Les XXIIe JTA
> Présentation
> Programme
> Comité scientifique
> Intervenants
> Contacter les JTA

En pratique
> S'inscrire
> Renseignements
> Hébergement
> Programme social
> Post-congrès

Les archives
> Andrologie
> Biologie
> Gynécologie
> Infertilité
> Médecine foetale
> Néonatologie
> Nutrition
> Obstétrique
> Pédiatrie
> Périnatalité
> Périnéologie
> Phlébologie
> Psychosomatique

Rechercher

Titre: Les violences faites aux adolescentes
Année: 1999
Auteurs: - Nathanson
Spécialité: Gynécologie
Theme: Adolescence

LES VIOLENCES FAITES AUX ADOLESCENTES

Mireille Nathanson

Service de Pédiatrie

Hôpital Jean Verdier -93 Bondy

 

Est-il justifié de distinguer les violences commises contre les adolescentes? Sont-elles fondamentalement différentes, en quantité et en qualité, de celles que subissent les garçons du même âge?

Certaines études récentes, portant sur la santé des adolescents, ou les problèmes qu'ils rencontrent, permettent de répondre au moins partiellement à ces questions, même s'il s'agit d'une réponse indirecte.

M. Choquet , dans une étude en France et en Suisse, montre que les troubles fonctionnels sont plus fréquents chez les adolescentes: maux de tête chez 30% d'entre elles contre 14% chez les garçons ; 47% des filles sont fatiguées (versus 39%) ; 23 % se disent déprimées (contre 10% des garçons).

La même étude précise que, au Québec, entre 15 et 19 ans, 29% des garçons et 46% des filles révèlent un "indice de détresse psychologique élevé".

Une autre étude réalisée en 1998 par M. Choquet à l'INSERM étudie les difficultés subies par 917 jeunes suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse : bien que minoritaires, les filles suivies pas la PJJ sont dans un état "de très grande souffrance psychologique". Seulement 30% des filles jugent "plutôt bonnes " leurs relations avec leurs parents, contre 46% des garçons.

On distinguera les violences commises par des individus, et celles dues à l'organisation de la société, ou à certaines organisations sociales

I-VIOLENCES COMMISES PAR DES INDIVIDUS

Maltraitance physique

La violence physique intra-familiale (syndrome de Silverman) a été surtout décrite chez les jeunes enfants. Elle est en fait fréquemment dirigée contre les adolescents ; au contraire des abus sexuels, les garçons sont plus souvent concernés que les filles : dans une enquête française de l'INSERM de 1994, 17% des adolescents disent avoir été victimes de violences, et les garçons sont deux fois plus touchés que les filles.

Les adolescentes peuvent continuer à être victimes d'une violence "habituelle" dans leur famille, mais leur arrivée à l'âge de la puberté peut transformer la situation. Bien que les adolescents issus de parents migrants ne soient absolument pas les seuls à être concernés, les familles migrantes peuvent représenter un paradigme des difficultés de cette période "de passage".

Tout d'abord parce que les difficultés scolaires éventuelles, même si elles ne sont pas majeures, peuvent être très mal supportées par des parents, eux- mêmes peu instruits, mais qui ont le sentiment de tout avoir fait pour que leurs enfants "arrivent" mieux qu'eux.

Ensuite parce que le projet professionnel de ces jeunes peut être fondamentalement différent de ce qu'avaient imaginé les parents.

Également en raison des exigences nouvelles que les parents peuvent avoir: la petite fille était élevée à peu près comme ses petites camarades issues de familles françaises: son habillement, ses amitiés étaient les mêmes. Mais la jeune fille de 13 ans aura à faire face à de nouvelles exigences parentales.

Djamila est une jeune fille de 14 ans; elle est diabétique depuis l'âge de 8 ans. L'équilibre de son diabète est plus mauvais depuis quelques mois, elle a de fréquentes hypoglycémies. Lors d'une consultation, le père émet devant la pédiatre qui la suit depuis le début de son diabète l'idée que peut-être, en raison des fréquents malaises hypoglycémiques, il serait bon d'envisager une scolarité par correspondance. Naïvement la pédiatre objecte que, en particulier à cet âge, il ne serait pas bon pour Djamila d'être privée de tout contact social extra-familial ; elle se voit en retour accuser de vouloir favoriser des mœurs dépravées chez cette jeune fille. Lors du suivi ultérieur, difficile, Djamila expliquera qu'elle est en rébellion contre ses parents, qu'elle n'a aucune liberté par opposition à ses frères, et que ses parents essaient de la maintenir dans l'obéissance par des coups: le grand frère la maintient de force sur une chaise pour que la mère puisse la battre. On peut remarquer que la mère, née en France, a intégré les interdits donntés par les hommes de la famille.Ultérieurement Djamila fera plusieurs tentatives de suicide, puis se résignera et "rentrera dans le rang".

