Plus que le
médecin de famille chargé de coordonner les soins, le gynécologue est
le mieux désigné pour assurer le relais pédiatrique. En premier, il s’assurera
de la compliance du traitement oestro-progestatif prescrit à l’adolescence.
Celui-ci a pour but d’obtenir une bonne trophicité des voies génitales, une
vie sexuelle normale et de préparer à d’éventuelles grossesses par FIVET, sans
oublier la prévention de l’ostéoporose et des accidents cardiaques. V. Sybert
recommande deux consultations par an [2], en raison de la fréquente indiscipline
des patientes les plus âgées qui n’ont pas connu les astreintes du traitement
par hormone de croissance. Il est utile que le gynécologue assurant le suivi
dispose d’une planification de cette surveillance.
LA
SURVEILLANCE CARDIO-VASCULAIRE
La prise régulière
de la tension artérielle, même en l’absence d’anomalie cardio-vasculaire (la
sténose de l’isthme de l’aorte est opérée dans l’enfance) ou vasculo-rénale,
fait partie de l’examen systématique en raison de la fréquente survenue d’une
hypertension artérielle au cours de la vie adulte. Une étude récente montre
que le poids et le taux de cholestérol sont des facteurs déterminants de l’évolution
de l’élévation tensionnelle, comme dans la population générale et que les patientes
avec mosaïque et ovaires fonctionnels sont moins exposées [3]
Les patientes
avec bicuspidie des valves aortiques ont avec l’âge un plus grand risque de
dis-tension progressive de l’aorte ascendante, de sténose et d’insuffisance
aortique ainsi que d’endocardite. L’échographie répétée tous les cinq ans permet
d’évaluer le calibre de l’aorte ascendante et descendante et de reconnaître
ainsi une distension anévrysmale avant ou après rupture. Si celle-ci est un
des facteurs de mortalité[4], plusieurs cas de dissection ont été opérés avec
succès [5 – 6]. La prévention par antibiotiques est de règle pour éviter la
greffe oslérienne sur cur malformé quand survient un épisode infectieux ou
lors de soins dentaires. Le lymphoedème persiste rarement aux membres inférieurs
entraînant un certain inconfort.
LES MALFORMATIONS
RENALES
Le plus
souvent latentes et dépistées par l’échographie, elles méritent aussi une surveillance
en raison du risque d’infections urinaires . Elles sont nombreuses, rein
en fer à cheval (7% vs 1/600 à 1/800 dans la population générale) , ectopies,
malrotations, agénésies (2,8 %) , duplications (8 %), sténoses de la jonction
pyélo-urétérale (2,5 %). La prévalence serait plus élevée dans les monosomies
que dans les mosaïques.
LES NAEVI PIGMENTAIRES sont souvent nombreux dans le ST et ont tendance
à croître sous traitement par hormone de croissance . Après l’arrêt du traitement,
leur surveillance par le dermatologue s’impose encore.
LA CHIRURGIE PLASTIQUE est généralement intervenue pendant l’enfance
(pterygium colli – oreilles mal implantées). De même pour la malocclusion dentaire
et la surveillance orthopédique de la statique rachidienne en raison de la fréquence
de la scoliose pendant l’adolescence qui réduirait la taille adulte. Lorsque
celle-ci est jugée insuffisante, la croissance étant terminée, l’orthopédiste
peut donner son avis sur l’opportunité d’un allongement chirurgical des membres
inférieurs, opération dont la contrainte demande une totale adhésion de l’intéressée.
L’OTO-RHINO-LARYNGOLOGISTE a un rôle majeur. Plus de la moitié des patientes
ont eu pendant leur enfance de très nombreuses otites moyennes avec perforation,
pose de drains et aérateurs, certaines ayant même été opérées d’antro-mastoïdectomie,
de tympanoplastie ou encore d’un cholestéatome. Rares sont celles qui gardent
un tympan intact. La conséquence en est un déficit auditif dans la transmission
entre 40 et 70 DB dans un tiers des cas. Une atteinte de perception secondaire
est constatée une fois sur cinq. Cette hypoacousie est à l’origine de troubles
du langage nécessitant une prise en charge orthophonique. Avec l’âge, se produit
une perte progressive sur les hautes fréquences, comme par un vieillissement
prématuré de l’oreille interne, nécessitant l’appoint d’une prothèse [7]. Les
troubles auditifs sont plus accentués avec un caryotype 45,X0/46,X,iX (Xq).
