INFECTION
à VIH
QUESTIONS POUR LES ANNEES 2000
Professeur
J.F DELFRAISSY
CHU Bicêtre
78, Rue du Général Leclerc
94275 KREMLIN BICETRE Cédex
Tél : 01/45/21/28/91
Fax : 01/45/21/27/41
E-mail : jean-francois.delfraissy@bct.ap-hop-paris.fr
En cette
fin d’année 2000, les progrès thérapeutiques intervenus dans les pays du Nord
ne doivent pas masquer que l’infection à VIH demeure une épidémie dramatique
en Afrique, en Asie du Sud et du Sud-Est. Il existe de grandes inégalités dans
l’accessibilité aux traitements entre les pays du Nord et les pays du Sud (7).
Le succès
des multithérapies
En
Europe et aux USA, le pronostic de l’infection à VIH s’est nettement amélioré
au cours des trois dernières années grâce à l’utilisation des multithérapies
(combinaison de plusieurs antiviraux). Sous traitement, le contrôle partiel
de la multiplication du virus s’accompagne d’une restauration fonctionnelle
du système immunitaire et d’une amélioration clinique. On observe une diminution
d’environ 2/3 des cas de SIDA, des décès ou du nombre de journées en hospitalisation
classique. Parmi les patients suivis en France, environ 85% reçoivent un traitement,
et on peut donc parler d’une « maladie chronique sous traitement »
(6).
On estime que le taux de nouvelles contaminations en France est stable (autour
de 5000/an environ). L’expérience quotidienne montre que les services cliniques
prennent de plus en plus en charge des personnes d’origine étrangère et/ou en
situation de précarité, renforçant la nécessité des liens avec les travailleurs
sociaux. La déclaration obligatoire et anonyme de l’infection à VIH, au moment
du dépistage, devrait être prochainement généralisée en France et permettra
de mieux connaître l’épidémiologie de l’infection à VIH. Cette déclaration devra
être effectuée par le prescripteur du test ou le laboratoire le réalisant; elle
complètera la déclaration des cas de sida, non modifiée. En 1998, 20% des patients
ne connaissaient pas leur séropositivité au moment du diagnostic de sida.
Les limites
des multithérapies
Plusieurs
points importants, confirmés ces derniers mois, sont susceptibles de modifier
les stratégies thérapeutiques dans les années à venir :
- une efficacité confirmée des multithérapies permettant d’obtenir de façon
durable une charge virale plasmatique (ARN VIH) non détectable (<200 ou 50
copies/ml) chez un grand nombre de patients, mais sans baisse significative
du DNA viral.
- la notion d’une prise en charge au long court avec des effets indésirables
plus fréquents que prévus conduisant à nuancer le moment de l’initiation au
traitement et à renforcer la relation entre les soignants et les soignés ;
- la persistance du virus, sous une forme intégrée, quiescente ou plutôt faiblement
réplicative, au niveau des lymphocytes CD4 et des monocytes du sang périphérique,
y compris chez les patients ayant depuis plus de deux ans un ARN VIH plasmatique
inférieur à 50 copies/ml (4, 9, 10, 18);
- une restauration immunitaire sous traitement retardée, efficace vis à vis
des agents infectieux endogènes ou exogènes, mais incomplète vis à vis du VIH
lui-même en particulier au niveau de la fonction CD4 amplificatrice (1, 5, 14,
15).
Ces données suggèrent qu’en l’absence de nouvelle classe d’antiviraux l’éradication
n’est plus l’objectif à court – moyen terme, mais que l’on s’oriente plutôt
vers l’obtention d’un état d’équilibre immunovirologique éventuellement favorisé
par une immunothérapie (6).
Les
échecs thérapeutiques
A coté du succès virologique,
déjà cité, il faut souligner que 40% des patients traités gardent une charge
virale détectable. Les causes d’insuccès sont essentiellement liées à des problèmes
d’adhésion au traitement et aux problèmes de résistance acquise. Environ 8%
des patients sont en échec thérapeutique sévère. Il s’agit surtout de patients
traités de longue date. Cette catégorie de patients nécessite à court terme
l’obtention de nouvelles molécules en association avec la collaboration active
des différentes agences et de l’industrie pharmaceutique.
