APPORTS
HYDRIQUES ET ADAPTATION CARDIO-RESPIRATOIRE
Pierre-Henri
JARREAU
Service
de Médecine néonatale de Port-Royal
Centre Hospitalier Cochin-Saint-Vincent-de-Paul-La Roche-Guyon
123, Bd de Port-Royal
75014 PARIS
e-mail : pierre-henri.jarreau@cch.ap-hop-paris.fr
Les
apports hydro-électrolytiques en période néonatale immédiate
sont encore l'objet de controverses, le problème étant de trouver
la juste balance entre les apports nécessaires pour hydrater et apporter
les calories nécessaires, et leur limitation, imposée par leur
mise en cause dans la pathogénie de la maladie des membranes hyalines,
de la persistance du canal artériel, et de la dysplasie bronchopulmonaire.
Rappels physiologiques
Les pertes hydriques sont détaillés dans une autre article de
ce recueil.
Rappelons
donc que :
1)
le poumon ftal est rempli de liquide, indispensable à sa croissance
et à son développement, et évacué dans le liquide
amniotique. La production de ce liquide dépend d'un transport actif de
chlore entre le secteur interstitiel pulmonaire et l'espace alvéolaire.
2) A l'approche du terme ou lors de la mise en travail, l'évacuation
de ce liquide est l'un des éléments essentiels pour l'adaptation
respiratoire. La production de liquide pulmonaire et l'eau pulmonaire extra-vasculaire
diminuent de 60 % pendant cette période. Le transport actif de sodium
à travers l'épithélium alvéolaire permet l'inversion
des flux liquidiens. Une fois dans l'interstitium, il est réabsorbé
essentiellement par les capillaires, en raison de la forte pression oncotique
intra?vasculaire, et partiellement par les lymphatiques (1).
Apports
hydriques et maladie des membranes hyalines
Physiologie
Une
insuffisance de clairance de l'eau pulmonaire et son accumulation dans les poumons
concourent à la sévérité de la maladie des membranes
hyalines. Le prématuré est à haut risques du fait :
- d'une forte pression hydrostatique dans le lit vasculaire pulmonaire ;
- d'une faible pression oncotique intra-vasculaire ;
- d'une augmentation de la perméabilité capillaire ;
- d'une augmentation de la perméabilité de l'épithélium
des voies aériennes ;
- d'une diminution du transport actif du sodium ;
- d'un déficit en surfactant et d'une ventilation alvéolaire insuffisante.
Un apport
hydrique excessif est donc susceptible d'aggraver un syndrome de détresse
respiratoire en :
- augmentant la pression hydrostatique intra-capillaire, favorisant la fuite
liquidienne vers l'interstitium ;
- diminuant l'efficacité du surfactant par dilution de celui-ci dans
des alvéoles partiellement remplies ;
- en favorisant la persistance du canal artériel (voir paragraphe spécifique).
Données
cliniques
Depuis longtemps,
les néonatologistes avaient constaté que l'augmentation post-natale
de la diurèse (définie par une excrétion d'eau supérieure
à 80% des entrées) précédait ou survenait simultanément
à la guérison spontanée (non traitée par le surfactant)
de la maladie des membranes hyalines chez le prématuré ventilé.
Ceci avait fait soulever l'hypothèse d'un effet favorable de cette perte
hydrique sur l'évolution de la maladie des membranes hyalines. Cette
hypothèse n'a pas été clairement confirmée depuis
l'apparition des surfactants exogènes. L'administration de ce traitement
n'a pas d'effet évident sur la diurèse, et il est possible que
la survenue de cette "crise diurétique" soit simplement concomitante
à la guérison spontanée de la maladie des membranes hyalines
mais sans influence sur son évolution (2).
Il est
en revanche clairement prouvé que des apports excessifs de fluides sont
associés à une aggravation du syndrome de détresse respiratoire
évaluée sur l'oxygénation et des index de ventilation (3),
que les enfants soient ou non traités par du surfactant exogène.
Enfin, l'efficacité du surfactant semble meilleure si les enfants ont
reçu des quantités limitées d'apports hydro-électrolytiques
(4).
Plus récemment,
une métaanalyse a montré un bénéfice à l'utilisation
d'une restriction hydrique modérée dans les premiers jours de
vie comparée à des apports larges, en termes notamment de mortalité,
et une tendance en terme de diminution du risque de dysplasie bronchopulmonaire
(5).
