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Titre: Adolescence & obésité
Année: 2005
Auteurs: - Lachowsky M.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Adolescence

Adolescence & obésité

Michèle LACHOWSKY

L'adolescence

L'adolescence ne nous paraît guère un état, et encore moins le statut qu'on veut en faire aujourd'hui, mais bien plutôt un temps en mouvement, temps de travail et de crise.

Processus un peu paradoxal, où à partir de ce corps déjà plus ou moins construit de l'enfance doit se constituer un corps tout nouveau, nœud de sens et de sensations, soumis au regard de l'autre. L'autre de sa tribu essentiellement, mais aussi l'autre sexe. C'est la grande aventure de l'adolescence, la découverte ou plutôt l'appropriation de son corps sexué, aventure étonnante, inédite pourrait-on dire, car manquent à l'enfant les mots pour le dire et à l'adulte les rites du passeur. Le gynécologue a-t-il dans notre société un rôle à jouer, une main et une oreille à tendre pour faciliter cette transition, cet « accouchement » ?

Adolescent, participe présent du verbe latin adolescere qui signifie grandir, ce verbe dont le participe passé n'est autre que notre adulte qui, pour Balzac encore, s'opposait à l'homme mûr, autrement dit l'adulte a longtemps été un adolescent même pour les bons auteurs. Mais qu'est-ce donc que l'adolescence, où se situent les frontières de ce curieux pays ? Plutôt une histoire qu'une géographie, plutôt un temps qu'un espace, comment le définir si ce n'est comme un no man's land, un no woman's land où, de métamorphose en métamorphose, un petit d'homme va devenir un grand, entre les parenthèses symboliques de l'enfance et de la pré-maturité, âge imprécis qui fait couler beaucoup de d'encre et autant de larmes... De larmes, mais pourquoi ou pour qui ? Vues de loin, nos jeunes années paraissent souvent fort belles, enviables même et presque toujours regrettées. Mais est-ce bien de cette jeunesse-là dont il s'agit, ne serait-ce pas justement une période préliminaire, ce seuil au-delà duquel le ticket pour la vie devient réellement valable. Mue souvent difficile, où le vêtement d'enfance colle encore à la peau, où le rythme change et l'on grandit ou trop vite ou trop lentement, où l'on a si peu de passé et tant d'avenir que le présent ne s'y retrouve plus.

Ce présent, c'est pour l'adolescent un temps de changement, véritable mutation dont il attende lui-même beaucoup. Changement pour, mais aussi changement contre, l'adolescence est peut-être plus une lutte qu'une crise, une lutte d'abord avec soi-même, puis avec les autres, les pairs et les pères, ceux qui sont au même étage et ceux qui ne le sont pas, ceux à qui la loi, orale ou écrite, donne un savoir donc un pouvoir. L'ordre moral et surtout l'ordre social ont d'ailleurs un peu peur de cet âge, la société de consommation lui fait des avances, et la médecine ? La médecine sait, elle sait que la puberté n'est pas une maladie mais une évolution normale qui permet à un être humain sexué de perpétuer l'espèce avec plus ou moins de bonheur, au sens large du terme. Le médecin aussi sait tout cela, mais il sait aussi que ce mutant - où parfois il se retrouve - est fragile, à la recherche de ses nouveaux repères, vexé d'être découvert alors qu'il essaye de draper ses angoisses dans une dignité qui lui échappe. Son corps qu'il a du mal à habiter, ses sens qui l'étonnent, son cœur qui bat la chamade et sa raison qui doute de sa normalité, tous ces vents contraires le mettent au défi d'aborder enfin la vie, la vraie, celle des amours et de la sexualité, celle des parents mais surtout pas celle-là !

La douleur de l'adolescence, c'est moins celle du déjà plus que celle du pas encore, c'est l'impatience de l'enfant couplée au sentiment d'éternité de la jeunesse, c'est un temps trop lent pour une horloge qui n'en finit pas de se régler. Il est vrai que l'instauration du rythme va changer la petite fille en jeune fille, selon une formulation un peu désuète, alors que le corps des garçons ne connaît pas cette ouverture. Les premières « pollutions » nocturnes sont certes des marqueurs, mais peut-être plus d'une continuité que d'un changement. Les garçons n'ont pas dans notre société, dont le médecin de famille disparaît peu à peu, de station dans ce parcours initiatique qu'est l'adolescence et les gynécologues, partenaires privilégiés des filles, ne savent sans doute pas assez la difficulté de cet âge d'avant l'âge d'homme.

