une utilisation clinique routinière (compte des
mouvements actifs, analyse du rythme cardiaque ftal), d'autres relèvent
d'examens complémentaires plus ou moins spécialisés (échographie,
analyse informatisée du RCF, vélocimétrie Doppler de la
circulation artérielle) ou sont encore du domaine de la recherche (Doppler
veineux, rénal, mésentérique, gazométrie ftale...).
1.1.
Analyse du rythme cardiaque ftal (RCF)
L'analyse
du RCF représente le moyen de surveillance le plus répandu et
le plus simple à mettre en uvre. Pour la majorité des
auteurs ce paramètre reste l'élément majeur dans la décision
d'extraction prématurée du ftus hypotrophe.
Analyse
visuelle du RCF
L'enregistrement
est en général réalisé sur 20 à 30 minutes
et les paramètres analysés comportent la fréquence cardiaque
de base, la variabilité, les décélérations, les
accélérations, et la réactivité aux mouvements
ftaux ou aux stimulations. Une des limites de cette méthode est
le caractère subjectif de l'analyse, qui explique en partie ses performances
médiocres en terme de sensibilité et spécificité
pour la prédiction de la souffrance ftale et néonatale.
Dans une étude portant sur 290 ftus hypotrophes, Devoe rapporte
une sensibilité de 51% et une spécificité de 85% pour
prédire la morbidité néonatale. Gagnon constate que 35%
des tracés non réactifs et 80% des décélérations
reconnus par une analyse informatisée du RCF ne sont pas identifiés
à l'il nu.
Analyse
informatisée du RCF
Les
limites de l'analyse visuelle ont conduit de nombreux auteurs à proposer
une analyse automatisée du RCF. Le système le plus utilisé
actuellement est le système Oxford 8000 de Dawes et Redman, qui fournit
une analyse objective du rythme de base, de la variabilité à
court terme (battement à battement) et à long terme, et des
décélérations. Le paramètre qui apparaît
le plus intéressant est la variabilité à court terme
(VCT), dont l'analyse visuelle est impossible et qui serait étroitement
corrélé à l'existence d'une hypoxie ftale. Dawes
n'observe aucun décès in utero lorsque la VCT est supérieure
à 3 millisecondes, y compris en présence de décélérations.
A l'inverse la majorité des ftus présentant une VCT inférieure
à 2.6 ms seront en situation d'acidose métabolique à
la naissance1.
Dans une étude portant sur 58 ftus hypotrophes, Visser et al.2
observent une hypoxie et/ou une acidose ftale chez 67% des ftus
avec décélérations, 63% des ftus sans accélération,
et 89% des ftus dont la variation est inférieure à 5 battements
par minute.
Un point important mérite d'être connu dans l'interprétation
d'un RCF microoscillant : l'administration maternelle de bétaméthasone
diminue de façon très significative la variabilité du
RCF dans les 3 à 4 jours qui suivent le traitement3. Cet effet est
entièrement réversible et ne s'accompagne pas d'une altération
de l'oxygénation ftale. Ceci peut conduire à des extractions
prématurées injustifiées. Cet effet n'est pas observé
avec la dexaméthasone.
1.2.
Analyse échographique du bien-être ftal
L'échographie
permet d'apprécier un grand nombre de paramètres évaluant
la tolérance ftale dans des situations d'hypotrophie ou de pathologie
maternelle.
Mouvements
actifs ftaux
Gagnon et al. ont étudié les mouvements de ftus hypotrophes
sans acidose à différents âges gestationnels. Comparés
à des ftus eutrophiques appariés pour l'âge, les
mouvements étaient réduits en moyenne de 60% entre 26 et 32
SA et de 40% entre 33 et 40 SA.4
Mouvements
respiratoires
La présence de mouvements respiratoires ftaux (MRF) est considérée
comme un signe de bien-être ftal. Gagnon et al. ont constaté
une réduction significative de ces mouvements chez des ftus hypotrophes
entre 26 et 32 SA. En revanche cette différence n'apparaît plus
au-delà de 33 SA. Pour d'autres auteurs les MRF ne sont diminués
que pour une proportion non significative des hypotrophes. En pratique l'intérêt
clinique de ce signe considéré isolément paraît
limité.
Evaluation
de la quantité de liquide amniotique
Un oligoamnios est fréquemment observé chez les ftus présentant
un RCIU. Il est souhaitable d'en faire une évaluation quantitative
par la mesure de la plus grande citerne ou le calcul de l'index amniotique.