En revanche,
l'utilisation systématique de diurétiques à la phase aiguë
de la maladie des membranes hyalines n'a pas fait la preuve de son efficacité.
Un tel choix a été proposé dans le but de limiter l'dème
alvéolaire et interstitiel habituellement présents, de reproduire
la crise diurétique qui précédait la guérison spontanée,
et d'accélérer la réabsorption du liquide pulmonaire soit
par un effet rapide indépendant de la diurèse, soit par augmentation
de celle?ci. Une autre métaanalyse récente montre que cette thérapeutique
n'améliore ni la mortalité, ni le risque de survenue d'une persistance
du canal artériel, ni le risque d'évolution vers une dysplasie
bronchopulmonaire. Des risques potentiels de telles thérapeutiques systématiques
ne la font pas recommander en routine (6).
Apports
hydriques et persistance du canal artériel
L'excès
précoce d'apports hydriques augmente l'incidence du canal artériel
et diminue la réponse à l'indométhacine (7, 8). Dans une
première étude datant de 1980, Bell avait randomisé des
apports hydriques larges ou restreints chez 170 prématurés de
750 à 2000g. Les apports étaient contrôlés dès
le 3ème jour et jusqu 30ème jour de vie. Au total, les enfants
en "restriction" avaient reçu des apports moyens de 122ml/kg/j
et les enfants non restreints de 169 ml/kg/j. La différence entre le
nombre de persistances du canal artériel (9 vs 35) est significative.
Weiss publie en 1995 une étude cas-témoins sur 62 enfants prématurés
mettant en évidence un apport hydrique initial important chez les enfants
présentant une persistance du canal artériel (189 ml/kg/j) comparés
à ceux ne présentant pas la pathologie (144 ml/kg/j). De plus,
il observait une diminution de l'efficacité de l'indométhacine
chez ceux ayant reçu les plus forts apport hydriques.
Les métaanalyses récentes, confirment clairement ce fait (5).
Enfin, rappelons que la restriction hydrique fait partie du traitement classique
de la persistance du canal artériel.
Apports
hydriques et dysplasie broncho-pulmonaire
Deux problèmes
se posent : l'influence des apports hydriques sur le développement de
la dysplasie broncho-pulmonaire , et leur rôle une fois celle-ci constituée.
Apports
hydriques et prévention de la dysplasie broncho-pulmonaire
Le développement
d'une dysplasie broncho-pulmonaire est associé clairement à des
apports hydriques importants, mais bien évidemment, sa survenue est aussi
liée à la pathologie initiale, en particulier à la maladie
des membranes hyalines, et au développement d'une persistance du canal
artériel, eux-mêmes dépendants des apports hydriques. C'est
dire combien il est difficile d'isoler ce dernier facteur dans une pathogénie
complexe.
Une association entre des apports hydriques importants et le développement
d'une dysplasie broncho-pulmonaire avait été évoquée
dans 2 études non-randomisées : l'une ancienne (9) et sur un petit
groupe, qui avait observé des apports hydriques supérieurs chez
les enfants ayant développé une dysplasie broncho-pulmonaire ;
l'autre plus récente, cas?témoins, qui observait le même
phénomène sur un groupe beaucoup plus conséquent (10).
Mais cette association ne ressort pas clairement de la métaanalyse récente
de la base de données Cochrane (5). Si la tendance est en faveur d'une
réduction du risque de DBP chez les enfants ayant été restreints,
elle n'est pas significative.
Apports
hydriques et traitement de la dysplasie broncho-pulmonaire
On rentre
là dans un choix difficile qui fait intervenir un équilibre délicat
entre rétention hydro-sodée, toujours présente chez ces
enfants, et nécessité d'apports caloriques optimaux.
Les enfants dysplasiques ont en effet une tendance à la rétention
de liquides dans les poumons, en particulier dans le secteur interstitiel, dont
le mécanisme est encore discuté et fait intervenir (11) :
- la pression dans les vaisseaux pulmonaires, augmentée par l'hypoxémie,
l'hypercapnie et la réduction du lit vasculaire pulmonaire ;
- la pression oncotique, qui peut être diminuée par une diminution
de la concentration protéique du plasma due à la dénutrition
;
- une perméabilité capillaire augmentée causée par
l'oxygénothérapie, le baro / volutraumatisme et les épisodes
infectieux ;
- une éventuelle altération du drainage lymphatique.
