TRANSMISSION
MATERNO-FTALE DU VIH :
TRAITEMENTS PREVENTIFS, SUCCES ET LIMITES
BERREBI A.1,
THENE M.1, AYOUBI J.M.2 CONNAN L.1, ADAM T.1
TRICOIRE J.3, IZOPET J.4, PASQUIER C.4, SANDRES
K.4
1 Fédération de
Gynécologie-Obstétrique - CHU La Grave - 31052 TOULOUSE CEDEX
2 Fédération de Gynécologie-Obstétrique - Hôpital Sud - BP 185 - 38042 GRENOBLE
CEDEX 09
3 Service de Néonatologie - Hôpital des Enfants - BP 3119 - 31026 TOULOUSE CEDEX
3
4 Service de virologie - CHU Purpan - 31059 TOULOUSE CEDEX
La transmission
materno-ftale (TMF) du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) est la première
cause de contamination de l'enfant. Sans traitement, sa fréquence se situe aux
alentours de 20 % en France (1).
La simple
utilisation de la zidovudine (AZT) au cours de l'essai franco-américain ACTG
076 a permis, à partir de 1994, une réduction des deux tiers du taux de transmission
de l'infection (2). Ainsi était lancée, avec succès, l'aire de l'utilisation
des médicaments anti- rétroviraux au cours de la grossesse. Aujourd'hui, grâce
à la prise en charge médicamenteuse et obstétricale de la gestation, la TMF
du VIH se situe en dessous de 2 % avec l'espoir raisonnable dans les années
avenir d'un taux proche de 0. Cependant, des obstacles sont encore à franchir
et concernent essentiellement la meilleure connaissance des mécanismes intimes
de cette TMF, du passage transplacentaire des antirétroviraux et de leur toxicité
réelle à court, moyen et long terme.
1. La transmission
materno- ftale du VIH :
Si les mécanismes intimes de la TMF du VIH ne sont pas encore bien appréhendés,
nos connaissances sont plus précises sur les moments de cette transmission et
les facteurs qui l' influencent.
1.1. Les moments de la TMF :
70 à 80 % des contaminations ftales se situent in utero quelques jours avant
l'accouchement, en cours de travail et au moment de l'accouchement (3). L'allaitement
maternel étant contre-indiqué dans les pays industrialisés, la contamination
post-natale y est exceptionnelle. Par contre, dans les pays en voie de développement,
l'allaitement maternel est responsable d'une surcontamination de 5 à
15 % (4).
1.2. Les facteurs influençant la
TMF :
Ils sont au nombre de quatre : les facteurs maternels, ftaux, obstétricaux
et médicamenteux. Nous allons brièvement aborder les deux premiers pour développer
de façon plus importante les deux derniers facteurs.
1.2.1.
- Les facteurs maternels
:
Le statut immunologique et virologique de la mère influence grandement la TMF
du VIH. Celle-ci est d'autant plus faible que le nombre de lymphocytes CD4 est
proche de la normale (> 500/mm3) et la charge virale basse (< 10.000 copies/ml)
(5, 6). Cependant, bien que la charge virale soit l'élément pronostic le plus
important elle ne peut expliquer à elle seule la TMF. Lors de l'utilisation
de l'AZT seul en cours de grossesse, la baisse de la charge virale était modeste
comparativement à l'efficacité du traitement (2). A l'inverse, des cas de transmission
ont été rapportés chez des mères ayant un ARN-VIH plasmatique inférieur à 500
copies/ml. Il n'y a donc pas de seuil connu, pour la charge virale, en dessous
duquel le risque de transmission est nul (5, 6).
Les autres facteurs maternels influençant la TMF du VIH sont l'âge de la mère
(> 35 ans), un stade clinique faisant entrer la patiente dans un stade SIDA
(groupe C de la classification clinique du CDC), le type de VIH (le VIH-2 se
transmettant beaucoup moins de la mère à l'enfant), la grande prématurité (<
34 semaines d'aménorrhée) (SA), les manuvres au cours de la grossesse (amniocentèse,
amnioscopie), les choriamniotites et la rupture prolongée de la poche des eaux
(5, 7-9).
Par contre, le risque n'est pas influencé par le mode de contamination de la
mère, sa parité ou son origine ethnique (7-9). Le rôle de la co-infection avec
le virus de l'hépatite C reste discuté (10).
1.1.2.
- Les facteurs ftaux
:
Les marqueurs génétiques du ftus semblent influencer sa contamination par le
VIH. Les études sur l'haplo-type HLA n'ont pas été concluantes. Par contre,
les enfants présentant une délétion hétérozygote delta 32 pour le récepteur
de chémokine CCR5 ne sont pas protégés contre l'infection (11). La délétion
homozygote est trop exceptionnelle pour être étudiée. En revanche, ces mêmes
enfants présentent une évolution plus lente de leur maladie (11).
2. LA PREVENTION
MEDICAMENTEUSE :
Ce sont les antirétroviraux qui ont réellement permis une franche diminution
de la TMF du VIH.
