Apoptose
dans l’embryon humain pré-implantatoire
J.F. GUERIN1
et R. LEVY2
1 – Laboratoire
de Biologie de la Reproduction et du Développement, Hôpital Edouard-Herriot,
Place d’Arsonval, 69347 Lyon Cedex 03
2 – Laboratoire de Biologie de la Reproduction, Hôpital Nord, CHU St Priez en
Jarez 42055 Saint Etienne Cedex 2
L’apoptose,
qui constitue la forme la plus classique de « mort cellulaire programmée »
(MCP), intervient en permanence au cours du développement. Les exemples sont
nombreux pour ce qui concerne les phénomènes relatifs à la morphogenèse et à
l’organogenèse : ainsi, pour donner quelques exemples, la résorption des
membranes, la formation des bourgeons de membres, la différenciation sexuelle,
le remodelage des os, du cerveau, constituent des phénomènes où l’apoptose joue
un rôle prépondérant. La place et l’importance de l’apoptose dans les stades
très précoces du développement, dits « pré-implantatoires », sont
en revanche moins bien connus et définis. Nous ferons le point sur l’état actuel
des connaissances concernant d’une part le blastocyste, d’autre part l’uf en
cours de segmentation. Nous tenterons ensuite d’interpréter ces résultats, en
considérant les conséquences éventuelles de ce phénomène dans des circonstances
particulières, comme le diagnostic pré-implantatoire (DPI).
Apoptose
dans le blastocyste
Des
phénomènes d’apoptose ont été décrits dans les blastocystes de nombreuses espèces
de mammifères y compris l’homme : fragmentation et condensation de la chromatine
observées en microscopie électronique (Enders et al, 1982), ou à l’aide de marqueurs
fluorescents (Hardy et al, 1989). Les corps apoptotiques pourraient être phagocytés
par les cellules voisines, car des vacuoles de phagocytose contenant des organites
intra-cellulaires ont été observées dans les cellules saines du bouton embryonnaire
(Enders et al, 1982 ; Hardy et al, 1996).
Chez la souris, la fréquence de MCP est plus élevée dans le bouton embryonnaire
(BE) que dans le trophectoderme : 10-20% vs 3% (Hardy and Handyside, 1996),
ce qui expliquerait l’observation d’un nombre stable de cellules dans le BE,
alors que l’index mitotique est au moins aussi élevé que dans le trophectoderme
(Handyside and Hunter, 1986). Des différences ont été notées selon que les blastocystes
ont été conçus in vivo ou in vitro (Jurisicova et al, 1998), l’apoptose
étant en général plus élevée dans ce dernier cas ; le nombre des
cellules du BE pouvait alors varier considérablement d’un blastocyste à l’autre,
en relation directe avec l’index de MCP observé. Le même type d’observation
a été effectué dans l’espèce humaine. En revanche, lorsque le nombre de cellules
était faible, le taux de MCP pouvait dépasser 30% (Hardy, 1997) et un certain
nombre de blastocystes montrait des signes de blocage. Les blastocystes constitués
de plus de 80 cellules présentaient des taux d’apoptose généralement inférieurs
à 15%.
Apoptose
dans l’embryon en cours de segmentation
Les
rares études traitant de l’apoptose à ces stades très précoces ont concerné
principalement l’embryon humain. Dès 1989, Hardy et al avaient observé des signes
de condensation et de fragmentation chromatinienne dans les blastomères. Plus
récemment, Jurisicova et al (1996) ont analysé, par la technique TUNEL qui objective
la fragmentation de l’ADN et est ainsi révélatrice de l’apoptose, des embryons
bloqués dans leur développement et fragmentés : un marquage positif a été observé
dans 35% des cas. Contrairement à l’observation faite pour les blastocystes,
les corps apoptotiques n’étaient pas phagocytés par les blastomères intacts,
mais se retrouvaient dans l’espace inter-cellulaire, au contact de la zone pellucide.
