Dr. Jean-Christophe
GRIS
Laboratoires d’Hématologie
U.F.R. des sciences pharmaceutiques et biologiques, Montpellier I,
et C.H.U. de Nîmes.
La prévention
thérapeutique du risque cardiovasculaire passe largement, de nos jours, par
l’utilisation des hypocholestérolémiants, en particulier des statines, qui stabilisent
les plaques d’athérome. L’efficacité de cette prévention marque cependant ses
limite. La génèse des manifestations fonctionnelles de la plaque d’athérome
fait largement appel aux épisodes microthrombotiques locaux, aboutissant au
concept d’athéro-thrombose. Il est donc nécessaire d’évaluer les liens qui existent
entre le métabolisme des lipides et les mécanismes de l’hémostase ; leur
connaissance devrait permettre de développer de nouveaux concepts thérapeutiques
situés à l’interface de ces deux grands systèmes et d’élargir le champ d’utilisation
des molécules dont nous disposons déjà.
Les lipides
sont acteurs de l’hémostase physiologique.
Hémostase primaire
Les lipoprotéines
circulantes modifient l’activabilité des plaquettes. Les LDL et les VLDL majorent
les réponses métaboliques et fonctionnelles plaquettaires aux principaux agonistes
activateurs (ADP, collagène, thrombine) alors que les HDL, surtout leur fraction
2, ainsi que les chylomicrons générés en post-prandial agissent en sens inverse.
Les LDL et HDL se fixent à des récepteurs plaquettaires spécifiques, la fixation
des VLDL n’est pas spécifique (1). Les lipoprotéines fixées à leurs récepteurs
plaquettaires sont plus facilement oxydées, ce qui majore leur athérogénicité.
Les modifications induites des fonctions plaquettaires reposent sur des mécanismes
de transfert de cholestérol et des phospholipides vers la membrane cellulaire
ainsi que sur des altérations des diverses voies métaboliques intracellulaires.
Parmi les métabolites oxygénés de l’acide arachidonique (eicosanoïdes :
prostaglandines, endoperoxydes, leucotriènes), le thromboxane A2 plaquettaire
est vasoconstrictive, facilite l’adhésion des plaquettes et des monocytes, renforce
l’agrégation plaquettaire et la prostacycline endothéliale (PGI2) est vasodilatatrice,
inhibe l’adhésion cellulaire et s’oppose à l’agrégation plaquettaire. L’acide
arachidonique provient des acides gras libres plasmatiques et des lipoprotéines,
principalement les HDL, moins les chylomicrons.
Coagulation.
Il n’existe pas de
coagulation plasmatique. Les facteurs de coagulation, dans le plasma, sont trop
peu concentrés pour avoir une quelconque chance de se rencontrer pour induire
les réactions enzymatiques devant aboutir à la transformation du fibrinogène
en caillot de fibrine.
La coagulation est en fait un processus cellulaire de surface. Le principe de
concentration, à la surface des cellules et/ou des microparticules circulantes
d’origine cellulaire, est double : présence de récepteurs spécifiques à
de rares facteurs de la coagulation et exposition, sur le feuillet plasmatique
de la membrane cellulaire, de phospholipides électronégatifs habituellement
séquestrés, par un mécanisme actif, à la face interne de la membrane cellulaire.
L’activation cellulaire s’accompagne d’une inhibition du mécanisme de séquestation
active, conduisant à la diffusion passive des phospholipides électronégatifs
(phosphatidylsérine, phosphatidylinositol) vers la face plasmatique. Ceux-ci
pourront alors accueillir les facteurs de coagulation vitamino-K dépendants
dont les résidus glutamiques, g-carboxylés sous l’influence du métabolisme hépatique
dans lequel intervient la vitamine K, rendus ainsi électronégatifs, se lient
par effet de charge au calcium ionisé (Ca++) qui forme un pont avec les phospholipides
électronégatifs, permettant l’assemblage des complexes enzymatiques de la coagulation.
L’exposition des phospholipides électronégatifs explique donc que la coagulation
normale ne se déroule que sur des lieux de rupture ou d’activation cellulaire,
et que l’inhibition de la vitamine K s’accompagne d’une hypocoagulabilité. Ce
mécanisme d’exposition des phospholipides membranaires est la base de l’activité
procoagulante plaquettaire, dont le déficit, initialement décrit comme syndrome
de Scott, s’accompagne de manifestations hémorragiques sévères. Des formes plus
modéréres de déficit en microvésiculation plaquettaire phospholipidique s’accompagnent
de manifestations plus modérées (syndrome de Castaman).