Cet oligoamnios est secondaire à une oligurie ftale, elle-même
liée à une redistribution des flux sanguins ftaux avec
élévation des résistances des artères rénales.
Le risque majeur de cet oligoamnios est la compression funiculaire, ce qui
justifie une surveillance intensive du RCF dans cette situation.
Profil
biophysique
Ce
score d'évaluation échographique du bien-être ftal,
proposé par Manning5 en 1980, regroupe différents paramètres
(tableau I). La durée de l'examen doit être de 20 à 30
minutes, chaque paramètre est coté 0 ou 2, le score varie donc
de 0 à 10. Pour l'auteur un score supérieur à 8 est considéré
comme normal, un score inférieur à 4 impose l'extraction ftale
en raison du risque élevé de mort in utero.
Paramètres
|
Normal (score=2)
|
Anormal
(score=0)
|
Mouvements
respiratoires |
=1
épisode en 30 min |
absent |
Mouvements
du corps |
=3 mouvements en 30 min |
= 2 épisodes |
Tonus
ftal |
=
1 extension active avec retour en flexion membres |
extension
lente ou absence de mouvement |
RCF
|
=
2 accélérations de =15 bpm |
<
2 épisodes |
Liquide
amniotique |
=
1 citerne mesurant =1 cm |
aucune
citerne = 1 cm |
Tableau
I. Score du profil biophysique (Manning)
En 1983,
Vintzileos propose d'associer à ce score un indice de maturité
placentaire.
De nombreuses études ont démontré une corrélation
entre l'acidose ftale et le profil biophysique. Ribbert retrouve une
corrélation significative entre le profil biophysique et la gazométrie
ftale obtenue par cordocentèse chez 14 ftus hypotrophes.
Manning et al.6 forment les mêmes conclusions sur une population de
104 hypotrophes, où un score égal à 0 était toujours
associé à un pH néonatal <7.20 et un score égal
à 10 était toujours associé à un pH>7.20. La
valeur prédictive positive d'un score " équivoque "
(égal à 6) pour un pH<7.25 était de 10% dans cette
série.
Les effets de l'hypoxie puis de l'acidose ftale altèrent les
différents paramètres du score de façon séquentielle
et progressive. La réactivité et la variabilité du RCF
seraient diminuées en premier, suivies par les mouvements respiratoires,
les mouvements actifs, et enfin le tonus ftal en cas d'acidose sévère.
C'est pourquoi les différents éléments du score ne doivent
pas être interprétés de la même façon : devant
une variabilité normale du RCF avec liquide amniotique en quantité
normale, la probabilité d'une acidose est minime et la recherche des
autres critères devient facultative. En revanche l'altération
de l'un de ces paramètres impose la vérification des mouvements
respiratoires et ftaux.
En conclusion le profil biophysique est étroitement corrélé
au degré d'hypoxie et/ou d'acidose ftale. Toutefois son utilité
clinique est limitée par la durée nécessaire à
l'examen d'autant qu'il doit être idéalement répété
quotidiennement. De plus sa valeur prédictive négative de souffrance
ftale n'est pas meilleure que l'analyse du RCF, éventuellement
couplée à la simple évaluation du liquide amniotique.
Enfin aucune étude randomisée ne permet actuellement de dire
si l'extraction ftale décidée sur un profil anormal apporte
un bénéfice néonatal.
1.3.
Vélocimétrie Doppler
L'avènement
de la vélocimétrie ftale depuis une quinzaine d'années
a bouleversé les modalités de la surveillance ftale en
cas de RCIU. Il est désormais bien établi que le ftus
répond à l'hypoxie par une redistribution des flux sanguins
au profit du cerveau, du cur et des surrénales, et que le Doppler
permet de mesurer ce phénomène.
Doppler
à l'artère ombilicale
Il
existe une association indiscutable entre un Doppler ombilical altéré
et la survenue d'un retard de croissance intra-utérin et/ou d'une souffrance
ftale dans une population à haut risque7. En particulier l'existence
d'un index diastolique nul (IDN), et a fortiori d'une inversion du flux en
diastole (reverse flow) est une situation à très haut risque:
Nicolaides retrouve 80% de ftus hypoxiques et 46% d'acidoses sur une
série d'hypotrophes avec IDN8. Dans une étude multivariée,
Yoon montre que le Doppler ombilical est un meilleur prédicteur d'hypoxie
et d'acidose ftale que le profil biophysique9.
