CANCER
DU VAGIN
PR.
B. BLANC, J.C BOULANGER, ROGER V. L. CRAVELLO, A. AGOSTINI(1)
Les tumeurs primitives du vagin sont très rares.
Le regain d'attention que suscite ce cancer vient du fait que l'on a récemment
identifié les mêmes facteurs de risque que pour le cancer du col
: l'infection à HPV.
EPIDEMIOLOGIE
Les
cancers primitifs du vagin représentent 1 à 2% des tumeurs malignes
gynécologiques (1,2,3). Dans la majorité des cas, il s'agit de
cancer épidermoïde. Pour Creasmann (4) qui étudie les 4885
cas du National Cancer Data Base (NCDB) le pic de fréquence se situe
entre 70 et 80 ans, tandis que pour Tjalma (5) l'âge moyen serait de 58
ans, avec près de 75% des patientes de plus de 60 ans.
Les adénocarcinomes, plus rares, se développent à partir
des canaux mülleriens. Ceux-ci étaient plus fréquents dans
les années 70 chez les jeunes filles de 15-20 ans exposées in
utero au DES.
INCIDENCE
ET FACTEURS DE RISQUE
L'incidence
du cancer primitif du vagin est estimée de 0.3/100 000 à 1/100
000 (6,7). La mortalité imputable à ce cancer est en France de
0,25 / 100 000.
Les
facteurs de risque retenus sont essentiellement infectieux et mécaniques.
-Une
hygiène défectueuse, des leucorrhées semblent favoriser
l'apparition d'un cancer mais c'est bien entendu l'infection à HPV qui
est l'élément dominant. On retrouve dans les cancers du vagin
les mêmes HPV oncogènes que dans les cancers du col.
-Un prolapsus du 3e degré négligé ou traité par
pessaire est retrouvé dans 4 à 20% des cas (2,6,8). Dans ce cas,
la lésion prend l'aspect d'une infiltration circulaire.
- La radiothérapie a également été incriminée
dans les anciennes études (9).
- L'hystérectomie a été considérée à
tort comme facteur de risque. En fait, le cancer du vagin après hystérectomie
est fréquent quand l'hystérectomie a été réalisée
pour une lésion cervicale précancéreuse. Après hystérectomie
pour lésion non cervicale, le cancer du vagin est exceptionnel.
-S'il n' a pas été mis en évidence de corrélation
entre la prescription d'hormones stéroïdes et l'apparition d'un
cancer invasif du vagin ;Par contre, il existe une liaison entre l'exposition
in utero au distilbène pendant la grossesse et l'apparition d'adénocarcinome
à cellules claires chez les filles issues de ces grossesses.
- Enfin, la race et la parité n'ont pas d'influence, encore que certaines
études trouvent une augmentation dans la race noire.
ANATOMIE
PATHOLOGIQUE - TOPOGRAPHIE
Les
carcinomes épidermoïdes représentent 75 à 95%
des tumeurs du vagin,. les adénocarcinomes 5 à 10 %, les autres
formes histologiques étant rares
L'adénocarcinome
à cellules claires survient entre 10 et 20 ans touchant une fille
sur 1 000 exposée in utero au DES.
En
dehors de l'exposition au DES, l'adénocarcinome se voit chez les femmes
plus âgées. Il est comparable à celui rencontré au
niveau de l'endomètre.
Les
mélanomes représentent 1 à 3 % des cancers (10,11).
Ils surviennent le plus souvent sur une lésion pigmentée lentigo
ou mélanose. La forme la plus fréquente est nodulaire. Tous les
types cellulaires sont représentés avec une prédominance
de la forme anaplasique.
Les
sarcomes sont également très rares. Il peut s'agir de léiomyosarcome,
d'angiosarcome, de sarcome alvéolaire. Le sarcome botryoïde survient
essentiellement chez l'enfant en bas âge.
Enfin,
on peut rencontrer de façon exceptionnelle des tumeurs du sinus endodermique.
