Faut-il encore faire un bilan urodynamique
dans l'exploration d'une incontinence urinaire ?
L. BOUBLI, L. PIECHON, R. SHOJAI, C. D'ERCOLE*
Le bilan uro dynamique fait partie
depuis plusieurs années de la prise en charge des troubles de la statique pelvienne
et de leurs conséquences.
La justification est de compléter
utilement les données cliniques pour avoir une approche objective des troubles
de la continence et donc de mieux poser les indications thérapeutiques, en
particulier celles du traitement chirurgical
En arrière pensée, pour certains,
on peut même retenir une préoccupation médico-légale sur la
notion de moyens.
L'exploration uro dynamique (2)
La cystomanométrie
Mesure la pression intra-vésicale au remplissage
et lors de la miction. Elle permet de déterminer deux paramètres essentiels.
La compliance vésicale
est le rapport de l'augmentation de volume à l'augmentation de pression, pendant
le remplissage.
La vessie se remplit normalement à
pression constante.
Elle se situe normalement au-dessus
de 30, soit une augmentation de pression de 10 cm d'eau pour une capacité de
300 ml. Les vessies à basse compliance doivent faire suspecter une anomalie
de la paroi vésicale
La contractilité vésicale
est représentée par l'amplitude et la durée de la contraction détrusorienne,
après soustraction de la pression liée à la poussée abdominale.
D'autres paramètres sont moins
interprétables du fait de leur variation, les besoins d'uriner, la capacité
vésicale.
l'activité vésicale (fréquence
des contractions par rapport au volume : intéressante surtout dans les pathologies
neurologiques)
Le profil de pression urétrale
Avec calcul des pressions différentielles
entre la vessie et l'urètre au repos puis à l'effort.
La pression Normale se situe entre
60 et 80 cm d'eau.
La stabilité urétrale est
explorée par l'enregistrement continu de la pression urétrale maximale,
pendant le remplissage vésical. Des chutes de pression de plus de 15 cm d'eau,
survenant en dehors de la miction, caractérisent l'instabilité urétrale,
mais cette détermination peut être artéfactée.
L'hypotonie sphinctérienne correspond
à une pression inférieure à 30 cm d'eau
La débitmètrie mictionnelle
Est un enregistrement graphique du débit
mictionnel.
Là aussi de multiples paramètres
peuvent modifier les résultats.
Indications des examens urodynamiques
Pourquoi faire un bilan uro dynamique ?
Les indications habituellement retenues
sont : (4)
1. la distinction
incontinence d'effort-incontinence mixte ;
2. l'évaluation
objective de la sévérité de la fuite urinaire ;
3. le diagnostic des
anomalies neurologiques éventuellement associées susceptibles d'affecter
le fonctionnement vésicosphinctérien ;
4. de préciser
la part respective de perturbation du détrusor et d'obstruction cervico urétrale
après traitement chirurgical de troubles de la statique pelvienne ou d'autres
interventions ;
5. de vérifier
l'existence de perturbations de la compliance vésicale chez des patientes aux
antécédents évocateurs (irradiation pelvienne, chirurgie élargie,
sondage urinaire prolongé) ;
6. de diagnostiquer
les obstructions cervico urétrales ;
7. de diagnostiquer
les incompétences sphinctériennes chez les patientes présentant dune
incontinence très sévère mais sans hyperrmobilité utrétrale
;
8. dévaluer les
patientes avec des prolapsus extériorisés ;
9. de rechercher les
causes d'échecs fonctionnels après réparation anatomique correcte.
Les données objectives
Plus de 1 100 articles sont retrouvés sur
l'exploration uro dynamique des incontinences chez la femme, Malgré l'abondance
de la littérature, il est difficile de préciser formellement la place
de l'exploration uro dynamique.
La cochrane database n'a retenu que
très peu d'articles et malheureusement les effectifs sont très réduits,
(5).
Au total les conclusions sont assez
décevantes. Elles définissent un intérêt de l'exploration pour
préciser les places respectives du traitement médical et chirurgical.
Il n'y a aucun consensus sur l'intérêt
d'une exploration systématique pré opératoire et la signification
pronostique des paramètres urodynamiques n'est pas formellement établie.
Discussion
Le bilan urodynamique fait partie du rituel de
prise en charge des troubles de la statique pelvienne.
Les objections peuvent porter sur plusieurs
points. Avant tout sur l'inocuité de cette exploration.
Le bilan urodynamique est une exploration
invasive et le principal risque est d'ordre infectieux (11).
La prévalence d'infection urinaire
avant exploration est 5,1 % (95 % CI, 3,6-6,6) pour une valeur de 8,4 % (95 % CI,
6,5-10,3) après exploration.