L'approche de l'été fait naître des conflits chez nombre de familles de migrants, l'adolescente refusant de retourner pour les vacances au pays, dans la crainte , parfois justifiée, d'y être mariée et de ne pouvoir revenir.

Les projets de retour définitif au pays , qui ont parfois été entretenus par les parents depuis leur arrivée en France, peuvent n'être absolument pas acceptés par les enfants arrivés à l'adolescence.

Les corrections "à but éducatif" posent le difficile problème de la définition et des limites des mauvais traitements. Le père qui "corrige" de façon violente son enfant adolescent parce que celui-ci a fait une "grosse bêtise" (vol ou participation à un vol, sortie jusqu'à des heures indues, pour les filles surtout…) a souvent conscience d'avoir agi en toute bonne foi, et se trouve justifié parce que "dans son pays, on l'aurait félicité d'avoir ainsi veillé à la bonne éducation de son enfant". Le problème est d'autant plus difficile que, si on fait un signalement à la justice, le père se trouve décrédibilisé vis-à-vis de son enfant, et éventuellement se désintéressera ultérieurement de son éducation.

Il est tout de même important de se rappeler que, quelle que soit la compréhension que l'on peut avoir des motivations du parent qui a commis un geste violent, c'est la loi française qui doit s'appliquer. On admet cependant en général qu'on parle de mauvais traitements surtout quand ceux-ci sont répétés, et constituent un mode de relation fréquent ou habituel avec l'enfant.

 

Abus sexuels

Rappelons tout d'abord la définition des abus sexuels: constitue un abus sexuel contre un mineur toute utilisation de ce mineur par un adulte ou une personne nettement plus âgée à des fins de satisfaction sexuelle de cette personne, que ce soit par violence, contrainte, surprise ou séduction.Les abus sexuels incluent toutes les rapports avec contact physique: pénétration vaginale, rectale, buccale, que ce soit par le sexe, le doigt , un objet; ou attouchements,; mais aussi l'exhibitionnisme, la pornographie, l'incitation à la prostitution. On y joint maintenant le harcèlement sexuel.

La loi distingue maintenant les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles.

Dans l'étude citée plus haut et portant sur des jeunes suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse, 55% des filles (et 41% des garçons) ont été victimes d'une agression physique . 34% des filles (et 6% des garçons) ont subi une ou plusieurs agressions sexuelles (ayant débuté en moyenne à 12 ans)

Dans leur très grande majorité, les abus sexuels contre les enfants ou les adolescents sont commis par un proche du jeune : parent responsable (père, beau-père…) : il s'agit alors d'inceste; ou éducateur, enseignant, prêtre, voisin… : 85% des filles dans l'étude de M. Choquet connaissent l'agresseur qui "fait partie de l'entourage familial au sens large".

En dehors de la situation de tentative de viol par un inconnu, cas dans lequel l'abus est souvent, mais non toujours, immédiatement ou rapidement révélé, un abus sexuel peut être soupçonné dans différentes circonstances.

•Parfois c'est l'adolescente elle-même qui le révèle, souvent en milieu scolaire: elle en parle à une amie, qui en parle à sa mère, celle-ci alerte le professeur . Parfois la révélation est faite à l'infirmière ou à l'assistante sociale de l'établissement scolaire, ou éventuellement à une parente: à sa mère, à une tante. C'est parfois le "petit copain" qui reçoit la révélation.

L'inquiétude des professionnels qui entendent la révélation d'un abus par une adolescente porte souvent sur la crédibilité de celle-ci ; en fait, la très grande majorité des abus révélés ainsi sont réels ; le fantasme, l'allégation mensongère si souvent évoqués sont en fait l'exception.