Les auteurs avançaient l’hypothèse que la fragmentation des embryons était la
conséquence de l’activation du phénomène d’apoptose dans certains blastomères.
Ces observations originales méritaient d’être confirmées par d’autres travaux :
dans une étude récente (Levy et al, 1998) nous avons utilisé plusieurs marqueurs
de l’apoptose : l’un tardif - la technique TUNEL - l’autre plus précoce : l’Annexine
V, les observations étant effectuées en microscopie confocale. L’étude, effectuée
avec l'accord des couples concernés, a porté sur des embryons humains obtenus
après fécondation in vitro , jugés non transférables pour différents
motifs : fragmentation importante (grade III - IV), blocage en système de culture
prolongée. Parmi les embryons présentant un haut degré de fragmentation, des
blastomères multinucléés ont été mis en évidence dans 60% des embryons de 2-4
cellules et 89% des embryons de 6 cellules ou plus. Les noyaux des blastomères
multinucléés étaient de taille égale à ceux observés dans les cellules mononuclées
constituant l’embryon. Une fragmentation du matériel nucléaire en petits paquets
a été observée dans 35% des embryons de 2-4 cellules et 41% des embryons de
6 cellules et plus. La majorité des embryons fragmentés ou arrêtés dans leur
développement montrait une condensation de la chromatine ou une fragmentation
du matériel nucléaire, évocatrices du phénomène d’apoptose : chromatine disposée
en agrégats situés à la face interne de l’enveloppe nucléaire, noyau fragmenté
en amas de chromatine.
L’annexine V se fixe sur les résidus phosphatidyl sérine. Cette molécule, localisée
sur la face interne de la membrane plasmique d’une cellule saine, s’externalise
au cours de la 1ère phase de l’apoptose : elle permettrait ainsi
à la cellule d’être reconnue et phagocytée par les macrophages, et peut alors
être révélée par l’annexine V. On a pu observer un marquage positif dans tous
les embryons bloqués et /ou fragmentés qu’on a étudiés. En revanche 15 embryons
sur 50 seulement étaient positifs en technique TUNEL, dont 13 présentaient 1
seul blastomère apoptotique. On a observé des images d’embryons où 2 blastomères
avaient des noyaux fragmentés, voisinant avec un blastomère en mitose, à priori
normale.
Ils apparaissait nécessaire de comparer ces taux élevés d’apoptose observés
dans les embryons anormaux ou non évolutifs, à ceux relevés dans des embryons
sains. Nous avons pu utiliser quelques embryons cryoconservés avant la promulgation
de la loi de 1994, qui ne faisaient plus l’objet d’un projet parental, et dont
les géniteurs avaient acceptés qu’ils soient utilisés à des fins de recherche. :
après décongélation, aucun marquage positif à l’annexine V n’a été observé.
Facteurs
de survie et d’apoptose
L’apoptose
et la prolifération cellulaire constituent la résultante d’un équilibre entre
facteurs de survie et facteurs de MCP. Lorsqu’il existe un déséquilibre en faveur
de ces derniers (on peut citer Bad, Bax, TNF a et le système Fas/Fas
ligand), la cellule évolue vers l’apoptose, en activant le système des caspases.
Si au contraire les facteurs de survie prédominent (comme Bcl 2), la
cellule survivra. Des travaux récents (Jurisicova et al, unpublished data
) ont révélé la présence conjointe de transcrits de gènes suppresseurs et inducteurs
de l’apoptose, dès le stade de l’ovocyte immature, avec une élévation du niveau
de transcription pour 2 gènes inducteurs (bax et hrk) à partir du stade
morula. Dès le stade de la fécondation, l’uf possède donc tout l’équipement
moléculaire pour évoluer ou non vers l’apoptose. Les mêmes auteurs se sont alors
intéressés aux embryons fragmentés et on montré une élévation de l’activité
transcriptionnelle de la caspase-3, par rapport aux embryons sains.
