CHOIX
RAISONNE DES EXAMENS BIOLOGIQUES
DANS LA PATHOLOGIE THROMBOTIQUE
Martine
Aiach et Martine Alhenc-Gelas
Service
d'Hématologie biologique A, Hôpital Européen Georges Pompidou,
Paris et Unité Inserm 428, Faculté de Pharmacie de l'Université
Paris V.
Résumé
La
connaissance de facteurs de risque génétiques et acquis intervenant
dans la maladie thromboembolique veineuse permet de proposer, à l'heure
actuelle, un bilan biologique pour évaluer au mieux le risque pour le
patient. A côté des déficits en inhibiteurs de la coagulation
qui sont connus de longue date mais qui sont assez rares, on a découvert
récemment des anomalies génétiques beaucoup plus fréquentes
(mutation Leiden du facteur V et du facteur II) et des anomalies dont les bases
moléculaires ne sont pas encore élucidées comme l'augmentation
du facteur VIII. L'hyperhomocystéinémie, qui résulte le
plus souvent d'une interaction génome-environnement, est également
un facteur de risque veineux et artériel. La recherche d'un anticorps
antiphospholipide (famille complexe d'autoanticorps reconnaissant des phospholipides
ou des protéines fixant les phospholipides) fait également partie
du bilan d'une thrombose veineuse insolite.
Introduction
L'hémostase
est un système complexe faisant appel aux plaquettes, aux cellules endothéliales
vasculaires et à un réseau de protéines plasmatiques. Ce
mécanisme est normalement déclenché dans le secteur extravasculaire
pour colmater une blessure et arrêter une hémorragie. La cascade
d'activation enzymatique mise en jeu aboutit à la formation de thrombine
qui est l'enzyme-clé du système. Générée
localement et à forte concentration à la surface des plaquettes
activées, elle recrute d'autres plaquettes, coagule le fibrinogène
et accélère sa propre formation en activant les facteurs V et
VIII. La thrombine, diluée dans le flux circulatoire, est maintenue au-dessous
d'un seuil critique par plusieurs mécanismes inhibiteurs, dont l'antithrombine
et le système de la protéine C sont les principaux.
La thrombose résulte d'une activation de l'hémostase au sein du
système vasculaire. La défaillance des systèmes inhibiteurs
de la coagulation ou un excès de facteurs procoagulants peuvent théoriquement
favoriser sa survenue.
Les déficits héréditaires en inhibiteurs de la coagulation
ont été les premières anomalies génétiques
des facteurs de la coagulation associées à une maladie thomboembolique
récidivante (thrombophilie), pathologie initialement considérée
comme monogénique. La découverte plus récente de l'implication
de polymorphismes fréquents a modifié cette conception. Il est
bien établi, à ce jour, que la pathologie thrombotique (veineuse
et artérielle) est multicausale, faisant intervenir de multiples facteurs
de risque génétiques et circonstanciels. Aussi est-il important
de pratiquer une exploration complète, la combinaison de plusieurs facteurs
de risque n'étant pas exceptionnelle.
I.
Déficits héréditaires en inhibiteurs de la coagulation
(antithrombine, protéine C, protéine S)
L'antithrombine
(AT) est une glycoprotéine plasmatique monocaténaire de
masse moléculaire (MM) 58 kDa comportant 432 acides aminés (AA)
et quatre chaînes latérales oligosaccharidiques. L'AT inactive
essentiellement la thrombine et le facteur X activé (a).
Le déficit en AT est retrouvé chez 1 à 2 % des patients
atteints de maladie thromboembolique veineuse primitive. La prévalence
du déficit en AT symptomatique dans la population générale
est comprise entre 1/2 000 et 1/5 000 [1].
La protéine C (PC) est une glycoprotéine plasmatique
de MM 62 kDa, vitamine K-dépendante, comportant 23 % de carbohydrates.
Il s'agit du zymogène d'une sérine-protéase à propriétés
anticoagulantes. In vivo, un complexe formé par la thrombine et son récepteur
endothélial, la thrombomoduline, convertit la PC inactive en PC activée
(PCa) capable de dégrader les facteurs Va et VIIIa.