L'IDN est associé à une morbidité et une mortalité
élevées. Farine a colligé toutes les études rapportant
l'issue de grossesses avec IDN ombilical ou reverse flow et retrouve une mortalité
néonatale de 36% et une association très forte avec un accouchement
par césarienne, un accouchement prématuré (âge
gestationnel moyen de 30,1 à 33,5 SA selon les études), une
hypotrophie ftale (83% des cas en moyenne), et une admission en réanimation
néonatale (96 à 100% des cas).
L'interprétation de ce résultat est toutefois limitée
par le fait que des délais très variables ont été
décrits entre la découverte d'un IDN et l'apparition d'anomalies
du RCF motivant l'extraction ftale, allant de moins de 24 heures à
plusieurs semaines.
La décision d'extraire un ftus sur la présence d'un IDN
est controversée depuis le début des études sur le Doppler
ombilical. Karsdorp estime que, compte tenu des risques très élevés
de décès et de complications périnatales, il est recommandé
de réaliser une césarienne si l'âge gestationnel et l'estimation
du poids ftal le permettent. Pour Farine, la plupart des équipes
ont adopté une conduite moins agressive et ne prennent pas de décision
sur le seul résultat du Doppler ombilical. Il n'existe malheureusement
aucun essai randomisé ayant tenté de répondre à
cette question. A ce jour il n'est certainement pas justifié d'extraire
un ftus hypotrophe quel que soit l'âge gestationnel (au moins
avant 34 SA) sur la seule notion d'une diastole ombilicale nulle.
Doppler
aux artères cérébrales
Les phénomènes d'adaptation ftale à l'hypoxie sont
connus depuis longtemps, mais leurs conséquences à court et
à long terme restent controversées. Il est tentant d'utiliser
l'outil de la vélocimétrie Doppler dans le but d'évaluer
ces phénomènes d'adaptation et de faciliter la décision
d'extraction.
Les premières explorations vélocimétriques du flux cérébral
ont été décrites par Marsal au niveau de la carotide
interne puis par Wladimiroff au niveau de l'artère cérébrale
moyenne. L'utilisation de l'artère cérébrale moyenne
s'est progressivement imposée en raison de son caractère reproductible;
de plus l'artère carotide interne vascularise également les
territoires de la face et du cou, dans lesquels l'effet d'épargne cérébrale
est absent, ce qui peut perturber l'interprétation des mesures. L'artère
cérébrale moyenne est facilement repérée sur une
coupe du polygone de Willis, plus basse que le diamètre bipariétal,
au contact de l'aile du sphénoïde. L'utilisation du Doppler couleur
facilite encore ce repérage.
L'étude du rapport entre les résistances cérébrales
et ombilicales est apparu plus prédictif de l'état ftal
et néonatal que la seule analyse du flux cérébral, venant
confirmer l'existence du phénomène de redistribution. Ce rapport
est utilisé par la plupart des auteurs.
De nombreuses études ont démontré qu'il existe une corrélation
entre la redistribution cérébrale et l'hypoxie ftale,
se basant sur l'étude des gaz du sang par cordocentèse ou à
la naissance. Pour la majorité des auteurs le rapport des résistances
cérébrales et ombilicales est mieux corrélé à
l'état ftal que l'étude isolée des résistances
ombilicales ou cérébrales. Pour certains l'apport du Doppler
cérébral par rapport au Doppler ombilical seul est minime.
Ces faits confirment sans ambiguïté le phénomène
de redistribution mais ne démontrent pas l'utilité clinique
de ces mesures pour la décision du moment de l'extraction ftale.
En effet il est connu que l'effet d'épargne cérébrale
peut être présent durant plusieurs semaines chez un ftus
hypotrophe avant l'apparition de décélérations tardives.
A l'inverse il n 'est pas démontré que ce phénomène,
s'il se prolonge, ne s'accompagne d'effets délétères
à long terme sur le cerveau ftal.
On peut encore regretter l'absence de toute étude randomisée
interventionnelle cherchant à démontrer si l'extraction d'un
ftus hypotrophe avec redistribution de la circulation cérébrale
apporte ou non un bénéfice néonatal et à long
terme.
