Les XXIIe JTA
> Présentation
> Programme
> Comité scientifique
> Intervenants
> Contacter les JTA

En pratique
> S'inscrire
> Renseignements
> Hébergement
> Programme social
> Post-congrès

Les archives
> Andrologie
> Biologie
> Gynécologie
> Infertilité
> Médecine foetale
> Néonatologie
> Nutrition
> Obstétrique
> Pédiatrie
> Périnatalité
> Périnéologie
> Phlébologie
> Psychosomatique

Rechercher

Titre: Rituels de deuil ou travail de deuil : à propos des MFIU à la Maternité
Année: 1999
Auteurs: - Bydlowski M.
Spécialité: Obstétrique
Theme: Mort fœtale in utero

Rituels de deuil ou travail de deuil

à propos des MFIU à la Maternité

M. BYDLOWSKI

 

La mort d’un enfant à la maternité est toujours un drame ; un drame pour l’équipe soignante et pour l’accoucheur dont la vocation est de donner la vie, de défendre cette vie face aux pathologies qui peuvent survenir ; mais surtout c’est un drame pour les jeunes parents que l’événement saisit le plus souvent de façon totalement imprévue. La fréquence n’en est pas négligeable, loin de là, car au chiffre moyen de un pour mille des morts néonatales spontanées, il faut ajouter toutes les interruptions de grossesses tardives (ITG) décidées raisonnablement devant les graves malformations incompatibles avec une vie extrautérine.

Face à ce phénomène, il nous a paru intéressant d’examiner plusieurs problèmes :

1. quelles sont les traditions socio-religieuses devant cet événement qui intéresse tous les groupes humains ?

2. Quelles traditions ont valeur de "rituel de deuil", quels en sont le sens et la fonction sociale ?

3. Qu’en est- il du travail de deuil psychique dans cette circonstance particulière ?

4. Existe-t-il des issues spécifiques à cette problématique de deuil ?

1. Dans le passé, la grande fréquence des morts périnatales posait essentiellement la question de leur appartenance à la communauté humaine spirituelle. Dans la France catholique, la question était celle du baptême ou au minimum de l’ondoiement permettant l’inhumation ; non ondoyé le petit corps n’avait pas statut d’humain et pas droit à des obsèques. Il existait cependant des zones de certains cimetières intitulées "cimetière de répit" ou leur inhumation provisoire leur permettait d’attendre paisiblement le Jugement dernier. Les historiens rapportent d’ailleurs que les enfants morts au moment des couches figuraient souvent sur les registres d’église et parfois sur les tableaux représentant l’ensemble de la famille, père, mère et enfants morts et vivants. Cette tradition de l’ondoiement du mort-né existait encore dans les maternités tenues par des sages-femmes appartenant à un ordre religieux. Avec la laïcisation de l’hôpital, les moeurs ont changé et toute liberté est laissée aux parents infortunés de récupérer leur dépouille et de l’enterrer à leurs frais à condition qu’il s’agisse d’un foetus de plus de 27 semaines (ou si l'âge du foetus n'est pas connu, un poids de 1000 grammes selon l'O.M.S.). Sinon, et depuis quelques années, une inhumation collective est prévue dans les cimetières municipaux (à Thiais pour la région parisienne).

2. Le rituel de deuil

La question qui se pose est la suivante : dans la grande majorité des situations cliniques que nous rencontrons, les parents choqués par la perte qu’ils viennent de subir ont une réaction défensive de rejet. Ils refusent d’être confrontés à la dépouille de cet enfant mort dans laquelle ils ne reconnaissent pas leur espoir d’enfant, ils refusent même d’en entendre parler et préfèrent rentrer au plus vite à leur domicile, tenter d’oublier ce qu’ils voudraient n’être qu’un non-événement. L’équipe médicale de son côté, également choquée par ce qu’elle ne peut considérer que comme un échec de son rôle d’assurer la sécurité à la naissance, n’a pas forcément vocation de s’opposer à cette conduite d’évitement de la réalité.

Depuis quelques années sous l’impulsion de praticiens courageux ou motivés, la plupart des équipes tend à proposer aux parents un minimum de rituel de deuil ; il s’agit soit de contempler un moment le petit corps, en salle de travail, ou plus tard à l’amphithéâtre, de prendre une photo, de l’inscrire à l’Etat Civil, ou de conserver un bracelet d’identification ; et il est proposé aux parents d’envisager une inhumation, bien entendu facultative.

