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2011 > Périnatalité > Grande prématurité  Telecharger le PDF

Recommandations françaises 2010 sur les limites de prise en charge des très grands prématurés

F. Gold

Introduction

Les naissances des très grands prématurés (âge gestationnel = AG  < 28 SA) posent de très difficiles problèmes décisionnels et éthiques aux équipes soignantes. La décision d’entreprendre des soins de réanimation ou des soins intensifs à la naissance de ces enfants permet la survie à très long terme, sans séquelles graves, d’une majorité d’entre eux, mais elle entraîne aussi parfois la survie d’enfants plus ou moins lourdement handicapés [1]. A l’inverse, la décision de ne pas entreprendre de réanimation ou de soins intensifs chez ces nouveau-nés, notamment aux âges gestationnels les plus faibles, implique de laisser mourir certains enfants qui se seraient développés normalement si ces soins avaient été entrepris.

1.    Bases de réflexion

La probabilité de survie sans incapacité importante diminue avec l’âge gestationnel à la naissance. Cependant, il n’est pas possible actuellement d’identifier une limite précise de terme au-dessous de laquelle le pronostic, jusque là assez favorable, deviendrait franchement mauvais. En effet, il existe une grande variabilité´ des résultats observés à long terme chez des enfants de même AG, et d’autres facteurs ont aussi une grande importance pronostique [2]. Au même âge gestationnel, un poids plus élevé, le caractère monofoetal de la grossesse, le sexe féminin, une corticothérapie prénatale efficace, la naissance en centre de type 3, des modalités actives de prise en charge initiale, sont des éléments favorables ; inversement, l’absence de ces éléments, de même qu’une chorioamniotite ou un PN assez faible pour constituer une restriction de croissance foetale, aggravent le pronostic.

C’est pourquoi les schémas de prise en charge ne doivent pas être rigides ni s’appuyer uniquement sur l’AG, et ce d’autant plus qu’on connaît bien les limites d’appréciation de cet AG (à 3-5 jours près dans les meilleures conditions de datation du début de grossesse) aussi bien que celles qui concernent l’estimation du poids fœtal (à 10-15% près chez les opérateurs les plus entraînés).

Apprécié dans la globalité du contexte clinique, l’AG reste cependant un indicateur important, puisque, compte tenu des facteurs pronostiques favorables ou défavorables précités, le pronostic varie linéairement en fonction de l’AG au sein de la période définissant la très grande prématurité. Plutôt favorable à la limite supérieure de celle-ci, il devient particulièrement incertain à 24 SA ou en deçà. A ces AG très bas, il existe, en cas de survie, des risques élevés de survenue à long terme d’anomalies parfois graves du développement, notamment cognitif [3,4] ; et force est de constater qu’à ces AG extrêmes les techniques d’exploration les plus modernes, notamment d’imagerie cérébrale (IRM), se sont montrées incapables de fournir un pronostic précis en période néonatale.

Cette incertitude pronostique explique en partie l’absence actuelle de consensus sur l’attitude à adopter en cas de menace d’accouchement ou de naissance entre 22 et 26 SA :

  • Certains pays ont choisi (stratégie dite du pronostique statistique) un a priori d’abstention de prise en charge au-dessous d’un seuil d’AG précis : ce mode opératoire a été retenu aux Pays-Bas, avec un seuil fixé à 25 SA [5], mais il est actuellement rediscuté ;
  • D’autres ont adopté un a priori de mise en route systématique des soins intensifs à partir ou au voisinage de la limite légale de viabilité (22 ou 23 SA) : ce mode opératoire est dénommé stratégie d’attente jusqu’à la certitude (que le pronostic est clairement défavorable) aux USA [6] ;
  • La plupart des pays ont choisi une stratégie individualisée faisant intervenir dans des proportions variables l’AG et les autres facteurs connus pour influencer le pronostique de chaque enfant, ce qui les a conduit à définir une zone intermédiaire de décision dite zone grise.