2.1. Le protocole ACTG 076 :
En 1993 débutait une étude franco-américaine visant à évaluer l'efficacité et
la tolérance de l'AZT contre placebo chez des femmes enceintes ayant eu moins
de 6 mois de traitement antirétroviral et un taux de CD4 > 200/mm3. Le traitement
consistait en la prise soit de placebo, soit d'AZT à la dose de 500 mg/j après
la 15ème SA, au cours du travail en intraveineux puis chez le nouveau-né pendant
6 semaines. Les résultats ont été franchement en faveur de l'AZT avec 8,3 %
de TMF versus 25,5 % pour le placebo (2). Dès 1994, aux Etats-Unis comme en
France, les services de santé recommandaient à toutes les femmes enceintes l'utilisation
de l'AZT selon les modalités du protocole ACTG 076 (12). Les mécanismes d'action
de la zidovudine sur la TMF du VIH ne sont pas encore clairement élucidés. Son
effet sur la charge virale est modeste et ne peut expliquer à lui seul la différence
entre les taux de transmission (2, 13). Il s'agit pourtant d'un progrès considérable,
pas seulement en obstétrique mais aussi dans tous les domaines de la lutte contre
le VIH, puisque c'est la première fois qu'était clairement démontrée la possibilité
d'une prévention efficace contre ce virus dans l'espèce humaine.
2.2.- Les protocoles courts :
Les études menées aux Etat Unis et surtout dans les pays en voie de développement
montrent une efficacité certaine des traitements courts dans la prévention de
la TMF du VIH. L'administration en fin de grossesse, en cours de travail ou
même uniquement chez le nouveau-né d'un antirétroviral est intéressante dans
les régions économiquement faibles, chez les patientes non suivies au cours
de la grossesse et lorsque le diagnostic d'infection au VIH est tardif.
Une étude rétrospective de New York a observé le taux de transmission du VIH
chez 939 enfants en fonction des différents modes d'administration de l'AZT
(14). La TMF était de 6,1 % quand le traitement était débuté avant l'accouchement,
de 10 % lorsqu'il était commencé au cours de l'accouchement, de 9,3 % lorsque
l'AZT était administrée au cours des 48 premières heures de vie et de 18,4 %
si le traitement n'était débuté que 3 jours ou plus après l'accouchement. En
l'absence de traitement, le taux de transmission était de 26,6 %.
Une autre étude menée en Thaïlande, en double aveugle contre placebo, a évalué
l'efficacité de l'AZT administré à la dose de 300 mg deux fois par jour à partir
du début du travail (15). 993 patientes ont été inclues. Le taux de TMF du VIH
a été de 9,4 % chez des mères traitées contre 18,9 % chez celles sous placebo.
Dans 80 % des cas, l'efficacité du traitement a été expliquée par la baisse
de la charge virale.
Plus récemment, en Ouganda, une étude randomisée a comparé l'efficacité de la
névirapine (200 mg en début de travail et 2 mg/kg au cours des 72 premières
heures de vie) et de l'AZT (600 mg en début de travail, 300 mg toutes les 3
heures en cours de travail et 4 mg/kg 2 fois par jour pendant les 7 premiers
jours de vie) (16). Le taux de transmission pour les mères sous névirapine était
de 13,1 % et pour celles sous AZT de 25,1 %. Ces résultats sont d'autant plus
intéressants que le traitement par la névirapine revient moins cher (environ
30 F par accouchée) et que sa demi-vie est longue (environ 7 jours).
D'autres études, menées en Cote d'Ivoire et au Burkina Faso, rapportent des
résultats tout à fait comparables (17, 18).
2.3. : Les associations thérapeutiques
Les traitements courts sont donc, incontestablement, efficaces sur la TMF
du VIH. Cependant, ils le sont moins que les traitements longs et il est logique
de penser qu'en associant des antirétroviraux, capables de faire chuter de façon
très importante la charge virale au cours des dernières semaines de la grossesse,
cette efficacité sera d'autant plus grande.
La tolérance et l'efficacité d'une bithérapie zidovudine- lamivudine (AZT-3TC)
a été étudié chez 440 femmes enceintes ayant eu un traitement complet à partir
de la 32ème SA dans le cadre de l'Etude Périnatale Française. L'analyse des
200 premiers cas a montré un taux de TMF de 2,6 % (19). Les résultats définitif
(non publiés) sont de 1,8 %. Cependant, 2 cas mortels liés à des anomalies mitochondriales
chez l'enfant ont également été observés dans cette étude. La toxicité des antirétroviraux,
qui semblait se limiter à une anémie réversible avec l'AZT (2), paraît en réalité
plus importante et potentialisée par l'association de plusieurs inhibiteurs
nucléosidiques (20).