Dopplers
veineux
Parmi les différents sites d'évaluation de la circulation ftale
étudiés, le canal d'Arantius (ductus venosus) paraît l'un
des plus prometteurs. Il s'agit d'un des trois shunts spécifiques de
la circulation ftale, situé entre la veine ombilicale et la veine
cave inférieure, proche de l'oreillette droite. Il semble que ce vaisseau
joue un rôle clé dans la distribution en oxygène du ftus,
et que des modifications du flux, notamment au moment de la contraction auriculaire,
traduisent une détérioration de la fonction myocardique ftale
et précèdent de peu la survenue de la mort ftale. Hecher10
a comparé la vélocimétrie artérielle et veineuse
de 23 ftus hypotrophes sévères à l'équilibre
acido-basique obtenu par cordocentèse. Il a pu montrer qu'en présence
d'une hypoxie modérée (pH entre -2 et -4 SD) la quasi-totalité
des ftus présente une redistribution de la circulation cérébrale
alors que les flux au niveau du ductus venosus restent normaux. Lorsque l'hypoxie
s'aggrave ou que survient une acidose, les index veineux deviennent pathologiques
avec en particulier une onde a (contraction auriculaire) négative.
Pour Hecher et Campbell, cette anomalie précède de 12 à
24 heures la survenue d'anomalies sévères du RCF imposant l'extraction
ftale. Cet examen pourrait permettre, lorsqu'il est rassurant et à
condition d'une surveillance quotidienne, une attitude expectative maximaliste
dans des situations d'extrême prématurité, alors même
que les indicateurs vélocimétriques plus classiques sont pathologiques
(diastole ombilicale nulle, redistribution), voire en présence d'altérations
équivoques du RCF.
2.
Pathologies maternelles hypertensives
La
prééclampsie, définie par l'association d'une pression
artérielle supérieure à 140/90 mmHg et d'une protéinurie
> 0.3g/24 h, représente, avec le retard de croissance auquel elle
est souvent associée, la situation dans laquelle la décision d'extraction
prématurée se posera le plus souvent. La prééclampsie
sévère est définie par la présence de l'un des signes
suivants : PA systolique supérieure à 160 mmHg ou diastolique
supérieure à 110 mmHg, albuminurie supérieure à
5 g/24 heures, oligurie (<400 ml/24 h), thrombopénie (<100000/mm3),
dème pulmonaire, céphalées rebelles, troubles visuels,
douleur épigastrique.
L'évolution naturelle de la prééclampsie sévère
est marquée par des complications maternelles ou ftales sérieuses,
et il est établi que le seul traitement efficace est la terminaison de
la grossesse. Si la décision est aisée à l'approche du
terme de la grossesse, la survenue de la maladie à un terme précoce
(avant 34 SA) pose à l'obstétricien un dilemme. Depuis plusieurs
années certaines équipes prônent la possibilité d'une
attitude expectative dans la prééclampsie sévère,
sous couvert d'une surveillance maternelle et ftale intensive qui ne peut
s'envisager que dans une structure spécialisée11. Au moins deux
études randomisées ont comparé les attitudes interventionnistes
(déclenchement ou césarienne après 48 heures de corticothérapie)
et conservatrices (corticothérapie, antihypertenseurs, sulfate de magnésium,
surveillance materno-ftale intensive) devant une prééclampsie
sévère avant 34 SA. Ces études démontrent un bénéfice
néonatal dans le groupe expectative, sans élévation significative
des complications maternelles. Le gain moyen était de 7 jours dans l'étude
de Odendaal et al. et de 15 jours (32.9 vs. 30.8 SA) dans l'étude de
Sibai et al. Les deux études montrent une diminution significative du
taux et de la durée d'admission en réanimation néonatale
et du taux de complications néonatales liées à la prématurité.
Une
forme particulièrement sévère de prééclampsie
est représentée par le HELLP syndrome, dont la définition
est biologique (hémolyse, cytolyse hépatique, thrombopénie).
Depuis que Weinstein a forgé cet acronyme évocateur en 1982, une
littérature abondante a alimenté les controverses sur la définition,
la physiopathologie et la prise en charge du syndrome. Il est établi
que les complications maternelles les plus sévères (CIVD, dème
pulmonaire, insuffisance rénale, éclampsie, hématome sous-capsulaire
du foie) sont beaucoup plus fréquentes dans les formes complètes
du syndrome12, par rapport aux formes partielles ou aux prééclampsies
sévères sans aucun critère de HELLP syndrome. En revanche
il apparaît que le pronostic néonatal en cas de naissance prématurée
pour prééclampsie sévère est indépendant
de la présence ou non d'un HELLP syndrome.
Depuis l'identification du HELLP syndrome, le principal sujet de discussion
dans la littérature est l'indication du moment de l'extraction ftale.
