LES INCOMPATIBILITES SANGUINES FTO-MATERNELLES 25 ANS APRES
J. CHAVINIÉ
Professeur d’Obstétrique - Maternité Pinard - Hôpital Saint
Vincent de Paul
82, av. Denfert Rochereau 75674 Paris cedex 14
Y. BROSSARD
Praticien Hospitalier d’Hémobiologie Transfusion - CHP - 53, boulevard
Diderot 75570 Paris cedex 12
introduction
Quelques dates ont marqué l'histoire des incompatibilités sanguines
fto-maternelles.
1938 : L’incompatibilité Rhésus est encore inconnue.
Certains enfants naissent avec une anémie inexpliquée associée
à une érythroblastose importante. Ruth Darrow, après avoir
envisagé tous les mécanismes susceptibles d'expliquer cette pathologie,
émet l'hypothèse d'une origine immunologique.
1940 : Découverte du groupe Rhésus et de l'antigène
D. On fait alors rapidement le lien entre l'anémie hémolytique
néonatale et une incompatibilité entre le groupe Rhésus
de la mère et de son enfant.
1946 : Pratique de la première exsanguino-transfusion.
1960 : Dosage de la bilirubine amniotique dont le taux est
corrélé à l'hémolyse ftale.
1962 : Liley met au point la transfusion in utero intra-péritonéale,
première thérapeutique ftale, qui permet de corriger l'anémie
ftale et ainsi d'atteindre sans risque un terme suffisant pour envisager un
accouchement moins prématuré.
1962 : C'est également cette même année
que deux groupes de chercheurs découvrent le principe de la prévention
de l'immunisation anti-D par injection de globulines anti-D.
1970 : Marque le début de l'application pratique de
cette prévention qui va rapidement se généraliser et dont
on va de mieux en mieux préciser les indications.
1995 : 25 ans après le début de la prévention
de l'immunisation anti-D, qui a été pendant longtemps responsable
de plus de 95% des incompatibilités fto-maternelles anti-érythrocytaires,
qu'en est-il ?
— Il existe encore des immunisations anti-érythrocytaires susceptibles
d'entraîner des accidents d'incompatibilité en cas de grossesse :
• Lesquelles et pourquoi ?
• Quels en sont les moyens d'investigation et les possibilités thérapeutiques ?
— Un nouveau type d'immunisation concerne désormais l’obstétricien :
L'immunisation anti-plaquettaire qui pose le problème non plus de l'anémie
mais du risque hémorragique pour le ftus.
i y-a-t’il encore des immunisations anti-érythrocytaires ? lesquelles
et pourquoi ?
1. Situation 1993 des immunisations et des incompatibilités
fto-maternelles (ifm) erythrocytaires en région parisienne
Durant l'année 1993, le Centre d'Hémobiologie Périnatale
(CHP) a recensé 207 cas d’incompatibilité fto-maternelle
érythrocytaire non-ABO, diagnostiqués dans ses laboratoires sur
la base d'un test de Coombs direct fortement positif chez l'enfant et la présence
d'un anticorps dûment identifié dans le sérum maternel (tableau
1).
Tableau 1 - Incompatibilités Fto-maternelles 1993 (Registre CHP).
|
Transfusion in utero
|
|
Anticorps
|
Non
|
Oui
|
Total
|
Anti-D
|
116
|
(101)
|
28
|
8
|
144
|
(109)
|
Anti-Kell
|
2
|
(1)
|
3
|
(1)
|
5
|
(2)
|
Anti-c
|
28
|
(25)
|
0
|
(0)
|
28
|
(25)
|
Anti-E
|
16
|
(13)
|
0
|
(0)
|
16
|
(13)
|
Autres
|
14
|
(14)
|
0
|
(0)
|
14
|
(14)
|
Total
|
176
|
(154)
|
31
|
(9)
|
207
|
(163)
|
Entre parenthèses les cas domiciliés en région parisienne
[75, 92, 93, 94]
Près de 70% relèvent d'une incompatibilité Rh D et
90% d'une incompatibilité dans le système Rhésus (D, c,
E). Le recensement, pratiquement exhaustif pour les cas domiciliés en
région parisienne, permet d'estimer l'incidence annuelle 1993 des IFM non-ABO
domiciliés dans cette région à 1,75 pour mille pour
l'ensemble des IFM et à 1,18 pour mille pour l'IFM Rh D
(dénominateur : nombre INSEE de naissances en région parisienne,
corrigé par la domiciliation d'après l'enquête PREVAGEST).
Le tableau 1 montre également que 90% des formes les plus graves d'IFM,
justifiant d'un traitement transfusionnel anténatal, sont le fait de
l'IFM Rh D. En région parisienne, elles touchent près de
10% (8/109) des cas domiciliés d'IFM Rh D.
Parmi les 207 enfants pris en charge en 1993, 52 (25%) reçurent un traitement
transfusionnel lourd (transfusions anténatales, exsanguino-transfusions
néonatales), 104 (50%) furent soumis à une photothérapie
isolée, 51 restèrent asymptomatiques. Il y eu 2 morts foetales.
Si l’incidence des IFM mesure l’impact des immunisations, la fréquence
des allo-immunisations reflète mieux la charge de surveillance prénatale
de ces immunisations. Cette fréquence est en 1993 voisine de 6 pour mille,
avec la distribution suivante, selon le type d’anticorps toutes origines confondues :
Transfusionnelle, gravidique ou par hétéroimmunisation (tableau
2).
Tableau 2 - Distribution des allo-immunisations érythrocytaires
chez les femmes de 15-45 ans.
