Erreurs médicamenteuses en pédiatrie
hospitalière
J.P. DOMMERGUES*
Sous le terme d'erreurs médicamenteuses,
nous regroupons les erreurs d'indication, de prescription, de transcription, de
dispensation, d'administration et de surveillance des traitements médicamenteux.
Chacune de ces étapes peut constituer un « maillon faible » dans
la chaîne des soins. Il peut s'avérer que ce maillon faible ne soit pas
unique et que l'erreur soit la conséquence d'un enchaînement de dysfonctionnements
qui n'ont pu se corriger l'un l'autre [1].
Reconnaître ses erreurs n'est
pas toujours facile et, oscillant entre le déni et la culpabilité, l'équipe
soignante peut se sentir remise en cause. Notre propos n'est pas de stigmatiser
« la faute » ou de « mettre en accusation » telle ou telle personne
mais plutôt d'analyser les circonstances favorisantes, les mécanismes
de survenue, les conséquences des erreurs médicamenteuses - et de
voir quelles stratégies de prévention peuvent être mises en place.
L'analyse des erreurs médicamenteuses
L'enfant est spécialement exposé
L'interrogation associant les mots-clés «
medication errors » et « child » dans la banque de
données Medline donne accès à près de 500 références
! Une étude prospective pédiatrique conduite dans deux hôpitaux universitaires
américains analysant plus de dix mille prescriptions a relevé 5,7 % d'erreurs
[2]. Les plus fréquentes étaient les erreurs de dosage (28 %), de
voie d'administration (18 %), de transcription (14 %), de fréquence
et d'horaire d'administration (9 %). Les médecins étaient en cause
dans les trois quart des cas. Dans un autre travail, plus des deux tiers des erreurs
de prescription concernaient des enfants et 30 % des erreurs de dose relevaient
de prescriptions nécessitant un calcul ; ces erreurs allaient dans plus de
la moitié des cas dans le sens d'un surdosage [3]. Une étude rétrospective[4]
sur une période de cinq ans dans un hôpital pédiatrique anglais a
retrouvé une erreur médicamenteuse pour 0,15 % des enfants hospitalisés
et a noté que le pourcentage le plus élevé d'erreurs concernait les
unités de soins intensifs pour nouveau-nés.
Les erreurs de calcul
Les erreurs de calcul et de virgules décimales
représentent environ 15 % des erreurs de prescription [5]. Les médecins
ne savent pas toujours compter ! Soixante-quatre résidents en pédiatrie
ont été soumis à des exercices écrits et anonymes de calcul
de doses. Le pourcentage d'erreurs de calcul des étudiants en première
année de résidanat aboutissant à une prescription de dix fois la
dose était de 7,5 % dans le grand hôpital pédiatrique de Toronto
[6].
Les médicaments à très haut risque
Ils doivent être bien connus des soignants
car leur surdosage peut tuer le malade : administration par voie intraveineuse de
potassium, digitaliques et antiarythmiques, antimitotiques, analgésiques majeurs,
anticoagulants, insuline. L'administration de la quinine intraveineuse reste pourvoyeuse
d'accidents graves mettant en jeu le pronostic vital par toxicité cardiaque.
Les accidents rapportés sont favorisés par la multiplicité des présentations,
la multiplicité des dosages ; il s'agit presque toujours d'erreurs multiples
: erreur d'indication parfois (la quinine par voie intraveineuse est réservé
au traitement de l'accès pernicieux), rédaction imprécise du prescripteur,
erreur de dilution du produit. [7].
Les lieux à haut risque : urgences et soins intensifs,
oncologie, néonatologie
Les unités d'urgence sont spécialement
exposées en raison du nombre important de « facteurs latents » tels
que le bruit, le stress, la pression qui y règne, le nombre élevé
de malades non familiers, la charge de soins. Les enfants y sont particulièrement
exposés à ces accidents iatrogènes : un certain nombre de circonstances
augmentent les risques : enfants souffrant de maladies sévères, enfants
vus entre 4 h et 8 h du matin, patients vus lors des fins de semaine, prescription
faite par des juniors [8].
