Les saignements sous contraception
progestative : Comment les prévenir ? Comment les traiter ?
C. JAMIN
La contraception progestative se présente
sous deux formes distinctes : micro ou macro progestative. Ces deux types de contraception
n'ont ni les mêmes objectifs, et par conséquent pas les mêmes indications,
ni la même tolérance, ni les mêmes complications.
La contraception micro progestative
utilise des progestatifs de la famille chimique des 19 nortestostérones, son
mode d'action est de modifier la glaire cervicale, d'entraîner une atrophie
endométriale et, pour les contraceptions par implants au désogestrel ou
par micro-progestatifs au désogestrel, d'inhiber l'ovulation. La caractéristique
de cette contraception est de maintenir un fonctionnement ovarien subnormal, permettant
une imprégnation estrogénique satisfaisante, les taux circulants restant
en moyenne aux alentours de 100 pg/ml. Cette contraception ne nécessite de
ce fait pas d'apport exogène d'estradiol et ainsi met à l'abri de toutes
les complications liées à l'administration d'estrogènes exogènes
: il s'agit là de son principal intérêt.
Au plan métabolique cette contraception
utilise des progestatifs à très faibles doses et n'entraîne pas ou
peu de modifications métaboliques ou de l'hémostase, ce qui est un avantage
majeur. De plus l'absence d'estradiol n'entraîne pas les complications classiques
de celle-ci, à savoir des signes d'hyperestrogénie avec gonflements, mastodynies,
nausées, migraines etc.
L'absence d'hypoestrogénie ne
laisse pas non plus présager l'apparition à terme d'effets secondaires,
comme une augmentation du risque d'ostéopénie ou de maladie coronarienne.
Du fait du blocage « extrêmement
léger » induit par cette contraception, ou même dans certains
cas de l'absence totale de blocage, l'arrêt même de courte durée
de la contraception lève les verrous contraceptifs rapidement pour ce qui est
de la glaire et de l'endomètre, et peut-être moins rapidement pour ce
qui est de l'inhibition de l'ovulation obtenu avec les contraceptions au désogestrel.
Toujours est-il que la levée de ces verrous entraîne un risque de grossesse
certain et rend impossible l'arrêt régulier du progestatif. Par définition
les hémorragies observées sous contraceptifs oraux sont des hémorragies
de privation, et comme il y a prise continue il n'y a pas de privation donc pas
de saignements réguliers. On aurait pu espérer obtenir une aménorrhée
normo-estrogénique qui, une fois les obstacles psychologiques levés, pourrait
être considérée comme un avantage majeur de cette contraception.
Malheureusement force a été d'admettre que l'aménorrhée espérée
est loin d'être toujours obtenue, et que les saignements, certes rarement importants,
sont néanmoins gênants du fait de leur survenue intempestive et de leur
durée variable et imprévisible. La survenue de ces saignements fait utiliser
cette contraception en deuxième intention, alors que les caractéristiques
métaboliques et la tolérance de ce type de contraception pourraient en
faire une contraception idéale, surtout depuis l'amélioration de l'efficacité
apportée par les micro-progestatifs qui entraînent une anovulation, ou
encore mieux par les implants contraceptifs qui du fait de l'observance parfaite,
amènent un indice de Pearl égal à 0.
La compréhension de ces saignements
représente un enjeu majeur dans le domaine de la contraception. Il y a fort
à parier en effet qu'une fois ce problème résolu, nous tiendrons
l'arme absolue en termes contraceptifs qui rendra obsolète toutes les méthodes
antérieurement utilisées.
Mécanisme des saignements sous contraception progestative
continue
Jusqu'à ces dernières années, lorsque
l'on parlait de saignements sous contraception progestative continue, il était
admis qu'il s'agissait de saignements liés à une atrophie d'endomètre.
Cependant en toute logique nombreux étaient les médecins à faire
remarquer que la ménopause entraîne aussi une atrophie endométriale
et qu'il n'y a pas de saignements pour autant. Dès lors il devenait nécessaire
de trouver une explication à des situations différentes pour une image
histologique identique, à savoir l'atrophie endométriale.
Il y a quelques années a été
mis en évidence un effet vasodilatateur des estrogènes par une stimulation
de la production de NO (du fait d'une induction d'une enzyme à NO synthétase),
et par ailleurs l'inhibition de l'endothéline vaso-constricteur puissant. Par
ailleurs il a été prouvé que les progestatifs, s'ils ont bien un
effet anti-estrogènes au niveau de la prolifération endométriale,
ont, pour certains d'entre eux, dans certains tissus un effet neutre sur la vasodilatation
estrogèno-induite.
L'apparition de l'hystérescopie
a permis de confirmer cette hypothèse, montrant, lorsqu'on utilise un traitement
estroprogestatif atrophiant, une atrophie endométriale, mais avec des vaisseaux
endométriaux eux plutôt dilatés (13,14). Ceci a permis de différencier
deux types d'atrophies : l'atrophie hypo-estrogénique encore appelée atrophie
blanche, et l'atrophie normo-estrogénique appelée atrophie rouge (12).