L’appellation « zone grise » identifie une période de la gestation correspondant, en cas de naissance, à une incertitude majeure sur le pronostic, et par conséquent aussi sur la détermination de la « bonne » décision à prendre à la naissance (entreprendre ou non une réanimation/soins intensifs). Actuellement, en France, et notamment depuis la publication des résultats des grandes études épidémiologiques récentes en population [3,4], la zone grise correspond aux naissances à 24 et 25 semaines d’aménorrhée. Au-delà (naissance à 26 semaines d’aménorrhée et davantage), tout doit être fait en règle générale pour que l’enfant vive. En deçà de 24 semaines d’aménorrhée, les soins palliatifs sont l’option actuellement envisagée en France dans la quasi-totalité des cas. Et c’est bien entendu  l’attitude à adopter au sein même de la zone grise qui est actuellement la plus délicate à fixer.

Encore faut-il souligner qu’il existe 2 situations schématiquement bien différentes :

  • la naissance survient dans de bonnes conditions de prise en charge, en centre de type 3. Le délai depuis l’admission de la femme dans ce centre a été suffisant (schématiquement : 24 h au moins) pour permettre une corticothérapie maturative complète, et aussi pour préciser, autant que faire se peut, l’AG et le poids foetal. Il a enfin permis un dialogue prénatal avec les futurs parents. La description, ci-après, des conduites adoptées dans la zone grise, correspond pour l’essentiel à cette situation, la plus favorable.
  • l’imminence de la naissance à l’admission de la femme à la maternité ne permet ni transfert en centre de type 3 (si la maternité est de type 1 ou 2), ni corticothérapie maturative complète, ni vérification de l’AG ou estimation du poids foetal. Cette naissance, grevée de risques supplémentaires, ne permet de plus pas un dialogue prénatal suffisamment élaboré et approfondi.

Quelles que soient les décisions adoptées, la prise en charge doit assurer une cohérence entre les périodes ante- et postnatale, en particulier en ce qui concerne l’administration de corticoïdes, le transfert in utero, la surveillance électronique du travail et la question de l’extraction par césarienne à ces termes. Toute grave incohérence ruinerait aussi bien la valeur médicale que la valeur morale des décisions prises.

2.    Recommandations

2.1.       Naissances avant 28 semaines d’aménorrhée, hors de la zone grise (26 et 27 SA)

Quelques recommandations peuvent être formulées concernant ces naissances :

  • le choix de l’attitude à adopter en cas de naissance avant 28 SA doit s’appuyer sur la recherche du meilleur intérêt de l’enfant, et, dans cette recherche, faire appel surtout aux principes de non-malfaisance et de bienfaisance ;
  • à 26 et à 27 SA, tout doit être fait, en règle générale, pour obtenir que l’enfant vive. En l’absence de facteurs pronostiques très péjoratifs surajoutés, l’abstention de soins intensifs ne doit pas être envisagée, même pas dans le but allégué d’apaiser une éventuelle souffrance psychique provoquée chez la mère ou les parents par l’accouchement très prématuré. Cette attitude fait l’objet d’un consensus des professionnels. Elle est susceptible d’entraîner une situation de conflit avec les parents, s’ils s’opposent à la prise en charge, mais elle ne pose pas a priori de problème juridique (« le médecin délivre les soins indispensables. . . ») ;
  • un dialogue permanent avec les parents doit permettre de rendre exceptionnels les cas où une décision de mise en route de réanimation-soins intensifs serait prise contre leur volonté. Il doit débuter le plus tôt possible, en prénatal dans la très grande majorité des cas. Il vise à expliquer aux parents les raisons justifiant la mise en route de la réanimation (connaissance des résultats de larges études épidémiologiques et des résultats locaux), et à obtenir leur assentiment. L’existence d’un document écrit d’information résumant les choix thérapeutiques de l’équipe locale ou, mieux, du réseau périnatal, peut servir de support à l’information, venant en complément du dialogue, et manifestant la volonté de transparence des équipes soignantes ;
  • une fois l’enfant admis dans l’unité de réanimation, les parents sont informés de l’évolution. En cas de complication grave, il faut s’efforcer de les associer à l’élaboration d’une éventuelle décision d’arrêt des traitements, dans le respect de leur rôle, tout en s’efforçant de minimiser le traumatisme auquel ils sont exposés. L’enfant, comme tout patient en fin de vie, doit alors bénéficier des soins palliatifs visant à lui éviter de souffrir et à assurer jusqu’au bout son confort physique et relationnel.

