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Titre: Le point sur l'analgésie péridurale en 1996 : utilisation en ambulatoire ?
Année: 1997
Auteurs: - Mercier F.-J.
Spécialité: Obstétrique
Theme: Analgésie péridurale


Chapitre 12 - anesthésiologie analgésie en milieu obstétrical

LE POINT SUR L'ANALGESIE PERIDURALE EN 1996 ; UTILISATION EN AMBULATOIRE ?

F.J. MERCIER, C. LHUISSIER, H. BOUAZIZ et M. DOUNAS

Deux années se sont écoulées depuis la parution dans Génésis de l'article intitulé " Analgésie & anesthésie péridurale en obstétrique " [1]. Nous ne ferons donc ici qu'un rapide rappel sur la douleur du travail, l'efficacité analgésique de la péridurale, et les autres avantages principaux qu'elle présente. L'objet essentiel de ce nouvel article est de préciser en quoi la déambulation, la rachianalgésie-péridurale combinée, et la PCEA (Patient Controlled Epidural Analgesia) sont en train de modifier profondément non pas tant l'analgésie que la philosophie de cette technique afin de satisfaire davantage les attentes des parturientes.

DOULEUR MATERNELLE LORS DU TRAVAIL ET DE L'ACCOUCHEMENT, EFFICACIT&EACUTE DE L'ANALGESIE PERIDURALE

Chez la plupart des femmes, les seuils douloureux augmentent de façon physiologique en fin de grossesse [2]. Pourtant, le travail et l'accouchement provoquent une douleur aigu' intense pour 2/3 des parturientes ; dans 20 % des cas, elle est même considérée comme intolérable [3]. Ces données (que certains ont pu juger excessives) ont été largement confirmées récemment auprès de 1 091 parturientes d'origine nordique [4]. Une analgésie puissante au cours du travail est donc souvent nécessaire et constitue une exigence maternelle légitime à laquelle on ne doit pas opposer l'existence de facteurs psychogènes et/ou socioculturels, même s'ils sont bien réels et nombreux. L'intensité douloureuse reste en effet principalement influencée par la primiparité, l'utilisation d'ocytocine et surtout par le stade du travail [4]. De plus, le caractère " naturel " de l'accouchement ne doit pas nous égarer : la douleur, qu'elle soit d'origine pathologique (maladie, accident), thérapeutique (postopératoire) ou naturelle (accouchement) mérite la même attention puisque dans tous les cas elle fait mal ! ...

Compte tenu des caractéristiques de la douleur énoncées ci-dessus, il n'est pas étonnant que l'analgésie péridurale se soit tant développée ces vingt dernières années. En effet, comparée aux autres techniques (Dolosal®, protoxyde d'azote inhalé, bloc des nerfs honteux ou paracervical), elle est la seule qui procure une analgésie régulièrement efficace [4, 5].

AUTRES AVANTAGES DE L'ANALGESIE PERIDURALE

L'intérêt de l'analgésie péridurale ne se limite pas à calmer la douleur du travail. Elle présente d'autres avantages qui sont d'ailleurs souvent méconnus des parturientes :

- La péridurale atténue de façon très nette les conséquences potentiellement délétères de la douleur (l'hyperventilation maternelle et la stimulation sympathique) [1].

- Le développement de la péridurale au sein des maternités permet de réduire considérablement le nombre d'anesthésies générales pratiquées en urgence. En effet, à condition qu'une analgésie péridurale satisfaisante pour le travail soit déjà en place, l'extension à une anesthésie permettant la césarienne est obtenue normalement dans un délai de 7 à 12 minutes [6]. Cet aspect "prophylactique " de la péridurale est très important car il est bien établi que c'est surtout dans ce contexte d'anesthésie générale en urgence que surviennent la plupart des complications maternelles graves d'origine anesthésique [7]. De plus, sauf urgence extrême, rare (délai d'intervention < 5 mn), il a été clairement montré sur de larges séries de césariennes pour souffrance foetale que les paramètres néonatals sont meilleurs après une anesthésie loco-régionale qu'après une anesthésie générale [8, 9].