Anti-D (± C, ± E)
|
48%
|
Anti-E
|
26%
|
Anti-Cw
|
6%
|
Anti-c (±E)
|
5%
|
Anti-M
|
5%
|
Anti-K
|
3,50%
|
Anti-Jka
|
2,50%
|
Anti-C
|
2%
|
Anti-Fya
|
1%
|
Anti-S, Anti-e, Anti Jkb
|
< 1%
|
(Statistiques CHP 1er semestre 1993 : 1735 patientes)
La différence entre incidence des IFM et fréquence des allo-immunisations
a deux explications :
— L’antigène ftal n’est pas toujours présent (conjoint
négatif ou hétérozygote pour l’antigène) surtout
s’il s’agit d’une immunisation transfusionnelle ou "naturelle".
— Le taux d’anticorps n’est pas toujours suffisant pour positiver le test
de Coombs direct chez le nouveau-né, cas fréquent pour beaucoup
d’immunisations non-Rh D.
2. Évolutions
Comparativement aux deux années 1979 et 1980, la consultation du registre
fait apparaître :
— Une augmentation du nombre de cas d'IFM non-Rh D : 63 cas
en 1993 contre 40 en moyenne au cours des deux années 1979 et 1980. Toutefois,
le recensement des cas 1979-1980 n'était que partiel, comportant un excédent
de cas symptomatiques, dans la mesure où le dépistage des allo-immunisations
non-Rh D n'était pas encore très diffusé chez la femme
Rh Positif (il n'est devenu obligatoire qu'en 1985).
— Une régression du nombre de cas d'IFM Rh D : 144 cas
en 1993 contre 177 cas en moyenne pour les deux années 1979-1980.
Cette régression prolonge celles des années 1970. Elle laissait
persister en 1990 environ 1/3 des cas d'IFM enregistrés en 1965
[1]. Cette diminution est parallèle à celle observée dans
d'autres pays occidentaux appliquant un programme comparable d'immunoprophylaxie
Rh [2].
— Une réduction marquée de la mortalité et de la
morbidité des IFM, due à l'amélioration du dépistage
des formes graves, à l'efficacité des transfusions ftales [3]
et aux progrès de la photothérapie [4]. L'anasarque néonatal
par IFM a désormais disparu et les rares accidents (naissances très
prématurées, morts ftales) sont maintenant perçus comme
des échecs le plus souvent évitables.
a) les incompatibilités Rh D
Entre 1967, année marquant les premiers essais en France de la prévention
Rh (la généralisation chez l'accouchée date de 1970),
et 1993, les IFM Rh D ont diminué d'environ 70% en région
parisienne. L'immunoprophylaxie Rh est à l'origine de ce succès
que l'on peut estimer encore insuffisant compte-tenu des potentialités
encore inexploitées de la prévention Rh et de la persistance d'immunisations
liées à des erreurs d'application des règles classiques
de prévention (voir plus loin : Prévention). Les immunisations
Rh D post-transfusionnelles sont devenues exceptionnelles.
b) les incompatibilités autres que Rh D
Elles semblent plus fréquentes qu'en 1979-1980 mais, d'après
le registre du CHP, leur nombre s'est stabilisé ces dernières
années. En région parisienne elles représentent près
de la moitié des IFM Rh D, mais leur gravité est moindre,
sauf certains cas d'anti-Kell et d'anti-c (petit c). La majorité des
allo-immunisations à l'origine de ces IFM reste toujours d'origine transfusionnelle.
Les efforts entrepris depuis quelques années par les Centres de Transfusion
en faveur des transfusions phéno-compatibles Rh et Kell tardent à
porter leurs fruits. La réduction de l'incidence des transfusions, suite
à la prise de conscience des risques infectieux post-transfusionnels,
devrait permettre d’amplifier la baisse attendue de ces incompatibilités
au cours des prochaines années.
ii l’incompatibilité Rh D
Elle reste encore, malgré la prévention, la plus importante des
incompatibilités sanguines fto-maternelles à retentissement ftal.
De grands progrès ont été réalisés ces dernières
années dans le dépistage, l'appréciation de la gravité
et le traitement de cette pathologie.
1. Le dépistage
Il repose sur la recherche systématique des agglutinines irrégulières
par le Test de Coombs Indirect chez toutes femmes enceintes Rhésus Négatif
[8] (Figure 1.)
- A la déclaration de grossesse
- Aux termes de 5, 8 et 9 mois.
- A l'accouchement.
Ce dépistage, obligatoire, depuis bientôt 3 décennies (cf.
Décret de Février 1992), est actuellement correctement effectué
et, à ce jour, il n'est pratiquement pas de femmes enceintes Rhésus
Négatif immunisées qui puissent y échapper.
2. Les moyens d’appréciation de la gravité de l’IFM.
Rh D
Ils permettent d'explorer trois types de risques :
a) le risque lié à la gravité de l'immunisation
Deux éléments sont à retenir :
— Le mode d'immunisation, en sachant que l'immunisation après
transfusion de sang Rhésus Positif est habituellement massive et grave
— Le dosage des anticorps anti-D : Si le Test de Coombs Indirect
reste un excellent moyen de dépistage, seul le dosage pondéral
de l'anticorps anti-D semble avoir une valeur réelle pour quantifier
la gravité de l'immunisation et en conséquence le risque de l'anémie
ftale en tenant compte du terme (Tableau 3) [9]
Cette notion est capitale à connaître pour éviter des explorations
ftales (amniocentèse cordocentèse) abusives et dangereuses.
Tableau 3 - Risque de l'anémie ftale majeure en fonction du dosage
pondéral de l'anti-D et du terme.