Ces propositions exigent des membres de l’équipe médicale un engagement émotionnel, d’autant plus qu’elles sont parfois mal reçues par des parents très en désarroi ou en colère.

La justification de ces démarches tiendrait néanmoins dans la conviction non plus religieuse mais éthique que quelque chose de bon est à attendre d’un rituel de deuil. Nous englobons sous le terme de rituel, tous les gestes, les cérémonies, conservation d’objets, inscription officielle permettant de donner à l’enfant disparu une place au monde des vivants parmi lesquels il n’a pas eu le temps de se situer. Il s’agit de faire exister le mort par des preuves tangibles - aussi tangibles qu’une stèle funéraire par exemple -, de le faire exister dans la réalité et non seulement dans l’imaginaire, ailleurs que dans la seule mémoire de ceux qui l’ont directement connu. L’inhumation des défunts, depuis l’époque préhistorique, est donnée comme la première marque d’humanité d’homo sapiens ; elle dépasse largement la simple observance d’une obligation religieuse.

Le rituel permet d’éviter la négation pure et simple de l’existence même brève du disparu, d’éviter l’attente de son retour. L’expérience des guerres ou des persécutions nous a d’ailleurs largement appris le caractère néfaste des deuils sans sépultures, sans traces sensorielles, ces morts que l’on ne peut que continuer d’attendre, éventuellement toute une vie.

3 . Le rituel et/ou le travail de deuil

Il y a une très grande confusion des esprits autour de ces qustions sensibles. En effet il semble qu’une confusion se soit installée entre ces deux registres du rituel social et du deuil en tant que processus psychologique ; à notre avis le rituel ne garantit pas le deuil psychique, loin de là. Si d’ailleurs il l’assurait, alors que tous les vivants décédés sont régulièrement inhumés, on ne devrait, en clinique, jamais rencontrer de deuil pathologique! Si le rituel de deuil est une mesure généralisée pour se concilier le mort, lui assurer une existence - fut-elle funéraire - qui le rende compatible avec notre vie ordinaire, il est clair qu’il échoue néanmoins à éviter la constitution de deuils pathologiques observés si fréquemment en clinique psychiatrique.

Par deuil pathologique nous entendons ces états dépressifs qui excèdent la durée habituelle du deuil ; la sagesse populaire connaissait ce "timing" du deuil normal qui prescrivait aux veuves et aux orphelins une pleine année en noir absolu et une autre année dite "de demi-deuil" en mauve ou en violet. Au-delà de deux années après la perte, la persistance de la dépression, le désintérêt pour les activités vivantes, doivent faire penser qu’un deuil anormal est en train de se mettre en place. La tristesse n’est pas le seul symptôme de ce deuil excessif et durable, il s’y ajoute les sentiments de culpabilité à l’égard du disparu ; l’endeuillée s’accuse de cette perte (même s'il s'agit d'une ITG où la responsabilité est prise par le corps médical) ; il s’y ajoute des plaintes somatiques, parfois sans substrat. Mais l’endeuillée peut aussi développer une authentique pathologie organique. Quant à l’infertilité secondaire, elle n’est pas rare. Le deuil pathologique peut même prendre l’allure d’une véritable mélancolie, insomnie, ruminations, repli sur soi, le tableau clinique peut être assez sévère pour être qualifié de "psychiatrique" et entraîner les mesures qui s’imposent (médications, hospitalisation).

Il apparaît dans notre expérience que la mort périnatale, et surtout la mort foetale intra-utérine, réalise les conditions idéales de constitution d’un deuil pathologique : pour la jeune femme qui traverse cette épreuve, l’irréalité est souvent complète : elle ne voit pas le corps, parfois même comme c’est le cas dans l’ITG, elle a bénéficié d’une anesthésie qui accentue l’irréalité d’une naissance sans enfant ; imaginairement l’enfant attendu reste "encastré", non accouché, non séparé. Si en plus il n’y a ni rituel, ni condoléances des proches qui souvent vont se taire par gêne ou culpabilité, la jeune mère, en silence, et à l’insu de tous, va continuer de l’attendre ; nous avons ainsi connu une femme qui après un hématome rétroplacentaire fatal pour son foetus a continué de percevoir les mouvements actifs pendant des mois, véritable "foetus fantôme"  (comme on dit "membre fantôme").

