CONDUITE
A TENIR DEVANT UNE PLAIE URINAIRE
AU COURS D'UNE OPERATION GYNECOLOGIQUE
D.DARGENT
Les gynécologues opèrent de plus en plus, ne serait-ce qu'en raison
de l'augmentation de l'espérance de vie qui, chaque année, leur
offre une nouvelle clientèle. Mais les urologues voient de moins en moins
de fistules et autres complications urinaires consécutives à un
acte chirurgical portant sur les organes génitaux féminins. Et
pourtant les rapports anatomiques entre les organes génitaux féminins
et les organes urinaires n'ont pas changé (à ma connaissance).
Ces rapports font du risque urinaire un des risques majeurs de la chirurgie
gynécologique (ce risque est attaché à la chirurgie gynécologique
comme le péché originel est attaché à la nature
humaine disait fort joliment Frank Novak). Mais les gynécologues d'aujourd'hui
savent mieux reconnaître et réparer les plaies et contusions qui,
inévitablement, surviennent à l'occasion des opérations
qu'ils pratiquent. J'ai donc bien conscience, dans les lignes qui suivent, d'enfoncer
des portes ouvertes.
PLAIES
DU DÔME VÉSICAL
Le problème des plaies du dôme vésical est le plus facile.
Ces plaies sont l'apanage de la chirurgie par voie haute (laparotomie et laparoscopie).
Elles sont plus fréquentes dans les opérations itératives.
Il faut en particulier se méfier des opérations faites par laparotomie
ou par laparoscopie chez une femme antérieurement opérée
par incision de Pfannenstiel. Le surjet qui, dans cette incision aussi classique
que démodée, ferme de haut en bas le péritoine pariétal
antérieur a tendance à attirer vers le haut le dôme vésical.
Les plaies du dôme vésical peuvent se voir aussi dans les opérations
où le péritoine est détaché du détrusor comme
dans l'hystérectomie faite d'avant en arrière dans le cadre de
l'opération de Hudson (ou oophorectomie radicale) pratiquée pour
extirper des masses pelviennes cancéreuses fixées à l'utérus
et au fond du Douglas.
La réparation d'une plaie du dôme vésical se fait avec un
fil résorbable tressé (vicryl ou autre) ou non tressé (PDS
ou autre). La ligne sur laquelle les points sont alignés peut être
indifféremment verticale, horizontale ou oblique car la compliance du
dôme vésical est très grande. On peut indifféremment
faire un plan ou deux plans. Ma préférence va au monoplan en aiguillant
toute la paroi sauf la muqueuse (comme pour la suture intestinale).
La suture doit être faite dès la plaie découverte. Il faut,
en fin d'intervention, en contrôler l'étanchéité
en distendant la vessie avec du sérum physiologique éventuellement
additionné de bleu de méthylène. Un drainage doit être
mis en place. Si les urines sont sanglantes il faut veiller soit à faire
des lavages réguliers soit à mettre en place une sonde à
double canal permettant les lavages continus. Dès que les urines sont
claires la sonde peut être retirée.
PLAIES
DE LA BASE VÉSICALE
Les plaies de la base vésicale sont beaucoup plus préoccupantes
que les plaies du dôme car elles peuvent aboutir, quand elles surviennent
dans le cours d'une hystérectomie, à une fistule vésico-vaginale.
On les observe aussi bien dans les hystérectomies par voie haute (laparotomie
ou laparoscopie) que dans les hystérectomies par voie basse. La fréquence
relative de ce type d'accident est diversement appréciée. L'exemple
de l'hystérectomie laparoscopique, la dernière apparue sur le
marché, démontre que, plutôt que la voie d'abord, c'est
l'expérience du chirurgien qui compte avant tout.
La plaie de la base vésicale, quelle que soit la voie d'abord utilisée
pour réaliser l'opération, survient au moment où la vessie
est séparée de la face antérieure du vagin. On ne la voit
jamais dans l'hystérectomie supra-vaginale (ou sub-totale). C'était
un argument important de ceux qui défendaient l'hystérectomie
sub-totale dans le cadre de l'hystérectomie par laparotomie. C'est à
nouveau le cas depuis que la voie laparoscopique est devenue à la mode.
