GYNECOLOGIE
ET OBSTETRIQUE OU GYNECOLOGIE-OBSTETRIQUE
D.
DARGENT
La gynécologie-obstétrique,
ce métier qui est le mien depuis plus de trente ans, est aujourd'hui
menacée. La menace de scission est d'un type nouveau. Mais la spécialité,
déjà, avait été autrefois menacée.
Pendant
des siècles il ne serait venu à personne l'idée de séparer
la gynécologie et l'obstétrique. La seule question qui se posait
était celle des places que devaient respectivement occuper médecins
et sages-femmes. Mais le médecin qui prenait en charge les "maladies
des femmes" était un gynécologue accoucheur au sens actuel
du terme. C'était un choix humaniste et les femmes y adhéraient.
Il faut dire aussi que la pauvreté des moyens dont on disposait ne rendait
pas vraiment indispensable que soient séparées la gynécologie
et l'obstétrique. Dès qu'on a eu à disposition des moyens
réellement efficaces pour traiter les pathologies très diverses
qu'on affronte en gynécologie, l'unité s'est trouvée menacée.
Histoire
d'un divorce
Tout a commencé
au moment où, grâce au chloroforme d'une part et grâce à
l'asepsie d'autre part, il est devenu possible d'opérer les malades…
sans les tuer tous. C'était à la fin du XIXe siècle. En
gynécologie on a, prudemment, commencé en opérant par la
voie vaginale. Les grands noms de cette époque sont tous des noms de
chirurgiens. Mais les gynécologues accoucheurs avaient leur place. A
Lyon par exemple Commandeur qui était le titulaire de la chaire d'obstétrique
de la toute jeune faculté de médecine défendait avec éloquence
la chirurgie vaginale qu'il qualifiait, en 1884, de "chirurgie de l'avenir".
Quand on
a commencé à opérer par laparotomie les gynécologues
accoucheurs ont complètement perdu pied. Il faut dire qu'à l'époque
la chirurgie était une aventure éprouvante. A Lyon, Auguste Polosson
qui a été le premier chirurgien des hôpitaux à bénéficier
de la création de la chaire de clinique gynécologique née
de la scission de la chaire d'obstétrique et qui a été
le premier aussi à faire en France des hystérectomies radicales,
se reposait à la maison pendant deux jours chaque fois qu'il avait fait
une telle opération. Il était difficile, dans ce contexte, de
rester disponible pour se rendre, de jour comme de nuit, au chevet des parturientes.
Le divorce entre accoucheurs et gynécologues s'est fait par consentement
mutuel.
Les chirurgiens
qui avaient fait main basse sur la gynécologie, peut-être n'étaient-ils
pas les plus courageux des chirurgiens, même s'ils n'étaient pas
contraints à l'exercice de l'obstétrique, n'ont pas tardé
à trouver leur métier pénible. Il fallait, en plus de la
chirurgie, faire les coagulations du col, les columnisations et autres diathermies
à visée antalgique, puis les épreuves d'insufflation utérotubaires
et bientôt les hystéro-salpingographies. Il fallait surtout suivre
les malades… et les écouter. Trop c'était trop et c'est ainsi
que fut fondée une phalange de supplétifs : les gynécologues
médicaux. Les chirurgiens urologues, à la même époque,
se sont posés la question d'en faire autant. Mais ils ont finalement
décidé de continuer à faire eux-mêmes les dilatations
urétrales, les cystoscopies, les cathétérismes urétéraux
et autres corvées qui étaient nombreuses à cette époque
où fleurissaient les infections gonococciques et la tuberculose.
Une nouvelle
menace de divorce
La gynécologie
médicale, assez peu de temps après sa création, devait
prendre un développement rapide et important en liaison avec plusieurs
facteurs. Les progrès de la médecine y étaient pour beaucoup.
Mais ce sont surtout les phénomènes démographiques et socio-culturels
qui ont marqué l'après-guerre qui ont transformé les données.
Les femmes, après le baby boom, ont choisi de contrôler (en français
: réduire de façon drastique) leur fécondité. Les
pilules et les stérilets sont apparus sur le marché. L'espérance
de vie augmentant les nouvelles grands-mères ont désiré
que soient effacées le plus possible les conséquences du vieillissement.
L'hormonothérapie substitutive est venue au-devant de leur désir.
Moins drolatique, en même temps que diminuait la fécondité
et augmentait l'espérance de vie, la prévalence des cancers du
sein s'accroissait. La mammographie de dépistage a été
proposée s'ajoutant aux autres méthodes de détection précoce
des cancers avec, comme finalité, de réduire la mortalité
imputable à ces maladies.