- Enfin, la péridurale présente des avantages spécifiques en cas de situations obstétricales particulières (toxémie, gémellaire, siège, et même utérus cicatriciel) [1, 10] ou en cas de pathologies maternelles à risque anesthésique spécifique (asthme, terrain allergique) [1].

POURQUOI LE RECOURS A UNE ANALGESIE RéGULIèREMENT EFFICACE (PéRIDURALE) RESTE-T-IL DISCUTé DANS LE CADRE DE L'ACCOUCHEMENT ?

A l'issue de ce tour d'horizon résumant les intérêts multiples de l'analgésie péridurale pour le travail et l'accouchement, et en laissant de côté le problème de la disponibilité de cette technique qui est liée à celle des anesthésistes, on est amené en effet à s'interroger : Pourquoi de nombreuses femmes hésitent-elles encore, en 1996, à recourir à cette méthode si performante ? La réponse semble tenir essentiellement en 2 points :

1. la crainte de complications neurologiques et/ou de la douleur lors de la ponction ;

2. la crainte d'interférences avec le déroulement naturel de l'accouchement, c'est-à-dire :

d'une altération de la mécanique obstétricale ;

et d'une altération de la perception du travail ainsi que son autonomie en raison du bloc moteur péridural et/ou l'impossibilité de déambuler.

QUELLES SOLUTIONS DOIT-ON APPORTER POUR S'AFFRANCHIR DE CES OBJECTIONS PERSISTANTES CONTRE L'ANALGESIE PERIDURALE ?

1. La crainte de complications neurologiques est une question que l'anesthésiste ne peut éluder puisque ces complications, actuellement tout à fait exceptionnelles (1/11 000-20 000) et le plus souvent transitoires [11], existent cependant et sont surtout largement médiatisées. Il est vrai qu'il n'existe pas de " risque zéro " en médecine et la péridurale n'échappe pas à cette règle. Cependant, à condition de respecter " les règles de l'art " , les complications neurologiques liées à l'analgésie péridurale pour le travail sont nettement plus rares que :

- les complications neurologiques périphériques d'origine obstétricale ou chirurgicale qui sont 3 à 4 fois plus fréquentes [11] et encourues du seul fait d'accoucher ;

- les complications neurologiques et/ou vitales de l'anesthésie générale en urgence rendue nécessaire par l'absence de cathéter péridural déjà en place. Ce dernier point illustre un concept fondamental en médecine que l'on doit expliquer à son patient : il faut raisonner en termes de balance bénéfices / risques qui peut être favorable à une technique malgré ses risques propres (autrement dit, il ne faut pas raisonner en termes de risques seuls qui sont forcément toujours défavorables à une technique quelle qu'elle soit).

La crainte de la douleur lors de la ponction péridurale est un problème qui peut être souvent facilement résolu. Pour cela, il faut :

- que l'anesthésiste accepte l'idée que la ponction peut être parfois douloureuse bien que la zone ligamentaire soit classiquement peu innervée et donc normalement peu sensible ;

- qu'il accepte en conséquence de prendre le temps nécessaire pour effectuer systématiquement une anesthésie locale de la peau qui soit de bonne qualité ;

- et qu'il explique à la parturiente que la ponction péridurale sera interrompue à tout moment en cas de douleur, le temps de renforcer l'anesthésie locale de la zone de ponction.

2. La crainte d'interférences avec le déroulement naturel de l'accouchement est un problème réel à l'origine d'une longue réflexion de la communauté médicale ayant débuté dans les années 80 [12] et dont l'aboutissement ultime pourrait être la " péridurale ambulatoire ".

Le problème a été abordé en 2 temps. Le premier temps (années 80) a été centré sur la réduction du bloc moteur induit par la péridurale afin d'éviter un retentissement sur la mécanique obstétricale. On doit tout particulièrement à Chestnut d'avoir réalisé plusieurs études d'une très grande qualité [12] grâce à sa double formation en obstétrique puis en anesthésie. La mise en évidence du rôle joué par le type d'anesthésique local (Xylocaïne, Marcaine¨) et surtout par la dose et la concentration utilisées ont conduit à une métamorphose de la péridurale pour le travail, qui est passée d'une technique anesthésique (Xylocaïne à 2 % ou Marcaïne® à 0,5 %) à une véritable technique d'analgésie utilisant la Marcaïne® entre 0,125 et 0,0625 % associée avec un morphinique (fentanyl ou sufentanil). Dans ces conditions précises, l'analgésie obtenue demeure le plus souvent bonne (c'est-à-dire suffisante pour la parturiente) et le retentissement sur la mécanique obstétricale in fine (taux de forceps, de césariennes), bien qu'encore débattu [13], est nettement réduit [12, 13], et semble finalement nul ou très faible.