Les facteurs de risque indépendants
sont : age > 70 ans (odds ratio, 1,99 ; 95 % CI, 1,14-3,48) les antécédents
de chirurgie de l'incontinence (odds ratio, 1,90 ; 95 % CI, 1,05-3,43), et l'infection
urinaire avant exploration urodynamique (odds ratio, 3,13; 95 % CI, 1,43-6,83).
Les germes les plus fréquents
après exploration, urodynamique sont Escherichia Coli (46,3%), Enterococcus
spp (16,4,%), et Enterococcus faecalis (11,9 %).
A une époque où la notion
d'infection nosocomiale prend une place très importante, ce risque même
s'il n'est pas majeur doit être connu et la patiente dûment informée.
L'autre élément est le changement dans les
principes de prise en charge
Le bilan urodynamique, indépendamment du
dépistage des troubles de la compliance vésicale ou des anomalies de vidange
a longtemps reposé sur le schéma d'Enhorning pour expliquer les fuites
urinaires à l'effort.
La notion de transmission et l'évaluation
objective du défaut de celle-ci ont été les principes majeurs d'utilisation
de cette exploration pour préciser de façon efficace les indications chirurgicales
et le choix de la technique.
On a même pu proposer de réaliser
ces bilans de façon systématique avant chirurgie pelvienne (exemple hystérectomie)
pour traiter de façon préventive des incontinences potentielles.
La physiopathologie de l'incontinence
fait de moins en moins appel à cette notion de transmission.
Par ailleurs les techniques les plus
en vogue de traitement de l'incontinence par soutènement sous urétral
agissent au-delà de l'enceinte isobare définie par Enhorning.
La prise en charge des patientes présentant
une incontinence mixte
Le traitement chirurgical des incontinences
mixtes reste controversé avec seulement 20 à 30 % de succès du traitement
chirurgical en cas d'hyper mobilité urétrale (Blaivas et Fissler) (1).
D'autres auteurs retrouvent des taux
de succès similaires par traitement médical et chirurgical (12) et proposent
une intervention après échec du traitement médical (6,8).
Le choix de la technique
Peut être une justification logique
de l'exploration en se fondant notamment sur la mesure objective de pression urétrale
les interventions par voie rértopubienne étant habituellement contre indiquées
en cas d'incompétence sphinctérienne.
Par contre, la possibilité d'utilisation
de techniques de soutènement sous-urétral même en cas de pression
urétrale basse peut remettre en question la nécessité d'une exploration
urodynamique
La valeur pronostique de l'exploration
urodynamique
Il est habituellement admis comme critères
de mauvais pronostic chirurgical une pression de clôture inférieure à
30 cm d'eau et une importante instabilité vésicale. Pour autant, il est
impossible pour certains de prédire valablement le succès ou l'échec
d'interventions sur les données urodynamiques (7, 10, 9).
D'une manière générale,
les éléments prédictifs d'un bon résultat sont l'absence de
prise en charge diagnostique ou thérapeutique antérieure (P _,001; 95 %
CI 0,026, 0,415) et la moindre sévérité de l'incontinence (P. 026
; 95 % CI 0,210, 0,907).
L'évaluation urodynamique n'apportait
pas d'élément pronostic (2)
Au total
La base de la prise en charge d'un trouble de
la continence urinaire est avant tout clinique.
Il faut insister sur la qualité
de l'interrogatoire pour déterminer le caractère pur ou impur du symptôme
incontinence à l'effort.
Il est très important de rechercher
les signes associés urinaires mais aussi neurologiques qui peuvent remettre
en question le diagnostic initial.
Il faut beaucoup de temps pour un examen
clinique qui ne doit pas se résumer à l'évaluation du degré
de fuite et aux manuvres de réduction mais doit aussi rechercher les anomalies
associées ; trouble de commande périnéale et anomalies de la sensibilité
périnéale.
L'exploration urodynamique est trop
souvent utilisée pour pallier aux insuffisances de cette évaluation clinique.
En définitive : Faut-il réaliser systématiquement
une exploration urodynamique ?
La réponse est clairement non.
Par contre ce bilan devient indispensable
lorsque les données cliniques sont discordantes, font soupçonner une instabilité
ou surtout lorsque se manifestent des signes d'atteinte neurologique. Il est logique
aussi de réaliser ce bilan dans les formes récidivantes.
En conclusion
On peut citer Buzelin :
La qualité première d'un
examen «complémentaire» est de le rester. Il devient superflu dès
lors que l'information qu'il apporte peut être obtenue par la clinique. Or,
trop souvent, un examen urodynamique est prescrit dans le seul but de confirmer
un diagnostic clinique, d'affirmer, par exemple, que la vessie est instable ou que
le trouble mictionnnel est d'origine neurologique. ... Mais un équilibre se
définit non par la normalité de chacun de ses composants, mais par la
normalité du résultat qui est d'assurer le confort pour le patient et
la sécurité pour ses reins.