Les nouveaux
besoins ont suscité les nouvelles techniques. L'offre des nouvelles techniques
a créé de nouvelles demandes cependant qu'augmentait très
fortement le niveau de vie. Toutes les conditions étaient remplies pour
que la phalange des gynécologues médicaux d'avant-guerre devienne
une véritable armée. Car ce sont eux qui ont assumé le
gros des tâches nouvellement apparues et bientôt considérées
comme faisant partie du "droit à la santé". Ce droit,
évidemment, n'était pas égal pour toutes. Certaines étaient
plus égales que d'autres. Mais les riches, après tout, ont bien,
elles aussi, droit à être soignées ! Les cabinets de gynécologie
médicale se sont multipliés à tel point que les protestations
ont été bien platoniques quand a été décidé
de supprimer le diplôme croupion qualifiant les gynécologues médicaux.
La France,
en supprimant le "CES de gynécologie médicale" qu'on
obtenait après trois ans d'études, rejoignait le reste du monde
où la formation des gynécologues dure cinq ans, englobe tous les
aspects de la spécialité et aboutit à une qualification
unique. Aujourd'hui les très nombreux gynécologues médicaux
formés en France dans les années 60 et 70 arrivent à l'âge
de la retraite. Ils pensent légitime de pouvoir, selon une autre tradition
bien française, "vendre leur clientèle" et d'autant
plus, peut-être, que, contrairement aux autres spécialistes, ils
n'avaient pas, au moment de leur installation, acheté cette clientèle
mais l'avaient "créée".
Ils ne trouvent pas d'acheteur parmi les jeunes confrères. Ils demandent
donc que soit à nouveau partagée la gynécologie obstétrique.
La séparation, cette fois, ne se fera pas par consentement mutuel ou,
du moins, pas dans n'importe quelles conditions.
Le besoin
de sub-spécialisation
L'accélération
exponentielle du progrès technique rend l'exercice de la gynécologie
obstétrique chaque jour plus difficile. Il est à la fois de plus
en plus difficile de se tenir au courant des nouveautés qui apparaissent
dans chacune des branches de la spécialité et de plus en plus
difficile de prendre en charge au quotidien les actes très diversifiés
et très techniques qui émergent et se perfectionnent à
une vitesse proprement affolante. Et tout le monde pense, à l'exception
de quelques dinosaures qui se sentent encore les capacités de tout faire,
qu'il est nécessaire d'individualiser, au sein de la spécialité,
plusieurs sub-spécialités. Les américains, depuis une trentaine
d'années maintenant, en reconnaissent trois.
La médecine
maternelle et ftale est la première des sub-spécialités.
Si on envisage la question du dépistage anténatal il est clair
que seuls les sub-spécialistes connaissent les très nombreuses
malformations et les très diverses foetopathies qu'on ne nous pardonne
plus de ne pas dépister avant la naissance. Tout le monde en est d'accord
et il est plus qu'accepté que l'échographie dite lente soit confiée
à un sub-spécialiste. On sait aussi que les prélèvements,
y compris le plus simple d'entre eux (l'amniocentèse), gagnent à
être faits par un sub-spécialiste. Si on descend au niveau de l'exercice
quotidien de la surveillance de la femme enceinte et de la prise en charge de
la naissance, on sait qu'existent des situations à risque qui gagnent
à être gérées dans des services spécialisés.
Nos maternités ont été mises en réseau. Le fait
a été plus ou moins facilement accepté. Mais la qualification
de médecine maternelle et ftale n'est pas, en France, à
ce jour reconnue. Il est pourtant clair que les gynécologues travaillant
dans les maternités de niveau 3 sont l'équivalent des gynécologues
que l'American Board qualifie de sub-spécialistes en médecine
maternelle et ftale.
La qualification
en médecine de la reproduction, elle non plus n'est pas reconnue
en France comme elle l'est aux Etats Unis. Dans les faits elle existe pourtant
puisque la plupart des actes d'assistance médicale à la procréation
ne peuvent être réalisés que dans des centres qui, pour
obtenir leur accréditation, doivent démontrer non seulement qu'ils
sont matériellement équipés mais également qu'y
travaillent des médecins compétents, leur compétence étant
régulièrement évaluée et réévaluée
sur leurs résultats. Ne serait-il pas plus honnête de reconnaître
la sub-spécialisation et d'en étendre le domaine d'exercice à
tous les actes d'assistance médicale à la procréation,
en ne se limitant pas à la FIVETE.