L’initiation de la coagulation nécessite la liaison du facteur VII, vitamino-K
dépendant, sous sa forme activée circulante (2% du facteur VII circulant) à
son récepteur protéique spécifique de surface, le Facteur Tissulaire, exprimé
par un certain nombre de cellules (endothélium, monocytes-macrophages, cellules
muscululaires lisses, fibroblastes, épithéliums, microparticules d’origine cellulaire,
plaquettes après transfert moléculaire à partir de microparticules d’origine
monocytaire, cellules néoplasiques). En général, les lipoprotéines, principalement
les VLDL de fort volume, favorisent l’activation du facteur VII circulant par
des races de facteur Xa, sans participation du Facteur Tissulaire. Un certain
environnement phospholipidique membranaire favorise l’activité du Facteur Tissulaire :
en particulier phosphatidylcholine, la phosphatidylsérine majorant son activité.
Le cholestérol libre et les LDL oxydées, en particulier enrichies en cholestérol,
majorent l’activité du Facteur Tissulaire sans en augmenter son expression cellulaire
quantitative. Le complexe Facteur Tissulaire-facteur VII activé se complète
alors soit par du facteur X, soit par du facteur IX, tous deux substrats du
facteur VII activé. L’apoprotéine A-II inhibe, in vitro, l’activation du facteur
X en s’opposant à la liaison du Facteur Tissulaire au facteur VII activé, effet
inhibiteur contourné par de fortes doses de facteur VIIa. Les LDL circulantes
exercent un effet inhibiteur sur le Facteur Tissulaire médiée par l’apoprotéine
B100, qui peut être minorée par leur oxydation.
Un inhibiteur, le TFPI (inhibiteur de la voie du facteur tissulaire) est capable,
par son affinité avec le facteur VIIa et les facteurs Xa ou IXa, de former un
complexe quaternaire TFPI/VIIa (Facteur Tissulaire)/substrat du VIIa (Xa ou
IXa) qui limite l’activation de la coagulation induite par l’expression du Facteur
Tissulaire, imposant une sorte de marche initiale à gravir avant que les événements
moléculaires initiaux de la coagulation n’induise réellement une activation.
Le TFPI permet donc une exposition de Facteur Tissulaire à bas bruit, sans conséquence
procoagulante. Le TFPI est synthétisé par l’endothélium vasculaire et par les
les monocytes-macrophages. In vivo, le TFPI plasmatique circule entièrement
associé aux lipoprotéines, essentiellement aux LDL les plus denses, aux HDL
de grande taille qui contiennent de l’apoprotéine AII et des complexes apoprotéine
AII / apoprotéine E et à la lipoprotéine(a).
L’activité coagulante plasmatique du facteur VII est corrélée aux triglycérides.
Des concentrations sériques de triglycérides situées dans la zone normale sont
capables de majorer l’activité du facteur VII des patients hypercholestérolémiques.
Les VLDL serraient capables d’absorber le facteur VII à leur surface et de prolonger
sa demi-vie. Les VLDL de grande taille pourraient aussi fournir la surface phospholipidique
capable de fixer les facteurs X et II ; leur fixation à la membrane d’autres
cellules vasculaires (plaquettes, monocytes, endothélium) pouvant fournir du
facteur V permettrait l’assemblage d’une activité prothrombinase à leur surface.
Le fibrinogène est un des composants d’une particule lipoprotéique nouvellement
décrite , contenant phospholipides, apolipoprotéine A-I, protéine de liaison
des lipopolysaccharides et protéines reliées au facteur H : particule lipoprotéique
associée aux protéines reliées au facteur H (FALP). L’abondance de ces particule
suggèreun effet sur la fonction ou l’épuration du fibrinogène ou du fragment
D du fibrinogène.
Le principal système inhibiteur de la coagulation est celui de la thrombomoduline/protéine
C-récepteur de la protéine C/protéine S/facteur V. Ce système à la particularité
de nécessiter, pour bien fonctionner, la présence, parmi les phospholipides
du socle membranaire où s’assemble ce complexe enzymatique inhibiteur, un composé
neutre, la phosphatidyléthanolamine, qui est sans effet sur l’activité des complexes
enzymatiques procoagulants L’efficacité du système inhibiteur de la protéine
C est majorée par l’oxydation de la phosphatidyléthanolamine. D’autre part,
les HDL majorent la réponse anticoagulante du système de la protéine C et les
concentrations d’apo-A1 sont corrélées avec cette réponse anticoagulante. Cet
effet n’est par retrouvé avec les LDL.
