Prise en charge des endométrioses
complexes. L'endométriose de localisations anopérinéales
Dr PATRICK ATIENZA*
Cette affection proctologique, rare,
se définit par la présence de foyers ectopiques de muqueuse endométriale
(cellules glandulaires et chorion), fonctionnelle ou non, au niveau du canal anal
et du périnée. Elle pose des problèmes diagnostiques mais aussi thérapeutiques
par sa situation possible dans l'appareil sphinctérien anal. L'échographie
endo-anale est, pour cette localisation, l'examen d'imagerie incontournable. Son
traitement chirurgical doit s'attacher à protéger au mieux la fonction
sphinctérienne afin de préserver la continence anale de ces jeunes
opérées. Les publications concernant l'endométriose digestive, forme
extra-génitale la plus fréquente, sont nombreuses. La localisation rectosigmoïdienne
est la plus importante, retrouvée dans environ 50 % des formes digestives [1,7].
à l'opposé, l'endométriose anopérinéale est l'objet d'une
faible littérature regroupant quelques articles sporadiques souvent d'un seul
cas clinique. La première observation d'endométriose périnéale
a été rapportée en 1923 et celle d'endométriose du canal anal
en 1968. En 1991, une revue exhaustive de la littérature ne colligeait que
60 cas dont 10 localisations dans le sphincter externe ; à ce jour moins d'une
centaine de cas ont été rapportés. Un important ouvrage de synthèse
en 2003 n'en fait pas mention [1]. Sa physiopathologie reste discutée mais
l'hypothèse migratoire est communément admise, renforcée par les
localisations préférentielles tant au niveau des épisiotomies que
des déchirures périnéales de nature obstétricale.
Les aspects cliniques
de l'endométriose anopérinéale
Pathologie apanage de la femme en période
d'activité génitale, ses signes révélateurs sont variables.
Devant des tuméfactions anopérinéales, deux contextes doivent orienter
préférentiellement vers des nodules endométriosiques : les antécédents
d'épisiotomies et les déchirures périnéales d'origine obstétricale.
Diagnostic positif
Le diagnostic est à évoquer devant tout
syndrome douloureux et/ou tumoral anopérinéal chez une femme en période
d'activité génitale [4].
- une tuméfaction
périnéale d'aspect bleutée (Fig. 1), sensible, de volume variable
selon le cycle menstruel. Son contenu d'aspect brun noirâtre est très
évocateur ;
- des douleurs
anopérinéales rythmées par les cycles génitaux [2] ;
- une fistule
anale. L'examen histologique systématique de toute fistule anale opérée
a permis d'identifer exceptionnellement du tissu endométriosique ;
- une fistule
anovaginale. De type basse et siègeant souvent au niveau de l'épisiotomie
(8), le diagnostic est souvent fait a posteriori sur l'examen histologique
du tissu d'exérèse ;
- parfois fortuite
par l'exérèse puis l'histologie d'un nodule périnéal asymptomatique
;
- exceptionnellement
par l'issue de sang noirâtre due à la fistulisation spontanée d'un
nodule périnéal superficiel.
L'examen proctologique
L'inspection peut visualiser la tuméfaction
périnéale et la palpation mesurer ses dimensions. Le toucher rectal perçoit
un nodule intra-canalaire ou intra-sphinctérien. Il apprécie le tonus
canalaire, de base et lors de la contraction volontaire puis vérifie la paroi
du bas rectum. Le toucher vaginal dans ce contexte est systématique à
la recherche de nodules vaginaux (cul de sac postérieur), d'une infiltration
des ligaments utéro-sacrés et de la paroi anovaginale.
Diagnostic différentiel
Il est important et parfois seule l'analyse histologique
de la pièce d'exérèse redresse le diagnostic.
1) La thrombose hémorroïdaire,
(hormis sa teinte bleutée due au sang noirâtre coagulé et son siège
anomarginal), ne prête pas vraiment à confusion avec un nodule endométriosique
après un examen proctologique rigoureux.