Les plaies de la base vésicale sont l'apanage des hystérectomies
totales. On les dit moins fréquentes dans l'hystérectomie extra-fasciale
que dans l'hystérectomie intra-fasciale. C'est une donnée contestable
et contre laquelle je m'inscris, personnellement, en faux. Le risque est plus
grand dans les hystérectomies élargies. Dans ce type d'hystérectomie
on extirpe le tiers supérieur du vagin. Celui-ci est fixé à
la base vésicale par le septum vésico-vaginal qui est épais,
spécialement aux trois angles du trigone : orifices urétéraux
et col vésical.
Contrairement aux plaies du dôme vésical qui, dans la plupart des
cas, sont des plaies franches intéressant toutes les couches de la paroi
vésicale, la plaie du dôme est en général une plaie
contuse. L'ouverture de la muqueuse ne se fait qu'après une fausse route
plus ou moins longue au sein de la paroi vésicale. Cette ouverture de
la muqueuse, très souvent, ne survient qu'en fin d'intervention. Le chirurgien
accuse volontiers l'aide car c'est l'extrémité des valves qui
semble être responsable de l'ouverture de la vessie alors qu'en réalité
cette ouverture s'est faite bien avant.
La prévention des plaies de vessie, quelle que soit la voie d'abord utilisée,
réside dans la correcte exposition du septum vésico-vaginal. Il
faut tirer franchement, dans le rayon de midi, soit sur le péritoine
vésical quand on opère par en haut, soit sur la lèvre supérieure
de l'incision vaginale quand on opère par en bas. L'utérus, dans
le même temps, est tiré en sens inverse. Cette traction et cette
contre traction mettent en évidence un rideau conjonctif (les opérateurs
vaginalistes parlent de "cloison supra-vaginale"). Ce rideau a une
forme triangulaire. C'est au centre du rideau qu'il faut, avec les ciseaux manipulés
convexité tangente à la vessie et extrémité perpendiculaire
à l'utérus, ouvrir le septum en son centre. Quand on a fait la
manuvre correctement on découvre un tissu cellulaire lâche
qui cède sous la pression des ciseaux fermés puis du doigt puis
de la valve. Les antécédents de césarienne, quelle que
soit la voie d'abord utilisée pour faire l'hystérectomie, augmentent
évidemment le risque vésical au cours de ce temps de l'intervention.
Il faut s'en méfier terriblement. La prudence impose même de faire,
chez toute femme ayant un tel antécédent de terminer par une épreuve
d'étanchéité.
La suture d'une plaie de la base vésicale se fait selon les mêmes
règles énoncées pour les plaies du dôme. La technique
monoplan est ici encore plus intéressante qu'au niveau du dôme
vésical car une suture en plusieurs plans risque de couder les uretères.
Il est de toute façon, pour éviter une pareille coudure, recommandé,
avant de faire la suture et d'autant plus que la plaie est plus longue, de monter
des sondes urétérales qui seront enlevées dès la
suture terminée. Un dernier détail est important : la suture,
qu'on fasse des points séparés ou un surjet, doit être faite
dans le sens transversal pour éviter, précisément, l'effet
de torsion des portions intra murales des uretères.
Contrairement aux plaies du dôme qui doivent être suturées
dès qu'elles sont reconnues, les plaies de la base vésicale ne
doivent être fermées qu'une fois l'intervention complètement
achevée. Si on les ferme immédiatement on soumettra les sutures,
pendant les temps ultérieurs de l'opération, à des tractions
qui les fragilisent. Il est, certes, désagréable de voir l'urine
se répandre dans le champ opératoire pendant toute l'intervention.
Cet écoulement semble accuser la maladresse de l'opérateur qui
n'a qu'une hâte : faire tarir l'écoulement. C'est une erreur à
éviter.
L'épreuve d'étanchéité est évidemment obligatoire.