Dans un deuxième temps (début des années 90), l'adoption de ces nouvelles modalités d'analgésie a permis l'émergence d'une nouvelle préoccupation : la satisfaction éprouvée par la mère lorsqu'elle conserve la sensation d'un travail naturel, " malgré la péridurale ". Dans l'idéal, la sensation d'un travail " complètement " naturel (mis à part la douleur) passe par :

- la perception conservée du bas de son corps ;

- la mobilité du fait de l'absence de bloc moteur prononcé ;

- la sensation de ses contractions ;

- et finalement l'autonomie grâce à la capacité de déambuler.

En pratique, les deux premiers objectifs doivent être toujours recherchés en utilisant la dose et la concentration minimale nécessaire pour procurer l'analgésie requise par la parturiente. Les deux derniers objectifs doivent pouvoir être proposés et être régulièrement atteints avec les parturientes qui sont motivées et qui n'exigent pas de principe une analgésie complète. L'objet de la dernière partie de cet exposé est d'examiner les modalités de cette déambulation en passant en revue les données de la littérature puis en émettant des recommandations pratiques.

La littérature concernant la " péridurale ambulatoire " reste jusqu'à présent étonnamment pauvre par le nombre de publications et surtout par la rareté des études fournissant des données quantifiées précises. La première étude, faite par Breen et coll. [14], date de 1993 et demeure actuellement une des meilleures sur le sujet. étaient retenues comme contre-indications à la déambulation : 1) un bloc moteur des membres inférieurs ; 2) une hypotension orthostatique ; 3) une anomalie obstétricale (présentation ou RCF anormaux) ; 4) une analgésie devenant insuffisante au cours du travail et nécessitant le passage à une solution d'anesthésique local plus concentrée (³ 0125 %). L'insatisfaction (rare : 4,3 %) des parturientes a été principalement reliée à 2 causes : un délai trop long et/ou une puissance trop faible de l'analgésie et, une réponse trop lente lors de la recrudescence de la douleur. Malgré l'usage d'une très faible concentration de Marcaine¨ (0,04 %) associée au fentanyl, 13 parmi les 77 parturientes de l'étude (17 %) ont présenté un bloc moteur très faible mais détectable en position allongée et interdisant le lever. La chute (sans gravité) d'une parturiente, malgré 2 heures de déambulation préalable sans difficulté apparente, a conduit les auteurs à adjoindre une épreuve de flexion partielle des genoux lorsque le lever était autorisé. Ce test, réalisé sur les 16 dernières parturientes de l'étude a révélé que deux d'entre elles (10-15 %) étaient dans l'impossibilité de le pratiquer correctement alors qu'elles n'avaient pas de bloc moteur détectable en position allongée et qu'elles pouvaient tenir debout jambes tendues ; ces parturientes n'ont pas été autorisées à déambuler. Une hypotension orthostatique empêchant le lever était présente dans 9 % des cas. La solution très diluée d'anesthésique local (Marcaïne® 0,04 % + fentanyl) n'a suffi pour l'ensemble du travail et de l'accouchement que dans la moitié des cas. Ceci a fréquemment conduit à une interruption prématurée de la déambulation de par la nécessité d'injecter un bolus d'anesthésique local concentré. Au total, 68 % des parturientes ont choisi de déambuler mais le plus souvent (69 %) une seule fois pour aller dans la salle de bain ou aux toilettes (32 % de miction spontanée). Il est possible que l'usage (inutile) d'une dose-test à la Xylocaïne (60 mg) dans cette étude ait favorisé ce taux relativement important d'échec de déambulation.

