Chapitre VI - La ménopause et l'ovaire
HORMONOTHERAPIE ET CANCER DE L'OVAIRE
A. DE GAYFFIER, J.-P. LEFRANC, L. JUNCKER ET D. BOURGEOIS*
Clinique chirurgicale et gynécologique (Pr J. Blondon), Hôpital de la
Pitié-Salpétrière, 47-83 boulevard de l'Hôpital, 75651 Paris Cedex 13.
INTRODUCTION
En France, le cancer de l'ovaire est actuellement la troisième cause de décès par
cancer chez la femme, après ceux du sein et du colon-rectum. Durant les vingt dernières
années, de nombreuses hypothèses concernant l'étiologie de ce cancer ont été
formulées. A l'évidence et comme pour d'autres cancers gynécologiques, il semble
exister un rôle particulier des hormones sexuelles dans la pathogénie du cancer de
l'ovaire. Nous étudierons donc les effets des contraceptifs oraux et des traitements
hormonaux substitutifs de la ménopause sur le risque de survenue de cancer de l'ovaire.
CONTRACEPTION ORALE ET CANCER DE L'OVAIRE
La prise de contraceptifs oraux est, dans la majorité des études, retrouvée comme un
facteur protecteur. Cet effet n'est pas retrouvé pour les microprogestatifs. Deux
hypothèses ont été avancées pour expliquer cette diminution du risque. La première
repose sur le fait que plus les cicatrices d'ovulations sont nombreuses, plus le risque
d'apparition d'un cancer est élevé [3]. La contraception orale supprimant l'ovulation,
cet effet protecteur serait ainsi manifeste. Certains ont d'ailleurs proposé de définir
un index de nombre d'années, pour quantifier ce risque [2]. Dans la seconde hypothèse,
la diminution par les oestroprogestatifs combinés d'un taux initialement élevé de gonadotrophine
hypophysaire réduirait le risque [14].
Une vingtaine d'études initiées dans les années 70 et trois métaanalyses ont ainsi
clairement démontré l'effet protecteur important des contraceptifs oraux. Le risque
relatif varie dans les études entre 0,25 et 0,8. Seules deux études ont des résultats
différents, voire contradictoires : l'une conduite par Hartge [9] aux Etats-Unis
(OR : 1,0 ; 95 % CI : 0,7 - 1,7), l'autre par Shu [15] en Chine
(OR : 1,8 ; 95 % CI : 0,8 - 4,1). Cet effet protecteur augmenterait
également avec la durée de la prise. Les résultats de plusieurs études montrent une
diminution du risque à 0,5 lorsque la durée de la prise est supérieure à cinq ans.
Hankinson et al. estiment que le risque chute de 11 % par année d'utilisation,
jusqu'à 46 % après cinq ans [7]. Cependant, après six ans ou plus de prise de
contraception orale, le bénéfice serait moins marqué [20].
Cette protection existerait également même en cas de prise sur une courte période et
persisterait dix ans et plus après l'arrêt [5, 7, 17]. L'âge des patientes au moment de
la prise de la contraception orale a également un rôle. En effet, certains auteurs
trouvent une diminution du risque encore plus importante quand la première prise a eu
lieu avant 25 ans [2, 6]. Cet effet protecteur est retrouvé de façon similaire chez les
patientes nullipares ou multipares [18]. Concernant les tumeurs "borderline", il
semble que la contraception orale ait aussi un effet protecteur, sans que cela soit aussi
net dans le temps.
Tableau I - Risque relatif de cancer de l'ovaire en fonction de la durée du traitement
par contraceptifs oraux (Whittemore et coll. Am. J. Epidemiol… 1992).
TRAITEMENT HORMONAL SUBSTITUTIF ET CANCER DE L'OVAIRE
Les études concernant l'influence du traitement hormonal substitutif de la ménopause
ne montrent pas des résultats aussi évidents que pour la contraception par
oestroprogestatif. La coïncidence entre l'augmentation de la mortalité par cancer de
l'ovaire aux Etats-Unis chez les femmes de plus de 50 ans et l'utilisation plus fréquente
de traitement hormonal substitutif a attiré l'attention. Cela a fait poser la question du
rôle des oestrogènes dans la genèse des cancers de l'ovaire. Les résultats des
différentes études sont globalement discordants.
Certaines publications concluent à des diminutions significatives du risque. Smith et
al. [16] et Annegers et al. [1] trouvent respectivement un risque relatif de 0,36
(95 % CI : 0,2-0,6) et 0,7 (95 % CI : 0,2-1,8).