Le drainage l'est aussi. La conduite à tenir en cas d'hématurie
est celle énoncée plus haut. Mais il est imprudent de supprimer
le drainage aussitôt les urines devenues claires. La bonne règle
impose, pour les plaies de la base vésicale qui, dans la plupart des
cas, sont des plaies contuses, de maintenir le drainage pendant 21 jours (ce
qui ne signifie pas nécessairement de garder la patiente à l'hôpital
pendant 21 jours). On peut abréger la durée du drainage en faisant
au 10ème jour une épreuve d'étanchéité radiologique.
La vessie est distendue avec un liquide opaque jusqu'à ce que le besoin
de miction soit ressenti. On tire des clichés de profil et dans les deux
positions obliques. Si une fuite est constatée le drainage doit être
laissé en place plus longtemps.
Quand, malgré les précautions prises, une fistule vésico-vaginale
apparaît la première règle est celle de la patience. Ce
n'est facile ni pour le chirurgien ni, surtout, pour la malade. Mais il ne faut
pas réintervenir avant que les bords de la fistule soient "ourlés".
On maintient donc le drainage vésical qui, dans la plupart des cas, draine
une partie importante de l'écoulement urinaire et limite la souillure
des protections que la patiente doit porter. Et on doit de 10 jours en 10 jours
surveiller la cicatrisation du fond du vagin. Il faut en général
deux mois pour que cette cicatrisation soit suffisamment stabilisée pour
envisager la fermeture.
La fermeture des fistules vésico-vaginales quand elles surviennent dans
les suites d'une hystérectomie totale simple, que cette dernière
ait été réalisée par la voie haute (laparotomie
ou laparoscopie) ou par la voie basse, peut être faite facilement par
le gynécologue s'il connaît le procédé de Latsko
qui n'est autre qu'un colpocleisis haut. La muqueuse vaginale est avivée
autour de l'orifice fistuleux sur une surface circulaire de trois à quatre
centimètres de diamètre. Les parois musculaires vaginales avivées
sont adossées l'une à l'autre par une série de 4 à
6 points de fil non résorbable alignés transversalement. Un surjet
transversal réalisé sur la muqueuse vaginale vient compléter
le montage. Les gynécologues sont parfaitement capables de faire cette
opération qui est réalisée en une vingtaine de minutes.
En cas de fistule sur tissus irradiés les choses sont bien différentes
et il est prudent de confier la patiente à un urologue spécialisé.
PLAIES
DE L'URETÈRE
Les traumatismes de l'uretère sont plus préoccupants que les traumatismes
de la vessie dans la mesure où ils peuvent compromettre la fonction rénale.
Ils peuvent survenir à différents moments de différentes
opérations gynécologiques. Au cours des annexectomies difficiles
(annexes adhérentes ou franchement incluses dans le ligament large) l'uretère
pelvien peut être blessé au cours du traitement du ligament infundibulo-pelvien.
Dans les hysterectomies elargies le risque de traumatisme urétéral
est la préoccupation majeure au cours du décroisement entre l'uretère
et l'artère utérine. Dans l'hystérectomie totale simple
le risque urétéral est en principe très faible puisque
les tractions sur l'utérus ouvrent (quand on opère par en haut)
ou ferment (quand on opère par en bas) la crosse de l'artère utérine
et étirent la branche afférente de cette crosse, branche sur laquelle
portera la dissection, la ligature puis la section. Dans les hystérectomies
élargies l'uretère est à nouveau mis en danger dans sa
portion dite pré ligamentaire. La section des ligaments vésico-utérins
qui est pratiquée avant d'abaisser (ou d'élever quand on opère
par en bas) le trigone vésical se fait au ras du point où l'uretère
pénètre dans la vessie.
Les sections franches de l'uretère sont, en principe, faciles à
dépister et à traiter. S'il s'agit d'une plaie, en général
longitudinale ou oblique, n'intéressant pas toute la circonférence
on peut, en introduisant en va et vient une sonde double crosse dont l'extrémité
supérieure est poussée jusqu'au bassinet et l'extrémité
inférieure descendue jusque dans la vessie, faire la suture en quelques
points d'un fil résorbable mono filament fin (monocryl 0000 par exemple).