La plupart des auteurs, s'appuyant sur le sombre pronostic materno-ftal
de cette affection et les dangers que ferait courir la poursuite de la grossesse,
prônent l'interruption immédiate de la grossesse quelque soit son
terme. Cette attitude n'est pas discutable au-delà de 32 SA. Il n'en
va pas de même lorsque les risques liés à la grande prématurité
sont pesés. Un certain nombre de publications font état de prolongation
de la grossesse, voire de régression complète du syndrome avec
un traitement symptomatique. Deux types d'attitude conservatrice sont ainsi
proposés: l'une consiste à tenter de gagner 48 heures en instaurant
un traitement par glucocorticoïdes pour accélérer la maturation
pulmonaire ftale et permettre le transfert maternel vers un centre périnatal
spécialisé, puis proposer une césarienne ou un déclenchement
du travail. L'autre attitude, beaucoup plus conservatrice, est décrite
par Visser et Wallenburg dans une série de 128 HELLP syndromes avant
34 SA, appariés avec 128 prééclampsies sévères
sans HELLP.13 La spécificité de cette équipe néerlandaise
est d'utiliser un traitement de toutes les prééclampsies sévères
par expansion volémique et vasodilatation, sous monitorage hémodynamique
invasif (cathétérisme pulmonaire et radial). Ces auteurs rapportent
une guérison complète dans 43% des cas, et seulement 17% des grossesses
ont dû être interrompues dans les 48 heures suivant le diagnostic.
La comparaison des résultats maternels et néonatals entre les
deux groupes ne montre aucune différence, à l'exception des complications
hémorragiques plus fréquentes dans le groupe HELLP. La conclusion
des auteurs est que la présence d'un HELLP syndrome ne devrait pas modifier
la prise en charge d'une prééclampsie sévère. A
notre avis, ces résultats intéressants ne doivent pas être
généralisés: ils sont le fruit d'une équipe entraînée
depuis de longues années à des techniques de monitorage invasif,
qui ne sont pas reproductibles dans tous les centres. De plus les auteurs ne
précisent pas leurs indications d'extraction ftale, et il est par
exemple surprenant de constater que la survenue d'une crise d'éclampsie
n'est pas une indication systématique à l'extraction.
3.
La décision d'abandon ftal
La survenue d'un retard de croissance majeur ou d'une prééclampsie
sévère au deuxième trimestre de la grossesse amène
parfois à se poser la question de l'interruption de grossesse à
un moment où l'âge gestationnel et/ou l'estimation du poids ftal
ne permettent pas d'espérer une survie néonatale raisonnable ou
sans risque. La précision de l'estimation pondérale du ftus
joue alors un rôle primordial. Nous utilisons habituellement la formule
de Hadlock qui est souvent citée comme une des plus fiables pour l'estimation
des ftus hypotrophes, tout en sachant qu'une marge d'erreur de 10% existe.
La précision de l'âge gestationnel est également fondamentale
et ne peut se fonder dans ce contexte que sur l'échographie au premier
trimestre.
Les décisions d'extraction dans ce contexte ne peuvent s'envisager que
dans le cadre d'une collaboration obstétrico-pédiatrique étroite,
en ayant déterminé à l'avance les limites que se fixe une
équipe, et surtout en discutant au cas par cas en fonction du contexte
clinique, familial, psychologique. Il est évident que toute décision
doit tenir compte du choix des parents après information complète
et loyale, mais qu'il n'est pas souhaitable de faire peser sur les parents la
responsabilité de ce choix.
Dans notre équipe les limites inférieures pour envisager un "
sauvetage " ftal sont un âge gestationnel de 26 SA et un poids
ftal estimé de 600 grammes.
Conclusion
La
décision du moment de la naissance dans un contexte de pathologie vasculaire
de la grossesse demeure en 2002 un enjeu complexe, où sont intriqués
des paramètres multiples relevant de la mère, du ftus, mais
aussi de choix d 'équipes et de considérations éthiques.
Les progrès spectaculaires de la réanimation néonatale
depuis 10 ans amènent à réviser certaines attitudes obstétricales
mais imposent la mise en place d'une évaluation rigoureuse et prolongée.
Le diagnostic non invasif de l'hypoxie et de l'acidose ftale a certes
progressé grâce notamment à l'apport de la vélocimétrie
Doppler et de l'analyse informatisée du RCF, mais la décision
finale repose toujours sur un faisceau d'arguments qu'il serait illusoire de
vouloir présenter dans un schéma décisionnel rigide.
La prééclampsie sévère demeure une maladie redoutable
pour la mère et le ftus, dont les causes restent mal connues et
le traitement décevant. Toutefois une meilleure compréhension
des différents paramètres d'évaluation maternelle et surtout
ftale permet aujourd'hui de mieux choisir le moment opportun pour la naissance.
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