Le déficit en PC est retrouvé chez 3 % des patients atteints de
maladie thromboembolique veineuse primitive. Les modes de transmission du déficit
en PC apparaissent cependant complexes. En effet, il ressort d'études
de cohortes de patients thrombophiliques que la prévalence du déficit
en PC associé à des thromboses dans la population générale
est comprise entre 1/16 000 et 1/36 000 [2]. Une prévalence beaucoup
plus forte du déficit en PC asymptomatique a cependant été
mise en évidence dans des populations saines de donneurs de sang (1/200
à 1/700) [3]. Une forme beaucoup plus sévère du déficit
peut refléter un état homozygote.
La protéine S (PS) est le principal cofacteur de la PC.
C'est une glycoprotéine monocaténaire vitamine K-dépendante,
de MM 69 kDa, comprenant 7 % de carbohydrates. Sa concentration plasmatique
est de 20 à 25 mg/L et sa demi-vie de 42 heures. La PS augmente l'affinité
de la PCa pour les phospholipides chargés négativement, formant
un complexe PCa-PS lié à la membrane qui rend les facteurs Va
et VIIIa plus accessibles au clivage par la PCa. La PS circule dans le plasma
pour partie sous forme libre (40 % de la PS circulante) active dans le système
de la coagulation, pour partie (60 %) sous forme complexée à la
C4b binding protein (C4bBP), protéine du système du complément
qui lie la PS au niveau du domaine SHBG. La PS liée à la C4bBP
n'a pas d'effet cofacteur de la PCa [4].
Le déficit en PS est retrouvé chez 2 à 3 % des patients
thrombophiliques. Aucune étude de la prévalence du déficit
en PS dans la population générale n'a été publiée.
L'extrapolation des résultats obtenus dans des cohortes de patients atteints
de thrombose permet de l'estimer à 1/33 000 [5].
Les déficits héréditaires en AT et en PC peuvent être
quantitatifs (type I) ou qualitatifs (type II) (tableau I). Un défaut
de sécrétion de la protéine, objectivé par le déficit
en antigène, est à l'origine du déficit de type I. Dans
les déficits de type II, la protéine est sécrétée
normalement, mais présente une anomalie fonctionnelle. Les déficits
en AT de type II peuvent être divisés en trois groupes. Dans les
déficits de type IIRS (reactive site), l'anomalie porte sur le
site actif. Dans les déficits de type IIHBS (heparin binding site),
le site actif est normal, mais le site de liaison à l'héparine
est modifié. Dans les déficits de type IIPE (à effet pléiotropique),
la capacité de liaison de l'AT à l'héparine et sa capacité
d'inhibition des protéases sont toutes deux affectées, ainsi qu'à
un degré moindre la sécrétion de la protéine. On
distingue les déficits en PC de type IIAM (activité amidolytique)
et de type IIAC (activité anticoagulante). Dans les déficits de
type IIAM, l'activité enzymatique est diminuée. Dans les déficits
de type IIAC, l'activité anticoagulante de la protéine est diminuée
bien que le site catalytique soit intact. Ces déficits affectent l'un
des sites d'interaction de la PC et des autres partenaires du système.
En ce qui concerne la PS, il existe de plus des déficits de type III
caractérisés par une PS libre basse contrastant avec une PS totale
normale. Les déficits de type I et III seraient en fait l'expression
d'un même génotype [6].
Le
tableau I résume la classification des déficits en inhibiteurs
de la coagulation.
Diagnostic
biologique
Le
diagnostic de déficit en AT, PC ou PS utilise en première intention
les techniques de dosage de la protéine circulante. Le caractère
constitutionnel de l'anomalie ne peut être affirmé qu'après
contrôle de la permanence du déficit, vérification de l'absence
de toute cause de déficit acquis et enquête familiale. L'analyse
du gène est le plus souvent inutile en ce qui concerne le diagnostic
de déficit en AT. Les informations apportées par l'analyse du
gène de la PC et de la PS conduisent à envisager une application
diagnostique de la biologie moléculaire dans un certain nombre de cas,
en particulier les déficits homozygotes.