C'est la
sub-spécialisation en gynécologie oncologique qui, dans
les textes comme dans la pratique, pose le plus de problèmes. Dans les
textes elle n'existe pas. Dans la pratique on estime que plus de la moitié
des cancers génitaux féminins sont pris en charge par des praticiens
dont le "recrutement" annuel est insuffisant pour leur assurer la
nécessaire technicité dans la réalisation des opérations
chirurgicales radicales. Des réseaux, comme en obstétrique, ont
été crées. Ils permettent une meilleure gestion des traitements
adjuvants et des continuations d'évolution et récidives. Mais
ne serait-il pas meilleur d'intervenir en amont et de réserver les opérations
radicales à des sub-spécialistes. On sait en effet qu'une bonne
administration des traitements adjuvants permet, en chances de survie, de gagner
10 points en moyenne alors que les mêmes chances de survie varient du
simple au double selon que l'opération initiale a été faite
par un non spécialiste ou par un spécialiste en oncologie gynécologique.
Les lignes
qu'on vient de lire sonnent comme un plaidoyer en faveur de l'éclatement
de la gynécologie obstétrique. Qu'on ne s'y trompe pas. Les sub-spécialistes
tout d'abord, sont des gynécologues obstétriciens. Leur nombre,
en deuxième lieu, est réduit. La majorité des gynécologues
obstétriciens continue à exercer dans toutes les branches de la
spécialité. C'est à eux que revient la surveillance de
la grossesse et le dépistage des risques, l'inventaire des stérilités
conjugales et la prise en charge de la grande majorité d'entre elles,
la détection et le traitement des états précancéreux
et des cancers débutants. C'est sur eux que repose l'essentiel de la
prise en charge de la pathologie des organes génitaux féminins
tant dans leurs apects médicaux que chirurgicaux. Cette spécialité
médico-chirurgicale qui est la nôtre, est exercée diversement
selon les aptitudes… et l'âge de chacun.
Depuis des
temps immuables le gynécologue obstétricien exerce au début
de sa carrière dans toutes les branches de la spécialité
dans laquelle il a été formé. L'âge venant il abandonne
la salle d'accouchement puis la salle d'opération et consacre une partie
de plus en plus importante de son activité aux aspects médicaux
de la spécialité. Cette évolution, dans l'époque
la plus récente de l'histoire, a tendance à s'accélérer
car les femmes qui sont maintenant la majorité parmi les spécialistes,
font encore plus vite que les hommes ce trajet qui conduit à la gynécologie
médicale dont il faut reconnaître qu'elle demande du temps. Elle
demande aussi de la compétence. Les gynécologues obstétriciens
ont cette compétence. Elle demande enfin une grande disponibilité
d'écoute. Les mollahs de la gynécologie médicale disent
que les gynécologues obstétriciens ne possèdent pas cette
qualité… tout en leur livrant volontiers leurs patientes pour entendre
ce qu'elles expriment le jour (plus souvent la nuit) de leur accouchement !
L'argument, de toute évidence, ne tient pas : le gynécologue accoucheur,
mieux que quiconque, est à l'écoute de la femme pour toutes les
questions qu'elle se pose à propos de sa féminitude.
Au-delà
des querelles corporatistes on peut admettre que l'augmentation des besoins
dont on a analysé plus haut le mécanisme, rende nécessaire
l'individualisation d'une quatrième sub-spécialité qui
s'appellerait gynécologie médicale. Les instances professionnelles
ont accepté cette idée au premier rang desquels le Collège
National des Gynécologues Accoucheurs de France. Les futurs gynécologues
médicaux recevraient la même formation gynéco-obstétricale
qui est celle des futurs gynécologues obstétriciens et recevraient
ensuite une formation complémentaire orientée sur les aspects
spécifiquement médicaux de la spécialité. Ce système
est acceptable. Mais il ne peut être accepté qu'à la condition
que soit organisées aussi les trois autres sub-spécialités
dont l'importance est, en terme de santé publique, au moins aussi grande.
Ceci est mon opinion personnelle. La création d'une sub-spécialisation
en gynécologie médicale, surtout, ne peut se faire qu'à
la condition qu'aucun poste, aucun crédit, aucune perspective ne soient
ôtés à la gynécologie obstétrique dont chacun
sait l'état actuel de désaffection. Ceci est une opinion unanyme.
La nécessité
d'une gynécologie obstétrique unique et forte
L'obstétrique
sur laquelle les tenants d'une gynécologie médicale séparée
voudrait faire l'impasse, comme l'avaient fait, quelques décennies plus
tôt, les partisans d'une gynécologie chirurgicale séparée
(une perversion qui, malheureusement, n'est pas morte mais les tenants de la
gynécologie chirurgicale séparée sont moins bruyants) est
la priorité de la médecine des femmes. Cette évidence se
passe de tout commentaire. Notre monde ne serait pas ce qu'il est si, grâce
aux gynécologues obstétriciens, n'avaient été maîtrisés
les aléas de la naissance comme ils sont aujourd'hui maîtrisés.