Fibrinolyse
Le système fibrinolytique
endovasculaire est en grande partie contrôlé par l’équilibre entre son activateur
principal, synthétisé par l’endothélium vasculaire, l’activateur tissulaire
du plasminogène (t-PA) et son inhibiteur principal, synthétisé par les hépatocytes,
les adipocytes et les monocytes-macrophages, l’inhibiteur de type 1 des activateurs
du plasminogène (PAI-1). Les lipoprotéines jouent un rôle dans l’activation
du plasminogène : les particules VLDL riches en triglycérides perdent leurs
capacités à stimuler la production de t-PA par les cellules endothéliales (diminution
de la transcription du gène du t-PA par l’intermédiaire de séquences répressives
situées en cis de la région promotrice du gène ; 2) et favorisent la transcription
du gène du PAI-1 (présence d’un élément nucléaire de réponse aux VLDL dans la
région promotrice du gène PAI-1, d’activité influencée par le polymorphisme
4G/5G de la région promotrice ; 3). Les grosses VLDL riches en triglycérides
induisent une inhibition non compétitive de la liaison du Glu-plasminogène à
ses récepteurs endothéliaux de surface et altèrent la fibrinolyse/protéolyse
plasmine dépendante de surface cellulaire (4). La Lp(a) favorise aussi la transcription
du gène PAI-1 endothélial. Les LDL acétylées stimulent la production de t-PA
par les macrophages. Les LDL oxydées stimulent la synthèse et la sécrétion de
PAI-1 par l’endothélium vasculaire. La graisse viscérale est le déterminant
principal des concentrations circulantes de PAI-1 et la production de PAI-1
par les adipocytes détermine les concentrations circulantes de PAI-1, avec contribution
locale du TNF-a et du TGF-b.
La lipoprotéine a, ou Lp(a), correspond à une LDL dont l’apolipoprotéine B est
liée par une liaison covalente à une molécule d’apolipoprotéine (a) (apo a).
L’apo (a) est hétérogène, avec un nombre variable de séquences en forme de croissant
suédois, ou « kringle ». La structure de type kringle 4 a une forte
homologie de structure avec le kringle du plasminogène où se trouve de site
de liaison à la lysine, permettant au plasminogène de se lier à la fibrine.
La Lp(a) peut donc entrer en compétition, in vitro, avec le plasminogène
et induire une hypofibrinolyse.
Les anomalies
des lipides s’accompagnent d’anomalies de l’hémostase.
a - Prédispositions
hémorragiques acquises par anomalie des lipides.
Le modèle ethnologique
et historique est celui des Inouits (esquimaux du Groenland), dont le régime
alimentaire riche en huile de poisson ou en huile d’origine marine, donc en
acides gras oméga-3 polyinsaturés, réduit les concentrations plasmatiques de
cholestérol et de triglycérides, améliore la tolérance lipidique, allonge le
temps de saignement, diminue la numération, l’adhésion, l’agrégation et la production
de thromboxane A2 plaquettaire, augmente la compliance artérielle. Le corollaire
en est une tendance hémorragique cutanéo-muqueuse.
Chez le rat, une alimentation enrichie en acides gras (n-3) induit une baisse
importante des facteurs II, X et VII avec allongement du temps de Quick et effondrement
du contenu hépatique en vitamine K, indiquant un effet des diètes enrichies
en lipides sur le métabolisme de la vitamine K : une supplémentation en
vitamine K permet la disparition de l’hypocoagulabilité. Les acides gras (n-3)
pourraient agir au niveau post-transcriptionnel des facteurs de coagulation
vitamino-K dépendants.
Par ailleurs, un régime enrichi en acides gras monoinsaturés, tels qu’on les
trouve dans une diète de type méditerranéenne, induit une baisse des concentrations
plasmatiques de facteur Willebrand, de PAI-1 et de TFPI, trois glycoprotéines
d’origine principale endothéliale : les acides gras monoinsaturés pourraient
minorer l’état d’activation/lésion des cellules endothéliale habituellement
associé à la maladie athéromateuse (5).
b - Phénotype hémostatique
thrombogène et athéro-thrombotique associé aux hypertriglycéridémies.
La coagulopathie
acquise de l’hypertriglycéridémie comporte une élévation des concentrations
plasmatiques de facteur VII (activité et antigène) sans majoration des concentration
de facteur VII activé au prorata, une baisse du TFPI, une élévation de l’activité
du PAI-1 circulant (6). Cette association [conditions favorisant l’activation
de la coagulation / favorisation de l’hypofibrinolyse] pourrait expliquer la
propension thrombotique de certains de ces patients (7). L’augmentation du risque
de maladie thromboembolique veineuse chez le patient obèse pourrait être médié,
au moins en partie, par ces modifications de l’hémostase induites par l’hypertriglycéridémie.