Déficit en antithrombine
L'association
de méthodes mesurant l'activité de la protéine en présence
et en l'absence d'héparine avec une méthode immunologique permet
de faire le diagnostic et de typer le déficit. Le dépistage s'effectue
par la mesure de l'activité cofacteur de l'héparine à l'aide
d'un substrat synthétique qui, lorsqu'elle est réalisée
dans de bonnes conditions analytiques, décèle l'ensemble des anomalies
[7]. Lorsque l'activité cofacteur de l'héparine est abaissée
(inférieure à 80 %) et après confirmation de la permanence
du déficit, il est impératif de réaliser un dosage par
méthode immunologique. Ce dosage permet de confirmer un déficit
de type I si la concentration est inférieure à 80 % ou de suspecter
un déficit de type II s'il existe une divergence avec l'activité
cofacteur de l'héparine. Dans ce cas, la mesure de l'activité
antithrombine ou anti-facteur Xa en l'absence d'héparine (activité
progressive) permettra de différencier les types IIHBS et IIRS. Les déficits
de type IIPE sont caractérisés par une différence modeste
entre la concentration immunologique et l'activité cofacteur de l'héparine.
La présence de traces de protéine non fonctionnelle n'est révélée
que par des techniques électrophorétiques.
Les
traitements par héparine non fractionnée diminuent la concentration
plasmatique d'AT de 10 à 20 %. En présence d'un taux pathologique
d'AT, un contrôle devra être pratiqué après 5 jours
d'arrêt du traitement.
Déficit
en protéine C
Le
diagnostic biologique de déficit en PC est rendu difficile par la variété
des anomalies moléculaires responsables du défaut d'expression
de l'allèle muté. Ainsi, des concentrations de PC comprises entre
60 et 80 % sont observées aussi bien chez des sujets normaux que chez
des sujets hétérozygotes [8].
Aucune technique commercialisée ne permet de dépister tous les
types de déficit en PC, car aucune d'entre elles (pour des raisons de
praticabilité) n'utilise l'activateur physiologique de la PC, le complexe
thrombine-thrombomoduline. La technique de dépistage la plus pertinente
est celle qui mesure l'activité anticoagulante de la PC activée
par une enzyme extraite d'un venin de serpent, le Protac. Lorsque l'activité
anticoagulante est diminuée (inférieure à 70 %), il faut
systématiquement, après contrôle de la permanence de l'anomalie,
pratiquer un dosage immunologique par une technique elisa (méthode immunoenzymatique).
La méthode amidolytique permet de différencier les déficits
qualitatifs de type IIAM et IIAC [9].
Déficit
en protéine S
L'association
de trois méthodes de dosage de la PS (évaluant la PS totale, la
PS libre et son activité) est indispensable au dépistage et au
typage des déficits [10-12]. La concentration immunologique de la PS
totale et de la fraction libre est le plus souvent évaluée par
dosage immunoenzymatique. L'activité cofacteur de la PCa se mesure à
l'aide d'un test de coagulation globale par l'effet anticoagulant exercé
par le plasma du malade en présence de PCa sur un plasma déplété
en PS enrichi en facteur V bovin.
Le
diagnostic de déficit héréditaire en PC ou en PS ne peut
se faire qu'en dehors de tout traitement par les antivitamines K, au besoin
lors d'une fenêtre thérapeutique, après passage à
l'héparine ou à un dérivé de bas poids moléculaire
(HBPM) pendant le mois qui précède l'examen.
II.
Mutation Leiden du facteur V
Le
facteur (F) V est une glycoprotéine de 300 kDa, codée par un gène
localisé sur le chromosome 1 comportant 25 exons. Le FV comporte plusieurs
domaines A1A2BA3C1C2. Le domaine B est éliminé après clivage
du FV par la thrombine et le FVa ainsi formé est un cofacteur du FXa
qui active la prothrombine en thrombine. Le FVa est physiologiquement dégradé
par protéolyse limitée par la PCa qui clive les liaisons en position
306 et 506 de la chaîne lourde.