Les unités d'urgence sont spécialement
exposées au risque d'erreur sur le poids [9].
En oncologie pédiatrique,
les erreurs spécifiques sont souvent sévères, notamment les erreurs
de virgule ou de calcul pour des chimiothérapies par voie intraveineuse, conduisant
à des surdosages de dix fois la dose, pouvant engager le pronostic vital du
fait de défaillances multiviscérales graves.
En néonatologie
La néonatalogie reste un domaine très
pourvoyeur d'erreurs médicamenteuses tant par les difficultés tenant au
petit poids des patients que par les modes d'administration différents : voie
veineuse périphérique ou cathéter central, voie buccale, par la sonde
gastrique ou par voie rectale. Une difficulté supplémentaire est liée
à l'absence d'AMM pour beaucoup des produits prescrits pour lesquels nous sommes
dans l'ignorance de la pharmacocinétique chez le prématuré [10].
les stratégies de prévention
Les recommandations concernant la prescription
Les règles générales du «
bien prescrire » méritent d'être rappelé à tout médecin
qui rédige une ordonnance (tableau I) [11].
Bien entendu, chaque équipe élabore
ses propres protocoles en fonction de ses spécificités de fonctionnement.
Enfin, l'écrit ne remplace pas la nécessaire communication orale entre
le médecin et l'infirmière pour commenter les prescriptions de chaque
jour.
La prescription informatisée
Elle constitue un facteur important de réduction
des erreurs médicamenteuses. Elle supprime les problèmes de lisibilité.
Certains logiciels comportent une aide à la prescription en fonction d'un certain
nombre de paramètres tels le poids de l'enfant ; ils peuvent être munis
d'alarmes en cas de doses inappropriées ou signaler des incompatibilités
médicamenteuses.
Des auteurs canadiens ont estimé
que le taux d'erreurs avait diminué de 40 % depuis l'introduction de la
prescription informatisée. [12].
Le résultat le plus spectaculaire
a été récemment publié dans l'étude prospective réalisée
à Toronto, qui a conclut à la quasi-disparition des erreurs de prescription
médicale depuis l'informatisation de la prescription [13].
Les mesures associées de prévention
L'adoption de plusieurs mesures renforce la sécurité
des soins. Nous en donnerons deux exemples. Le premier est celui du service de néphrologie
pédiatrique de l'hôpital Robert Debré dans lequel une comparaison
a été faite entre deux systèmes d'organisation des prescriptions
et des dispensations médicamenteuses : le premier associant prescriptions manuscrites
et distribution des médicaments à partir de la pharmacie du service, le
deuxième associant prescriptions informatisées et dispensation unitaire
des médicaments [14]. Le pourcentage d'erreurs (excluant les erreurs d'horaires
d'administration) est passé de 24 % à 9 %.
Tableau I. Recommandations concernant
les prescriptions médicamenteuses
Avant
d'écrire la prescription, vérifier qu'il s'agit bien du dossier de soins
de l'enfant (attention aux documents ne portant mention que du prénom !)
Rédiger une prescription lisible, claire,
non ambiguë, renouvelée chaque jour.
Prendre connaissance des prescriptions
antérieures et préciser si arrêt ou non des médicaments antérieurement
pris
Si un changement intervient en cours
de journée, en dehors de « la visite », indiquer l'heure de la nouvelle
prescription, le nom du prescripteur, préciser en clair si les médicaments
nouvellement prescrits s'additionnent aux médicaments antérieurement prescrits
ou remplacent tout ou partie de ceux-ci...
Vérifier l'exactitude du poids
de l'enfant.
S'informer auprès de la famille
sur les allergies connues
Eviter au maximum les abréviations,
source d'ambiguïté.
Préciser la dose unitaire, la
dose par kg et par 24h, la dose totale des 24h, les horaires des prises, la forme
choisie, la voie d'administration, le débit de perfusion ; en cas de dose très
faible, une double dilution peut être nécessaire : toutes ses étapes
doivent être détaillées
Se méfier de la confusion entre
les unités (par exemple milligrammes et microgrammes...)