L'obésité, l'adolescence

Obèse : vient du latin ob-edere, grignoter, ronger. Curieusement, de ce sens premier qui signifiait rongé, décharné, autrement dit maigre, on est passé à la forme active, qui ronge, qui mange. Et nous voilà arrivés à l'acception actuelle de ce terme, non seulement gras ou gros, mais trop gras ou trop gros.

Gras paraît aujourd'hui plus péjoratif que gros, car il s'y ajoute une note médicale : le gras est dangereux. S'il y a - peut-être - encore de bons gros, il n'y a sûrement plus de bons gras, sous quelque forme que ce soit.

Forme, mais laquelle ? La forme, celle qu'il est souhaitable d'avoir et de montrer, preuve d'allant, de capacité physique, intellectuelle aussi pourquoi pas, celle des sportifs et autres dieux ? Les formes, celles que l'on dit admirer chez les femmes, mais dans certaines limites de plus en plus contraignantes ?

Forme, formes et limites, nous voilà dans le domaine de l'image du corps et de ses dépassements, de ses « outrepassements ». L'obésité est, nous dit-on, un des fléaux du monde moderne, sauf, ne l'oublions pas, de cette grande partie du monde où la famine fait taire les corps. Les corps obèses parlent, ils se cachent dans leur enrobement mais ils attendent les affronts, ils s'imposent par leur difformité mais ils blessent nos regards, ils sont une anomalie dérangeante, pour eux-mêmes comme pour les autres.

Savent-ils toujours ce qu'ils veulent dire ?

 

« Je veux bien que tu n'aies pas envie de voir ta soeur, mais tu ne crois pas que tu devrais sortir un peu pour te changer les idées ?

« Dès que je mets le nez dehors, je rencontre des gens. Est-ce que j'ai l'air de quelqu'un qui veut rencontrer des gens dans la rue ? »

Elle n'avait pas l'air, non. Elle était grosse...

« Quand même, ai-je fini par dire, tu as grossi.

« T'inquiète, j'ai fait jusqu'à 90 kilos. Attends voir ma photo, je vais la chercher. »

La photo avait été prise au flash, Olivia était énorme...

« Je ne t'aurais pas reconnue, tu ne fais pas les choses à moitié.

« J'avais 18 ans, c'est marrant, hein ?

« Oui, tu fais tellement plus vieille là-dessus.

« Je sais, c'était pas la grande forme...

« Tu penses que tu vas remonter jusque là ?

« J'espère que non, ça va aller mieux et je vais arrêter de me gaver. Quand je vais bien, je maigris à toute vitesse. Tu vas voir. »

 

Vous aurez peut-être reconnu ce dialogue, extrait du dernier livre de Marie Desplechin intitulé Sans moi. Tout, ou presque, y est dit.

Langage du corps et des corps, avec des différences selon les continents donc les sociétés, ordre spécifique ou désordre somatique, l'obésité pose des questions, qu'elle surimpose à celles, beaucoup plus simples, de la morbidité/ mortalité des courbes actuarielles des compagnies d'assurances.

Mais l'assurance, en plus ou en creux, n'est-ce pas une des clés de l'obésité, des obésités ?

L'image de soi, quelle image est-ce vraiment ? Celle que l'on a de soi, que l'on porte en soi, ou celle que voient les autres, ou encore celle que l'on s'imagine leur montrer, leur donner, en fait celle qu'on leur prête ? Image prêtée ou donnée ou plutôt réfléchie ou renvoyée, puisqu'il s'agit bien d'éclairage et de physique des corps, même si ce mot d'image a d'abord signifié fantôme, apparence, en opposition avec la réalité.

L'apparence, n'est-ce pas là une réalité d'aujourd'hui ?