L'addition de PCa purifiée à un plasma normal induit un allongement
du temps de céphaline plus activateur (TCA) qui reflète la dégradation
accrue des FVa et FVIIIa par la PCa. La première observation d'un défaut
d'allongement du TCA du plasma supplémenté en PCa, donc d'une
diminution de l'effet anticoagulant de la PCa chez des patients atteints de
thrombophilie familiale, a été faite par Dahlbäck et coll.
en 1993 [13]. Cette résistance plasmatique à la PCa (RPCA) est
un facteur de risque de thrombose très fréquemment retrouvé
dans les populations d'origine européenne. Dans la plupart des cas, la
RPCA est due à la présence d'un FV anormal (FV Leiden) comportant,
en position 506, une glutamine à la place d'une arginine. La substitution
d'AA résulte d'une mutation ponctuelle du gène induisant le remplacement
de la guanine en position 1691 par une adénine [14]. Cette mutation modifie
l'un des sites de clivage du FVa par la PCa. Plusieurs groupes ont étudié
les cinétiques d'inactivation du FVa. Pour l'un d'entre eux, le clivage
initial survient en 506 et favorise le clivage en 306. Ce deuxième clivage
est fondamental vis-à-vis de l'inactivation de la protéine. Pour
un autre, le clivage se produit sur les 2 sites simultanément, mais est
plus lent en 306. Le clivage en 506 constitue pour cette équipe le mécanisme
principal d'inactivation.
Ainsi, la mutation Leiden du FV réduit la vitesse de dégradation
du FVa (par réduction du clivage en 506 ou par défaut d'accélération
du clivage en 306). Elle pourrait de plus modifier une autre fonction du FV,
son effet cofacteur de la PCa et de la PS vis-à-vis de la dégradation
du FVIIIa. La mutation n'entraîne, en revanche, aucune modification des
fonctions procoagulantes du FV.
Cette mutation, qui résulte d'un effet fondateur, est observée
dans les populations normales avec une fréquence variable (5 % en moyenne
en Europe) en fonction de la localisation géographique [15].Compte tenu
de la forte prévalence de l'anomalie dans la population générale,
de nombreux patients sont susceptibles d'être porteurs de l'anomalie à
l'état homozygote (0,06 à 0,25 %).
Techniques
de diagnostic
Le
diagnostic de la RPCA est réalisé à l'aide de techniques
de dosage plasmatique. La recherche de la mutation Arg506Gln du FV fait appel
aux techniques de biologie moléculaire [16].
Mesures
plasmatiques de la RPCa
Il s'agit essentiellement de techniques coagulométriques. Les premiers
tests mesuraient le degré d'allongement du TCA du plasma du patient
en présence de PCa. Ces tests n'étaient pas spécifiques
de la RPCA Arg506Gln-dépendante, un allongement du TCA (déficit
en facteur, traitement anticoagulant) ou la présence d'un anticoagulant
circulant de type lupus pouvant masquer l'anomalie. Pour pallier certains
de ces inconvénients, des techniques de deuxième génération
ont été développées. Les tests, de principe globalement
inchangé, sont effectués sur des mélanges de plasma du
patient et de plasma normal déplété en FV. Ils peuvent
être utilisés en cas de déficit en facteur et chez les
patients traités par antivitamine K. Même si les tests sont effectués
dans des conditions de bonne standardisation sur des échantillons correctement
déplaquettés, leur spécificité et leur sensibilité
vis-à-vis de la mutation Arg506Gln ne peuvent pas être parfaites.
Recherche de la mutation Arg506Gln
Les techniques de biologie moléculaire développées sont
nombreuses. Classiquement, la première étape consiste en une
amplification de la région du gène du FV (exon 10) contenant
le site de la mutation. Cette amplification peut être réalisée
sur l'ADN purifié ou sur sang total. Les amorces d'amplification sont
des amorces classiques ou modifiées, soit pour introduire un site de
restriction lorsque l'allèle muté est amplifié, soit
pour générer une amplification spécifique de l'allèle
normal ou de l'allèle muté (technique ARMS). L'étude
de la migration électrophorétique des fragments amplifiés
natifs ou après digestion par enzyme de restriction aboutit au diagnostic.