Concentration d'anti-D
inférieure à :
- 3µg/ml : 750 U. CHP
- 2 µg/ml : 500 U. CHP
- 1 µg/ml : 250 U. CHP
- 0,7 µg/ml : 175 U. CHP
|
Absence de risque d'anémie majeure avant
le terme de :
24 semaines d'aménorrhée
28 semaines d'aménorrhée
35 semaines d'aménorrhée
40 semaines d'aménorrhée
|
Il importe également de savoir qu'une immunisation maternelle même
majeure, sera sans risque si le ftus est Rhésus Négatif, situation
possible une fois sur deux si le père est hétérozygote.
Dans ces situations d'hétérozygotie paternelle, il peut être
intéressant de connaître précocement le groupe Rhésus
du ftus. Il existe actuellement plusieurs possibilités :
— Biopsie de trophoblaste permettant la technique Kleihauer Immuno-Or-Argent
sur les globules rouges du capillaire trophoblastique (phénotypage Rhésus
& Kell).
— PCR spécifique (Rh D, Rh c, Rh E) sur cellules du liquide amniotique
ou du trophoblaste (voir encadré). [10, 11]
Cependant, ces techniques, parfois utiles, n’ont pas un intérêt
majeur, selon nous, dans le suivi habituel d'une femme avec immunisation.
b) le risque lié à la gravité de l'anémie
ftale.
Certains éléments permettent de la suspecter, d'autres de la
quantifier.
— Les antécédents obstétricaux : (Mort
in utero plus ou moins précoce, importance de l'atteinte en fonction
du terme des grossesses antérieures) permettent une approche valable
du risque en sachant que, si l'atteinte ftale est classiquement au moins aussi
grave qu'à la grossesse précédente, il peut exister des
améliorations.
— L'échographie du ftus et de ses annexes reste l'examen
capital. Sans danger, elle peut être répétée toutes
les semaines, commencée tôt et, dans notre expérience aucun
ftus régulièrement surveillé par échographie n'est
mort in utero avant d'avoir présenté une des anomalies
habituelles témoignant de l'atteinte ftale.
Sans attendre des signes évidents tels ascite, dème cutané,
hydramnios, gros placenta, dont le degré permet de définir le
stade I ou II de l'anasarque, il importe de dépister les petits signes
échographiques traduisant un début de décompensation :
• Anses intestinales anormalement échogènes
• Visualisation de la paroi intestinale
• Discret épanchement péricardique
• Légère augmentation du liquide amniotique.
Il faut savoir que l'aggravation de l'hémolyse et donc de l'anémie
ftale peut être rapide, ce qui impose la nécessité d'une
surveillance échographique hebdomadaire dans les incompatibilités
à risque pour décider d'explorations plus objectives et permettre
la mise en route opportune d'une thérapeutique encore efficace.
— L’étude du liquide amniotique garde toute sa valeur prédictive
avec ses trois zones en fonction du terme. Il faut cependant savoir qu'il peut
exister des discordances entre indice optique, dépendant de l'hémolyse
du moment et l'anémie ftale réelle.
Des corrélations récentes entre indice optique et anémie
contemporaine, objectivée par prélèvement de sang ftal,
ont amené à modifier le diagramme de Liley permettant notamment
l'interprétation de l'indice optique entre 22 et 28 semaines d'aménorrhée
(Fig. 2). Avant le terme de 22 semaines, l'interprétation
reste trop hasardeuse pour justifier la pratique de l'amniocentèse.
Enfin, il est capital de savoir que toute amniocentèse, quelques soient
les précautions prises, peut entraîner une aggravation de l'immunisation
maternelle par réactivation secondaire, en favorisant le passage d'hématies
ftales.
L'amniocentèse n'est pas et ne peut être un acte banal pratiqué
pour "voir" et se rassurer.
L'indication d'une première amniocentèse, sa répétition,
la fréquence des répétitions doivent être fondées
sur une notion de risque ftal réel.
Fig. 2 - Diagramme de Liley prolongé [9].
Interprétation :
• Indice situé au-dessus de la ligne supérieure : Une
anémie ftale sévère est très probable.
• Indice situé en dessous de la ligne inférieure : Absence
d’anémie ftale
• Indice situé dans la zone intermédiaire :
a) moitié basse - absence d’anémie sévère
b) moitié haute - une anémie ftale, rarement sévère,
est probablement présente.
— Le prélèvement de sang ftal reste bien évidemment
l'examen de choix puisqu'il est le seul à objectiver la réalité
et l'importance de l'anémie (hémogramme, hémoglobine).
Il a l'avantage d'apporter également d'autres informations, concernant
l'état du ftus: groupes sanguins et Rhésus, plaquettes, degré
d'anoxie.
Mais, ce prélèvement expose non seulement au risque de réactivation
mais surtout à celui de traumatisme vasculaire avec éventuellement
mort ftale. Il doit donc rester exceptionnel et son meilleur critère
d'indication correcte est la nécessité de la transfusion ftale
qu'il va imposer immédiatement après et dont il faut toujours
avoir prévu l'éventualité et les possibilités de
réalisation.
c) le risque lié à la souffrance ftale
L'anoxie ftale dépendant de l'anémie est variable selon, bien
sûr, le degré de l'anémie mais également le terme
et la possibilité d'adaptation du ftus à résister à
cette anémie.
L'étude du rythme cardiaque ftal peut révéler différents
aspects :
— Le rythme sinusoïdal qui semble pathognomonique de l'anémie.
— Les rythmes peu réactifs, plats, ou avec décélération
en rapport direct avec l'anoxie.
Ces anomalies sont souvent le seul élément en faveur d'une anémie
dans les deux derniers mois, d'où l'importance de ce mode de surveillance
au cours du troisième trimestre.
a) faire chuter les anticorps maternels
Les traitements immunodépresseurs notamment par corticoïdes ont
été abandonnés devant des résultats décevants.