Le mécanisme de la déficience auditive est à chercher dans le trouble dysembryogénétique
du premier arc, petite mandibule, oreilles implantées bas, angulation excessive
et dysfonction tubaire. Ces troubles sont toutefois évitables par une surveillance
précoce et annuelle de l’ORL.
Une prévalence élevée de MALADIES AUTO-IMMUNES de la thyroïde a été
décrite dans le ST, augmentant avec l’âge, 15 % dans la première décade, 30
% dans la troisième, l’hypothyroïdie sub-clinique étant le trouble le plus fréquent,
l’hyperthyroidie étant beaucoup plus rare [8]. Dans une cohorte de 52 adultes
entre 16 et 38 ans, le pourcentage d’anticorps antithyroïdiens atteint 48 %
[9]. Dans la cohorte italienne de 478 patientes d’âge moyen 15 ans (3,6-25,3),
les anticorps antithyroïdiens sont positifs dans 22,2 % des cas avec des modifications
échographiques de la thyroïde dans 10 % des cas (10). Dans l’étude suédoise
regroupant 89 turnériennes d’âge moyen de 10 ans, ce pourcentage atteint même
52 % contre 17 % dans le groupe contrôle, les patientes monosomiques et avec
iso-chromosome pour le bras long du chromosome X étant plus exposées (11). Dans
l’expérience rennaise, la fréquence des signes biocliniques est de 20,9 %, mais
avec un risque plus élevé pour les patientes avec isochromosome X (57 %) [12].
Ces faits prouvent que la recherche d’anticorps et surtout l’évaluation de la
fonction thyroïdienne par le dosage de TSH et FT4 doivent être faites régulièrement
depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte.
Une autre association a été quelquefois signalée avec la colite inflammatoire
de Crohn particulièrement dans les formes avec caryotype comportant un isochromosome
. Le diabète insulinodépendant n’a pas de prévalence particulière.
LA SURVEILLANCE DES FONCTIONS HEPATIQUES est conseillée depuis la description
chez l’adulte et chez l’enfant avec ST d’anomalies hépatiques paraissant en
rapport avec une cholestase chronique ayant des caractéristiques spécifiques.
Cette cholestase a pu être partiellement améliorée par l’acide urodésoxycholique
[13].
LE SUIVI PSYCHO-INTELLECTUEL ET COMPORTEMENTAL est d’une grande importance.
Si les premières séries publiées associaient fréquemment la débilité mentale
au ST, c’est probablement en raison de l’image dévalorisée transmise des parents
à l’enfant et de la fréquente méconnaissance des troubles auditifs générateurs
de difficultés langagières et scolaires et ainsi de biais statistiques [14] .
On sait qu’il n’en est pas ainsi. L’intelligence est considérée globalement
comme normale dans le ST et revendiquée comme telle par les Associations Turner
. Toutefois, il faut distinguer les cas comportant une anomalie de structure
chromosomique telle qu’un petit chromosome X en anneau qui s’accompagne d’une
dysmorphie faciale marquée (nez large, narines antéversées, philtrum proéminent,
large fente palpébrale, large bouche avec lèvre supérieure fine) et de retard
mental. Lorsque le chromosome en anneau reste actif par perte du centre d’inactivation,
on constate un retard mental, tandis que l’intelligence est normale si le chromosome
X en anneau est inactivé.
De nombreux
travaux ayant évalué les fonctions cognitives avec des tests appropriés (WRAT-R
et Keymath Diagnostic Arithmetic Test), visuo-spatiales, la mémoire, ont noté
que les scores obtenus par les jeunes filles avec ST sont plus faibles que pour
le groupe témoin, les mosaïques ayant un niveau intermédiaire entre les monosomiques
et les contrôles [15-16]. Dans le groupe des mosaïques, les tests d’habileté
visuo-spatiale étaient même corrélés au pourcentage de lymphocytes 45,X0. Si
le niveau de la lecture et de la compréhension verbale ne diffère pas entre
les groupes, en revanche, les performances sont moindres pour l’arithmétique,
le calcul mental et numérique, l’organisation spatiale (géométrie, géographie,
dessin) et le raisonnement, l’habileté exécutive qui réclame attention, organisation
et mémorisation [17].