Dans certains cas, la révélation se fait par hybridation, les
sondes utilisées pouvant être radioactives ou froides. La sensibilité
et la spécificité de ces techniques sont de 100 %. Elles permettent
donc d'établir un diagnostic de certitude.
III.
Mutation Leiden de la prothrombine
La
prothrombine est une protéine de 72 kDa qui après clivage par
le FXa au sein du complexe prothrombinase est transformée en thrombine,
enzyme-clef de l'hémostase aux multiples facettes fonctionnelles. En
effet, la thrombine est 1) un activateur plaquettaire puissant, 2) un partenaire
essentiel du système procoagulant car elle gère la transformation
du fibrinogène en fibrine et 3) un partenaire essentiel du système
PC/PS (complexée à la thrombomoduline, elle transforme la PC en
PCa).
En 1996, le groupe de Bertina a identifié par séquençage
de la région 3' non transcrite du gène de la prothrombine (FII)
une substitution nucléotidique (20210 G/A) (mutation Leiden du FII) associée
à un risque accru de thrombose veineuse [17].
Techniques
de diagnostic
La
recherche de la mutation Leiden du FII fait obligatoirement appel aux techniques
de biologie moléculaire. Toutes les techniques classiques de détection
des mutations ponctuelles peuvent être employées (amplification
suivie d'une digestion par enzyme de restriction, d'une hybridation, amplification
spécifique d'allèle, etc.). Des techniques d'amplification multiplexes
permettent la recherche simultanée des mutations Leiden du FV et du FII.
IV.
Augmentations du facteur VIII circulant
Le
FVIII est une glycoprotéine de grande taille (330 kDa) codée par
un gène localisé sur le chromosome X mesurant 186 kb et comportant
26 exons. La protéine mature comporte 2 351 AA. Sa structure est analogue
à celle du FV. Le FVIII comporte, comme le FV, six domaines A1A2BA3C1C2
dont le rôle est assez bien connu, à l'exception du rôle
du domaine B, très sensible à la protéolyse. Le FVIII circulant
est stabilisé par le facteur Willebrand au sein d'un complexe non covalent.
Lors de l'activation du FVIII par la thrombine ou le FXa, le domaine B est éliminé.
Le FVIIIa se comporte comme un cofacteur du FXa au sein du complexe tenase.
La concentration plasmatique du FVIII dans la circulation est extrêmement
variable, dépendante d'influences multiples, dont l'inflammation.
Il a été récemment démontré que des augmentations
permanentes du FVIII circulant (indépendantes de la réaction inflammatoire)
sont associées à un risque accru de thrombose veineuse (premier
accident et récidive) [pour revue, 18]. La concentration plasmatique
du FVIII est largement déterminée par le groupe sanguin et la
concentration plasmatique du facteur Willebrand. Néammoins, un déterminisme
familial des concentrations plasmatiques du FVIII indépendant de ces
paramètres a été mis en évidence [19]. Les gènes
impliqués dans cette modulation sont, à ce jour, inconnus. La
recherche dans les régions promotrice et 3' du gène du FVIII de
polymorphismes modulateurs a été négative.
V.
L'hyperhomocystéinémie
L'homocystéine
n'est pas une protéine de la coagulation, mais l'hyperhomocystéinémie
est un facteur perturbateur potentiel du système de la coagulation qui
favorise la survenue des thromboses.
Ce métabolisme implique plusieurs enzymes comme la méthylène
tétrahydrofolate réductase (MTHFR) et la cystathionine-b-synthase
et des vitamines comme les folates et la pyridoxine.
La concentration plasmatique normale de l'homocystéine totale est comprise
entre 5 et 16 µM/L. Différents types d'homocystéinémie,
d'origine constitutionnelle ou acquise, ont été mis en évidence.