Les échanges plasmatiques n'ont pas tenu les promesses qu'ils avaient
fait espérer. Le but était de faire baisser les taux d'anticorps
en dessous de 1µg/ml. Non sans danger pour la mère, d'un coût très
élevé, l'indication restait finalement limitée aux rares
cas d'iatteintes graves avec anticorps inférieur à 6 µg/ml et
atteinte ftale grave. Au-delà de ce taux les échanges plasmatiques,
même réalisés à un rythme rapide, restent inefficaces.
b) soustraire le ftus à l'anémie
C'est l'accouchement prématuré qui fut longtemps la seule thérapeutique
et qui reste encore la solution logique pour les formes modérées
ou pour éviter une transfusion ftale supplémentaire dans les
formes graves. Cependant, la maîtrise actuelle des transfusions ftales
in utero à fait renoncer aux déclenchements prématurés
d'autrefois, en permettant d'atteindre le terme de 35-36 semaines.
c) corriger l'anémie ftale in utero
C'est la thérapeutique idéale car son efficacité est indépendante
de la gravité de l’incompatibilité.
— La transfusion intra-péritonéale mise au point par Liley
injectait les globules dans le péritoine du ftus. Son efficacité
était limitée par le terme tardif auquel elle pouvait débuter
(26 SA environ), par la nécessité de répétitions
hebdomadaires avec risque de rupture des membranes et d'entrée en travail,
par sa quasi-inefficacité dans les formes très sévères
notamment avec anasarque. Elle a quand même permis à l'époque
de sauver de nombreux ftus.
— L'abord vasculaire a transformé les possibilités transfusionnelles
permettant :
— Soit la simple transfusion, mais son efficacité reste
limitée par la tolérance du ftus à la surcharge circulatoire
imposée par le volume sanguin transfusé d'autant plus grand que
l'anémie est importante.
— Soit l'exsanguino-transfusion, plus longue et plus sophistiquée
à réaliser. Elle permet une épuration partielle des globules
rouges ftaux sensibilisés par les anti-D et l'obtention de taux d'hémoglobine
très élevés (16 à 18 g/dl) sans risque de surcharge.
Le volume des échanges varie avec le terme (2 à 15 ml entre 18
et 34 S.A.), ils sont répétés jusqu'à l'obtention
d'un taux d'hémoglobine de 15 à 18 g/dl. Une telle correction
permet habituellement d'espacer les exsanguino-transfusions de 3 à 4
semaines, la déperdition étant en moyenne de 2 g/dl d'hémoglobine
par semaine.
Les indications des transfusions ftales doivent rester rigoureuses, limitées
à deux circonstances :
— La découverte échographique d'un anasarque :
La transfusion, et mieux, l'exsanguino-transfusion corrigent l'anémie
et font souvent régresser l'anasarque en quelques jours et ceci d'autant
mieux qu'il était de constitution récente.
— Une anémie ftale inférieure à 8 g/dl constatée
lors d'un prélèvement de sang ftal, en sachant cependant que
le taux d'hémoglobine moyen du ftus normal augmente avec le terme (de
9 g/dl à 4 mois à 14 g/dl à terme). La transfusion est
habituellement pratiquée dans la "foulée" d'un prélèvement
de sang dont l'analyse immédiate - l'aiguille de prélèvement
encore dans le vaisseau - va confirmer l'indication - (anémie inférieure
à 8 g/dl et groupe Rhésus Positif).
Le but est d'obtenir un nouveau-né vivant, bien portant, à un
terme connu en ayant pris un minimum de risque pour l'exploration et le traitement
de la pathologie. Ceci implique :
— Une prise en charge dès le début de la grossesse.
— Une surveillance clinique biologique et échographique bimensuelle,
souvent hebdomadaire, dans les situations à haut risque.
— De disposer en permanence de toutes les possibilités diagnostiques
et thérapeutiques au service d'une équipe rodée à
cette pathologie.
Plusieurs situations sont possibles, nous les résumerons schématiquement
à trois :
a) la moins grave
— Antécédents d'atteinte modérée
— Anticorps voisin d'un micro gramme/ml
— Échographie normale
— Ce pronostic favorable est éventuellement modulé par une
ou plusieurs amniocentèses avec indice optique restant dans la zone intermédiaire
de Liley.
On peut ainsi atteindre sans risque le terme de 36-37 semaines pour déclencher
l'accouchement prématuré. Il est important de savoir ne pas aller
au-delà de ce terme car on s'expose dans le dernier mois de la grossesse
au risque d'une brutale et importante aggravation de l'atteinte ftale pouvant
parfois entraîner la mort in utero.
b) la plus grave mais finalement la plus simple
— Antécédents dramatiques
— Taux très élevé d'anticorps
— Apparition entre 18 et 28 semaines de signes échographiques d'anasarque
ou de pré anasarque.
— C'est l'indication au prélèvement d'emblée de sang
ftal "armé" c'est à dire avec possibilité de transfusion
in utero immédiate.
— Le taux d'hémoglobine est souvent inférieur à 5
g/dl.
— Le traitement transfusionnel corrige l'anémie et fait régresser
l'anasarque. Il est répété toutes les 3 à 4 semaines
pour permettre un accouchement vers 36-37 semaines. Mais cette évolution
peut être moins favorable notamment quand la prise en charge de l'anasarque
se fait trop tardivement après sa constitution.
c) la plus difficile, la forme intermédiaire
— Antécédents d'atteinte souvent modérée ou
première grossesse avec atteinte.