Les facteurs d’échec peuvent être liés au virus lui-même : charge virale très
élevée, présence de mutations de résistance aux différents antirétroviraux ou
au traitement prescrit, interactions pharmacocinétiques réduisant le taux sérique
des médicaments ou leur métabolisme intracellulaire, puissance thérapeutique
insuffisante en particulier en cas de charge virale élevée, difficultés d’adhésion
(on estime qu’environ 30% des patients ont une adhésion incomplète à leur traitement).
On dispose maintenant d’outils permettant d’expliquer l’échec et d’aider au
choix du nouveau schéma antirétroviral de relais. Les dosages plasmatiques des
inhibiteurs de protéase permettent d’authentifier un éventuel sous-dosage lié
à des problèmes d’absorption ou d’interactions médicamenteuses. Les inhibiteurs
de protéase sont en effet métabolisés au niveau du foie par le cytochrome p450
et de nombreux médicaments dont les inhibiteurs non nucléosidiques de la Reverse
Transcriptase peuvent modifier leur métabolisme.
Les tests
de résistance
La
réalisation de tests génotypiques de résistance doit être généralisée dans les
laboratoires de virologie dans le courant de l’année 2000. On dispose ainsi
de l’analyse des mutations des gènes de la transcriptase inverse et de la protéase,
associées à une baisse de la sensibilité connues à certaines molécules. L’utilisation
de ces tests est recommandée dans les échecs de deuxième et troisième intention.
Elle est à discuter en cas d’échecs multiples, d’échec de premier traitement
et de prescription pendant la grossesse. Les tests permettent de guider vers
le choix des molécules encore actives, en sachant que de nombreuses molécules
de même classe thérapeutique ont une résistance croisée et que, par exemple,
l’échappement à un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse
donné s’accompagne généralement d’une résistance à l’ensemble de ce type d’inhibiteurs.
Chez des patients en multiéchec, avec des virus résistants à tous les antirétroviraux,
des protocoles de mégathérapies comportant 6 à 8 antirétroviraux ou d’interruption
thérapeutique pour resensibiliser le virus sont à l’étude.
Toxicité
fréquente des antiviraux
La toxicité
des mono- ou bithérapies d’analogues nucléosidiques est bien connue probablement
par un mécanisme d’atteinte mitochondriale (2): toxicité hématologique, hépatique,
musculaire, neurologique... L’ère des multithérapies a fait émerger de nouveaux
effets secondaires inconnus jusqu’alors dans cette population. Plus de 50% des
patients traités présentent un syndrome lipodystrophique caractérisé par une
anomalie de la répartition des graisses, avec des signes de lipoatrophie. Ce
syndrome entraîne un aspect dysmorphique avec un préjudice esthétique parfois
majeur, très difficile à accepter par le patient atteint. Des hyperlipidémies
et des intolérances glucidiques peuvent également survenir, nécessitant une
prise en charge diététique voire médicamenteuse correctrice. Le mécanisme de
ces anomalies métaboliques n’est pas connu. Les inhibiteurs de protéase initialement
suspectés ne sont pas seuls en cause. La réversibilité de ces anomalies est
inconstante en cas de modification thérapeutique. Des conséquences à long terme,
en particulier cardiovasculaires, sont redoutées et l’interrogatoire d’un patient
infecté par le VIH doit maintenant comporter la recherche de facteurs de risque
cardiovasculaire.
Quelles
stratégies pour le long terme ?
La prise
en charge d’un patient infecté par le VIH s’envisage donc maintenant dans la
chronicité. Cet allongement de l’espérance de vie s’observe chez des patients
dont l’état de santé est préservé ou a été amélioré par la restauration immunitaire
sous traitement. Un traitement démarré doit être poursuivi à vie. Les espoirs
avancés parfois d’éradication virale étant quasi-inexistants avec les stratégies
thérapeutiques proposées, même si celles-ci permettent d’obtenir une charge
virale indétectable dans le plasma, on sait maintenant qu’il persiste du virus
latent intégré dans les cellules sanguines circulantes et dans les organes lymphoïdes.