Bibliographie
[1] BLAIVAS JG, FISSLER
DM. Combined radiographic and urodynamic monitoring: advance in technique. J
Urol 1981;125:693-4.
[2] BURGIO KL
et coll, Predictors of Outcome in the Behavioral Treatment of Urinary Incontinence
in Women. Obstet Gynecol 2003;102:940-7.
[3] BUZELIN
JM. Interpréter un bilan urodynamique /www.med.univ-rennes1.fr/uv/snfcp/ journee-perfectionnement-buzelin.html
[4] DEFREITAS,
P. ZIMMERN / EAU Update Series 1 (2003) 135-144.
[5] GLAZENER
CMA, LAPITAN MC. Urodynamic investigations for management of urinary incontinence
in children and adults (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue
3, 2004. Chichester, UK: John Wiley & Sons, Ltd.
[6] JORGENSEN
L, LOSE G, MORTENSEN SO, MOLSTED P, KRISTENSEN JK. The
Burch colposuspension for urinary incontinence in patients with stable and unstable
detrusor function. Neurourol Urodyn 1988;7:435-41.
[7] JORGENSEN
L, LOSE G, MOSTED-PEDERSEN L. Vaginal repair in female motor urge
incontinence. Eur Urol 1987;13:382-5.
[8] KARRAM MM,
BHATIA NN. Management of coexistent stress and urge urinary incontinence. Obstet
Gynecol 1989;73:4-7.
[9] MCGUIRE EJ,
SARVASTANO JA. Stress incontinence and detrusor instability/urge incontinence.
Neurourol Urodyn 1985;4:313-6.
[10] PAW-SANG
JM, LOCKHART JL, SUAREZ A, LAUSMAN H, POLITANO VA. Female
urinary incontinence: preoperative selection, surgical complications and results.
J Urol 1986; 136:831-3.
[11] SHING-KAI
YIP, et coll. A study of female urinary tract infection caused by urodynamic
investigation. American Journal of Obstetrics and Gynecology (2004) 190,
1234e40.
[12] VEREECKEN
RL. A critical review on the value of urodynamics in nonneurogenic incontinence
in women. Int Urogynecol J Pelvic Floor Dysfunct 2000;3:188-95.
* Hôpital Nord Marseille
474 L.
BOUBLI, L. PIECHON, R. SHOJAI, C. D'ERCOLE FAUT-IL
ENCORE FAIRE UN BILAN URODYNAMIQUE ... 475
|
˙ |
˙Études |
˙Participants |
˙Méthode statistique |
˙Résultat |
| |
˙Traitement
médical |
˙1 |
˙80 |
˙Relative Risk (Fixed)
|
˙1,94 |
| |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙95 % CI |
˙[1,23, 3,07] |
|
˙Traitement chirurgical |
˙1 |
˙80 |
˙Relative Risk (Fixed)
|
˙2,41 |
| |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙95 % CI |
˙[1,05, 5,53] |
˙ |
˙Echec de trt 1 an |
˙1 |
˙48 |
˙Relative Risk (Fixed)
|
˙1,40 |
| |
˙(subjectif) |
˙ |
˙ |
˙95 % CI |
˙[0,63, 3,10] |
˙ |
|
˙Volume/poids
pad test |
˙1 |
˙48 |
˙Weighted Mean |
˙2,10 |
| |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙Difference (Fixed)
|
˙[-7,30, 11,50] |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙95 % CI |
| |
˙Nb
épisodes |
˙1 |
˙48 |
˙Weighted Mean |
˙0,08 |
| |
˙d'incontinence
/24h |
˙ |
˙ |
˙Difference (Fixed)
|
˙[-0,16, 0,32] |
˙ |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙95% CI |
| |
˙Echec
de trt à 1 an |
˙1 |
˙48 |
˙Relative Risk (Fixed) |
˙1,40 |
| |
˙(objectif) |
˙ |
˙ |
˙95% CI |
˙[0,58, 3,36] |
| |
˙Décès |
˙1 |
˙80 |
˙Relative Risk (Fixed)
|
˙0,10 |
| |
˙ |
˙ |
˙ |
˙95% CI |
˙[0,01, 1,81] |
476 L.
BOUBLI, L. PIECHON, R. SHOJAI, C. D'ERCOLE FAUT-IL
ENCORE FAIRE UN BILAN URODYNAMIQUE ... 477
478 L.
BOUBLI, L. PIECHON, R. SHOJAI, C. D'ERCOLE |