Dans notre société le paraître prime sur l'être, pardon pour ce cliché, cette photo de notre mode de vie où les effrayantes cachexies des pays qui ne sont plus sous-développés mais émergents nourrissent de leurs images en direct les conversations de ceux qui, dans nos pays surdéveloppés, contemplent la faim du monde en échangeant des recettes hypocaloriques.

Mais l'obésité, me direz-vous, c'est bien une maladie, et comme telle elle sort de ces simples préoccupations de mode ou de silhouette.

Étienne de Silhouette, éphémère ministre des Finances en 1759 et rendu impopulaire par ses projets d'économie, ne se doutait pas de ce que la postérité ferait de son nom... et pourtant, voilà bien notre manière d'exprimer les canons de la beauté, ces blasons chers aux poètes du XVIe siècle. Facile d'ironiser, certes, et d'oublier que si ceux-ci ont beaucoup varié selon époques et civilisations, ceux de la santé sont plus récents. Nous sommes tous aujourd'hui convaincus qu'une alimentation équilibrée, bien loin en qualité comme en quantité de nos habitudes ancestrales est, avec un exercice physique bien compris, le meilleur garant de notre soma mais aussi de notre psyché, dotant le tout d'une longévité qui va bientôt justifier la fameuse formule, l'éternel féminin !

Il est vrai que pour la plupart de nos patientes, les chiffres et les tables dont elles usent pour apprécier ou plutôt déprécier leur poids sont bien loin de l'obésité-maladie.

Mais l'obésité ne se définit-elle que par rapport à l'index de masse corporelle, ou y entre-t-il aussi sa représentation, ce qu'on pourrait nommer son appréciation ? Ne faudrait-il pas s'enhardir jusqu'à paraphraser Montesquieu, non pas celui de L'esprit des Lois, car l'obésité est une transgression, mais plutôt celui des Lettres Persanes : « Comment peut-on être obèse ? ». D'abord très facilement dans notre société actuelle : les distributeurs de boissons sucrées et de viennoiseries plus sournoises que viennoises sont installés jusque dans les cours d'écoles et plus d'un jeune sur trois en France possède, dans sa chambre, un téléviseur devant lequel il grignote en paix ! Hurler de joie ou de rage devant un match de football n'est pas le bon moyen pour cultiver sa musculature...

Bien entendu, on peut être plus simple et parler, avec raison d'ailleurs, de troubles du comportement alimentaire, chapitre connu - mais l'est-il vraiment ? - de tous les praticiens. Mais pourquoi l'anorexie est-elle socialement mieux considérée que la boulimie, alors qu'il s'agit sans doute de la même maladie ? Nous savons tous qu'un amaigrissement brutal à la suite d'un malheur personnel, maladie grave ou perte d'un être aimé, divorce des parents ou abus sexuel, ouvre plus sûrement accès à l'intérêt et à la compassion que le même nombre de kilos en plus. Trop peu vaudrait-il mieux que trop ?

Un pas plus loin, et nous arrivons à la vraie question, celle qui donne peut-être un semblant d'ouverture sur notre problème à nous, médecins, confrontés à ce côté sinon inguérissable, du moins désespérément récidivant de cette affection : « Pourquoi est-on ou devient-on obèse, pourquoi faut-il être obèse ? »

Cette affection, il faudrait dire cette affliction, car l'obèse n'est pas un malade comme les autres. Il encourt les surnoms blessants à l'école, le ridicule et même une forme de ségrégation au travail, les difficultés dans les transports publics. L'obèse est anormal, ou plutôt hors-normes, et dans l'imaginaire collectif, c'est de sa faute. Il et surtout elle n'a même plus l'excuse passée de mode « c'est les glandes » ou la plus ancienne encore de « l'anémie graisseuse », tout le monde croit en connaître la cause : la grande bouffe, celle qui est inavouée parce qu'inavouable.

Médicalement se retrouve ici l'inégalité que nos jeunes patientes et leurs parents ont tendance à nommer injustice. La répartition ou la transmission des gènes, le nombre des adipocytes, la résistance à l'insuline comme le sentiment de satiété ou de frustration, les addictions variées et diverses, autant d'éléments tant somatiques que psychiques à prendre en compte par le médecin. Ils sont à la fois causes et conséquences de cette entité tout aussi difficile à cerner que ce corps informe dont l'image ne cesse de s'étaler devant nous, un peu comme un reproche.