Signification de l’apoptose
Il faut
distinguer 2 situations, correspondant aux embryons sains et évolutifs d’une
part, aux embryons fragmentés et/ou non évolutifs d’autre part. Dans le dernier
cas, il existe indiscutablement une corrélation entre degré de fragmentation
embryonnaire et apoptose : l’activation des effecteurs de l’apoptose afin
d’éliminer des blastomères –ou des embryons en totalité – anormaux sur le plan
du matériel génétique, constitue une hypothèse séduisante ; on a ainsi
bien montré que dans ces embryons fragmentés, de nombreux blastomères présentaient
une polyploïdie, ou un véritable morcellement de la chromatine. Cependant, on
ne peut éliminer l’hypothèse réciproque : l’apoptose se déclencherait dans
certains blastomères pour des raisons qui resteraient à définir, et la fragmentation
serait alors la conséquence, véritable traduction morphologique, du phénomène
d’apoptose.
Dans le cas des embryons sains, le phénomène d’apoptose paraît extrêmement limité,
voire inexistant, du moins au stade de la segmentation. Récemment, Hardy et
al (2000) ont montré chez l’homme, que la présence de noyaux apoptiques n’était
détectée qu’au stade de « morula compactée » (7% des cellules), et
en déduisent que ces faibles taux d’apoptose ne peuvent à eux seuls expliquer
les niveaux élevés de blocages embryonnaires observés en FIV humaine.
Rôles
respectifs des facteurs intrinsèques et environnementaux
Selon les auteurs cités précédemment, l’important est de générer un embryon
à partir de gamètes « sains », les facteurs environnementaux apparaissent
au second plan. Pour renforcer cette opinion, Sjöblom et al (2000), ont étudié
l’apoptose dans des blastocystes, obtenus chez la souris dans 3 conditions expérimentales,
leur permettant d’étudier l’influence de 2 facteurs : un traitement de
superovulation d’une part (versus une ovulation naturelle), des conditions de
culture in vitro d’autre part (versus un développement in vivo
des blastocystes). Ils ont montré que la superovulation multipliait par un facteur
5 le taux d’apoptose, alors que les conditions de culture in vitro étaient
sans conséquences. Ces derniers résultats sont cependant en contradiction avec
ceux de Jurisicova et al (1998), qui observaient 2 fois plus d’apoptose lorsque
les blastocystes étaient obtenus in vitro. En tout cas, si des conditions
suboptimales de l’environnement existent, il semble logique qu’elles puissent
entraîner une élévation de l’apoptose
.
Conséquences sur la pratique du DPI
Dans le cadre du DPI, il est bien évident que si la cellule biopsiée est apoptotique,
et par là présente une fragmentation de l’ADN, les résultats de la PCR, ou du
FISH, risqueront d’être erronés ou en tout cas ininterprétables. Il est dont
impératif de ne biopsier que des embryons ne présentant pas de signe de fragmentation,
car le risque de prélever un blastomère apoptique (pratiquement indécelable
avec les moyens d’observation classiques) est alors très faible. Au contraire,
si l’embryon est fragmenté, le risque est élevé, et il est de surcroît corrélé
avec le risque d’aneuploïdie, et par conséquent d’erreur diagnostique si la
technique de FISH est envisagée.
A partir du stade « blastocyste », le phénomène d’apoptose paraît
« physiologique » et serait toujours présent, y compris dans les blastocystes
sains. La pratique du DPI à ce stade apparaît donc plus risquée en théorie,
même si la biopsie concernera des cellules du trophectoderme, qui présentent
en principe un taux d’apoptose plus faible que dans le bouton embryonnaire.
Références
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Sjöblom C, Hyllner
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cell death in murine blastocysts. Fertil. Steril., vol 4, n°S17, 2000 :
ASRM 2000.
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