La
localisation prédominante des cancers du vagin se situe au 1/3 supérieur
et sur la paroi postérieure (12).
L'extension
peut atteindre latéralement le paracolpos, les paramètres et éventuellement
les parois pelviennes, les cloisons vésico-vaginale en avant et recto-vaginale
en arrière.
L'envahissement ganglionnaire, lorsqu'il existe, dépend de la topographie
:
- Dans les cancers du 1/3 supérieur comme dans le cancer du col utérin,
les lymphatiques se drainent dans les relais iliaques, obturateur et hypogastrique.
- Dans les cancers du 1/3 inférieur comme dans le cancer de la vulve,
les lymphatiques se drainent vers les ganglions inguinaux.
- Dans les cancers du 1/3 moyen, les lymphatiques se drainent le plus souvent
comme dans le 1/3 supérieur, parfois comme dans le 1/3 inférieur.
Les métastases viscérales sont rares dans les formes épidermoïdes,
un peu plus fréquentes dans les adénocarcinomes.
Les autres types histologiques, exceptionnels, ont une fréquence plus
importante de métastases ganglionnaires et viscérales. Les sarcomes
et les tumeurs du sinus endodermique ont toutefois un pronostic assez favorable
du fait de leur bonne réponse au traitement, alors que les mélanocarcinomes
ont au contraire un pronostic catastrophique.
CLINIQUE
1
- Symptomatologie
C'est
le plus souvent un saignement qui amène la patiente à consulter.
Pour MERZ, les signes présents lors de la première consultation
sont :
* des métrorragies spontanées ou provoquées dans 80% des
cas.
* des leucorrhées dans 20% des cas
* des douleurs dans 10% des cas
* parfois des adénopathies inguinales métastatiques
* rarement une hématurie
* et exceptionnellement une masse vaginale.
On notera à part, la découverte systématique lors d'un
examen de routine d'une lésion adénocarcinomateuse chez une femme
jeune ayant été exposée in utero au Distilbène,
En
cas de tumeur vaginale évoluée , une dysurie , une hématurie
, des signes rectaux , une thrombose pelvienne , un oedème d'un membre
inférieu ou encore une fistule recto-vaginale ou vésico-vaginale
peuvent apparaître.
2
- L'examen clinique
C'est
l'examen au spéculum qui permet de mettre en évidence parfois
une tumeur bourgeonnante, ou plus souvent une ulcération saignant au
contact. La biopsie fera le diagnostic (photos 1 et 2).
Parfois la tumeur est très volumineuse, prolabée, saillant hors
de la vulve. On peut le voir chez la femme très âgée, ou
dans le cas du sarcome botryoïde chez l'enfant.
Pour
affirmer un cancer primitif du vagin, il faut :
·
que la localisation tumorale soit exclusivement vaginale
· que le col et la vulve ne présentent pas d'infiltration tumorale.
On recherchera une adénopathie inguinale lors d'une tumeur du tiers
inférieur du vagin.
L'
examen clinique sous anesthésie générale permettra d'évaluer
au mieux une éventuelle extension loco-régionale, par les touchers
combinés (TV et TR). Les résultats seront notifiés sur
un schéma daté et signé.
PARACLINIQUE
1-
Biopsie
Le
diagnostic est bien entendu histologique, le caractère primitif étant,
rappelons-le, retenu après avoir éliminé un autre cancer
de voisinage associé.
2-
Echographie
-
L'échographie abdominale (13) permet de préciser les tumeurs
des deux-tiers supérieurs du vagin lorsqu'elles sont volumineuses. Elle
permet également un bilan d'extension par la recherche de métastases
hépatiques.
- L'échographie endovaginale (14,15) offre une meilleur définition
des images tumorales. Elle évalue également assez nettement le
paracolpos et les cloisons vésico- et recto-vaginale ainsi qu'une extension
ganglionnaire proximale.