Pour Hartge [9], le risque diminue avec la durée du traitement hormonal substitutif
après trente mois : 0,4 (95 % CI 0,2-0,7). Harlap [8], en reprenant onze
études cas-témoins, trouve que le risque relatif varie entre 0,5 et 1,6. Dans la
métaanalyse de Whittemore et al. [20], il n'y avait pas d'augmentation de l'odd
ratio après trois mois de traitement hormonal substitutif (OR 0,93 vs 1,1), ou même
après deux ans ou plus de traitement (OR 0,89 vs 1,1). Il n'y avait pas non plus de
différence en fonction de l'âge, du type de ménopause ou du délai après la dernière
prise de traitement hormonal substitutif. Hoover [10] a réalisé une étude
rétrospective chez les patientes ayant pris du Prémarinæ comme traitement
hormonal substitutif pendant au moins six mois. Le risque relatif global est de 2,6
(95 % CI : 1,2-5,0) ; ce risque accru est indépendant de l'âge au début
du traitement hormonal substitutif, de la durée du traitement et de la dose totale
cumulée. Mais cette augmentation du risque est surtout confinée aux femmes ayant reçu
d'autres oestrogènes et notamment du diéthylstilbestrol (DES). Booth [2] a mené
une étude cas-témoins comparant les données pour 235 patientes traitées pour un cancer
de l'ovaire à 451 témoins. Le risque relatif pour les patientes ayant pris un traitement
hormonal substitutif est de 1,5 (95 % CI : O,9-2,6). Le risque relatif chez les
patientes ayant eu une hystérectomie est de 10,9, mais porte sur un petit effectif et
n'est pas significatif. Dans la métaanalyse de Whittemore [20], on retrouve au contraire
chez les patientes hystérectomisées et ayant eu un traitement hormonal substitutif une
diminution de risque. Rodriguez [13], dans une étude récente, met en évidence une
augmentation du risque relatif après un traitement hormonal substitutif prolongé
au-delà de onze ans : 1,71 (95 % CI : 1,06-2,77). Cela est également
retrouvé par Kaufman [11]. Concernant les cancers endométrioïdes, Weiss [19] trouve une
augmentation du risque relatif dans une étude cas-témoins.
Les résultats de toutes ces études ne permettent pas actuellement d'incriminer le
traitement hormonal substitutif comme facteur de risque de cancer de l'ovaire. Il semble
cependant se dessiner une légère augmentation de risque lorsque le traitement hormonal
substitutif est poursuivi plus de dix ans.
Tableau II - Résultats de différentes études comparant le risque relatif en fonction
de la durée du traitement.
PEUT-ON PRESCRIRE UN TRAITEMENT HORMONAL SUBSTITUTIF APRES UN CANCER DE L'OVAIRE ?
Ce problème se pose relativement fréquemment, puisque 25 % des carcinomes
ovariens surviennent avant 50 ans. Le pronostic des formes disséminées étant très
défavorable, il existait une certaine réticence à instaurer un traitement hormonal
substitutif. L'hésitation à la prescription d'un tel traitement reposait sur des
expériences in vitro. Des doses physiologiques d'oestrogènes stimulent la croissance de
cellules tumorales. De plus il a été mis en évidence des récepteurs aux oestrogènes
et à la progestérone sur quelques adénocarcinomes ovariens. A des doses
pharmacologiques (100 fois les doses physiologiques), il n'existe cependant aucun effet.
La crainte de stimuler d'éventuelles cellules résiduelles avait donc fait jusqu'à il y
a peu de temps contre-indiquer le traitement hormonal substitutif chez ces patientes.
Cette tendance est aujourd'hui remise en question bien que la littérature sur ce sujet
soit très succincte. Les hormonothérapies par anti-oestrogènes pour traiter le cancer
l'ovaire se sont révélées inefficaces [12]. Les taux de réponse sont inférieurs à
10 %.
Une étude réalisée par Eeles [4] au Royal Marsden Hospital ne retrouve aucune
différence pronostique pour des patientes ayant reçu un traitement hormonal substitutif
par rapport à un groupe témoin. La survie globale, et la survie sans récidive selon la
prise ou non de traitement hormonal substitutif. La prescription d'un traitement hormonal
substitutif, dont le bénéfice n'est plus à démontrer, est particulièrement importante
surtout pour les femmes jeunes en cas de tumeurs stade I ou II pour lesquelles la survie
à cinq ans est supérieure à 55 %.
CONCLUSION
La contraception orale exerce un rôle protecteur important avec une réduction de
risque d'environ 40 %, augmentant avec la durée d'utilisation. Cet effet dure
environ une dizaine d'années après l'arrêt de la contraception. Elle intervient quels
que soient l'âge au moment de la première prise et la parité. Concernant le traitement
hormonal substitutif, il persiste des interrogations sur un éventuel risque. Il semble
plus probable que s'il existe ce risque soit beaucoup plus lié à la durée du
traitement. L'éventualité d'un traitement hormonal substitutif après traitement d'un
cancer de l'ovaire a été longtemps écartée. Actuellement, l'innocuité du traitement
substitutif n'a fait l'objet que d'une étude cas-témoins. Il n'existe pas de différence
significative entre le groupe des patientes avec traitement hormonal substitutif et le
groupe témoin. Il n'y a pas d'argument formel pour réfuter un traitement hormonal
substitutif à des patientes traitées pour un adénocarcinome ovarien.
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