En effet, d'autres équipes rapportent des résultats beaucoup plus favorables sans dose-test mais avec des solutions d'emblée légèrement plus concentrées en Marcaïne® (0,06 à 0,10 %). Cependant, les résultats obtenus demeurent pour l'instant mal quantifiés. Ainsi, Guedj [15] rapporte, sur un collectif de 35 parturientes, 34 succès (97 %) de déambulation avec une analgésie très satisfaisante et 89 % de miction spontanée. Juette [16], à partir d'une expérience très large acquise depuis un an et demi sur la base d'analgésies péridurales ambulatoires quotidiennes, rapporte Ç des résultats très probants ainsi qu'une analgésie idéale dans la majorité des cas, très satisfaisante pour la quasi-totalité. Il est également probable qu'hormis l'expérience des différentes équipes, le taux de succès de l'analgésie péridurale ambulatoire soit très dépendant de la psychologie de la population prise en charge et notamment, dune part de l'importance de la motivation des parturientes pour la déambulation, et d'autre part de l'intensité de l'analgésie réclamée et obtenue. Afin d'établir des comparaisons et de bénéficier de l'expérience des équipes obtenant les meilleurs résultats, il serait souhaitable de disposer à l'avenir d'une quantification chiffrée de ces deux paramètres. A l'heure actuelle, on ne dispose en particulier d'aucune donnée chiffrée sur le besoin analgésique réclamé et sur celui obtenu.

A côté du principe fondamental " Marcaïne® très diluée (0,06 à 0,10 %) + morphinique puissant " indispensable au succès de la péridurale ambulatoire, certaines équipes utilisent une ou deux méthodes supplémentaires pour réduire davantage encore la quantité totale d'anesthésique local utilisée tout en maintenant (voire en améliorant dans certains cas) la qualité globale de l'analgésie. Ces deux méthodes ont d'ailleurs été développées bien avant l'avènement de la péridurale ambulatoire. La première méthode consiste à utiliser la technique de rachianalgésie-péridurale combinée [17, 18]. Brièvement, l'aiguille de Thuoy est placée dans l'espace péridural selon la technique habituelle de perte de résistance et sert d'introducteur à une aiguille longue et très fine de rachianesthésie (Whitacre® 27 Gauge) qui permet de franchir la dure-mère avec un risque de céphalées post-brèche quasi nul (0,1-0,2 %) [18]. Puis un morphinique puissant (ex : sufentanil 5 microgrammes) éventuellement associé à une minidose de Marcaïne® (² 2,5 mg) est injecté dans l'espace intrathécal contenant le liquide céphalo-rachidien. L'aiguille de rachianesthésie est ensuite retirée et le cathéter est introduit comme d'habitude à travers l'aiguille de Thuoy dans l'espace péridural. Cette injection intrathécale initiale fournit une analgésie spectaculaire car très rapide (< 5 minutes), fiable et très puissante y compris au niveau des racines sacrées responsables de l'innervation périnéale ; de plus, elle donne très peu voire pas du tout de bloc moteur [19]. Sa durée est malheureusement limitée à 2 heures en moyenne ; la déambulation est très souvent possible dans notre expérience durant cette période. Dès que cette analgésie intrathécale commence à s'estomper, le relais est pris par le cathéter péridural selon les modalités habituelles décrites plus haut pour la péridurale ambulatoire " conventionnelle ". La place de cette technique par rapport à l'analgésie péridurale ambulatoire conventionnelle est actuellement un grand sujet de discussion, voire de polémique entre les équipes : ainsi, certains l'utilisent systématiquement [18] et d'autres jamais [15]. Si son intérêt peut être encore discuté chez une parturiente ayant une douleur modérée en début de travail [20], il apparaît en revanche très net chez celles ayant une dilatation rapide, avancée, ou une douleur très intense [19].