— Nette augmentation des taux d'anticorps par rapport à la grossesse
précédente ou première apparition d'un taux élevé
de l'anticorps.
— C'est ici que la surveillance échographique régulière
a tout son intérêt pour décider entre un abord vasculaire
d'emblée ou une simple amniocentèse qui fera décider de
la suite de la surveillance et de l'éventuelle indication d'un abord
vasculaire dans un deuxième temps.
— Il est important de ne pas manquer le moment où la gravité
de l'anémie va justifier le recours à la transfusion.
En résumé, on peut en 1995, espérer, en cas d'IFM anti-D,
un résultat favorable dans 98% des cas.
Plusieurs éléments semblent déterminants pour atteindre
ce résultat :
— Une prise en charge précoce
— Une surveillance rigoureuse et répétée biologique
et échographique
— Une bonne maîtrise du traitement transfusionnel sous échographie.
iii autres incompatibilités d’intérêt obstétrical
Les risques pathogènes liés à la plupart des allo-immunisations
autres que D se limite à un risque d'ictère hémolytique
néonatal et à un risque d'anémie au cours des deux premiers
mois de vie. Le traitement de ces deux complications est d'autant plus aisé
que l'allo-immunisation est maintenant systématiquement identifiée
durant la grossesse et que l'on dispose de moyens puissants de prévention
de l'ictère nucléaire (photothérapie intensive et, en dernier
recours l’exsanguino-transfusion néonatale)
Il reste toutefois 3 immunisations courantes capables d'entraîner des
anémies ftales aussi sévères et parfois aussi précoces
que l'immunisation Rh D : L'allo-immunisation anti-Kell, l'allo-immunisation
anti-c (petit-c) et beaucoup plus rarement l'allo-immunisation anti-E. Exceptionnellement,
peuvent êtres en cause des allo-immunisations dirigés contre des
antigènes privés ou publics.
1. L'allo-immunisation anti-kell
— Lorsqu'elle est d'origine transfusionnelle, il y a peu de risque d'incompatibilité
fto-maternelle (une fois sur 20 seulement) dans la mesure où le conjoint
n'a qu'une chance sur 10 d'être Kell Positif et, dans ce cas, presque
toujours hétérozygote.
— Lorsqu'elle est d'origine gravidique (absence d'antécédents
transfusionnels) le risque d'IFM est très élevé et le conjoint,
généralement toujours Kell Positif, a plus de chances d'être
homozygote K/K.
— L'anémie ftale induite par l'anti-Kell peut être aussi
sévère et aussi précoce qu'avec l'anti-D. La surveillance
obstétricale doit être déclenchée à partir
de 4 mois si l'anti-Kell a un titre supérieur ou égal à
1/128ème, à partir de 6 mois si le titre atteint 1/64ème
et à partir de 7 mois si le titre atteint 1/16ème.
— L'indice de Liley est parfois pris en défaut dans ce type d'incompatibilité.
La surveillance doit reposer essentiellement sur l'échographie et l'enregistrement
du rythme cardiaque. Dans les cas avec antécédents évocateurs
d'anémie ftale ou bien si le titre de l'anticorps est d'emblée
très élevé, la ponction de sang ftal se justifie. Le typage
Kell PCR sur amniocytes, lorsqu'il sera développé, trouvera ici
une excellente indication, les conjoints Kell positif étant le plus souvent
hétérozygotes.
2. L'allo-immunisation Rh C est la deuxième cause d'IFM non-abo
Elle peut être d'origine transfusionnelle ou gravidique et elle induit
des IFM qui dans 2 à 5% des cas peuvent être extrêmement
sévères. Les immunisations à haut risque sont faciles à
identifier par le dosage pondéral (seuil critique : 750 Unités
CHP/ml), le titre en Coombs Indirect étant parfois faussement rassurant,
ne dépassant pas 1/8ème ou 1/16ème. Les modalités
de surveillance sont à calquer sur l'immunisation Rh D. La PCR spécifique
petit c est désormais possible. [11]
3. L'allo-immunisation Rh E
Très fréquente, cette immunisation est la troisième cause
d'IFM non-ABO. Le plus souvent, il s'agit d'une immunisation "naturelle", par
hétéroimmunisation, générant des anticorps de titre
et de concentration négligeables. Les anticorps d'intérêt
obstétrical sont rares et lorsque le dosage pondéral dépasse
500 unités CHP/ml, ils méritent d'être pris en considération
durant les deux derniers mois de grossesse, seule période où ils
peuvent parfois induire des anémies ftales sévères.
4. Les allo-immunisations avec anticorps privés ou publics
Rarissime, l'immunisation "anti-privé" est dirigée contre un
antigène paternel de diffusion très restreinte. Leur détection
échappe à la recherche habituelle d'agglutinines. Une mort ftale,
un anasarque sont des modalités possibles de découverte. La grossesse
suivante est à surveiller dès le 4ème mois par échographie,
une ponction de sang ftal étant à proposer entre 20 et 25 semaines
pour groupage et Test de Coombs Direct, même en l'absence d'anomalies
échographiques, le conjoint étant obligatoirement hétérozygote.
Les anticorps publics (dirigés contre des antigènes communs à
presque tous les individus) sont exceptionnellement en cause dans des IFM sévères.
L’anticorps anti-U, présent surtout chez les femmes de race noire, peut
être dangereux si son titre atteint 1/128ème.
iv la prévention
La prévention des allo-immunisations à l'origine d'IFM est un
combat permanent dont les objectifs doivent être réalistes et l'efficacité
régulièrement mesurée. Cette prévention n'est actuellement
possible que pour certaines immunisations érythrocytaires.