La situation pourrait donc paraître relativement simple en cette circonstance, si deux faits très habituels ne venaient pas la compliquer : l'adolescente exige parfois le secret ("j'ai quelque chose à vous dire, mais je ne le dirai que si vous me promettez le secret"), et veut avoir la maîtrise de la situation (" je vous confie ce qui m'est arrivé, mais je ne veux pas que ma mère le sache, ni que ma mère aille en prison"). Il est important pour le professionnel de ne pas se laisser emprisonner par une promesse imprudente, et d'expliquer à la jeune qui ni elle, ni le médecin ne peuvent avoir la maîtrise d'une telle situation: seule la Justice a cette maîtrise , in fine.

• Différentes situations gynécologiques ou obstétricales peuvent faire évoquer un abus sexuel : une maladie sexuellement transmissible peut, à cet âge, résulter d'un abus , mais aussi d'un rapport sexuel librement consenti. Rappelons ici que l'interdiction de rapport sexuel entre un majeur et une mineure n'est en rien annulée si la mineure est consentante.

Une consultation pour demande de contraception, d'interruption volontaire de grossesse, une grossesse chez une très jeune adolescente, peuvent éveiller l'attention, non tant par elles-mêmes, que par le contexte: l'adolescente est accompagnée par un adulte "inattendu" en cette circonstance, ou bien, sans qu'il soit toujours possible de la préciser, l'intuition existe qu'il "y a quelque chose de pas clair" ; il ne faut pas dans ce domaine refuser de croire en son intuition, mais il est nécessaire de passer de l'intuition à l'évaluation.

•Des manifestations souvent classées comme "fonctionnelles" peuvent être présentes: douleurs abdominales, céphalées, "malaises" ou vertiges. Il s'agit de symptômes très banals, mais la cause peut ne pas l'être.

L'assistante sociale du collège proche de l'hôpital téléphone en urgence à sa collègue hospitalière: une élève âgée de 13 ans lui a révélé que sa sœur aînée âgée de 15 ans est victime d'un inceste de la part de leur père: elle a les a surpris plusieurs fois, en l'absence de la mère, dans des situations non équivoques. L'hospitalisation est décidée pour la jeune fille qui vient de révéler l'inceste, car elle est "effondrée", sanglote, et refuse de retourner à la maison. On téléphone à la famille qu'elle "n'est pas bien" et doit être hospitalisée. Une fois la jeune fille arrivée dans le service, on s'aperçoit que la grande sœur a été hospitalisée deux ans auparavant dans le service à deux reprises pour douleurs abdominales. Un bilan avait été fait, il était négatif, et on avait conclu à des douleurs "fonctionnelles". Lors de la deuxième hospitalisation, quelques semaines après la première, le tableau était identique, mais la mère disait qu'entre temps la grande sœur avait eu ses règles pour la première fois. Il lui avait été répondu que l'état pubertaire n'était pas compatible avec la survenue de règles et qu'on demanderait une consultation gynécologique pour connaître l'origine de l'hémorragie. Nul ne s'était étonné à l'époque que les parents aient, avant cette consultation annoncée, fait sortir leur fille du service "sur demande". Deux ans plus tard, lors de l'hospitalisation de la jeune sœur, les parents et l'aînée niaient qu'il y ait eu abus (non prouvé par l'examen clinique), le placement de la jeune sœur était demandé, car elle était accusée par ses parents d'avoir affabulé par jalousie, et ils n'en voulaient plus à la maison. Malgré une rétractation rapide, quelques semaines plus tard, l'éloignement du foyer familial était maintenu. Ce n'est que quelques années plus tard que la réalité de l'abus était confirmé par l'aînée.

Y avait-il des éléments lors de l'hospitalisation de l'aînée pour soupçonner un abus sexuel (qui avait déjà eu lieu à l'époque)? On peut simplement noter que le refus de laisser leur fille subir un examen gynécologique pour expliquer une hémorragie génitale aurait pu faire se poser des questions, et l'expérience montre que quand on connaît la réalité et la fréquence des abus commis contre les enfants, on se pose plus facilement ces questions.

•Troubles du comportement

Les troubles du comportement alimentaire sont une pathologie relativement fréquente et parfois grave.