Elles peuvent être sévères (> 100 µM/L), modérées
(25-100 µM/L) ou faibles (16-24 µM/L).
Hyperhomocystéinémie
sévère
La
cause la plus fréquente est le déficit homozygote en cystathionine-b-synthase,
dont la prévalence moyenne dans la population générale
est de l'ordre de 1/200 000 [20] Les individus atteints souffrent le plus souvent
de retard mental sévère, d'anomalies du squelette, d'une maladie
vasculaire artérielle et de thrombose veineuse. La symptomatologie est
parfois atypique, en particulier dans le cas de l'homozygotie pour la mutation
833T/C qui peut ne se traduire que par la survenue d'événements
thromboemboliques [21].
Dans un petit nombre de cas (5-10 %), la maladie est la conséquence d'anomalies
constitutionnelles des voies de reméthylation. Le déficit homozygote
en MTHFR est l'anomalie la plus commune. Elle est caractérisée
par une atteinte neurologique, un retard psychomoteur, des convulsions, une
maladie vasculaire prématurée et des thromboses veineuses.
Hyperhomocystéinémie
modérée et faible
Ces
formes d'hyperhomocystéinémie sont d'origine génétique
ou acquise. Dans la population générale, le déficit hétérozygote
en bêta cystathionine synthase est fréquent (0,3-1,4 %). Une autre
anomalie fréquente est la présence d'un variant thermolabile de
la MTHFR qui possède 50 % de l'activité enzymatique normale. Ce
variant résulte d'une substitution C vers T du nucléotide 677
du gène transformant une alanine en valine [22]. Sa prévalence
à l'état homozygote dans la population générale
est de 10 %. Les causes les plus communes d'hyperhomocystéinémie
acquise sont des déficits nutritionnels en cobalamine, folate ou pyridoxine
qui sont des cofacteurs essentiels du métabolisme de l'homocystéine.
Des concentrations élevées d'homocystéine sont assez souvent
observées chez les personnes âgées, même en présence
de concentrations vitaminiques sériques normales [23] L'insuffisance
rénale chronique, la prise de médicaments interférant avec
le métabolisme des folates tels que le méthotrexate et les anticonvulsivants,
ou avec celui de la cobalamine tel que l'oxyde nitrique, peuvent aussi être
cause d'hyperhomocystéinémie modérée.
Diagnostic
biologique
L'homocystéinémie peut être évaluée à
l'aide de techniques chromatographiques, électrophorétiques
ou immunologiques [24]. La substitution 677 C®T responsable de la présence
du variant thermolabile de la MTHFR est facile à mettre en évidence
par des techniques de biologie moléculaire.
VI.
Les anticorps antiphosholipides
Hors
du contexte de syndrome des antiphospholipides et de maladie de système,
le degré de risque thrombotique veineux associé à la présence
d'anticorps antiphospholipides (APA), détectés par des techniques
immunologiques de type elisa (anticorps anticardiolipine (ACA) ou dans des tests
de coagulation (anticoagulants de type lupus) n'est pas connu avec certitude.
La présence d'ACA était associée à un risque relatif
de thrombose veineuse significatif de l'ordre de 5 dans une étude prospective
publiée en 1992 [25]. Le groupe des APA est extrêmement hétérogène
et il comporte vraisemblablement des anticorps pathogènes et d'autres
qui ne le sont pas. Les mécanismes par lesquels ces anticorps induisent
des manifestations cliniques sont mal compris. Les anticorps délétères
pourraient être ceux qui reconnaissent des complexes formés entre
des protéines (telles que la bêta2glycoprotéine 1 (bêta2GP1)
ou le FII) et des phospholipides (PL). Les anticorps antibêta2GP1 peuvent
être mis en évidence à l'aide de techniques de type elisa
spécifiques. Ils sont aussi reconnus dans les techniques elisa de recherche
des ACA et dans certains tests de coagulation utilisant le venin de vipère
Russel, activateur direct du FX, comme réactif déclenchant (dRVVT).
Ces antibêta2GP1 pourraient être facteurs de risque thrombotique.