1. La prévention Rh D
telle que définie dans ses modalités classiques (tableau 4) reste
perfectible sur deux points.
a) La réduction des manquements à la prescription. [9]
b) la quantification de l'hémorragie fto-maternelle dans les circonstances
où cela parait nécessaire. [12]
Tableau 4 : Indications classiques de l’immunoprophylaxie Rh.
CANDIDATES
|
Femmes Rh- non immunisées contre l'antigène
Rh D même si elles sont immunisées contre d'autres
antigènes
|
MODALITÉS
|
• 100 µg d'IgG anti-D en IV dans les 72 heures
la voie IM est possible
ne pas renoncer si le délai est dépassé
• Si le test de Kleihauer est positif au-delà
de 5/10.000 :
Augmenter de 100µg par tranche de 20 hématies foetales
pour 10.000 hématies maternelles (exemple 2 doses
supplémentaires de 100µg si Kleihauer = 35/10.000)
|
CIRCONSTANCES
|
Intérêt du test
de Kleihauer
|
Accouchement d'un enfant RH Positif
|
OUI
|
IVG - FCS - Cerclage
|
NON
|
Amniocenthèse précoce - Biopsie
choriale
|
NON
|
Ponction de sang foetal - Amniocenthèse
du 3ème trimestre
|
OUI
|
Avortement tardif, mort foetale du 2ème
& 3ème trimestre
|
OUI
|
Version par manoeuvres externes, Traumatisme
abdominal
|
NON
|
Métrorragies, contractions utérines
persistantes
|
Facultatif
|
Toutefois, les immunisations Rh D résiduelles ne sont pas toutes
imputables à des défauts d'application. Une part importante a
pour origine l'absence de couverture préventive du risque spontané
d'immunisation en cours de grossesse. En effet, une immunisation Rh D se
constitue en cours de grossesse chez environ 1% des primipares enceintes d'enfants
Rh +, en l'absence de circonstances favorisantes. Les anticorps apparaissent
le plus souvent tardivement, dans les dernières semaines de la grossesse
mais certaines immunisations sont parfois évidentes dès 6 mois
et à l'opposé, certaines se manifestent uniquement dans le post-partum
immédiat. Plusieurs études ont montré que la plupart pouvaient
être évitées moyennant une injection unique de 300 µg d'IgG
anti-D à 28 semaines ou l'injection de 100 µg renouvelée à
28 et 34 semaines. [13]
Faut-il donc généraliser la prévention Rh au cours du
3ème trimestre ? Actuellement, la réponse serait plutôt
négative en raison :
— Des résultats jugés satisfaisants mais encore améliorables
de la prévention Rh dans ses modalités actuelles.
— Des progrès des techniques de dépistage et de soin des
IFM résiduelles.
— De l'obligation d'accroître de 2 à 3 fois la production
d'Ig Rh, avec ses coûts incidents et sachant qu'il faudrait immuniser
de novo de nombreux volontaires avec des transfusions répétées
de globules rouges
— Des réticences à injecter le produit chez les 40% de femmes
Rh négatif qui accoucheront d'enfant Rh négatif.
Toutefois, les partisans de l'attentisme pourraient réviser leur position
si apparaissaient des techniques non invasives de groupage Rh du ftus, à
partir de sang maternel par exemple (voir encadré PCR) ou si, en place
des immunoglobulines plasmatiques, l'utilisation d'anticorps monoclonaux ou
de synthèse devenait possible. Il faudra probablement plusieurs années
avant d'atteindre ces objectifs.
La PCR appliquée aux gènes Rh
PCR 1 et 3 dans les exons 4 et 7 (Aubin et al. CHP - non publié)
PCR 2 dans l'intron n° 4 décrite par Arce et al.
PCR 4 dans l'exon 10 et la région 3' non codante, décrite
par le Bennet et al. [10]
Deux gènes apparentés, Rh D et Rh CcEe, composent le locus
Rh sur le chromosome 1. La comparaison de ces gènes à permis
de décrire plusieurs systèmes d'amplification en chaîne
(PCR) spécifiques du gène Rh D qui n'amplifient pas le gène
Rh CcEe. Ces PCR permettent d'établir le type Rh D de cellules ftales
issues de prélèvements sanguins maternels, de liquides amniotiques
ou de villosités choriales. Ceci devrait améliorer le diagnostic
et la prévention des incompatibilités materno-ftales Rh D.
Toutefois, il est nécessaire de valider ce typage sur de grandes séries
avec un jeu varié de réactifs. En effet, le polymorphisme du gène
Rh D au sein de la population est encore mal connu et il pourrait affecter
les réactions de PCR. De plus, il est nécessaire de connaître
la corrélation entre le génotype et le phénotype Rh chez
un grand nombre de sujets. Récemment le typage Rh c et Rh E a pu être
également effectué à partir de cellules amniotiques Le
Van Kim et al. [11].
2. La prévention des immunisations non Rh D
continue de reposer sur l'épargne des indications transfusionnelles
et sur le respect de la phénocompatibilité Rh et Kell chez les
femmes et fillettes transfusées. Les immunisations d'origine gravidique
ne peuvent pas actuellement être prévenues mais elles ne posent
ni un problème de santé publique ni un problème individuel
compte-tenu des progrès des techniques de soins.
v les incompatibilités sanguines fto-maternelles anti-plaquettaires
Elles sont l'équivalent plaquettaire de l’incompatibilité anti-érythrocytaire
et, en cas de grossesse, exposent à un conflit immunologique entre anticorps
maternels et plaquettes ftales avec risque de thrombopénie et d’hémorragie
ftale et néonatale. [14]
A la surface des plaquettes on trouve les antigènes ABO (jamais impliqués
dans les IFM plaquettaires), les antigènes HLA de classe I (exceptionnellement
ou jamais impliqués) et des antigènes "spécifiques" qui
sont à l'origine d'allo-immunisations d'origine surtout gravidique expliquant
la quasi-totalité des thrombopénies ftales et néonatales
allo-immunes (tableau 5).