La médecine des femmes c'est l'obstétrique avant tout. Les autres
aspects sont importants. On peut toutefois imaginer un monde où les omnipraticiens,
les endocrinologues, les chirurgiens généralistes et les cancérologues
prennent en charge les autres aspects. Si, à Dieu ne plaise, un tel montre
devait ressurgir des cendres du monde actuel et si un seul aspect de la médecine
des femmes devait subsister ce serait bien sûr l'obstétrique.
Prioritaire
dans l'ordre des besoins de santé publique l'obstétrique est aussi
la pierre angulaire de la formation de gynécologue. C'est auprès
de la femme enceinte qu'on prend conscience de la finalité de l'organisation
anatomique et du fonctionnement physiologique de l'appareil génital féminin.
C'est en salle d'accouchement qu'on apprend les gestes élémentaires
qui sont la base de la pratique gynécologique médicale. Comment
palper, comment toucher et surtout comment écouter et, si possible, comprendre.
On y apprend aussi le BA BA de la chirurgie des organes génitaux féminins
et, plus que n'importe où ailleurs, l'art de prendre à temps les
décisions et de garder son sang froid. C'est surtout en salle d'accouchement
qu'on côtoie le mystère insondable où animalité et
spiritualité se mélangent jusqu'à l'apothéose du
premier instant de la vie. Comment prétendre aimer les femmes, être
un gynécologue, sans avoir de souventes fois vécu cet instant
magique et su faire face aussi aux accidents qui peuvent en marquer le cours
?
C'est à
l'école de l'obstétrique qu'ont été formés
tous ceux qui ont fait avancer la gynécologie dans les dernières
décennies. Les progrès de la médecine maternelle et ftale,
évidemment, leur reviennent. Ils ont su s'entourer de collaborateurs
généticiens, biologistes, néonatologues… mais ce sont
eux qui restent les chefs d'orchestre de ces équipes pluri-disciplinaires
et ce sont eux qui sont les initiateurs de la plupart des avancées récentes.
La médecine de la reproduction, elle aussi, fait appel à des compétences
multiples. Mais ce sont bien les chirurgiens issus de la gynécologie
obstétrique qui ont été à l'origine du formidable
bond en avant qu'est la FIVETE. La FIVETE doit tout au biologiste B. Edwards
mais rien n'aurait pu se faire sans P.C. Steptoe qui était un fellow
du Royal College of Obstetrics and Gynecology. La chirurgie gynécologique,
en repassant entre les mains des gynécologues obstétriciens, a
complètement changé de visage. L'hystérectomie, au moment
où ont été ouverts à Lyon les premiers cours dédiés
à cette pratique (1980) était faite par la voie vaginale dans
5% des cas seulement. Une enquête faite 20 ans plus tard démontre
que cette voie d'abord est aujourd'hui choisie dans plus de 50% des cas. Et
que dire de la chirurgie laparoscopique qui a été inventée
par des gynécologues obstétriciens (Kurt Seem en Allemagne, Maurice
Bruhat et ses collaborateurs en France) ? C'est grâce à ces pionniers
qu'est née la chirurgie minimalement invasive qui est en passe de se
généraliser dans tous les domaines de la pathologie externe.
Le rôle
qu'ont joué les gynécologues obstétriciens dans le développement
de leur propre spécialité et dans le développement des
spécialités voisines est, j'en ai l'intime conviction, dû
au fait que tous ont commencé leur formation dans des "maternités".
Cela va de soi pour ceux qui ont choisi la sub-spécialisation en médecine
maternelle et ftale. Mais cela est vrai aussi pour ceux qui ont choisi
la sub-spécialisation de médecine de la reproduction dont les
résultats se jugent en salle d'accouchement. Cela est vrai aussi pour
ceux qui ont choisi la sub-spécialisation chirurgicale et oncologique.
La chirurgie minimalement invasive procède directement de ce respect
des formes et des fonctions qu'on acquiert en salle d'accouchement. Et pensez-vous
qu'un chirurgien oncologue aurait pu, comme le Roumain Aburel l'a fait en 1932
inventer le concept d'une chirurgie radicale du cancer du col utérin
conservant les chances de maternité, s'il n'avait pas commencé
sa carrière dans une maternité, la maternité de Port Royal
à Paris en l'occurrence ? Ce concept, resté longtemps sous le
boisseau, connaît aujourd'hui un essor que l'évolution épidémiologique
favorise (cancers de plus en plus petits chez des femmes de plus en plus jeunes)
et que la technique laparoscopico-vaginale rend, par l'excellence de ses résultats,
parfaitement justifiée.
Les femmes
ont vraiment intérêt à ce que les différents métiers
de la gynécologie soient exercés par des gynécologues obstétriciens
qu'il serait mieux d'appeler obstétriciens gynécologues (OBGYN)
car c'est en maternité qu'ils apprennent tout.
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