On expliquait ainsi la différence de comportement des différents types
d'atrophie vis à vis de saignements.
D'autres travaux se sont attachés
à mettre en évidence des fluctuations hormonales qui auraient pu expliquer
le déclenchement des saignements (6,7,8,19). Quand les dosages ont été
faits au moment des saignements, aucune modification des taux circulants d'estrogènes
ou de progestatifs ne permettait d'expliquer la survenue des saignements. Quelques
travaux ont permis lors de dosages itératifs de mettre en évidence que
des fluctuations hormonales précèdent le saignement. On a décrit
ainsi deux types d'anomalies hormonales chez les femmes qui saignent lors des prises
de progestatifs : tout d'abord un taux d'estradiol statistiquement plus bas, et
une chute de l'estradiol qui suit une élévation, le tout précédant
le saignement.
Cependant une autre caractéristique
de l'endomètre a pu être mise en évidence par hystéroscopie
sous implant contraceptif. Ont été tout d'abord trouvées des surfaces
vasculaires augmentées, des vaisseaux plus superficiels, et une vascularisation
de type néo-vaisseaux et en mosaïque. Surtout on s'est aperçu que
les vaisseaux étaient très fragiles et saignaient au contact de l'hystéroscope.
La notion de fragilité vasculaire sous progestatifs était née (11).
Comment l'expliquer ?
Classiquement les règles surviennent du fait
de la contraction des artères endométriales qui se sont développées
sous l'influence des estrogènes, et qui sont devenues spiralées sous l'influence
des progestatifs. La carence brutale en progestérone ou en progestatifs entraîne
une contraction de ces artères spirales, qui entraîne une nécrose
anoxique du tissu endométrial et qui explique son élimination sous forme
de règles.
En réalité ces vaisseaux
sont aussi fragilisés par la synthèse locale, d'enzymes protéolitiques
appelée collagénases, gélatinases, matrix métallo protéinase
(MMP)... Ces MMP sont augmentés en pré-menstruel et dérivent de l'activation
des pro MMP et sont inhibées par des TIMPs. Il a été mis en évidence
que ces MMP ont une régulation hormonale par les progestatifs et par les cytokines
comme le TNF alpha et l'interleukine 1. Dans l'endomètre des femmes traitées
par Norplan on a observé une augmentation des leucocytes et des MMP 1, sans
modification des inhibiteurs de ces MMP. Par ailleurs il a été montré
que les collagénases et gélatinases, autres enzymes protéolitiques,
sont plus élevées dans l'endomètre qui saigne, et que dans ces endomètres
saignants on observe aussi une diminution des TIMPs, mais aussi une augmentation
de l'interleukine 1. Encore plus récemment a été exploré le
système collagénase dans l'endomètre de femmes saignant utilisant
du Norplan. On a montré que l'expression du MMP 26 et du TIMP4 est présente
tout au long du cycle menstruel et est élevée en fin de phase lutéale
chez la femme normale. Cette élévation des MMP 26 est retrouvée chez
les femmes saignant sous Norplan, et il est à noter que le MMP 26 induit une
élévation des MMP 9. S'il semble bien que les saignements liés à
l'utilisation des contraceptions progestatives soient en moins en partie liés
à une fragilité vasculaire, elle-même secondaire à des anomalies
de sécrétion locale du fait de la présence du progestatif de MMP
1, 9 et 26. Cette élévation de MMP ne s'accompagne pas d'une élévation
de ces inhibteurs, en particulier le TIMP 4 (2,9,21).
D'autres anomalies ont été
mises en évidence dans les endomètres qui saignent sous traitement progestatif,
avec en particulier une élévation du facteur angiogénique TF, qui
est aussi un initiateur de l'hémostase (20). Ce TF est augmenté par les
progestatifs. Il est à noter que ce TF, de même que le MMP 26 et le TIMP
4 sont d'origine leucocytaire et qu'il existe une infiltration (21) leucocytaire
importante chez les femmes présentant des saignements sous progestatifs.
Traitement des saignements sous progestatifs
Il faut noter que tous les traitements utilisés
jusqu'à ce jour, visant à réduire les saignements sous progestatifs
sont d'une efficacité irrégulière. Peu de publications de qualité
ont été consacrées à ce sujet (1,3). Insistons sur le fait que
l'utilisation de ce type de traitement ne peut se concevoir que sur de courtes durées
et peu souvent, sous peine de perdre beaucoup de l'intérêt de cette contraception.
Plusieurs types de traitements ont
été proposés. Parmi ceux-ci les estrogènes ou les estro-progestatifs,
pour être efficaces, ils doivent être utilisés sur de longues durées.
