Traitement hormonal substitutif (THS)
: la vérité en chiffres
A.R. GENAZZANI*, T. SIMONCINI*, P.
MONTELEONE*, M.S. GIRETTI*
Après six ans de débats ardus
commencés après la publication de la première étude de prévention
secondaire des accidents cardiovasculaires des femmes sous traitement hormonal substitutif
(THS) [1], la sombre histoire de l'emploi des œstrogènes et la santé de
la femme ménopausée voit apparaître quelques rayons de soleil entre
les nuages, en donnant de nouvelles certitudes aux femmes et à leurs médecins.
Récemment, le National Institute
of Health a interrompu le bras « œstrogènes seuls » du Women's Health
Initiative, (WHI) [2] après l'analyse du Data Safety Monitoring Board (DSMB)
qui mettait en évidence que, au bout de près de sept ans, le traitement
avec les œstrogènes équins conjugués (les EEC) ne détermine
pas une variation de l'incidence de maladies coronaires [2]. L'étude,
prévue pour durer 8 ans et demi a été interrompue prématurément,
après seulement 5 ans, parce que les auteurs de l'étude ont acquis la
conviction qu'ils faisaient courir un risque certain aux femmes. Sur la base du
communiqué des médias, la raison principale de l'interruption a été
l'augmentation de l'incidence d'ictus chez les femmes traitées avec les EEC
(huit cas en plus par année pour 10 000 participants) par rapport au groupe
placebo [2].
Aucune augmentation d'incidence de
cancer du sein n'a été mise en évidence après un suivi de près
de sept ans chez les patientes traitées avec les seuls œstrogènes [2].
L'importance de cette donnée est énorme et confirme les résultats
d'une étude précédente randomisée, l'étude HERS, qui n'a
montré aucune augmentation d'incidence de cancer du sein des femmes traitées
avec les EEC + AMP (acétate de médroxyprogestérone) durant près
de 7 ans [1]. En même temps, le WHI confirme une réduction significative
de l'incidence de cancer du côlon et des fractures du col du fémur des
femmes sous THS [2].
Pour n'importe quel lecteur doué
d'esprit critique, écrasé par le lourd martèlement des médias
qui rapportent comme seul message, le concept que « le traitement hormonal
substitutif augmente le risque du sein et de l'infarctus », la publication
de cette nouvelle ne peut que représenter la fin de la plus grande distorsion
de la médecine moderne.
Le WHI a été présenté
comme une étude prospective, randomisée et en double aveugle effectuée
chez des femmes saines ménopausées et, pour cette raison aurait dû
être qualitativement supérieur à toutes les autres études conduites
auparavant. En fait, le WHI s'est avéré seulement une gigantesque étude
d'intervention avec un taux très élevé de dévoilement dû
à l'excès de saignements indésirables et de tension mammaire chez
les femmes traitées avec les œstrogènes, avec un taux élevé
de participants sortis de l'étude. En outre, les patientes recrutées pour
cette étude étaient d'âge moyen de 63 ans, avec une moyenne environ
de 13 ans de ménopause, avec une forte prédominance de surpoids, d'hypertension
artérielle, d'hypercholestérolémie, de diabète et de tabagisme
[3].
Compte tenu de ces caractéristiques,
les femmes incluses dans le WHI et dans le HERS n'étaient absolument pas des
candidates appropriées pour suivre un traitement avec 0,625 mg de EEC + 2,5
mg de AMP par jour et ne représentaient pas la population de femmes jeunes,
en début de ménopause, et réellement saines qui normalement demandent
le THS [4-6].
À cause de ces gros défauts,
le WHI ne répond pas à la question fondamentale que se posent les médecins :
le THS est-il capable de déterminer des bénéfices à long terme
pour femme en début de ménopause ? Celle-ci est l'unique question réellement
importante et, très curieusement, aucune des énormes études effectuées
ces dernières années n'a été organisée pour trouver une
réponse à cette question.
Le WHI répond par contre à
la question purement académique : l'administration orale d'une dose fixe
de EEC ou de ECC plus AMP pour une femme ménopausée, indépendamment
de l'âge et de l'état physique, détermine- t-elle plus de bénéfices
ou plus de risques ? Il est évident que pour tout médecin qui se consacre
à la clinique et non uniquement aux calculs statistiques, la réponse est
évidente.
Il est temps d'analyser de manière
objective les résultats de cette étude si controversée, pour chercher
ce qu'il y a d'utile afin de déterminer les futurs axes de recherche pour améliorer
la santé des femmes ménopausées.