« Docteur, regardez-moi » dit l'adolescente obèse, qui nous met si facilement en situation d'échec, peut-être pour ne pas se retrouver seule face à cette forme de jugement qu'est le regard dépréciateur de l'autre. « Regardez-moi, et peut-être, posez-moi ces questions auxquelles je ne sais pas si je veux, si je peux vous répondre. Le régime, les régimes que suit depuis toujours ma mère, les préoccupations relayées par les magazines, je crois que je ne les ai jamais digérées... »

« Entendez-moi, entendez mes secrets, entendez l'indicible. Ce qu'un adulte m'a imposé, ce que l'adulte que j'aimais m'a fait faire, n'en suis-je pas coupable ? Comment mieux me cacher, éviter tout ce que j'essaie d'oublier, sinon en m'enfermant dans ma tour de graisse, en devenant invisible par mon énormité ? »

« Écoutez-moi, comment puis-je crier autrement cette violence qui m'habite ? J'y arrive en forçant les miens à me regarder ainsi, à avoir honte de leur fille. » Alors, que faire ?

Comme toujours, ne pas juger, rester dans une relation médecin-patient d'échanges de sujet à sujet et non de sujet à objet, une relation de soins et d'empathie, sans identification ni rejet. Plutôt que de tenter de faire avouer donc de culpabiliser, plutôt que de barder discours et ordonnances de défenses et d'interdits, essayons de faire des propositions. Et puisque nous sommes dans les images et dans les clichés, quittons le négatif, oublions tous les NE...PAS, ou presque. Oublions les commandements : « Tu ne mangeras point de ceci ou de cela » et remplaçons-les le plus possible par des offres positives avec une formule magique : à volonté ! Le plaisir n'est-il pas la meilleure des sources de vie ?

Les « bons » nutritionnistes connaissent bien ce sésame, qui suffit parfois à entrouvrir la ligne de défense de l'obèse, eux qui plutôt que de remettre des listes de ce qu'il ne faut pas faire, détaillent ce qui est autorisé, ce qu'il faut faire. N'ayons pas la même obsession que notre patiente, parlons d'autre chose, ou plutôt de sa réalité à elle, ou de son imaginaire à elle ! Mais n'oublions surtout pas, comme toujours avec les adolescents, de parler confidentialité, de leur montrer qu'ils sont nos patients à part entière. Permettons-leur de nous voir non comme des parents mais bien comme les médecins que nous sommes, afin que leur obésité devienne ce qu'elle est : une maladie et non une honte.

Parlons mais écoutons aussi, pour mieux comprendre les racines de ce mal, en nous remémorant cette phrase de Jankélévitch: « Le malentendu, c'est l'interdiction d'approfondir. »

Ouvrons des perspectives, mesurons la place de notre adolescente dans sa famille, dans son environnement scolaire, dans son clan. Aidons-la à retrouver ses repères. Proposons des changements, changements d'hygiène, de rythmes, de modes de vie, afin que le comportement vis-à-vis de l'alimentation en vienne à se modifier, comme la personne et la personnalité elle-même, avec l'envie d'essayer de bouger autrement, peut-être en « poussant » devant elle une autre image. Une image qui, comme la pythie de Delphes, « ne dit ni ne cache mais donne des signes. »

Décodés et reconnus, ces signes, mais comment ? L'adolescent par définition s'échappe et nous échappe, à nous parents, à nous gynécologues, il se veut étrange et nous voit étrangers. Solitaire ou en groupe, il est tout entier dans sa métamorphose qu'il s'étonne de trouver douloureuse.

Et si, cette image, nous avons un peu aidé notre jeune patiente à la remodeler, si elle lui permet de mieux s'aimer, de la juger digne d'être gardée et même regardée, nous lui permettrons - peut-être - de sortir de sa chrysalide pour s'installer un peu plus confortablement dans son corps d'adulte.

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