L'anorexie mentale a 2 pics de fréquence: le début de la puberté (12-13 ans) et la période de 18-20 ans.Elle est 10 fois plus fréquente chez la fille que chez le garçon. Sa fréquence avoisine 1% de la population féminine, mais l'évaluation de l'incidence est en fait difficile, car il existe des formes atypiques ne répondant pas aux critères habituels. Ceux-ci, définis par Feighner et repris par Mammar et coll., comprennent:

la survenue de la maladie avant 25 ans

la perte de plus de 25% du poids initial

une distorsion de l'attitude par rapport à l'alimentation:

négation de l'état de maigreur

plaisir au refus de la nourriture (et à la préparer pour le reste de la famille)

désir d'atteindre et de maintenir un état de maigreur

manipulation des apports alimentaires

absence de maladie somatique ou psychiatrique expliquant la perte de poids

au moins deux des manifestations suivantes:

aménorrhée

lanugo

bradycardie

périodes d'hyperactivité

épisodes de boulimie

vomissements induits ou usage de laxatifs

L'anorexie mentale alterne souvent avec des épisodes de boulimie, caractérisée par une frénésie alimentaire poussant à absorber sans possibilité d'auto-contrôle des quantités importantes de n'importe quelle nourriture, épisodes "compensés" par des vomissements induits ou l'usage de laxatifs, ou la pratique d'exercices physiques intenses.

Il est difficile de savoir quel est le pourcentage de cas d'anorexie mentale ou de boulimie qui peuvent être liés à un abus sexuel ; l'expérience clinique montre en tout cas qu'il n'est pas négligeable, et que la question doit être présente dans la pensée du médecin qui prend ces jeunes en charge.

Les tentatives de suicide ou les idées suicidaires devraient entraîner une prise en charge systématique, passant habituellement par une hospitalisation de durée suffisante. La relation entre des événements traumatiques de l'enfance ou de l'adolescence et des conduites suicidaires à l'adolescence est connue . L'enquête nationale de l'INSERM déjà citée,qui étudiait plusieurs milliers d'adolescents scolarisés, confirmait le lien fréquent entre des abus sexuels subis et les tentatives de suicide.

Victoire, jeune fille de 15 ans, était hospitalisée pour tentative de suicide par ingestion de médicaments . Son état stuporeux se dissipait en 24 heures, L'entretien avec la psychologue ne mettait en évidence qu'une problématique relativement banale de conflits familiaux. Mais son état neurologique , restant anormal quelques jours plus tard,rendait impossible la sortie : elle ne pouvait marcher seule, et sa marche accompagnée était très particulière, hésitante, jambes et bras écartés (comparée par une infirmière mauricienne à la marche du Dodo). Les entretiens ultérieurs, pendant cette hospitalisation prolongée par la force des choses, lui permettaient de révéler un abus sexuel, existant depuis de nombreux mois, par son frère aîné, lui-même en grande souffrance psychologique.

Des antécédents d'abus, dans l'étude de l'INSERM citée plus haut, étaient aussi suivis d'autres troubles comportementaux: fugues, conduites violentes, consommation de toxiques, absentéisme scolaire, et également prise de risques.

Des antécédents d'abus sont souvent retrouvés chez les prostituées.

 

•A la limite des abus sexuels, il existe des "climats incestueux", dans des familles "à transactions incestueuses", dans lesquelles la caractéristique est le non respect de la personne de la jeune, de son intimité physique et psychique.

•Un cas clinique nous semble résumer un certain nombre des symptômes ou indices décrits.

Patricia, adolescente de 15 ans, consulte accompagnée de sa mère "parce qu'elle crache": depuis de nombreux mois, sa bouche se remplit continuellement de salive qu'elle doit aller cracher plusieurs fois par heure dans le lavabo. Elle ne tousse pas, n'a aucun autre trouble. Elle a déjà consulté de nombreux spécialistes, subi des examens complémentaires variés. Ceux-ci ainsi que l'examen clinique sont rigoureusement normaux. Devant le caractère surprenant de ce symptôme, et après qu'on a demandé à la mère de sortir, l'hypothèse est dite à Patricia qu'il ne sert à rien de poursuivre les explorations, et que peut-être il y a quelque chose qui ne va pas pour elle. Elle acquiesce, parle de la violence de son père, mais nie qu'il y ait autre chose , en particulier de l'ordre d'un abus, et dit qu'elle refuse de discuter avec lui de cette violence inadmissible. Patricia et sa mère sont d'accord pour parler de tout cela avec une psychologue, mais ne se manifesteront pas auprès d'elle. Quelques semaines plus tard, le médecin traitant de la famille (qui n'était pas au courant de la première consultation) demande que l'on hospitalise Patricia: ses parents ont surpris une conversation téléphonique avec une amie: les deux jeunes filles veulent se suicider. Il faudra plusieurs entretiens avec le psychiatre du service avant que Patricia reconnaisse que depuis un ou deux ans, son père n'est en fait plus violent avec elle, mais a adopté un comportement qu'elle ne peut supporter: il entre dans la salle de bains sans son accord, l'a photographiée nue, et l'attire parfois contre lui d'une façon qui fait dire à la mère et à la tante: "Méfie toi de ton père". Ces comportements incestueux étaient pour Patricia aussi graves qu'un passage à l'acte, puisqu'ils étaient à l'origine de son désir de mourir. Il est cependant possible, étant donné la symptomatologie présentée, qu'il y ait eu plus qu'un climat incestueux.