Le WHI a conclu que les femmes qui
utilisent le THS ont une réduction significative de l'incidence des fractures
fémorales et vertébrales [2, 3], un concept déjà solidement
rapporté par diverses autres études cliniques bien conduites. Ce résultat
ne nécessite pas de discussions ultérieures mais, malgré cette solide
évidence clinique, les organismes de contrôle des médicaments et
de la santé européens et américains sont en train d'élaborer
de nouvelles recommandations qui découragent l'emploi de ce traitement efficace
pour l'ostéoporose à cause du risque présumé de développer
le cancer du sein, en réservant le THS seulement pour les femmes à haut
risque d'ostéoporose ou de fractures, ou en seconde intention après l'emploi
d'autres médicaments spécifiques de l'os.
Le rationnel scientifique sur quoi
se basent les nouvelles recommandations réside dans l'augmentation du nombre
de cancers du sein rapportée depuis plusieurs années chez des femmes sous
THS. En effet, même si on pouvait s'attendre qu'un agent qui stimule la prolifération
des cellules mammaires soit capable de favoriser une pathologie des tissus cibles,
aucun rapport entre les œstrogènes et le cancer du sein n'a été encore
établi, et les études cliniques ont montré des résultats partiellement
contrastés. La méta-analyse sur les hormones et le développement
du cancer du sein a rapporté un accroissement des cas de cancer du sein chez
des femmes sous THS depuis plus de cinq ans [7]. Après cette publication, même
le Million Women Study [8] et le bras CEE + AMP du WHI [3] a montré une augmentation
de cas de cancer du sein chez les femmes traitées avec les œstrogènes,
toutefois, la signification réelle de ces résultats est encore incertaine
[9].
Les résultats du MWS, présentés
par les médias comme la démonstration évidente du rapport entre hormones
et cancer du sein, ont rapporté une incroyable augmentation d'environ 45 %,
de l'incidence du cancer du sein chez les femmes sous THS depuis un an [8]. Ce résultat
peut être facilement mis en corrélation avec l'augmentation des diagnostics
lors de la première évaluation mammographique. Il n'existe certainement
pas de rationnel biologique qui puisse expliquer comment un cancer du sein,
qui nécessite de nombreuses années pour s'exprimer cliniquement de façon
évidente, devrait par contre exploser sous l'effet du THS. Ce qui est invraisemblable
c'est la disparition immédiate de l'excès de risque de cancer du sein
après moins d'un an d'interruption du traitement [8]. Il est évident que
si un médicament cause le cancer, l'augmentation des diagnostics de cancer
devrait rester stable au moins pour quelque temps après l'interruption de l'exposition.
La responsabilité du THS dans le risque de cancer du sein semble être,
plutôt, un effet promoteur des tumeurs infracliniques préexistantes.
En fin de compte, nous savons maintenant
que même l'étude WHI a montré que l'administration au long terme
d'une dose journalière significative d'œstrogènes n'est pas associée
à une augmentation de l'incidence du cancer du sein [2]. Cette donnée
constitue une certitude pour le THS de la femme ménopausée, mais aussi
grâce au grand nombre des sujets traités dans l'étude et du nombre
important des sujets prenant des œstrogènes ; donnée d'ailleurs déjà
connue des radiologues habitués aux mammographies.
La pathologie cardiovasculaire est
une histoire complexe. Malgré le fait que, les chercheurs ont depuis longtemps
essayé d'expliquer aux épidémiologistes qu'il n'existe pas de base
rationnelle pour prévoir des actions protectrices des œstrogènes en présence
de pathologie athérosclérotique avancée, ce concept évident
pour n'importe quel médecin, n'a pas été publié par les médias
après l'échec prévisible des études de prévention secondaire
HERS et ERA. Au contraire, les médias ont gonflé la nouvelle de l'accroissement
d'évènements vasculaires pendant la première année de l'administration
des œstrogènes.
Encore une fois, nous devrions regarder
à l'essence de la recherche clinique et utiliser les connaissances acquises
pour interpréter les nouveaux résultats. Il était déjà
bien admis que les œstrogènes oraux, à travers une induction de la synthèse
hépatique des facteurs de la coagulation, sont associés à une augmentation
de la thrombose veineuse. On peut donc s'attendre à une tendance plus forte
à la thrombose sur des vaisseaux sanguins athérosclérotiques surtout
dans les cas où il y a une activation non appropriée de la coagulation.