Ce virus peut reprendre son cycle replicatif sous divers stimuli, ou en cas
d’arrêt de traitement. Ceci explique l’apparition inéluctable d’un rebond virologique
en cas d’arrêt de traitement, même chez des patients parfaitement contrôlés
sous traitement prolongé. Les modèles mathématiques estiment à plusieurs dizaines
d’années la durée nécessaire pour aboutir à une éradication virale avec les
traitements actuels, ce qui oblige à envisager d’autres approches thérapeutiques.
Dans de rares cas d’arrêt de traitement, l’existence d’une réponse immune cellulaire
anti-VIH permettrait de contrôler la réplication virale mais cette stratégie
d’interruption thérapeutique programmée n’est pas encore validée et pourrait
avoir des effets délitérés. Par ailleurs, on sait que certains patients sont
infectés depuis plus de 8 à 10 ans, mais gardent un taux de lymphocytes CD4
normal et une charge virale basse. Ces patients « non progresseurs »
présentent également une réponse immune spécifique anti-VIH qui a disparu chez
les patients »progresseurs ». Ceci amène à développer des approches
visant à stimuler la réponse anti-VIH efficace , soit par le biais de cytokines
telles que l’interleukine-2, soit par une immunothérapie spécifique avec des
peptides immunogènes du VIH. L’interleukine-2 a d’ores et déjà prouvé son efficacité
avec l’observation d’une restauration immunitaire quantitative - augmentation
du taux de CD4- et qualitative - restauration des réponses spécifiques d’antigènes
- lorsqu’elle est associée à un traitement antirétroviral actif. L’IL-2 peut
également contribuer à diminuer le pool de cellules latentes (3). Des protocoles
d’immunothérapie spécifique (vaccins de type lipopeptides) associés ou non à
l’Interleukine-2, viennent de débuter chez des patients ayant une charge virale
indétectable en chronique ou après primo-infection traitée.
D’autres pistes sont à envisager : Simplification des traitements avec
une prise par jour, apparition de la 2ème ou 3ème génération
des inhibiteurs de protéase actifs sur des virus multirésistants, inhibiteurs
de fusion T20, ligands modifiés des récepteurs de chemokines, inhibiteurs d’Intégrase
mais il s’agit de perspectives à 2 ou 3 ans.
Une autre approche consiste en une prescription thérapeutique plus individualisée
prenant en compte en particulier les différences immuno-génétiques. Des mutations
ou des délétions sur les récepteurs de chimiokines peuvent influencer l’histoire
naturelle, en retardant (11, 12, 13, 17) ou au contraire en accélérant l’évolution
par le SIDA (8).
Ceci reste vrai à l’air des multithérapies. Il est donc logique de proposer
des traitements plus ou moins lourds, avec des stratégies d’interruption et/ou
d’immunothérapie de façon plus individualisé en fonction du risque évolutif.
Les Pays
du Sud
L’ampleur
de l’épidémie, son extension à l’Asie et probablement maintenant aux pays de
l’Est est encore trop souvent méconnue ou sous estimée par les pays du Nord.
L’accès aux médicaments antiviraux très limité pour l’instant en raison des
coûts est devenue un enjeu politique et associatif important. La prévention
de la transmission de la mère à l’enfant par un traitement court (Névirapine
ou AZT) est considéré comme un objectif prioritaire ou en tout cas raisonnable
à court-moyen terme.
On doit souligner que la lutte contre le SIDA ne doit pas se focaliser sur tel
ou tel aspect. On ne peut pas faire de bonne prévention si l’ont ne fournit
pas aux personnes atteintes un minimum de prise en charge. Il serait donc illusoire
de consacrer la totalité des budgets à l’aide thérapeutique, mais celle-ci doit
se mettre en place pour montrer que c’est possible, y compris dans les pays
du Sud.
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