S'il s'agit d'une section circonférentielle la conduite à tenir
dépend de la distance entre cette section et l'orifice urétéral.
Si la distance est supérieure à 2 cm on peut faire, sur une sonde
double J une suture aux points séparés de monocryl 4.0. Si la
distance est inférieure à 2 cm il faut procéder à
une réimplantation. Chacun ici procède en fonction de son expérience
personnelle. Je pense que la suture urétérale directe est à
la portée de tous les gynécologues. Certains sont même capables
de la faire sous clioscopie. La réimplantation, en revanche, demande
souvent le concours d'un urologue. Quoi qu'il en soit le maintien de la sonde
double crosse est obligatoire pour deux mois. Quelques jours après son
ablation qui est faite tout simplement par cystoscopie une urographie intraveineuse
doit être demandée.
La ligature de l'uretère est un accident rare mais toujours possible.
Les contusions et dévitalisations sont plus fréquentes. Elles
aboutissent à la même conséquence qui est la fistulisation
et/ou la sténose. Les fistules sont faciles à dépister.
Les sténoses le sont beaucoup moins.
Quant une fistule urinaire apparaît dans les suites d'une hystérectomie
qui, en apparence, s'est bien passée il faut d'abord vérifier
que l'écoulement vaginal est bien un écoulement d'urines. On fait
pour cela un "test au bleu" : un tampon est installé dans le
vagin, un comprimé de bleu de méthylène est donné
à la patiente et le tampon est retiré quelques heures plus tard.
La réalité de l'écoulement urinaire étant confirmée
c'est à l'urographie intraveineuse qu'il faut s'adresser immédiatement.
Les tests d'instillation intra vésicale, certes, peuvent mettre en évidence
une fistule vésico-vaginale. Mais leur positivité n'indique nullement
que l'uretère ou les uretères ne sont pas également concernés.
L'urographie intraveineuse, d'un autre côté, en même temps
qu'elle permet le diagnostic des fistules urétéro-vaginales, permet
le diagnostic des fistules vésico-vaginales.
La conduite à tenir en présence d'une fistule démontrée
par l'urographie est relativement simple. Le traitement endoscopique doit toujours
être tenté. Il réussit très souvent. En cas d'échec
il faut recourir à l'urétérocystonéostomie. Contrairement
aux fistules vésico-vaginales les fistules urétéro-vaginales
peuvent et doivent être traitées dès leur diagnostic fait.
Les sténoses de l'uretère posent un problème beaucoup plus
difficile que les fistules. Elles sont en effet volontiers muettes. L'urographie
seule permet de les dépister. Il faut faire cette urographie dans les
suites de toutes les opérations à risque. C'est une règle
pour les hystérectomies élargies (tout en sachant qu'il ne faut
pas faire cette urographie trop précocément car l'atonie-dilatation
des voies excrétrices du rein est constante pendant les premières
semaines qui suivent une hystérectomie élargie : c'est à
la sixième semaine que l'examen doit être demandé). Les
novices, quand ils commencent à faire des hystérectomies totales
simples laparoscopiques, sont bienvenus également de demander systématiquement
une urographie intraveineuse de contrôle.
CONCLUSION
Etait évoquée en introduction de ce papier la collaboration entre
gynécologues et urologues dont le champ s'est rétréci depuis
que les gynécologues opèrent mieux. Il y aura en fait toujours
une nécessité de collaboration. Le traitement des fistules, en
principe, appartient aux urologues et spécialement les fistules urétéro-vaginales
dont le traitement doit être, en première intention, un traitement
endoscopique. Pour les fistules vésico-vaginales après hystérectomie
le gynécologue me paraît personnellement plus qualifié puisque
le colpocleisis selon Latzko est la bonne réponse et que les gynécologues,
en général, maitrisent mieux la chirurgie vaginale.
Concernant l'appel à l'urologue au cours des opérations gynécologiques
chacun doit connaître ses propres limites et ne pas hésiter à
faire appel à un collègue s'il a des doutes.
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