- Enfin, l'échographie endorectale (13,16) est l'examen de référence
pour l'étude vaginale, tant pour l'ensemble du processus tumoral que
pour son extension.
3-
TDM et IRM
Celles-ci
semblent offrir peu d'avantages par rapport à l'échographie, excepté
la possibilité d'obtenir des plans de coupe sagittal et frontal, et pour
l'IRM, une meilleur évaluation du volume tumoral. Elles permettent de
visualiser les adénomégalies iliaques et latéro-aortiques.
4-
Lymphographie
Les
images lymphographiques évocatrices de métastases ganglionnaires
se traduisent par des aspects lacunaires non traversés par des vaisseaux
lymphatiques.
5-
UIV
Celle-ci
sera systématique, quand bien même la lésion tumorale semble
bien circonscrite et superficielle, et en l'absence même de plainte fonctionnelle
urinaire.
6-
Radiographie pulmonaire
Examen
également de routine dans le cadre du bilan d'extension, avec la recherche
de métastases pulmonaires.
CLASSIFICATION
- STADES
L'une
des deux classifications sont utilisées par l'ensemble des auteurs :
celle du TNM ou celle de la FIGO. Elle concernent exclusivement comme nous l'avons
déjà rappelé les épithéliomas primitifs du
vagin.
Catégories
TNM
|
Stades FIGO
|
|
Tx
|
|
La
tumeur primitive ne peut être évaluée |
T0
|
|
Pas
de tumeur décelable |
Tis
|
0
|
Carcinome
in situ |
T1
|
I
|
Tumeur
limitée au vagin |
T2
|
II
|
Tumeur envahissant les tissus paravaginaux sans atteindre la paroi pelvienne |
T3
|
III
|
Tumeur s'étendant à la paroi pelvienne |
T4
|
IVa
|
Tumeur
envahissant la muqueuse de la vessie ou du rectum et/ou s'étendant
au-delà du petit bassin |
M1
|
IVb
|
Métastases
à distance |
Concernant
l'envahissement ganglionnaire, les différentes catégories seront
fonction de la topographie de la tumeur vaginale.
Ainsi :
- NX :
les adénopathies régionales ne peuvent être évaluées.
- N0 : pas d'adénopathie régionale métastatique.
- N1 lors
d'une atteinte des 2/3 supérieurs du vagin : signes d'envahissement
des ganglions pelviens.
- N1 lors
d'une atteinte du 1/3 inférieur du vagin : signes d'envahissement unilatéral
des ganglions inguinaux.
- N2 lors
d'une atteinte du 1/3 inférieur du vagin : signes d'envahissement bilatéral
des ganglions inguinaux.
MOYENS
THERAPEUTIQUES
1-
La Chirurgie
Le
type de chirurgie va dépendre de l'âge de la patiente, de la localisation
tumorale et de son degré d'envahissement. Elle sera donc adaptée
au cas par cas, et correspondront à :
-
Colpectomie limitée voire totale, isolée ou associée :
- Soit
à une hystérectomie élargie par voie haute avec lymphadénectomie
iliaque externe, ou par voie basse (intervention de Schauta).
- Soit
à une vulvectomie radicale avec lymphadénectomie inguino-crurale
(1/3 inférieur)
- Vulvocolpohystérectomie
élargie (toute la hauteur du vagin)
- Exentération pelvienne antérieure (vessie), postérieure
(rectum), voire totale avec dérivation urinaire et/ou digestive.
2-
La radiothérapie
On
peut utiliser la radiothérapie externe et la curiethérapie endocavitaire.
*
La radiothérapie externe utilise des photons de haute énergie.
Au minimum, on irradie le site tumoral et les aires ganglionnaires iliaques
ou inguino-crurales voire lombo-aortiques.
Les doses délivrées sont de 45 à 50 Grays en 5 à
6 semaines et systématiquement complétées par la curiethérapie.
*
La curiethérapie endocavitaire joue un rôle fondamental
dans la
stratégie thérapeutique.