La deuxième méthode consiste à utiliser la technique de " PCEA " (Patient Controlled Epidural Analgesia) [21]. Cette technique fait appel à une pompe programmable qui permet à la parturiente de s'autoadministrer des bolus par voie péridurale avec un bouton-poussoir selon ses besoins propres. Les volumes des bolus, la solution administrée et les périodes " d'interdiction " (temps minimal de sécurité séparant deux bolus acceptés par la machine) sont déterminés par le médecin anesthésiste. Par rapport à une perfusion équianalgésique classique à la seringue électrique, la PCEA permet de réduire en moyenne d'un tiers la dose reçue et/ou de diminuer le nombre d'interventions pour défaut d'analgésie [21]. Ce dernier point présente le double avantage de réduire la charge de travail de l'équipe médicale et l'insatisfaction qui résulte régulièrement du délai d'attente d'un supplément d'analgésie [14, 22]. Par rapport aux injections intermittentes administrées par la sage-femme, la dose reçue est du même ordre de grandeur [21] mais la PCEA présente l'avantage pour la parturiente de pouvoir ajuster plus précisément l'analgésie au niveau souhaité ; ceci peut être une source de satisfaction importante en particulier lorsque la parturiente souhaite une analgésie modérée ne " gommant " pas la sensation du travail [22]. La PCEA peut être proposée à toutes les femmes hormis celles ne disposant pas dÕun niveau de compréhension suffisant et celles qui sont anxieuses à l'idée de " s'autogérer " et qui préfèrent être totalement prises en charge par un tiers pour leur analgésie. La PCEA mérite un développement très large. Cette diffusion se heurte actuellement à des considérations financières, à des boîtiers encore insuffisamment adaptés à la déambulation, et à différents petits problèmes techniques incluant un temps de mise en oeuvre encore trop long par rapport à une perfusion continue classique même si l'inexpérience y fait pour beaucoup ... La rachianalgésie-péridurale combinée et la PCEA peuvent être aussi utilisées conjointement [23, 24]. Dans un avenir proche (horizon 2000 ?), d'autres produits comme la ropivacaïne, la clonidine, ou d'autres agents pharmacologiques antalgiques en cours de développement devraient faciliter davantage encore le développement et la qualité de l'analgésie péri-médullaire (rachianalgésie et/ou péridurale) ambulatoire.

Aujourd'hui, il est trop tôt pour savoir si la péridurale ambulatoire favorise ou non la mécanique obstétricale. Mais ceci ne doit pas nous étonner puisque dans l'article de Breen et coll. [14], les auteurs citent 13 références qui montrent que l'effet propre de la déambulation (bien avant l'avènement de la péridurale ambulatoire) restait débattu parmi les obstétriciens. Cependant, certaines de ces études suggèrent que la déambulation en elle-même pourrait : 1) augmenter l'intensité des contractions et réduire le besoin de stimulation par l'ocytocine ; 2) réduire la douleur et l'inconfort des parturientes ; 3) réduire la durée de la phase de dilatation du travail et ; 4) augmenter bien naturellement la satisfaction maternelle. Il apparaît en tout cas clairement qu'elle n'entraîne pas d'effets délétères, à condition bien sur que le travail soit suivi avec la même rigueur qu'à l'accoutumée. Pour ce qui concerne la péridurale ambulatoire comparée à la péridurale non ambulatoire, un travail préliminaire récent confirme l'absence d'effets délétères (mais également l'absence de bénéfices) sur l'état néonatal [25]. En revanche, aucune amélioration de la mécanique obstétricale in fine (nombre de forceps, de césariennes) n'est retrouvée dans l'unique étude comparative (randomisée) publiée à ce jour [17]. Pourtant cette étude bénéficie d'un collectif important comportant 98 parturientes sous rachianalgésie-péridurale combinée ambulatoire versus 99 parturientes sous péridurale non ambulatoire faisant appel à une concentration forte d'anesthésique local (Marcaïne 0,25 %). Il reste néanmoins de bonnes raisons d'être optimiste. Ainsi récemment, un travail préliminaire très comparable a, au contraire, mis en évidence une dilatation cervicale souvent nettement plus rapide après rachianalgésie-péridurale combinée " légère " qu'après péridurale classique " lourde " (Marcaïne 0,25 %) et ce malgré l'absence de toute tentative de déambulation dans les deux groupes [26]. Par ailleurs, une équipe disposant d'une expérience considérable de la péridurale ambulatoire fait état d'une impression très favorable quant à l'amélioration de la dynamique obstétricale : la dilatation paraît être en moyenne nettement plus rapide, la stimulation par l'ocytocine moins souvent nécessaire, et la douleur souvent plus modérée par rapport à la période antérieure des analgésies péridurales classiques (non ambulatoires et avec de la Marcaïne® concentrée) [16].