L'utilisation des antiprotéases est de plus en plus fréquente en cours de grossesse
et certaines données préliminaires ont été publiées et concernent environ 200
patientes (21-25). Cette famille d'antirétroviraux semblerait augmenter le taux
de prématurité qui serait compris entre 20 et 35 % (22, 23-25). Cependant, cet
effet indésirable doit être confirmé par d'autres études car on connaît le caractère
très multifactoriel de la prématurité (mauvaises conditions socio-économiques,
suivis insuffisants, toxicomanie, etc.) (26). Quoi qu'il en soit, la plupart
de ces femmes sous antiprotéases auraient une charge virale faible ou indétectable
et il n'y aurait aucun cas de TMF du VIH.
Certains
antirétroviraux sont déconseillés en cours de grossesse malgré l'absence d'effet
tératogène ou mutogène démontrés dans l'espèce humaine aux doses habituellement
indiquées. La zalcitabine (DDC) chez l’animal à des doses très importantes (400
mg/kg/J soit 15000 fois la dose thérapeutique humaine chez la souris et >
2000 mg/kg/J chez la rate) est responsable d'une augmentation du taux de ftus
malformés (27). La stavudine (D4T) chez l’animal, également à des doses élevées
(200 fois la dose thérapeutique humaine chez la ratte), provoque une élévation
du taux de morts néonatales et d'anomalies squelettiques (27). La D4T est également
clairement mutagène sur les lymphocytes humains (27). L'éfavirenz administré
chez 13 guenons gestantes a été tenu comme responsable de 3 malformations :
un singe avait un bec de lièvre, un autre une microphtalmie et un troisième
une anencéphalie (28). Cependant, il n'est pas du tout sûr que l'utilisation
de ces trois antirétroviraux soit réellement dangereuse pour le ftus humain.
L'AZT, qui est le produit le plus anciennement connu et largement employé chez
la femme enceinte, est susceptible d'engendrer des anomalies mitochondriales
(20), des cardiomyopathies (20, 29), des cancers et des cassures chromosomiques
(12). De la même manière la névirapine, fréquemment employée en cours de grossesse,
est très voisine de l'éfavirenz.
3. La prévention
obstétricale
Il est possible, également, de réduire
la TMF du VIH en adoptant certaines pratiques obstétricales guidée par les connaissances
acquises sur cette infection.
Une réduction du nombre d'enfants contaminés, modeste mais importante à considérer,
est démontrée en évitant les ruptures prolongées de la poche des eaux, les amnioscopies,
les électrodes au scalp du ftus et les accouchements interventionnels par voie
basse (8).
Mais c'est incontestablement la césarienne prophylactique qui a le rôle préventif
le plus important. Cependant, son utilité réelle reste discutée. Une méta-analyse
portant sur 8533 patientes compare le taux de transmission du VIH à l'enfant
après l'accouchement par voie basse et après une césarienne programmée avant
tout début de travail (30). Cette étude a montré une diminution d'environ 50
% de la TMF pour les femmes césarisées. Chez celles qui sont traitées par AZT,
le taux de transmission était de 2 % dans le bras césarienne contre 7,3 % dans
le bras voie basse. Dans la Cohorte Périnatale Française, pour les patientes
traitées par AZT le taux de TMF du VIH était de 0,8 % chez les femmes césarisées
contre 6,6 % chez les femmes accouchant par voie basse (31). À la suite de ces
études, plusieurs pays dont la France et les Etats-Unis ont émis des recommandations
en faveur d'une césarienne systématique à la 38ème SA (32,33). Cependant, cette
recommandation n'est pas approuvée par tous les obstétriciens (34). On peut
estimer que le rapport bénéfice/risque de la césarienne prophylactique est favorable
en cas de traitement par AZT seul et chez les femmes non traitées ou dont le
traitement n'a pas permis une nette diminution de la charge virale. Seulement,
c'est chez les femmes immunodéprimées que le risque d'une césarienne est le
plus grand. Par contre, chez les femmes sous traitement hautement actif, associant
deux ou trois antirétroviraux, il est probable que ce rapport bénéfice/risque
s'inverse. Seul le souci d'une éventuelle toxicité des médicaments anti-VIH
peut actuellement faire pencher la balance vers la césarienne en limitant le
traitement à l'AZT seul. Il est donc essentiel, aujourd'hui, d' évaluer de façon
précise la réelle fréquence et gravité de ces effets toxiques (en particulier
les anomalies mitochondriales) tout en sachant que l'AZT seul peut, lui aussi,
être toxique même administré uniquement après l'accouchement chez le nouveau-né
(20, 35, 36).
4 - CONCLUSION
Nous avons toutes les raisons de penser
que dans les mois ou années à venir, la prise en charge spécialisée des grossesses
survenant chez les femmes séropositives fera encore baisser le risque de la
TMF du VIH. Ceci sera possible lorsqu' on pourra utiliser des associations antirétrovirales
puissantes, rendant la charge virale indétectable et sans toxicité importante
pour le ftus. Une de voies de recherche actuelle est l'utilisation de l'AZT
avec un ou deux médicaments anti-VIH ne passant pas ou peu le placenta, donc
sans effet indésirable pour l'enfant. Ces associations permettraient, également,
un accouchement par voie basse certainement préférable pour la patiente et le
personnel soignant.
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