L’institution d’un minimum de rituels assurant la réalité de la naissance est donc certainement nécessaire, mais il ne faut pas s’imaginer que ce sera une mesure suffisante.

Bien des femmes ayant traversé une MFIU ou une ITG sont référées au psychiatre des mois ou des années après l’accident pour une dépression persistante et le travail psychothérapique avec celles-ci est d’autant plus difficile qu’aucun élément de réalité n’est intervenu à temps. Ainsi Mme T. a eu une ITG pour anencéphalie ; un an plus tard elle est toujours infertile et a développé la conviction de sa responsabilité de la malformation (elle aurait absorbé une médication potentiellement tératogène). Ce cas, comme bien d'autres, montre que le fait que la décision d'ITG soit prise par le corps médical ne suffit pas à déculpabiliser la jeune mère. Une autre femme, 10 ans après la MFIU, et consultant pour dépression torpide, témoigne que depuis cette date sa vie s'est arrêtée, son mariage s'est défait, pas d'enfant.

4. L'enfant suivant

Un autre danger guette la femme ayant traversé une MFIU. Ce danger a bien été illustré par le travail du Dr. C. Squirès, fait dans le service de E. Papiernik, sur les conséquences psychologiques de la MFIU. Il s'agit du développement d'une interaction inadéquate avec l'enfant suivant lorsqu'une grossesse ultérieure survient. La jeune femme non guérie de son deuil aura tendance à confondre les deux grossesses, l'enfant suivant sera mal individualisé, l'interaction avec lui, comme le montrent les enregistrements video, sera inadéquate, soit trop intrusive, soit au contraire trop pauvre et dans les deux cas source d'une véritable "maltraitance" involontaire. La prise en charge psychologique de ces femmes apparait comme une urgence pendant cette deuxième grossesse. En outre C. Squires montre bien que dans sa population il n'y a pas de différence entre les femmes ayant bénéficié de rituel de deuil et les autres. Ce point illustre bien qu'il ne faut pas confondre rituel et travail psychique de deuil, ce dernier ne pouvant être assuré que par une intervention psychothérapique.

5. Perspectives thérapeutiques

Il est clair qu'il est indispensable de proposer aux parents infortunés de voir, de photographier ou d'inhumer la dépouille de leur enfant. Il est néanmoins impossible de vaincre leurs résistances s'ils s'y opposent énergiquement ; d'ailleurs leur acceptation spontanée et immédiate témoignerait d'un travail de deuil déja débutant et serait de pronostic favorable. Par contre, leur refus témoigne habituellement d'un déni (déni du décès, déni de l'existence même du foetus) qu'il est illusoire de vouloir vaincre, le déni étant certainement le système de défense le plus efficace, face à une intense douleur psychique.

Par contre, lorsque survient une nouvelle grossesse, il est essentiel de proposer des entretiens psychothérapiques qui permettront à la femme de faire la part du passé et de l'actuel.

Dans notre expérience, les femmes qui surmontent avec le meilleur succès possible cet événement douloureux seront celles qui seront capables dans un deuxième temps de développer une activité créatrice : nous avons ainsi l'exemple de femmes ayant, après MFIU, l'une monté une petite affaire de vêtements pour bébés, une autre créé des meubles

de chambre d'enfants. Un exemple illustre est celui de la cinéaste Jane Campion qui, présentant son beau film "Portrait d'une dame" d'après l'oeuvre de Henry James, déclarait qu'il avait été réalisé après la perte personnelle d'un bébé. Elle y décrit d'ailleurs une jeune femme qui, après la perte d'un enfant, voit son caractère se transformer, devenir dur, fermé, intransigeant, tout caractère d'une dépression continue qui ne peut pas s'exprimer.

En conclusion, la proposition de quelques rituels de deuil autour du mort-né, pour les femmes traversant cette perte, est certainement un progrès dans nos maternité ; progrès dans l'humanisation de cette naissance infortunée, étape vers la possibilité d'un deuil psychique. Mais il ne faut en aucune façon confondre l'acceptation d'un rituel et l'élaboration d'un deuil psychique véritable. Dans notre expérience, celui-ci se fait très difficilement et lentement ; il est indispensable d'aider ces femmes lorsqu'elles développent une nouvelle grossesse car il y a un risque majeur de constitution d'une interaction dysharmonieuse et pathogène avec le nouvel enfant qui risque d'être confondu avec le disparu.