Tableau 5 - Systèmes allo-antigéniques plaquettaires humains.
Systèmes
|
Allèles
|
Phénotypes
|
|
|
|
|
Fréquence Allélique
|
|
Fréquence Phénotypique
|
HPA-1
|
Pl A1
Zw
|
HPA-1a
HPA-1b
|
Pl A1
Pl A2
|
0,830
0,170
|
Pl A1/1
Pl A1/2
Pl A2/2
|
72%
25,6%
2,4%
|
HPA-2
|
Ko
Sib
|
HPA-2a
HPA-2b
|
Ko b
Ko a
|
0,920
0,080
|
Ko b/b
Ko a/b
Ko a/a
|
85%
14%
1%
|
HPA-3
|
Bak
Lek
|
HPA-3a
HPA-3b
|
Bak a
Bak b
|
0,696
0,304
|
Bak a/a
Bak a/b
Bak b/b
|
37%
48%
15%
|
HPA-4
|
Pen
Yuk
|
HPA-4a
HPA-4b
|
Pen a
Pen b
|
0,992
0,008
|
Pen a/a
Pen a/b
Pen b/b
|
> 99%
< 0,1%
< 0,1%
|
HPA-5
|
Br
Hc
Zav
|
HPA-5a
HPA-5b
|
Br b
Br a
|
0,890
0,110
|
Br b/b
Br a/b
Br a/a
|
80%
19%
1%
|
L'immunisation anti-PlA1 (80% des cas) et l'immunisation anti-Bra (15% des
cas) sont les plus fréquemment en cause dans les populations occidentales.
Dans au moins les 2/3 des cas, l'allo-immunisation anti-PlA1 se constitue et
se manifeste dès la première grossesse, mais elle ne concerne
finalement que moins de 5% des grossesses exposées (mère
PlA1 négatif, ftus PlA1 positif = 2% de l'ensemble des grossesses) [5].
La facilité à s'immuniser dès la première grossesse
pourrait s'expliquer par la présence de l'antigène PlA1 sur de
nombreux types cellulaires (cellules endothéliales, fibroblastes, muscle
lisse). La limitation du nombre de femmes immunisées s'explique, elle,
par la restriction immunogénétique HLA [6], seules les patientes
exprimant sur leurs lymphocytes T des groupes HLA permissifs (DR 52 a, surtout)
étant capables, mais pas toutes, de produire des anticorps anti-PlA1.
L'incidence des IFM PlA1 est voisine de 1 pour mille naissances. La moitié
des enfants seraient symptomatiques et, parmi ces derniers, 15 à 20%
seraient à risque d'hémorragie intracrânienne, dont 4% à
10% durant la grossesse, parfois dès le 4ème mois. L'incidence
des hémorragies intracrâniennes durant la vie ftale serait ainsi
de 1 sur 20.000 à 50.000 grossesses. Ces hémorragies
n'apparaissent qu'en cas de thrombopénies profondes, généralement
inférieures à 10.109 plaquettes/l. Elles sont responsables de
la mort dans 10% des cas et de séquelles neurologiques dans 30% des cas.
Ces accidents peuvent aussi être observés avec les anti-HPA-3
(anti-Baka, Bakb), les anti-HPA-4 (anti-Pen ou anti-Yuk) mais beaucoup plus
rarement avec les anti-HPA-5 (anti-Bra, Brb).
La récurrence à la grossesse suivante est de 80 à 90%
avec une gravité d'atteinte ftale habituellement identique ou majorée.
Sur un plan pratique cette immunisation va poser des problèmes dans
trois situations différentes :
1. La révélation de l’incompatibilité et de l'immunisation
par la naissance d'un enfant thrombopénique
C'est au terme d'une grossesse normale et souvent d'une première grossesse,
la naissance d'un enfant présentant un purpura ecchymotique et pétéchial.
Les formes gravissimes avec hémorragies viscérales ou cérébrales
sont plus rares. Elles ont pu se constituer in utero (et parfois aboutir
à une mort in utero) ou apparaître dans les premiers jours
après la naissance en l'absence d'un traitement rapide et efficace de
la thrombopénie.
Un tel tableau doit faire évoquer le diagnostic de thrombopénie
par allo-immunisation plaquettaire avec notamment :
— La gravité de la thrombopénie, isolée, souvent
sévère, inférieure à 30 ou 10.109/l.
— L'absence de thrombopénie et d'antécédent de pathologie
plaquettaire maternelle.
Il sera confirmé par :
— Le phénotypage plaquettaire du nouveau-né mais il est
souvent impossible en raison de l'intensité de la thrombopénie.
— La mise en évidence d'anticorps anti-plaquettaires maternels,
dirigés contre les antigènes plaquettaires paternels.
— Le phénotypage plaquettaire des parents.
Cette thrombopénie doit être rapidement traitée, surtout
si elle est inférieure à 3O.109/l. Le traitement de choix est
la transfusion de plaquettes maternelles lavées et irradiées mais
l'imprévu et l'urgence obligent souvent à pratiquer soit une exsanguino-transfusion
de sang frais, soit la transfusion d'une unité standard de plaquettes
de donneur PlA1 négatif.
Corticoïdes et immunoglobulines IV permettraient de raccourcir la durée
de la thrombopénie après la naissance.