L’élévation du facteur VII et du PAI-1 sont aussi, en termes épidémiologiques,
deux facteurs de risques de maladie cardiovasculaire symptomatique (athéro-thrombose).
Les traitements qui réduisent le LDL-cholestérol améliorent la survie des patients
ayant une maladie vasculaire de 20 à 30%. L’impossibilité d’obtenir une amélioration
de pronostic plus important est en partie expliquée par le fait que d’autres
facteurs lipidiques importants agissent, sous le LDL-cholestérol, sur l’évolution
de la maladie athéromateuse. Parmi ceux-ci, le phénotype lipoprotéique athérogénique
comprend d’abord les anomalies des lipoprotéines enrichies en triglycérides,
puis le HDL-cholestérol et les petites LDL denses, plus facilement oxydables.
L’hypertriglycéridémie s’accompagne aussi d’une activation des facteurs contact
de la coagulation (XII, prékallicréine, XI) non associée à une majoration de
la génération de thrombine : cette activation des facteurs contacts ne
participe donc pas de l’hypercoagulabilité. Chez l’homme, l’hypertriglycéridémie
n’induit pas d’augmentation de la génération de thrombine plaquette-dépendante ;
chez le rat atteint d’hypertriglycéridémie héréditaire existe une hypoagrégabilité
plaquettaire à la thrombine et à l’ADP.
c - Phénotype hémostatique
athéro-thrombotique associé aux hypercholestérolémies.
L’hypercholestérolémie
se double d’une augmentation du rapport cholestérol/phopholipides des membranes
cellulaires. Pour les érythrocytes, l’augmentation seconde de viscosité membranaire
diminue la déformabilité cellulaire et majore l’agrégabilité érythrocytaire,
aggravant les conditions hémorrhéologiques.
L’hypercholestérolémie s’accompagne d’une hyperactivabilité plaquettaire. La
population de plaquettes de faible densité, dont les membranes sont enrichies
en cholestérol, hyperactivables par la thrombine, croit. Le HDL-cholestérol
prédit de façon indépendante l’augmentation de formation des thrombi plaquettaires
observée lorsque le sang humain natif est perfusé, ex vivo, sur aorte
animale (8).
L’hypercholestérolémie s’accompagne, avant même la présence de lésions d’athérome,
d’une augmentation des taux plasmatiques de peptides témoins de l’état d’activation
de la coagulation, plus généralement de l’hémostase. Le cholestérol libre et
les LDL oxydées riches en cholestérol majorent l’activité Facteur Tissulaire
des macrophages chargés en lipides sans augmenter l’expression quantitative
du Facteur Tissulaire; ceux-ci expriment aussi du TFPI qui n’est pas modifié
par le cholestérol ; la résultante est un état procoagulant (9, 10). Le
traitement hypocholestérolémiant par un inhibiteur de l’HMG-coA-réductase s’accompagne
d’une réduction marquée de la génération de thrombine à la fois dans le sang
veineux en conditions basales, mais aussi après activation de l’hémostase par
blessure microvasculaire cutanée ; l’addition d’aspirine ne permet pas
de gain supplémentaire. La simvastatine inhibe l’expression du Factur Tissulaire
des monocytes circulants stimulés par de faibles doses de lipopolysaccharide
bactérien, effet indépendant, chez les transplantés cardiaques, de la réduction
du cholestérol-LDL mais dépendant de l’inhibition de la transcription du gène
Facteur Tissulaire monocytaire. La pravastatine a aussi un effet antithrombotique
qui ne passe pas par la baisse du cholestérol : effet pro-fibrinolytique
par baisse du PAI-1, baisse de la formation de thrombi fibrineux en condition
dynamique de flux.
Les
lipides sont donc des acteurs incontournables de l’hémostase physiologique,
et les anomalies du métabolisme des lipides induisent des anomalies de l’hémostase,
principalement sur le versant thrombotique. Le rôle respectif des diverses fractions
lipidiques, des apolipoprotéines et des apoprotéines est encore imparfaitement
décrit et doit être éclairci. Ces anomalies acquises de l’hémostase peuvent
être en partie ou totalité corrigées par les traitements hypolipémiants dont
nous disposons. L’apport des traitements hypolipémiants ou modificateurs de
la composistion lipidique membranaire, s’il commence à être bien perçu dans
l’athéro-thrombose, n’est actuellement pas appréhendé dans le domaine de la
maladie thromboembolique et du risque thrombotique veineux. Il faudra se donner
les moyens de savoir si les traitements hypolipémiants peuvent être de bon traitements
adjuvants dans la prévention du risque de phlébite et d’embolie pulmonaire.
Références
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et KAUL S., « Evidence that high-density lipoprotein cholesterol is an
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