Vérifier tout calcul par une deuxième
personne, médecin ou infirmière
Eviter le point décimal (écrire
en France 0,1 et non pas 0.1 ou pire .1)
Attention aux chiffres qui peuvent
prêter à confusion (3 et 8, 1 et 7 qu'il vaut mieux barrer au milieu de
sa barre ascendante
En l'absence de prescription informatisée,
faire les prescriptions toujours sur le même plan en accord entre l'équipe
des soignants et des médecins (par exemple, prescrire toujours d'abord l'insuline
ordinaire, puis l'insuline lente ; prescrire dans la mesure du possible les traitements
soit par catégories (antipyrétiques, antibiotiques, analgésiques...
) soit par voies d'administration (per os, puis IM, puis SC, puis IV...).
Le deuxième exemple est tiré du travail
de Koren [15]. Trois mesures conjointes ont été prises dans un grand hôpital
pédiatrique à savoir : 1) l'introduction de la prescription informatisée
2) la suppression systématique de la pharmacie du service des médicaments
potentiellement les plus à risque dont il n'était pas prévu un emploi
immédiat 3) l'enseignement des nouveaux résidents sur la prévention
des erreurs médicamenteuses. Ce programme de prévention a permis une diminution
de plus de 50 % des erreurs médicamenteuses et de plus de 70 % des
erreurs graves.
La prévention en service de néonatologie
Les calculs des posologies ne se font pas
uniquement en fonction du poids, mais aussi du terme et de l'âge post-natal.
Ainsi, l'administration des aminosides et de la vancomycine nécessite des protocoles
stricts dans les services de néonatalogie. On conseille des contrôles
des calculs pour toutes les prescriptions par les infirmières, ainsi que la
vérification des durées entre deux administrations d'un même médicament.
Il semble que ce soit l'erreur la plus facile à corriger par l'outil informatique
avec calcul de dose intégré. Dans une étude [16], l'utilisation de
l'informatique pour le calcul des doses d'antibiotiques en unité de soins intensifs
de nouveau-nés a réduit de cinq cas observés en moyenne par mois
à zéro cas en deux ans la fréquence des erreurs de dose.
Les erreurs depuis la transcription
jusqu'à l'exécution sont fréquentes. Plus que jamais,
la prescription doit être claire, concise et lisible et toutes les indications
doivent figurer : dose par kg par jour ou par prise, le mode d'administration souhaité
ainsi que la durée de l'injection et la vitesse de perfusion.
Il convient de préciser la forme
galénique et la concentration du produit utilisé qui peut varier en fonction
du laboratoire : beaucoup de médicaments prévus pour être administrés
par voie intraveineuse sont donnés per os en l'absence de présentation
adaptée au nouveau-né (exemple : la ranitidine, le furosémide, la
caféine). Beaucoup d'erreurs peuvent être évitées grâce
à la vigilance des cadres de soins à n'autoriser qu'une concentration
dans la pharmacie du service.
Les interactions médicamenteuses
sont aussi des sources d'erreurs difficilement rattrapables par l'informatique et
souvent méconnues par les nouveaux prescripteurs dans un service. L'association
de certaines molécules favorise une précipitation sur une voie centrale
(calcium et bicarbonates, calcium et culot globulaire, calcium et NP100, NP100 et
nicardipine) ; d'autres molécules, même en monothérapie telles que
imipénème, phénobarbital, immunoglobulines devront être prescrites
d'emblée par voie veineuse périphérique pour éviter le risque
d'obstruer une voie centrale si précieuse chez ces patients.
La nécessité de faire
des dilutions constitue la difficulté majeure en néonatologie puisqu'elles
comportent à la fois des calculs et des manipulations multiples. Les calculs
sont sécurisés si la prescription est informatisée ; les manipulations
doivent être évitées au maximum en limitant les dilutions successives
du produit (pas plus de 2 si possible). Ces dilutions ajoutent des erreurs inévitables
aux calculs initiaux en raison de l'espace mort des seringues [17]. Les dilutions
et le soluté de dilution doivent être précisés dans un cahier
de protocoles dans le service à disposition de tout prescripteur. Les dilutions
concernent le plus souvent des médicaments de l'urgence : atropine, médicaments
inotropes, anesthésiques : hypnovel ou des morphiniques : fentanyl, sufentanyl
.