2.2.       Problèmes spécifiques des naissances en deçà (moins de 24 semaines d’aménorrhée) et dans la zone grise (24 et 25 SA)

L’impossibilité de mener une réflexion approfondie lors de la naissance fait recommander de privilégier autant que possible la réflexion prénatale, prenant très largement en considération le point de vue des parents, légitimement supposés rechercher le meilleur intérêt de leur enfant. Les parents doivent être informés clairement et précisément des limites des actions médicales comme des possibilités et modalités de recours à des soins palliatifs, lorsque l’institution de soins intensifs et de réanimation apparaît déraisonnable. On doit s’efforcer de parvenir à définir avec eux les thérapeutiques à utiliser à la naissance de leur enfant, en envisageant éventuellement des paliers de prise en charge, en réalité peu nombreux. Le dialogue se fait de manière collégiale, entre l’équipe obstétrico-pédiatrique et la future mère ou les futurs parents [8]. Les décisions prises sont inscrites dans le dossier de la parturiente. Elles sont régulièrement rediscutées, et éventuellement modifiées plusieurs fois par semaine, jusqu’à l’accouchement.

2.2.1.     Naissances en deçà de la zone grise

Les recommandations pour les naissances en deçà de la zone grise sont actuellement les suivantes :

  • au nom du principe de non-malfaisance, le meilleur intérêt de l’enfant consiste à ne pas recevoir de soins de survie lorsque l’accouchement se produit à 22 ou 23 SA, avec un poids foetal estimé en accord avec ces termes. La mise en route de soins intensifs ne doit donc pas être proposée aux parents et ne peut pas être exigée par ceux-ci ;
  • les exceptions proviennent uniquement de cas où l’incertitude portant sur les déterminations d’AG et de poids est excessive, ou d’un terme très proche de la limite fixée, dans des contextes particuliers (par exemple, 23 SA + 6 j et dernière tentative de FIV. . .) ;
  • le dialogue avec la future mère ou les futurs parents vise à obtenir leur assentiment à ce refus a priori de ce qui est considéré à l’heure actuelle par la plupart des professionnels comme une obstination déraisonnable, et à leur proposer des modalités de prise en charge spécifiques, qui doivent inclure désormais d’offrir au nouveau-né et à sa famille le temps et les soins nécessaires à l’accompagnement d’un décès inéluctable.

2.2.2.     Naissances dans la zone grise (24 et 25 SA)

Dans cette zone d’incertitude pronostique majeure, il est impossible de prévoir le rapport bénéfice/risque de la prise en charge qui sera choisie. Des soins de survie pourront s’avérer finalement bienfaisants ou malfaisants, et il existe en conséquence une obligation non seulement légale mais éthique de prendre les décisions en partenariat avec les parents. Une attitude est finalement décidée, de façon aussi collégiale que possible. Les décisions prénatales conditionnelles sont inscrites dans le dossier de la mère. S’il s’agit d’une décision d’abstention de soins intensifs à la naissance, elle suit les procédures prévues par la loi, adaptées à la situation singulière [9]. En l’absence d’autre argument clinique de valeur pronostique, l’incertitude est maximale vers la limite inférieure de la zone grise (24 SA), un peu moindre vers sa limite supérieure (25 SA et quelques jours). En effet, même si l’on peut s’accorder sur une « zone grise », voire sur une distinction dans cette zone entre 24 SA et 25 SA, les données épidémiologiques ne permettent pas d’isoler un seuil strict d’AG favorable, il y a un continuum ; et l’AG n’est pas le seul facteur pronostique. En conséquence :