VIOLENCE DANS LE COUPLE ADOLESCENT

Il s'agit d'un aspect particulier des violences envers les adolescentes . Il peut s'agir autant de violence physique que de violence et d'abus sexuel ; la violence psychologique est bien sûr toujours présente dans de telles situations.

La jeune fille ne perçoit pas toujours la violence de son partenaire comme telle, soit que, pour elle, la violence fasse partie des comportements habituels, soit qu'elle confonde jalousie et amour. De plus, elle n'ose pas toujours en parler à un intervenant adulte, parce qu'elle est sous l'emprise psychologique d'un partenaire qui peut être plus âgé qu'elle, ou parce qu'elle a peur qu'on ne la croie pas ou que les faits ou les craintes qu'elle rapporte paraissent sans importance .

Lorsqu'on soupçonne cette violence, le problème peut être abordé de façon indirecte, en demandant à l'adolescente si son copain se montre jaloux, s'il a déjà eu des comportements violents envers des objets ou des animaux, et si elle a déja eu peur qu'il la frappe. Elle pourra éventuellement ensuite parler de ce qui lui est effectivement arrivé.

Mais il arrive souvent aussi qu'une question directe amène une réponse franche, l'adolescente étant alors heureuse qu'un intervenant adulte puisse l'écouter, la croire et l'aider.

Des violences sexuelles imposées par un "copain" lors d'un rendez-vous ("dating violence" des anglo-saxons) éveillent souvent des doutes chez l'adulte qui en reçoit la confidence : l'adolescente semble ne pas s'être défendue, et la violence peut alors ne pas être apparente, l'adolescente semblant avoir été paralysée, sans réaction. La révélation est d'autant plus difficile que l'adolescente s'était rendue librement au rendez-vous, mais, comme le dit Frappier, "désobéir à ses parents en rejoignant un ami chez lui ne signifie pas qu'on veuille être agressé" : il est donc essentiel de ne pas confondre prise de risque et consentement.

La révélation et le signalement

En raison des difficultés à la révélation, l'adulte professionnel doit être familiarisé avec certains faits:

la révélation est souvent faite à distance de l'agression, par crainte des conséquences qu'elle peut entraîner, ou désir "magique" d'annihiler cette agression en n'en parlant pas

le dévoilement est la plupart du temps fait à une personne étrangère à la famille, mais faisant partie du cercle social de l'adolescente

l'histoire est souvent racontée de façon différente à différents intervenants (premier confident, médecin, police…). L'impossibilité pour l'adolescente de donner des précisions ne doit pas faire douter de sa crédibilité ; elle résulte du trouble où elle est, de la gêne qu'elle éprouve, éventuellement du fait qu'elle ait pu être sous l'emprise de boisson ou de drogue.

la révélation peut se faire dans un climat dramatique, qui emporte chez l'intervenant à la fois absence de doute sur la réalité des faits et compassion, mais dans d'autres cas l'adolescente semble être "à distance" de ce qui lui est arrivé ; cette attitude peut faire lever, à tort, un doute sur la crédibilité de la jeune fille.

Les articles du Code Pénal qui exposent les règles du Secret Professionnel et la possibilité de le lever pour faire un signalement doivent être connues, en sachant:

-qu'il n'est pas nécessaire d'être sûr de la réalité d'une maltraitance, ni d'en avoir la preuve, pour faire un signalement

-qu'il est encore moins nécessaire de savoir qui en est l'auteur.