Plusieurs solutions peuvent être
proposées: la prescription informatisée avec calculs de dose intégrés
et dilutions explicites mentionnées, les protocoles de prescription pour les
molécules les plus souvent prescrites validés par le chef de service et
les cadres de soins, une pharmacie avec gestion adaptée des stocks et une seule
concentration ou présentation choisie de produit.
Un autre volet de la prévention
des erreurs médicamenteuses en néonatalogie serait de favoriser l'obtention
d'AMM chez le nouveau-né à partir d'essais thérapeutiques rigoureux
conduits en services de néonatalogie. Malheureusement, les laboratoires pharmaceutiques
n'ont pas ou n'ont que peu d'incitation financière les conduisant à soutenir
de tels essais.
L'organisation de l'équipe soignante : vers une
démarche volontariste de prévention
Les erreurs médicamenteuses ne doivent pas
se solder par la stigmatisation d'une personne, même si une négligence
a été mise en évidence. Les efforts doivent tendre à une analyse
plus globale permettant à l'ensemble de l'équipe soignante de proposer
des mesures préventives d'accidents ultérieurs. Une culture de service
doit se développer pour chercher les meilleurs moyens d'éviter les erreurs
médicamenteuses. Les conseils de service sont certainement une des meilleures
instances pour discuter de ce problème au sein des équipes. Beaucoup d'auteurs
ont souligné que le fait d'inclure le volontariat dans la détection des
dysfonctionnements et des erreurs médicamenteuses était essentiel et ce
volontariat a prouvé sa plus grande efficacité que les processus de contrainte
ou de stigmatisation [1]
Au titre de l'organisation générale,
il convient de restaurer lors de la rédaction de la prescription médicale
une atmosphère de concentration et un climat de calme : c'est ainsi qu'il convient
de ne pas déranger, sauf raison très urgente, le médecin rédigeant
une ordonnance, l'infirmière en train de faire une dilution ou de préparer
une perfusion parentérale sous flux laminaire... Se méfier de certaines
circonstances à risque : déménagements de malades, prise en charge
d'un cas complexe par un nouveau médecin. Se rappeler que le petit nourrisson
ne peut dire ni qui il est ni ce qui lui a été fait...ou pas fait !
En ce qui concerne l'équipe paramédicale
et l'exécution de la prescription : les soignants doivent pouvoir se sentir
assez libres pour refuser d'exécuter une prescription illisible, ou ambiguë,
ou inhabituelle. Une vigilance particulière est à observer pour la voie
intraveineuse, à savoir ne jamais dissocier dans le temps les trois séquences
: temps de préparation - administration du médicament - mention
écrite de l'exécution de la prescription.
Les conseils de service doivent s'efforcer
de définir les stratégies les plus efficaces en fonction du contexte propre
de leur environnement et de l'analyse la plus objective des erreurs identifiées
pour repérer le ou les maillons faibles de la chaîne de soins. L'implication
des services de pharmacie hospitalière est toujours nécessaire à
une bonne organisation des protocoles. Le travail de prévention le plus sûr
est réalisé lorsque chaque étape comporte un processus de «
rattrapage » d'une défaillance du maillon d'amont à l'instar des
processus de sécurité mis en place dans certaines professions à haute
responsabilité humaine (aviation, aéronautes, haute montagne...).
conclusion
Le thème des erreurs médicamenteuses
ne doit pas rester un sujet tabou avec sa connotation de culpabilité et d'échec.
Il constitue un sujet de réflexion pour toutes les équipes soignantes
et à ce titre, il a droit de cité dans l'enseignement médical et
notamment de l'enseignement de la pédiatrie, l'enfant restant concerné
au premier chef par ces accidents.
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* Service de Pédiatrie
générale, Fédération de Pédiatrie, Hôpital Bicêtre.
646 J.P.
DOMMERGUES ERREURS
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648 J.P.
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650 J.P.
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652 J.P.
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