Ainsi, si l’on
peut parler de phénotype comportemental dans le ST, il faut se garder
de la tentation d’un déterminisme génétique trop étroit qui évincerait toute
action de l’environnement. Rien n’est entièrement génétique ou acquis, tout
est en développement, celui-ci pouvant être en retard pour certaines acquisitions,
comme le calcul, ce qui concerne également bon nombre d’enfants dépourvus d’anomalie
chromosomique… Les mathématiques sont une technique et comme pour toutes les
techniques, les aptitudes humaines sont très variables. Une fille avec ST dont
les parents sont bien informés aura plus de chance de diminuer ses difficultés.
Ainsi c’est
par une guidance anticipatrice et un soutien éducatif approprié, que
l’on pourra améliorer les fonctions cognitives et les processus de raisonnement
logique comme les mathématiques, afin d’éviter les handicaps scolaires. Le centre
danois dirigé par Nielsen qui le premier a pris conscience de la nécessité d’une
prise en charge précoce ne trouve pas de différence entre les niveaux scolaires
finaux de 69 adultes avec ST par rapport aux 82 surs [18].
INSERTION
SOCIO-PROFESSIONNELLE
Dans l’enquête
de Job et coll. réalisée à partir d’un questionnaire envoyé à 107 patientes
de 18 à 35 ans, 50% d’entre elles ont suivi un enseignement secondaire ou supérieur,
40 % ont un emploi stable et 24 % sont encore étudiantes [19]. Dans l’enquête
de Toublanc et coll., 13,5 % ont obtenu un diplôme universitaire, 20 % se sont
dirigées vers les professions de santé et le taux de chômage est comparable
ou inférieur même à celui de la population témoin, ce qui traduit la volonté
d’entrer dans le monde du travail [20].
Du vécu de
l’image corporelle dépend en grande partie le devenir de ces jeunes filles.
Aran et coll. chez 49 turnériennes suivies depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte
et n’ayant pas bénéficié du traitement par la GH indiquent un QI de 100 ± 20
dont 24 % entre 40 et 87, 36 % entre 90 et 110 et 40 % de 111 à 128 ; 48
% ont suivi une formation universitaire ; 72 % sont devenues des « cols
blancs » et 12 % des « cols bleus » ; 18 % seulement sont
mariées [21]. Dans l’enquête de Toublanc et coll., 58 % n’ont aucune vie sexuelle
et vivent seules ou chez leurs parents [20]. Si elles se plaignent d’isolement,
de difficultés relationnelles avec les collègues, parfois de dépression due
à une mauvaise image de soi [22], la plupart des études insistent sur la stabilité
affective, le caractère volontaire et la meilleure adaptation à une petite taille
que le groupe des insuffisants hypophysaires [19]. On peut espérer qu’avec les
progrès thérapeutiques, une guidance précoce et continue des parents aidera
ces jeunes filles à s’adapter à une vie normale et améliorera les résultats.
PROTECTION
DE LA MASSE OSSEUSE
Aux nombreuses
anomalies squelettiques du ST, on ajoute habituellement l’ostéoporose commençant
dès l’enfance et s’aggravant à l’âge adulte où elle a été mise en cause dans
le risque accru de fracture [23].
Cependant,
V. Sybert qui a suivi une importante cohorte d’adultes avec ST met en doute
cette affirmation [2]. Le déficit minéral constaté à l’ostéodensitométrie a
été généralement interprété comme la conséquence de la durée et du degré de
la carence oestrogénique par assimilation à une ménopause précoce. C’est pourquoi
la densité minérale osseuse (DMO), exprimée en g/cm2, et le contenu minéral
osseux (CMO), exprimé en grammes avant la puberté sont en général normaux. Toutefois,
les controverses persistent. Ainsi pour savoir s’il y a avantage à retarder
la féminisation pour ne pas accélérer la maturation osseuse et réduire la taille
finale, ou au contraire, suivre le « timing » physiologique en commençant
l’induction pubertaire dès 11 ans d’âge osseux pour ne pas pénaliser l’acquisition
de la masse osseuse.
Nos résultats
obtenus en absorptiométrie biphotonique avec l’Hologic 4 500 démontrent aussi
une diminution de la DMO chez 17 femmes avec ST dont l’âge moyen est de 22 ,6±
5,8 ans et qui ont un Z-score moyen de DMO de –1,162± 0,833 significativement
plus bas que chez les 24 femmes témoins de même âge qui ont un Z-score moyen
de 0,313± 1,003, mais cette différence disparaît quand la DMO est corrigée par
la taille, ce qui n’est pas vérifié dans les déficits somatotropes [24].