Elle
délivre 15 à 20 Grays si on l'associe à une radiothérapie
externe et 60 Grays en complément de la chirurgie.
-
Les cystites et les rectites radiques sont fréquentes mais souvent régressives
et sans séquelle.
-
Les fistules recto ou vésico-vaginales sont moins fréquentes depuis
l'affinement de la dosimétrie mais elles sont néanmoins possibles
surtout si la lésion est volumineuse ou s'il s'agit d'un cancer du vagin
après hystérectomie totale (17).
3
- La chimiothérapie
Les
résultats de la chimiothérapie sont décevants.
Par
voie artérielle, on peut associer selon des protocoles variés
:
5 FLUORO-URACILE, CIS DDP, BLEOMYCINE, MYTOMYCINE ou encore 5-FU, METHOTREXATE,
CYCLOPHOSPHAMIDE, VINCRISTINE (18) pour les formes épidermoïdes.
Pour
les formes glandulaires, on emploie :
L'ADRIAMYCINE, le METHOTREXATE, le CYCLOPHOSPHAMIDE et l'ACTINOMYCINE D.
INDICATIONS
THERAPEUTIQUES
Il
n'y a pas de différence significative entre les résultats de la
chirurgie et ceux de la radiothérapie. Sur une revue de la littérature
colligeant les résultats des séries d'au moins 50 patientes, Tjalma
compare les suivis à 5 ans pour les deux méthodes :
- Pour la radiothérapie : 68% au stade I, 48% au stade II, 34% au stade
III, et 19% au stade IV.
- Pour la chirurgie les chiffres sont respectivement : 77, 52, 44 et 14%.
Donc en dehors du stade IV, un léger avantage à la chirurgie,
mais la différence est peu significative.
Pour le cancer in situ (stade 0), le traitement doit être chirurgical
: c'est 84% de la série de Creasman où l'on retrouve curieusement
5% de traitement radiothérapique, probablement pour des lésions
très étendues et/ou chez des patientes très âgées.
1-
Stade I
-
Au vu des résultats, le traitement de référence doit être
chirurgical.
- Comme précédemment, on confie à la radiothérapie
les patientes âgées, les contre-indications de la chirurgie, les
lésions très étendues.
- La radiothérapie sera associée à la chirurgie en cas
de ganglions envahis.
2-Stade
IIA
-
Le pronostic est nettement plus péjoratif.
- La radiothérapie est le traitement de choix, faisant appel à
l'association curiethérapie-irradiation externe.
- La chirurgie de première intention peut également être
retenue, associée ou non à une radiothérapie externe. Elle
garde tout son intérêt lors d'une récidive.
3-Stade
IIB, III et IV
-
La curiethérapie seule n'est jamais suffisante pour ces stades avancés.
Elle prendra en compte le volume centro-pelvien de la tumeur. Dans les stades
IV, elle ne sera plus indiquée (19,20,21).
- La radiothérapie externe délivre une dose moyenne de 45 Gray
sur l'ensemble du pelvis, puis un complément porte la dose à un
total d'au moins 55 Gray sur le ou les paramètre(s) concerné(s).
- La chirurgie peut être réalisée en première intention
(cf supra.), souvent lourde et invalidante, mais pouvant augmenter l'espérance
de vie.
PRONOSTIC
Celui-ci
dépend presque exclusivement du stade clinique.
Le jeune âge apparaît également comme un facteur pronostic
favorable essentiel. De même d'autres critères positifs sont cités
: localisation au tiers supérieur du vagin, dose totale d'irradiation
> 7500 cGy, l'utilisation combinée de l'irradiation externe et de
la curiethérapie (22).
L'espérance
de survie à 5 ans en fonction des stades est la suivante (23,24,25) :
- 70 à
100 % pour les stades I
- 50 à 60 % pour les stades IIA
- 30 à 40 % pour les stades IIB et III
- 0 à 40 % pour les stades IV.
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