Article 226-14: "l'article 226-13 [qui punit le non respect du secret médical] n'est pas applicable:

1° à celui qui informe les autorités judiciaires [le Procureur de la République], médicales [le médecin de groupement de PMI], ou administratives [l'Inspecteur de l'ASE] de sévices ou privations dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur de 15 ans [un jeune de moins de 15 ans] ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique

2°au médecin qui, avec l'accord de sa victime, porte à la connaissance du Procureur de la République les sévices qu'il a constatés dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles de toute nature ont été commises."

Il découle de cet article que le médecin peut lever le secret professionnel dans de tels cas, mais qu'il n'y est pas obligé.

Il doit cependant connaître l'article 223-6 du Code Pénal, qui sanctionne celui qui, pouvant empêcher "un crime ou un délit contre l'intégrité de la personne, s'abstient volontairement de le faire".

En ce qui concerne les adolescents, il y a donc deux cas:

-l'adolescent de moins de 15 ans pour qui on peut faire un signalement de mauvais traitements quels qu'ils soient, même sans son accord ; ce signalement peut être fait à l'autorité médicale, administrative, ou judiciaire

-la jeune de plus de 15 ans, dont l'accord est nécessaire en principe ; seuls les violences sexuelles peuvent être signalées, et à la Justice uniquement . En fait, on utilise souvent le fait que l'adolescente ne semble pas être en état de se défendre "en raison de son état physique ou psychique" pour faire un signalement lorsqu'il semble indispensable à sa protection.

 

Mauvais traitements émotionnels ou psychologiques

1- La maltraitance psychologique fait intrinsèquement partie des autres formes de mauvais traitements : la jeune fille sexuellement abusée par son père ne présente bine souvent aucune lésion physique, mais le développement normal de sa personnalité est gravement altéré, et la prise en charge à envisager est habituellement psychologique plus que physique.

Ces constatations sont maintenant évidentes et ne seront pas discutées plus avant ; mais il semble important de parler des cas où la maltraitance psychologique suit la révélation d'une autre forme de maltraitance et en est en partie la conséquence.

Lydia est une jeune fille de 15 ans qui a révélé qu'elle était victime depuis plusieurs années d'abus sexuels de la part de son père. Celui-ci a été incarcéré et condamné à plusieurs années de prison. Sa mère a d'abord été un soutien pour Lydia : elle approuvait le fait que celle-ci ait rompu le silence, et était à ses côtés; mais les mois passant, elle a progressivement évolué et est passée "du côté du père", reprochant à Lydia d'avoir brisé la famille, d'être responsable de la détention du père, demandant qu'elle aille lui rendre visite en prison (ce que Lydia refusait) et lui témoigne son amour, et finalement la battant. C'est dans ces conditions que Lydia a fait, à quelques mois d'intervalle, deux tentatives de suicide.

On connaît d'autre part le chemin difficile, véritable "parcours du combattant", que suivent les jeunes après la révélation d'une maltraitance, en particulier quand il s'agit d'un abus sexuel: pressions familiales pour aboutir à une rétractation, interrogatoires par la Brigade des Mineurs, examens parfois répétés, confrontation éventuelle avec l'auteur de l'abus, procès…

2- La maltraitance psychologique peut être d'emblée au premier rang du tableau clinique

•Certains jeunes sont cruellement rejetés par leurs parents:

Eléonore a été hospitalisée dans notre service en novembre dernier pour une deuxième intoxication médicamenteuse volontaire. La première, en septembre, avait entraîné un signalement judiciaire de la part du service dans lequel elle avait été hospitalisée ; ce signalement n'avait pas été suivi d'effet. Eléonore est une jeune fille de 13 ans, qui vit avec sa mère ; celle-ci s'est séparée de son mari (qui est le père de Eléonore), quelques mois auparavant, et dit ne s'être absolument pas consolée de cette séparation. Eléonore est dans un grand désarroi ; sa mère qui occupe un poste de responsabilité, est alcoolique, déprimée (elle a fait une grave tentative de suicide qui l'a amenée dans un service de réanimation), et est en conflit permanent et violent avec elle; elle l'a mise plusieurs fois à la porte de la maison lors d'épisodes d'alcoolisme aigu, et lui a dit à plusieurs reprises après sa première tentative de suicide: "tu n'as qu'à mourir". Son père estime ne pas pouvoir prendre sa fille en charge. Eléonore tient beaucoup à rester dans son collège où elle a de très bons amis. La mère d'une amie de sa classe accepte d'accueillir Eléonore. Cette solution est acceptée par le Juge des Enfants, mais la mère la met en échec, se montrant lors d'épisodes violents d'ivresse très rejetante envers sa fille et en même temps accusant la Justice et la famille d'accueil de lui voler sa fille. Eléonore devient elle-même insultante envers cette famille d'accueil. Le placement échoue, et le juge envoie Eléonore chez ses grands -parents maternels qui entretiennent des liens étroits avec la mère et sont alcooliques comme elle.