Par exemple l'éthynil estradiol à la dose de 50 μg sur 7 jours est
sans effet, alors que sur 20 jours on observe une diminution de 40 % des saignements
en durée mais pas en fréquence (4,22,23). Si on doit utiliser l'éthynil
estradiol pour contrebalancer une contraception progestative, que devient l'intérêt
de la contraception progestative ? Avec les progestatifs comme le Lévonorgestrel
la baisse de saignements a été modeste (20 %) et les saignements sont
aussi fréquents mais moins abondants. Des associations estroprogestatives ont
été proposées avec des résultats guère plus satisfaisants.
L'utilisation des anti-inflammatoires
non stéroïdiens (AINS) a été proposée, en particulier l'ibuprofène
à la dose de 800 mg 2 fois par jour pendant 5 jours (5). Là encore on
a observé une diminution de l'importance des saignements mais pas de la fréquence
des épisodes. D'ailleurs ces résultats sont inconstants suivant les publications.
L'acide méfenamic a été testé contre placebo à la dose
de 500 mg 2 fois par jour. Il a été montré que l'acide méfenamic
est plus efficace que le placebo dans le contrôle des saignements et des spottings
sous Norplan, avec un effet rémanent supérieur à celui observé
sous placebo (18).
Enfin un travail récent de Gemzell
a étudié l'association d'un anti-progestérone une fois par mois à
la pilule Cérazette, avec des résultats tout à fait spectaculaires
entraînant des règles régulières (10). La même constation
a été faite avec les implants (4).
Ainsi la compréhension du mécanisme
des saignements sous progestatifs continus progresse. Sont actuellement en recherche
des inhibiteurs des MMP ; les solutions thérapeutiques à notre disposition
sont encore aujourd'hui peu satisfaisantes. Il y a fort à parier que si ce
problème est résolu un jour, la contraception microprogestative continue
anti-ovulatoire supplantera toutes les autres.
La contraception macro-progestative
La contraception macro-progestative a été
proposée dans un premier temps par l'utilisation discontinue d'un progestatif
macrodosé de type 19 nortestostérone, l'Orgamétril®. Cette contraception
donnait toute satisfaction, avec en particulier des règles régulières,
a d'ailleurs obtenu l'AMM et a été proposée à des femmes présentant
des mastopathies. Malheureusement l'aspect androgénique de ces progestatifs
entraîne des effets secondaires à type de manifestations cutanées
et métaboliques d'hyperandrogénisme ainsi que des prises de poids, ce
qui fait qu'elle est aujourd'hui petit à petit abandonnée.
Il faut insister sur le fait que les
saignements réguliers observés sous Orgamétril® de manière
discontinue sont probablement liés au métabolisme particulier de ce produit
à effet estrogénique (premier SAS, stéroïde à action sélective
?).
Du fait des anomalies métaboliques
observées sous cette contraception, il a été rapidement proposé
d'utiliser non plus un 19 nortestérone mais des prégnanes ou des norprégnanes,
la contraception utilisant soit le Lutényl soit la Surgestone ou le Lutéran
20 jours sur 28. L'intérêt majeur de ces contraceptions macroprogestatives
est d'entraîner une hypoestrogénie quasi constante, très bénéfique
chez des femmes présentant une intolérance aux estrogènes.
Bien que nous ne disposions pas d'indice
de Pearl et que cette contraception n'ait pas l'AMM, elle s'est rapidement développée
du fait de son efficacité sur les terrains où les estrogènes sont
mal supportés ainsi que de son excellente tolérance métabolique et
cutanée (16). Il faut souligner qu'en l'absence de métabolisation en estrogènes
de ces derniers progestatifs, le contrôle du cycle est mauvais avec ce type
de traitement, entraînant fréquemment soit des aménorrhées hypoestrogéniques,
soit des ménométrorragies et des spottings.
On doit s'interroger aussi sur les
conséquences à long terme de l'hypoestrogénie quasi constante induite
par ces produits, en particulier au niveau osseux et métabolique (17). Un schéma
dit de freinage substitution a donc été proposé (15) : on ajoute
après 7 jours de progestatifs seuls, 14 jours d'estrogènes dont la dose
peut être modulée en fonction de la tolérance, le choix d'un estrogène
cutané permettant de maintenir une excellente tolérance métabolique.
Malheureusement cette contraception n'a pas d'AMM et n'a pas eu d'évaluation
extensive. Il semble que le contrôle du cycle soit nettement amélioré
par ce schéma de freinage substutition, mais là encore les grandes séries
manquent.
Pour conclure la contraception progestative
n'a certainement pas dit son dernier mot. L'utilisation d'une contraception de type
microprogestative anti-gonadotrope soit sous forme de comprimés soit sous forme
d'implants a certainement un avenir florissant pour peu que l'on résolve le
problème des saignements liés à l'impact du progestatif sur l'endomètre.
L'avenir des contraceptions macroprogestatives
est plus incertain, bien que la contraception norprégnane macroprogestative
séquentielle discontinue en association avec un estrogène représente
probablement une solution séduisante.
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