2) L'abcès anopérinéal,
dans sa forme très localisée, fluctuante, récidivante, éventuellement
d'origine actinomycosique peut, parfois, en imposer pour un nodule endométriosique.
3) Le mélanome
anal, très rare, de couleur souvent bleutée peut survenir chez la femme
jeune. Dû à la présence de mélanocytes au niveau de la muqueuse
canalaire, son pronostic est gravissime. Sa moindre suspicion impose son exérèse
et son analyse histologique le plus rapidement possible.
4) Les autres tumeurs
sous-muqueuses anopérinéales à type d'adénocarcinome soit colloïde,
développés à partir de l'épithélium des glandes d'Hermann
et Desfosses justifiant une amputation abdomino-périnéale, soit développé
à partir de la muqueuse du canal anal ou d'origine métastatique. Des léïomyomes
ou léïomyosarcomes d'origine sphinctérienne du canal anal ; l'histologie
redresse le diagnostic.
Les examens complémentaires
Parfois situés dans les structures musculaires
de la continence anale (sphincter externe ou faisceau puborectal du muscle releveur
de l'anus), le recours à l'imagerie (échographie endo-anale) est ici essentiel.
Une manométrie anorectale peut être proposée en pré et post-sphinctérroplastie.
Un avis gynécologique sera systématiquement
demandé dans le cadre d'une endométriose génitale associée.
Endoscopie
L'anuscopie et la rectoscopie font partie intégrante
de l'examen proctologique. Le siège sous-muqueux de cette tumeur bénigne
explique souvent un canal anal intact à l'anuscopie. En cas de symptômes
rectocoliques une coloscopie, complétée par un lavement opaque en cas
de sténose infranchissable, sera prescrite.
Imagerie
L'échographie endo-anorectale et périnéale.
L'endosonographie par voie endo-anorectale
est une excellente indication dans ce créneau très spécifique de
l'endométriose anopérinéale tout comme de la paroi rectale. Elle
confirme les nodules endométriosiques superficiels, perçus aux touchers
pelviens, sous la forme de zones hypoéchogènes, mais surtout vérifie
la présence de localisations anopérinéales plus profondes [5]. Elle
précise leur taille et leurs relations avec les structures musculaires de la
continence (Fig. 2), leur enchâssement ou non [10]. Elle visualise une endométriose
rectale ou profonde associée dans le cadre de localisations multiples.
Elle prend l'aspect non spécifique
de nodules habituellement hypoéchogènes et hétérogènes
(selon leur composante solide et/ou liquide), parfois hyperéchogènes (formes
hémorragiques), à limites externes volontiers floues et irrégulières,
ayant une forme et une taille variables (selon la quantité de sang et de fibrose,
le moment du cycle et/ou le traitement médical en cours).
Ces nodules sont soigneusement recherchés
dans l'atmosphère d'une cicatrice d'épisiotomie éventuelle.
En cas de fistule, elle précise
le trajet, la hauteur dans l'appareil sphinctérien et l'existence d'éventuel(s)
diverticule(s).
Certaines précisions doivent être
rappelées :
- Un lavement
évacuateur rectal précédera cet examen en raison des artefacts créés
par l'interposition des selles entre le ballonnet et la paroi rectale sus-jacente.
- L'endosonographie
ne remplace pas l'histologie et un nodule d'endométriose peut ressembler à
une tumeur. L'échodoppler par voie endorectale n'a pas été évalué
dans cette indication mais pourrait contribuer à affiner le diagnostic différentiel
des nodules hypervascularisés.
- On suggère
souvent de faire l'examen en période menstruelle afin d'en améliorer les
performances (nodules plus volumineux, recherche de liquide dans le Douglas). Toutefois,
cette optimisation des images n'a pas été démontrée. En outre,
la pratique quotidienne montre que l'examen est souvent plus douloureux dans cette
période du cycle.