Les conséquences de ce sub-dème chronique sont susceptibles
d'aggraver encore la pathologie puisque chaque épisode aigu peut entraîner
le recours ou l'augmentation de la ventilation mécanique, perpétuant
une agression délétère sur ces poumons fragilisés.
La thérapeutique va donc comporter à la fois des apports hydriques
contrôlés, mais sans limiter les apports caloriques, indispensables
à la guérison de ces enfants, et l'utilisation large de diurétiques,
furosémide ou spironolactone le plus souvent, ou thiazidiques.
Les métaanalyses montrent un bénéfice à l'utilisationde
diurétiques après 3 semaines de vie, essentiellement en termes
d'oxygénation et de mécanique respiratoire, que ce soit pour le
furosémide(12), ou la spironolactone et les thiazidiques (13). En revanche,
les effets sur la durée d'oxygénation ou de ventilation ne sont
pas clairement documentés.
L'administration systématique de furosémide inhalé, qui
a des effets spécifiques broncho-pulmonaires, améliore transitoirement
la mécanique ventilatoire, mais n'est pas recommandée en routine
dans la mesure ou ses effets à plus long terme, bénéfiques
ou secondaires, n'ont pas été évalués.
Conséquences
pratiques
Les apports
hydro-électrolytiques chez le prématuré doivent être
soigneusement contrôlés et plutôt restreints dans des limites
acceptables, évitant deshydratation sévère et dénutrition,
afin de ne pas aggraver l'état respiratoire et l'équilibre cardio-vasculaire.
Ils seront bien évidemment adaptés à chaque enfant et il
est donc difficile de donner des recommandations chiffrées. Leur adaptation
repose sur le poids, la diurèse, les ionogrammes sanguins et urinaires.
Les principes guidant ces apports peuvent être les suivants (1) :
- au 2ème et 3ème jours de vie, la balance hydrique doit être
négative ;
- la perte de poids post-natale raisonnable (et probablement nécessaire)
se situe entre 5 et 15% ;
- au-delà de la première semaine, les apports doivent se situer
entre 150 et 170 ml/kg/j, en évitant de dépasser 150 chez l'enfant
dysplasique.
mots-clefs : prématurité,
maladie des membranes hyalines , persistance du canal artériel
REFERENCES
1. Bauer
K et Vermold H, Conséquences des apports hydriques excessifs chez le
prématuré, In J-B Gouyon, J-P Guignard, U Simeoni, Equilibre hydro-électrolytique
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3. Hallman M, The severity of RDS during the first two neonatal days in relationship
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4. Hallman M, Merritt TA, Bry K et Berry C, Association between neonatal care
practices and efficacy of exogenous human surfactant: results of a bicenter
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5. Bell EF et Acarregui MJ, Restricted versus liberal water intake for preventing
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2.
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infants. Cochrane Database Syst Rev, 2000, 2.
7. Bell EF, Warburton D, Stonestreet BS et Oh W, Effect of fluid administration
on the development of symptomatic patent ductus arteriosus and congestive heart
failure in premature infants. N Engl J Med, 1980, 302, 598-604.
8. Weiss H, Cooper B, Brook M, Schlueter M et Clyman R, Factors determining
reopening of the ductus arteriosus after successful clinical closure with indomethacin.
J Pediatr, 1995, 127, 466-71.
9. Brown ER, Stark A, Sosenko I, Lawson EE et Avery ME, Bronchopulmonary dysplasia:
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10. Van Marter LJ, Leviton A, Allred EN, Pagano M et Kuban KC, Hydration during
the first days of life and the risk of bronchopulmonary dysplasia in low birth
weight infants. J Pediatr, 1990, 116, 942-9.
11. Bancalari E, The respiratory system : neonatal chronic lung disease, In
AA Fanaroff , RJ Martin, Neonatal-Perinatal Medicine, Mosby, Saint Louis, MO.,1997.
1074-1089.
12. Brion LP et Primhak RA, Intravenous or enteral loop diuretics for preterm
infants with (or developing) chronic lung disease. Cochrane Database Syst Rev,
2000, 4.
13. Brion LP, Primhak RA et Ambrosio-Perez I, Diuretics acting on the distal
renal tubule for preterm infants with (or developing) chronic lung disease.
Cochrane Database Syst Rev, 2000, 3.
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