  • à 24 SA, des soins intensifs et de réanimation peuvent ou non être entrepris. Ils le sont si les parents, ayant bien compris l’ensemble des éléments pronostiques caractérisant la situation clinique, éléments favorables (poids de naissance plus élevé, monofoetalité, corticothérapie prénatale efficace) ou défavorables, expriment une préférence ou une demande libre et éclairée de réanimation-soins intensifs. Ces soins ne sont pas entrepris dans le cas contraire. En l’absence d’orientation exprimée par le couple, l’équipe médicale lui propose une attitude et recherche son assentiment ;
  • à 25 SA, l’attitude varie selon le souhait des parents et l’état de l’enfant à la naissance :
  • si l’état de l’enfant à la naissance est bon (les signes dits de vitalité les plus souvent considérés sont : l’aspect général pas trop «fœtal», la respiration et son type, l’activité hémodynamique, et la gesticulation spontanée), et en l’absence d’élément pronostique péjoratif surajouté, des soins intensifs sont entrepris. Un refus préalable des parents serait à l’origine d’un dilemme éthique et juridique.
  • si l’état de l’enfant à la naissance n’est pas bon, et/ou en présence d’éléments péjoratifs surajoutés, le recours aux soins palliatifs est souhaitable. Le consentement des parents à cette attitude aura été ou est recherché. La décision de renoncer aux soins intensifs et de réanimation appartient au médecin, dans le cadre du refus de l’obstination déraisonnable.
  • dans les cas où des soins intensifs ne sont pas entrepris, et où l’issue fatale est en conséquence certaine, la protection de la dignité de l’enfant et le respect de la loi font proscrire toute injection médicamenteuse à visée létale. Des soins palliatifs destinés à éviter la souffrance et à assurer le confort de l’enfant pendant la période précédant le décès doivent être institués ; dans ces cas, les parents, voire la famille, doivent pouvoir demeurer présents s’ils le souhaitent. Ainsi la priorité est alors d’offrir à l’enfant le confort (environnement non stressant, chaud et affectif) et la protection contre toute douleur ou souffrance, qu’elles soient d’origine cutanée, asphyxique ou autre. Pour y parvenir, un transfert in utero peut se justifier dans certains cas, non pour entreprendre des soins intensifs, mais pour être en mesure d’offrir au nouveau-né le bénéfice de soins de confort pratiqués par une équipe qui y est formée ;
  • dans le doute sur la conduite correspondant au meilleur intérêt de l’enfant, il faut entreprendre immédiatement des soins intensifs ;
  • en cas de naissance inopinée, le choix se fait en salle de naissance : abstention de soins intensifs, selon des procédures adaptées à l’urgence, et institution de soins d’accompagnement au décès ; ou approche graduelle : on peut, par exemple, décider d’exclure tout recours au massage cardiaque externe et à l’administration d’adrénaline, en limitant donc les gestes initiaux de secourisme aux seules manœuvres respiratoires, intubation trachéale comprise si nécessaire ; ou réanimation d’attente puis transfert médicalisé de l’enfant dans un service de réanimation, pour prise en charge initiale et décision ultérieure documentée après réévaluation de sa situation.

Références

  1. [1] Moriette G, Rameix S, Azria E, et al. Naissances très prématurées : dilemmes et propositions de prise en charge. Première partie : pronostic des naissances avant 28 semaines, identificationn d’unne zone « grise ». Arch Pédiatr 2010 ; 17 : 518-526
  2.  [2] ] Tyson JE, Parikh NA, Langer J, et al. Intensive care for extreme prematurity – moving beyond gestational age. N Engl J Med 2008 ; 358 : 1672–1681.
  3.  [3] Larroque B, Ancel PY, Marret S, et al. Neurodevelopmental disabilities and special care of 5-year-old children born before 33 weeks of gestation (the EPIPAGE study): a longitudinal cohort study. Lancet 2008 ; 371 : 813–820.
  4.  [4] Marlow N, Wolke D, Bracewell M, et al. Neurologic and developmental isability at six years of age after extremely preterm birth. N Engl J Med 2005 ; 352 : 9–19.
  5.  [5] Sheldon T. Dutch doctors change policy on treating preterm babies. Br Med J 2001 ; 322 : 1383.
  6.  [6] American Academy of Pediatrics, Committee on Fetus and Newborn, American College of Obstetricians and Gynecologists, and Committee on Obstetric Practice. Perinatal care at the threshold of viability. Pediatrics 1995 ; 96 : 974–976.
  7.  [7] Moriette G, Rameix S, Azria E, et al. Naissances très prématurées : dilemmes et propositions de prise en charge. Seconde partie : enjeux éthiques, principes de prise en charge et recommandations. Arch Pédiatr 2010 ; 17 : 527-539.
  8. [8] Azria E, Bétrémieux P, Caeymaex L, et al. L’information dans le contexte du soin périnatal : aspects éthiques. Arch Pediatr 2007 ; 14 : 1231–1239.
  9.  [9] Dageville C, Rameix S, Andrini P, et al. Fin de vie en médecine néonatale à la lumière de la loi. Arch Pediatr 2007 ; 14 : 1219–1230.

 F. Gold, G. Moriette, S. Rameix, E. Azria et alAu nom du Groupe de réflexion sur les aspects éthiques de la périnatologie