Ces douleurs expliquent d'ailleurs
en partie la durée en général plus longue de l'endosonographie dans
cette indication.
- L'utilisation
de sondes de 5 à 10 MHz de fréquence restreint la profondeur de champ
échographique à un maximum de 5 cm et est donc bien adaptée aux localisations
anopérinéales.
Image par Résonance Magnétique
(IRM)
Elle n'est pas spécifique mais
donne des informations utiles en cas d'endométriose intrasphinctérienne
(siège, importance) ou d'autres greffes à distance. Au niveau anopérinéal
aucune étude à ce jour ne l'a comparée à l'échographie
endo-anale.
Ponction à l'aiguille
Utilisée dans les formes profondes et n'ayant
de valeur que positive, elle est rarement rapportée dans la littérature
[3].
Excision et histologie
Réalisée sous anesthésie, c'est
la méthode diagnostique de choix parfois avec examen extemporané. Elle
peut être complète ou partielle selon les relation avec l'appareil sphinctérien
anal et la paroi vaginale.
Traitement
Méthodes
Plusieurs options (voir tableau) ont été
rapportées dans la littérature :
- abstention
thérapeutique
- traitement
hormonal
- exérèse
simple
- exérèse
avec sphinctérroplastie
Indications
- Abstention thérapeutique
Elle est de règle dans les formes
asymptomatiques (30 % des endométrioses).
- Traitement
médical
• soit prescrit
seul, il est efficace sur les douleurs et consiste en l'arrêt des menstruations
par des progestatifs (Danazol) ou analogues de la GnGH,
• soit en complément
d'un traitement chirurgical limité ou incomplet par l'importance de la résection
musculaire à effectuer.
- Traitement
chirurgical
Il dépend de plusieurs paramètres,
expliqués à la patiente :
• le caractère nodulaire
ou fistuleux de l'endométriose anopérinéale,
• l'existence
de localisations sphinctériennes [6], authentifiées par l'échographie
endo-anorectale, leur taille, leurs rapports avec les sphincters anaux, interne
et externe, [10] et le faisceau puborectal du releveur de l'anus,
• l'âge
« génital » de la patiente,
• le désir
de future(s) grossesse(s),
• les lésions
génitales ou digestives associées.
Forme nodulaire
- En l'absence
de localisation intrasphinctérienne
Le traitement de choix est la résection
chirurgicale à adapter dans ses modalités selon l'âge des patientes
[10]. Elle peut être réalisée sous anesthésie locale [10], locorégionale
ou générale [9], selon la taille du nodule.
- En présence
de localisation(s) intrasphinctérienne(s)
Sous anesthésie générale
[6], deux attitudes ont été adoptées selon l'âge de la patiente
[3] :
• excision large
avec sphinctérroplastie dans le même temps. Cette technique s'adresse
plutôt aux femmes jeunes afin d'éviter le recours aux thérapeutiques
additionnelles ;
• excision réduite
ou incomplète avec thérapeutique hormonale complémentaire.
Cette option est plutôt destinée
aux femmes plus âgées en période ménopausique ou si risque de
fistule anovaginale.
Forme fistuleuse
En cas de fistule anovaginale ou anopérinéale,
une exérèse de tout le tissu endométriosique s'impose dans un premier
temps avec drainage et réparation secondaire par lambeau d'avancement, sphinctérroplastie
voire injection de colle biologique.
- Traitement
des récidives :
• surveillance
simple si patiente asymptomatique
• nouvelle exérèse
• traitement
hormonal
Conclusion
L'endométriose anopérinéale est
rare. Elle doit être évoquée puis prouvée histologiquement
devant des douleurs récurrentes et/ou une tuméfaction du canal ou de la
marge anale typiquement chez une femme en période d'activité génitale
ayant accouché par voie vaginale. Son traitement délicat vient des localisations
intrasphinctériennes dont la chirurgie peut compromettre la continence anale,
voire être à l'origine d'une fistule anovaginale. Sa forme asymptomatique
relève de l'abstention thérapeutique. Le pronostic fonctionnel sur la
continence anale des reconstitutions sphinctériennes en un temps après
exérèse semble satisfaisant mais à nuancer compte tenu du petit effectif
d'opérées rapporté dans la littérature, à ce jour.