•On se trouve parfois en présence d'exigences excessives des parents, sur le plan éducatif ou scolaire. Il en a déja été question plus haut.

Maria est en position difficile .C'est une adolescente de 12 ans, d'origine portugaise, hospitalisée pour douleurs abdominales intenses et récurrentes, sans cause organique retrouvée. Son père est maçon et lui répète que lui et la maman n'ont pas pu faire d'études, qu'elle doit en faire et réussir dans la vie . Il a décidé qu'elle serait avocate, lui a acheté un cahier qu'il appelle "son cahier d'avocate" sur lequel elle doit noter tout ce qui peut se rapporter à son "futur métier": tels les mots "liberté" et "prison"; ce mot a pour Maria une connotation angoissante ; c'est clairement un équivalent d'une menace pour le cas où elle ne satisferait pas ses parents.

L'exploitation d'enfant ou d'adolescents est aussi une forme de mauvais traitements à la fois physiques et psychologiques .

Esther a été hospitalisée à l'âge de 15 ans, amenée par la Brigade des Mineurs après signalement du médecin et de l'assistante sociale scolaires pour brimades, privation de nourriture et coups.

C'est une jeune ivoirienne en France depuis un an; elle a été élevée en Côte d'Ivoire par sa tante qui n'avait pas d'enfant; elle était très heureuse là-bas. Sa mère a été la chercher pour qu'elle s'occupe de ses petits frères.

La famille est composée de la mère, auxiliaire de gériatrie, en congé de maternité ; du beau-père, professeur d'anglais ; d'Esther, née d'une première union de sa mère ; de trois petits frères, âgés de 8,6 et 1 ans.

Le médecin scolaire et les enseignants sont de plus en plus inquiets depuis quelque temps et décrivent un tableau de maltraitance grave:

-Esther doit s'occuper de ses petits frères et du travail domestique, et ne peut faire son propre travail scolaire

-elle a dû quitter la chambre qu'on lui avait attribuée à son arrivée en France, et dort dans le salon sur un canapé, mais elle ne peut aller dormir avant une heure avancée de la nuit, car sa mère occupe le canapé, "exprès pour l'empêcher de dormir", dit-elle; elle semble épuisée quand elle arrive à l'école

-elle est privée de nourriture, vient de plus en plus fréquemment en quémander à l'infirmerie et a perdu du poids

-elle est frappée par sa mère ; au début son beau-père la défendait, mais maintenant "il ne dit plus rien". Les coups sont associés à des brimades: cheveux rasés, traces de griffures

-Esther est maintenue dans un grand isolement affectif: on lui interdit de fréquenter hors du collège ses deux camarades de classe, et de maintenir des liens par courrier avec sa famille de Côte d'Ivoire

-elle est accusée d'avoir "le mauvais œil", et est tenue pour responsable de la naissance d'un dernier enfant trisomique et de tous les malheurs qui s'abattent sur la famille

-sa mère tient aux professeurs un discours négatif et haineux sur sa fille

-Esther est menacée de sanctions si elle parle, et pendant l'hospitalisation elle est terrorisée à l'idée de revoir sa mère.

Elle souhaiterait retourner en Côte d'Ivoire; à défaut, elle voudrait être accueillie dans une famille . En fait, c'est la solution d'un foyer d'accueil qui sera retenue.

II-Violences de la société, ou de certaines organisations sociales

L'ÉCOLE

Il est certainement excessif de dire que l'institution scolaire est par elle-même violente, cependant elle est ressentie comme telle par nombre de collègiens et de lycéens. Cela tient entre autres raisons aux rythmes scolaires et à la fatigue qu'ils entraînent. Dans une étude datant de 1991 et portant sur l'emploi du temps d'élèves de Seconde et de BEP, le temps de veille est de 16 heures 3 minutes pour les garçons, un peu supérieur pour les filles (16 h 13); les filles font moins de sport (10 mn versus 22 mn), mais aident plus dans le travail domestique (34 mn contre 7 mn). Elles sont plus nombreuses que les garçons , au collège et au lycée, à passer plus de 17 heures par semaine à faire leur travail scolaire personnel.