La DMO et le
CMO sont influencés par le volume osseux d’où le risque de surestimer la masse
osseuse avec des os plus grands et de la sous-estimer avec des os plus petits,
c’est pourquoi une correction volumétrique a été développée pour mieux comparer
la masse osseuse chez des sujets de taille différente. D’autres études ont montré
que la masse osseuse chez les filles avec ST n’est guère différente de celle
des contrôles de même taille.
C’est ainsi
que l’ostéopénie du syndrome de Turner n’est peut-être pas réelle dès qu’on
rapporte la DMO non plus à l’âge chronologique, mais au volume vertébral ou
à l’âge statural. C’est aussi l’avis de Neely, Rosenfeld et coll, qui n’hésitent
pas, dans le titre de leur article, à dire que les jeunes filles turnériennes
recevant l’hormone de croissance ne sont pas ostéopéniques [25]. Le traitement
par GH peut même effacer les différences avec un groupe témoin, les valeurs
de DMO des jeunes patientes ayant un ST traitées par GH étant même supérieures
à celles des contrôles quand elles sont ajustées à la taille [26].
Ainsi il apparaît
maintenant que le déficit de la masse osseuse est moins marqué qu’on ne l’a
cru initialement dans le ST si l’on fait les corrections nécessaires et que
le risque de fractures a été surestimé. Il n’en demeure pas moins qu’il semble
exister dans le ST un défaut intrinsèque de la minéralisation osseuse qui expliquerait
la persistance du déficit de la masse osseuse chez certains sujets dont le traitement
féminisant a été imparfaitement suivi. D’autres études longitudinales semblent
encore nécessaires pour faire la part de l’influence génétique et du déficit
chronique oestrogénique.
L’OBESITE
est fréquemment
un problème dans le ST. La courbe de poids rapportée à l’âge statural montre
la survenue d’une surcharge pondérale à partir de l’âge de 5 ans. Récemment,
une jeune fille de 16 ans aménorrhéique et n’ayant pas bénéficié du traitement
par GH, ayant un ST, nous a été adressée pour syndrome de Cushing ! Les
taux de cholestérol sont fréquemment élevés chez les patientes les plus âgées.
[27]. La prévention de la surcharge pondérale participe de la prise en charge
globale : aide diététique et psychothérapique pour éviter le repli sur
soi et le grignotage ; pratique du sport, danse, gymnastique, natation.
De plus, l’obésité s’associe souvent à une insulinorésistance, mais il ne semble
pas que la prévalence du diabète insulinodépendant s’associe à un certain degré
d’insulinorésistance.
EN
CONCLUSION,
la plupart
des adultes avec ST on une bonne santé malgré les complications que sont les
troubles de l’audition, l’hypertension artérielle, l’hypothyroïdie, et l’obésité.
Les risques les plus difficiles à évaluer concernent la dissection aortique,
l’hyperlipémie, l’artériosclérose prématurée, et l’ostéoporose, ces trois derniers
paramètres étant étroitement liés à la qualité de la compensation oestro-progestéronique.
Plusieurs études
ont montré que la mortalité chez les femmes avec ST était plus élevée que chez
les femmes normales (28) : celle menée au Danemark donne un âge moyen au
décès de 69 ans, dont 50 % par maladie cardiovasculaire et 20 % par maladies
malignes [29].
Soulignons
pour terminer, avec toutes les études récentes la grande variabilité du phénotype
turnérien, certainement liée au pourcentage de clones X0 impliqué dans
les mosaïques , pourcentage qui peut aussi varier selon les tissus [30]. Si
certaines jeunes filles et femmes turnériennes ont un phénotype presque normal,
d’autres au contraire affligées d’une dysmorphie faciale et trop âgées pour
avoir bénéficié de l’hormone de croissance biosynthétique ont un véritable handicap.
Les groupes Amitié Turner (AGAT) qui se sont développés partout à l’exemple
du Danemark permettent de mesurer cette disparité et les progrès thérapeutiques
accomplis. L’avenir des femmes turnériennes en terme de qualité de vie s’est
transformé grâce à une meilleure prise en charge précoce : c’est cela l’effet
Pygmalion positif , une vision optimiste due aux avancées thérapeutiques.
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