Tableau. Principales publications des
endométrioses anopérinéales et résultats
EM = excision minimale ; LE = large
excision ; SP = sphinctérroplastie primaire
* Régresssion spontanée après
grossesse
Bibliographie
[1] Belaisch J, Audebert A, Brosens
IA et al. : L'endométriose. Précis de gynéco-obstétrique. Masson.
2003.
[2] Cheng DL, Heller
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[3] Dougherty LS,
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[4] Gordon PH, Schottler
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[5] Hauge C, Nielsen
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[6] Kanellos I, Kelpis
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[7] Olive DI, Schwartz
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[8] Sayfan J, Benosh
L, Segal M, Orda R : Endometriosis in episiotomy scar with anal sphincter involvement.
Report of a case. Dis Colon Rectum 1991;34 :713-6.
[9] Rakotomalala L,
De Parades V, Bauer P, Hofmann-Guilaine C, Parisot C : Ano-perineal endometriosis
with external sphincter involvement: a rare disorder. Gastroenterol Clin Biol. 1998;22(4):476-7.
[10] Watanabe M,
Kaliyama G, Yamazaki K, Hiratsuka K, Takata M, Tsunoda A, Shibusawa, Kusano M :
Anal endosonography in the diagnosis and management of perianal endometriosis: report
of a case. Surg Today. 2003;33(8):630-2.
* Service de proctologie
Médico-Interventionnelle - Groupe Hospitalier Diaconesses-Croix Saint-Simon
75012 Paris 518 PATRICK
ATIENZA PRISE
EN CHARGE DES ENDOMéTRIOSES COMPLEXES 519
520 PATRICK
ATIENZA PRISE
EN CHARGE DES ENDOMéTRIOSES COMPLEXES 521
522 PATRICK
ATIENZA PRISE
EN CHARGE DES ENDOMéTRIOSES COMPLEXES 523
|
˙âge
(année) |
˙Suivi (mois) |
˙Excision |
˙Récidives |
˙Complications |
˙ |
|
˙Prince
and Abrams (1957) |
˙25 |
˙6 |
˙EM |
˙Oui |
˙Aucune |
|
˙Beischer (1966) |
˙22 |
˙- |
˙* |
˙Non |
˙Aucune |
|
˙Gordon et al.
(1976) |
˙37 |
˙5 |
˙EM |
˙Oui |
˙Aucune |
|
˙ |
˙36 |
˙30 |
˙EM |
˙Non |
˙Aucune |
|
˙ |
˙37 |
˙5 |
˙EL avec SP |
˙Non |
˙Aucune |
|
˙Hambrick et al.
(1979) |
˙32 |
˙12 |
˙Incomplète |
˙Oui |
˙Aucune |
|
˙Sayfan et al.
(1991) |
˙28 |
˙3 |
˙LE avec SP |
˙Non |
˙Aucune |
|
˙Rakotomalala
et al. (1998) |
˙44 |
˙10 |
˙EM |
˙Oui |
˙Aucune |
|
˙Dougherty et
al. (2000) |
˙47 |
˙- |
˙EM |
˙- |
˙Aucune |
|
˙Kanellos et al.
(2001) |
˙39 |
˙12 |
˙LE |
˙Non |
˙Aucune |
|
˙Watanabe et al.
(2003) |
˙39 |
˙- |
˙EM |
˙- |
˙Aucune |
Figure 1. Vue périnéale (décubitus
latéral gauche). Nodule d'endométriose sous-cutané près
de la cicatrice d'épisiotomie (flèche). Figure
2. Échographie endo-anale. Nodules d'endométriose enchâssés
dans le sphincter externe de l'anus (flèche).
524 PATRICK
ATIENZA |