En bref, il faut retenir que la disparition du bloc moteur obligatoirement recherchée dans l'analgésie péridurale ambulatoire pourrait avoir des effets favorables sur la mécanique obstétricale. Le rôle propre de la déambulation est encore moins clair mais il semble qu'elle permette de réduire le besoin en ocytocine et le stimulus douloureux du travail. Cependant, alors qu'il est bien établi que la réduction franche du bloc moteur obtenue par l'emploi d'anesthésiques locaux dilués (depuis le début des années 90) a eu une influence nette sur le taux d'extraction instrumentale et peut-être également sur le taux de césarienne, il n'a pas été démontré à ce jour qu'il existe un bénéfice supplémentaire avec la péridurale ambulatoire. Cela pourrait signifier que le " taux planche " lié à l'anesthésie a déjà été atteint ou en d'autres termes, qu'une péridurale même non ambulatoire n'a déjà plus de retentissement significatif sur la mécanique obstétricale in fine dès lors qu'une réduction franche du bloc moteur est obtenue grâce à l'emploi d'anesthésiques locaux dilués.

QUELLES RECOMMANDATIONS DOIT-ON APPORTER POUR LA PRATIQUE DE L'ANALGESIE PERIDURALE EN 1996 ?

1. Utiliser de principe une concentration de Marcaïne® diluée (par exemple à 0,08 %) associée d'emblée à un morphinique puissant (par ex. le sufentanil à 0,5 microgrammes / ml) ;

2. n'augmenter la concentration d'anesthésique local qu'en cas : a) d'analgésie insuffisante, après avoir vérifié l'absence de globe vésical et s'être assuré que la péridurale est suffisamment symétrique et étendue (hypoesthésie sus-ombilicale) et b) de manoeuvre et/ou d'extraction instrumentale pour l'accouchement ;

3. utiliser la rachianalgésie-péridurale combinée en cas de douleur intense, de dilatation rapide ou déjà avancée ;

4. développer la péridurale ambulatoire quelles que soient les modalités préférées (conventionnelle avec injections discontinues ou combinée à la rachianalgésie et/ou à la PCEA).

La seule réserve (mais de taille !) à la déambulation est actuellement de nature structurelle : il faut disposer de moyens de surveillance obstétricaux équivalents à ceux habituellement employés en routine pour le travail non ambulatoire (RCF, tocodynamométrie externe pour la plupart des équipes) et d'un moyen d'appel parturiente / sage-femme fonctionnant dans les deux sens. Ceci nécessite l'acquisition d'équipements télémétriques " passant " effectivement à travers les murs des locaux.

Les autres considérations sont plus contingentes : un bloc moteur " infraclinique " doit être écarté avant d'autoriser la déambulation ; il est recherché en faisant pratiquer une épreuve de flexion partielle des genoux, une fois la parturiente levée avec succès. Le retentissement hémodynamique des péridurales permettant la déambulation est très faible et une étude importante a montré que les rares cas d'hypotension semblent constamment survenir dans les 30 premières minutes, avant même le lever [27] (ou au plus tard au lever [14]). L'espacement du monitorage régulier de la pression artérielle, après cette première période précédant la déambulation, paraît donc légitime. La PCEA peut être utilisée à condition de limiter les doses délivrables et d'utiliser le bouton-poussoir en position assise [23]. De même, l'administration d'un faible débit d'ocytocine reste envisageable à l'aide d'une pompe portable fiable. Enfin, la parturiente doit être accompagnée durant la déambulation. Le conjoint est généralement le plus à même de jouer ce rôle.

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F.J. MERCIER, C. LHUISSIER, H. BOUAZIZ et M. DOUNAS* Département d'Anesthésie-Réanimation, Hôpital Antoine-Béclère, 92141 Clamart Cedex.