Dans l'étude de l'INSERM de 1994, il est noté que près de la moitié des adolescents se plaignent d'au moins un ou deux des symptômes suivants : fatigue, céphalées, douleurs digestives, dorsalgies, réveils nocturnes, nausées, cauchemars. La majorité de ces jeunes, surtout des filles , "quittent le lycée avec un niveau élevé de troubles".

Cette fatigue physique se double parfois des conséquences de mauvais traitements psychologiques, que l'élève soit en difficulté dans une classe "de rattrapage", ou au contraire dans une classe préparatoire, où l'humiliation est parfois érigée en méthode pédagogique.

En négatif, une autre forme de violence est représentée dans de nombreux pays, par la non scolarisation des jeunes (des filles, dans les deux tiers des cas).

VIOLENCES INSTITUTIONNELLES

•Elles ont été particulièrement étudiées par Tomkiewicz. Il note que "toutes les institutions, même les meilleures, engendrent de la violence , dans la mesure où le mode de vie y est , par définition, marginal et artificiel", et distingue les violences réputées légitimes et les violences illicites. Cette distinction est en fait à géométrie variable, selon le temps et le lieu: telle pratique communément admise ne l'est plus quelques années plus tard: les châtiments corporels, admis et prônés dans certaines écoles anglaises, ne l'étaient pas dans le reste de l'Europe et ne sont plus admises maintenant en Grande Bretagne.

•Des faits graves peuvent concerner des populations particulièrement fragiles:

Les "dérapages" sont particulièrement à redouter dans les établissements accueillant de jeunes handicapés mentaux. Les méthodes thérapeutiques d'inspiration comportementaliste sont particulièrement attaquées, car elles aboutissent à un "dressage" des jeunes.

La sexualité de ces jeunes handicapés pose problème. Des exemples ont été donnés dans la presse de méthodes "définitives" (castration) qui ont été considérées comme licites dans certains pays considérés comme ayant une politique sociale particulièrement évoluée.

Les jeunes placés en foyer ou en famille d'accueil à la suite de maltraitance, qu'il s'agisse de mauvais traitements physiques ou d'abus sexuels, sont également menacés par la répétition de la maltraitance dans leur lieu d'accueil.

•Vivet explique ces violences institutionnelles par différents facteurs, dont la formation insuffisante des éducateurs, les conditions de travail difficiles, des facteurs psychologiques tenant aux éducateurs ou aux enfants, et le caractère carcéral de certaines institutions.

La violence induite par certaines coutumes ou cultures a été évoquée:

Mariage forcé des jeunes filles, ramenées dans le pays d'origine de leur famille, qu'elles ne connaissent pas et où elles n'ont jamais vécu.

Mutilations sexuelles: l'excision, faussement justifiée par des raisons religieuses, et pratiquée dans certains pays d'Afrique, peut entraîner de lourdes séquelles à l'âge adulte. Il peut s'agir uniquement d'une excision du clitoris, ou d'une excision-infibulation . Il existe maintenant dans ces pays un combat des femmes elles-mêmes pour abolir ces coutumes.

Modifications brutales du mode de vie des jeunes à l'âge de survenue de la puberté ; le port du foulard a suscité de nombreux débats en France, et on ne sait ce qui est le plus violent : l'obligation, du fait des parents, de ce port (même si les jeunes filles revendiquent ce port comme venant de leur volonté propre), ou déscolarisation et désocialisation du fait de la réaction de l'institution scolaire.

 

***************

La réalité des violences commises contre les jeunes est de plus en plus connue. Il est important de se rappeler qu'aucune culture, aucun milieu social ou économique, n'en est indemne.

Les soignants et tous ceux qui sont responsables de soins ou d'éducation doivent apprendre à en reconnaître les indices pour mieux assurer la protection des enfants et adolescents.

Garçons et filles sont concernés par ce problème, mais certaines formes de maltraitance , en particulier les abus sexuels, touchent plus particulièrement les adolescentes.