Les anticorps dirigés contre le complexe FII-PL ont une activité
anticoagulante de type lupus. Leur rôle pathogène est obscur [26].
Les ACA " vrais " (qui ne reconnaissent pas les complexes protéine/PL)
ne sont probablement pas délétères.
Recherche
d'anticoagulant de type lupus
Une
approche en trois étapes a été proposée par le sous-comité
international pour la standardisation de la recherche des LA : a) démonstration
d'une anomalie dans un test de dépistage (temps de céphaline plus
activateur (TCA), dRVVT, ou temps de thromboplastine diluée (TTD)) ;
b) démonstration de la présence d'un inhibiteur (l'anomalie dépistée
persiste lorsque le test est répété sur un mélange
de plasma du patient et de plasma normal, M+T) ; c) confirmation de la dépendance
en PL de l'inhibiteur (normalisation des tests par ajout d'une forte concentration
de PL). Les tests disponibles sont très nombreux et, compte tenu de l'hétérogénéité
des anticorps, un seul test ne peut permettre de les détecter tous. Une
stratégie courante est la suivante : réalisation systématique
du TCA (sur plasma du patient et sur le mélange M+T) et au moins d'un
autre test de dépistage (TTD ou dRVVT).
Conclusion
: Bilan biologique d'une thrombose
1)
Les examens à pratiquer sont résumés dans le tableau II.
Dans tous les cas où on n'utilise pas un test de biologie moléculaire,
il est indispensable de pratiquer les dosages en l'absence de traitement anticoagulant
en dehors d'épisodes aigus et de vérifier la permanence de l'anomalie
sur un deuxième prélèvement pratiqué deux mois après.
2) Les patients relevant d'une prescription d'un bilan biologique sont, dans
la grande majorité des cas, des patients symptomatiques ayant présenté
au moins un épisode de thrombose veineuse profonde et/ou une embolie
pulmonaire objectivés par des examens paracliniques appropriés.
Le bilan sera prescrit essentiellement dans les circonstances suivantes :
- âge
inférieur à 50 ans,
- antécédents familiaux de thrombose veineuse,
- maladie récidivante.
3)
Le risque associé aux anomalies biologiques dépend de l'anomalie
et il est toujours majoré en cas de déficit combiné ou
d'anomalie homozygote (tableau III). Il est donc très important de pratiquer
une exploration complète, pour évaluer réellement le risque
pour un patient donné et pour sa descendance.
4) Il n'y a pas, à l'heure actuelle, d'indication au diagnostic présymptomatique,
sauf dans les cas où les antécédents familiaux et l'examen
de l'arbre généalogique peuvent faire craindre une anomalie homozygote,
la combinaison de deux anomalies ou un déficit en AT.
Mots-clés
: Thrombose - Gène - Coagulation.
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Tableau
I. Classification des déficits en inhibiteurs de la coagulation
Tableau
II. Dépistage des anomalies - Examens de 1ère intention
1. Hémogramme avec numération plaquettaire pour rechercher
un syndrome myéloprolifératif
2. Bilan d'hémostase : temps de Quick, temps de céphaline +
activateur pour vérifier l'état de la fonction hépatique
3. Dosage de l'antithrombine, de la protéine C et de la protéine
S dans le plasma à l'aide d'un test fonctionnel susceptible de dépister
tous les types d'anomalies (tableau I)
4. Dosage du facteur VIII
5. Recherche de la mutation Arg506Gln. Les tests de biologie moléculaire
sont à préférer pour leur spécificité et
leur aptitude à différencier homozygotes et hétérozygotes.
6. Recherche de la mutation G20210A du gène de la prothrombine. Seuls
les tests de biologie moléculaire sont utilisables
7. Recherche d'un anticoagulant de type lupique (p. 10)
8. Recherche d' anticorps anticardiolipine et d'anticorps antibêta2GP1
par des techniques elisa
9. Eventuellement, dosage de l'homocystéine
Tableau
III. Risques relatifs de thrombose associés à la présence
d'anomalies génétiques et acquises
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