C'est ce qui a été observé dans l'étude HERS [1], dans le bras
la CEE + AMP du WHI [3] et maintenant même dans le bras avec les seuls œstrogènes
du WHI [2].
Malgré ceci, nous savons maintenant
que le bras des seuls CEE du WHI a été interrompu à cause du sur-risque
d'ictus chez les femmes qui prenaient les œstrogènes. On se souvient de ce
que le bras CEE + AMP du WHI avait été suspendu puisque l'augmentation
des risques (cancer du sein, ictus et thrombose veineuse) dépassait celle des
bénéfices estimés (ostéoporose et cancer de côlon). Aujourd'hui
on sait que les femmes qui reçoivent les seuls œstrogènes n'ont aucune
augmentation d'incidence de cancer du sein ou de pathologie cardiovasculaire ;
on peut supposer que dans ce bras de l'étude, les bénéfices sont
sûrement majeurs. Il est donc difficile de comprendre comment il serait possible
de considérer éthique d'interrompre l'administration d'un traitement pour
les femmes qui commençaient à bénéficier d'une réduction
des pathologies graves comme le cancer du côlon ou les fractures de l'ostéoporose.
Finalement, il existe des évidences
significatives qui indiquent que les individus qui ont des mutations spécifiques
des enzymes impliqués dans la coagulation, comme la prothrombine, ont
un risque d'accidents cardiovasculaires durant le THS [10]. En parallèle, on
sait que certains polymorphismes du récepteur des oestrogènes sont associés
à un risque cardiovasculaire plus elevé [11]. Ces observations indiquent
que dans le futur nous aurons à disposition des moyens plus sophistiqués
pour déterminer les sujets qui présentent un risque majeur de développer
des accidents cardiovasculaires, de façon à mettre à profit seulement
les bénéfices du traitement hormonal.
De toute façon un point très
important apparaît lorsque l'on compare les résultats des deux groupes
du WHI : l'administration de AMP en association aux œstrogènes conjugués
semble augmenter l'incidence d'accidents non désirés par rapport à
l'administration des seuls œstrogènes. Ceci semble être particulièrement
vrai pour le cancer du sein et pour la pathologie cardiovasculaire et constitue
la base pour développer de nouvelles stratégies afin de minimiser les
effets négatifs possibles des progestatifs, mais surtout il impose que la recherche
scientifique éclaircisse les réelles actions des divers composés
disponibles, vu qu'il existe maintenant des évidences diverses qui indiquent
que des combinaisons différentes ont des actions significativement divergentes.
Aujourd'hui nous avons des évidences
que des doses basses de THS sont également efficaces pour traiter et prévenir
les symptômes de la ménopause comme les altérations de la densité
minérale osseuse et du métabolisme [12-14]. De même Les résultats
sont prometteurs en ce qui concerne le marqueurs de risque cardiovasculaire [15].
En conclusion, nous restons convaincus
que le THS n'est pas un « traitement dangereux », comme cela a été
défini par un soi-disant « expert » du comité de contrôle
du WHI en juillet 2002. Nous sommes même certains que les bonnes nouvelles
provenant du bras avec la seule EEC du WHI encourageront autant les chercheurs fondamentaux
que les chercheurs cliniciens à poursuivre la recherche sur comment améliorer
la santé de la femme après la ménopause avec toutes les stratégies
possibles allant de l'éducation à un style de vie plus sain ainsi qu'aux
différentes stratégies pharmacologiques disponibles, y compris le THS,
pour la prévention des pathologies dégénératives comme l'ostéoporose
et les maladies cardiovasculaires [16].
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and medroxyprogesterone acetate on plasma lipids and lipoproteins, coagulation factors,
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[16] Gambacciani M,
Genazzani AR 2001 : Hormone replacement therapy: the benefits in tailoring the regimen
and dose. Maturitas 40:195-201
* Clinica Ostetrica e Ginecologica
"P. Fioretti", Università degli Studi di Pisa
436 A.R.
GENAZZANI, T. SIMONCINI, P. MONTELEONE, M.S. GIRETTI
TRAITEMENT HORMONAL
SUBSTITUTIF (THS) : LA VéRITé EN CHIFFRES 437
438 A.R.
GENAZZANI, T. SIMONCINI, P. MONTELEONE, M.S. GIRETTI
TRAITEMENT HORMONAL
SUBSTITUTIF (THS) : LA VéRITé EN CHIFFRES 439
440 A.R.
GENAZZANI, T. SIMONCINI, P. MONTELEONE, M.S. GIRETTI |