2. La prise en charge d'une grossesse avec immunisation connue
Elle s'adresse à toutes grossesses survenant après la naissance
d'un enfant thrombopénique ayant permis d'affirmer l'immunisation maternelle.
— Connaître le risque, éventuellement l'importance de la
thrombopénie in utero.
— Permettre la naissance avec un minimum de risque hémorragique.
Il n'existe malheureusement aucune possibilité d'estimer la réalité
et l'importance de la thrombopénie ftale.
— Aucune valeur du dosage des anticorps.
— Possibilité d'un ftus négatif quand le père est hétérozygote.
— Pas d'évaluation possible en fonction de la grossesse précédente.
Le seul moyen d'affirmer la thrombopénie ftale reste le prélèvement
de sang ftal avec ses risques traumatiques et particulièrement ici son
risque hémorragique.
Les moyens thérapeutiques sont limités, d'efficacité
variable et difficile à apprécier.
— La transfusion de plaquettes maternelles lavées et irradiées
[15]. La durée de vie des plaquettes n'excède pas 7 jours et il
est donc utopique d'envisager des transfusions hebdomadaires tout au long de
la grossesse. Cette thérapeutique ne peut être que ponctuelle pour
remonter en fin de grossesse les plaquettes à un taux suffisant et permettre
un accouchement voie basse sans risque hémorragique.
— Les traitements susceptibles de diminuer les effets et la production des
anticorps maternels :
• Corticoïdes à la dose de 10 mg/24 H de Prednisone
• Immunoglobulines standard IV. à la dose de 1 g/Kg/semaine
Ces deux thérapeutiques peuvent être associées. Elles restent
cependant d'une efficacité très relative, d'un coût élevé
et d'une innocuité discutable en ce qui concerne les immunoglobulines
standard injectées en IV à très haute dose.
Sur la figure 3 se trouvent résumés les différents schémas
de prise en charge qui ont été proposés ces dernières
années.
Au terme de plusieurs années d'expérience, et compte-tenu :
— De la relative rareté d'une incompatibilité (1 pour 2000)
— Du caractère utopique de la transfusion de plaquettes in utero
— Du risque minime mais quasi-imparable des accidents hémorragiques
per gravidiques.
— Des risques liés au prélèvement de sang ftal
— du facteur déterminant du traumatisme obstétrical dans
l'apparition des hémorragies
On peut se demander si une attitude plus simpliste n'est pas plus logique :
— Amniocentèse simple pour phénotypage du groupe plaquettaire
par PCR si le père est hétérozygote. [16]
— Simple surveillance clinique et échographique pendant la grossesse
avec traitement par corticoïdes, notamment en cas de thrombopénie
importante à la grossesse précédente.
— Césarienne systématique vers 37 semaines pour limiter
le risque d'hémorragie cérébrale spontanée pendant
les dernières semaines, avec possibilité de réaliser dès
la naissance une exsanguino-transfusion partielle immédiate du nouveau-né
avec plaquettes compatibles.
— On réserverait aux cas avec antécédents de thrombopénie
modérée, la pratique d'une ponction de sang ftale à 37
semaines pour envisager un accouchement par voie basse en sachant que ces cas
offrent a priori le maximum de chance pour cette possibilité et avec
un minimum de danger.
Cette attitude résulte d'une réflexion simpliste : "à
vouloir trop bien faire, on complique souvent les choses".
3. Faut-il faire un dépistage prénatal systématique?
Un débat sur le dépistage prénatal systématique
des allo-immunisations PlA1 s'est récemment ouvert. La simplification
des techniques de laboratoire permet en effet d'envisager la généralisation
du typage PlA1 et la recherche répétée d'anticorps. Cette
recherche pourrait se restreindre aux seules primipares possédant l'antigène
DR 52a, les multipares à haut risque étant, elles, largement identifiées
par l'atteinte de leur premier enfant. Toutefois, la sensibilité encore
insuffisante des techniques de dépistage des anticorps et l'absence de
critères immunologiques réellement prédictifs d'une atteinte
ftale atténuent la portée de cette proposition. L'interventionnisme
que certains auteurs [7] prônent pour contourner ces difficultés
(rien de moins que la ponction de sang ftal systématique chez toute
femme PlA1 négatif, y compris chez les patientes sans anticorps) suffit
à tempérer l'adhésion à cette forme de dépistage
systématique qui ne pourra être sérieusement proposée
qu'après une évaluation indépendante rigoureuse, couplée
à une approche prudente des grossesses à risque.
S'il parait difficile de faire systématiquement ces déterminations
et la recherche d'une éventuelle immunisation, il est au contraire raisonnable
de l'envisager pour les soeurs de femmes immunisées connues.
conclusion
Ainsi l’histoire des incompatibilités sanguines fto-maternelles reste
déconcertante : Certaines disparaissent, et de nouvelles apparaissent.
La pratique de la prévention tend à faire disparaître les
incompatibilités, alors que parallèlement se développent
des explorations et des thérapeutiques de plus en plus sophistiquées
et efficaces pour les traiter.
C’est cette pathologie, qualifiée par beaucoup d’arrière garde,
qui a néanmoins permis de développer les techniques d’abord vasculaire
ftal, et de mettre au point les premiers traitements in utero.
La persistance du tiers environ des cas d’incompatibilités anti-D après
25 ans de prévention montre combien il nous faut rester vigilant vis
à vis d’une pathologie dont la plus dangereuse réputation reste
sûrement celle d’avoir disparu.
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Am. J. Obstet. Gynecol. 1994; 170 : 807-812.
Les auteurs remercient le docteur V. de Lachaux pour ses critiques
et Madame G. Gandrille pour la réalisation du manuscrit.
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