EVITER LA SURVENUE D'UN CANCER INVASIF DU COL DE L'UTERUS PAR LA
SURVEILLANCE POST-THERAPEUTIQUE
J.C. BOULANGER ET J. GONDRY* Centre de gynécologie obstétrique, CHU Amiens.
INTRODUCTION
En théorie il devrait être possible de faire disparaître le cancer du col de
l'utérus. En effet, en raison de son histoire naturelle qui s'étale sur de nombreuses
années, la pratique du dépistage devrait permettre le diagnostic des lésions
précancéreuses. Leur prise en charge devrait réaliser une prévention secondaire
efficace du cancer invasif.
En pratique on en est loin et l'incidence en France reste de l'ordre de 15°/°°°°
très largement supérieure aux chiffres extraordinairement bas observés en Finlande :
2,7°/°°°° [1].
Plusieurs raisons expliquent ce taux de cancers invasifs malgré le dépistage :
- absence de dépistage pour 30 % de la population ;
- fréquence des frottis faux-négatifs ;
- prise en charge inadéquate des frottis positifs ;
- cancer malgré le traitement des lésions précurseurs.
C'est ce dernier point qui nous retiendra : l'optimisation de la surveillance
post-thérapeutique devrait permettre de les réduire.
FREQUENCE DES CANCERS APRES TRAITEMENT DES
LESIONS PRECURSEURS
Depuis les premières publications de Sevin [2] et Towsend [3] qui ont attiré
l'attention, de nombreux travaux ont permis d'en fixer la fréquence. Ils représentent
1,9 à 3,6 % de tous les cancers invasifs [4] [5]. Rapportés au nombre de CIN traités,
il s'agit d'une éventualité rare : 0,2 à 0,8 % [4] [6].
ETIOLOGIE DES CANCERS INVASIFS APRES TRAITEMENT DES LESIONS
PRECURSEURS
Il y a trois étiologies possibles qui sont distinguées en fonction de l'intervalle de
temps entre le traitement de la lésion précurseur et le moment du diagnostic de cancer
invasif :
lésion sous évaluée lors du traitement initial alors qu'elle était déjà invasive
: c'est selon Shumsky l'explication lorsque l'intervalle de temps entre le traitement et
le diagnostic de cancer est inférieur à 14,5 mois ;
éradication incomplète de la lésion : c'est l'explication la plus probable lorsque
l'intervalle est compris entre 14 mois et 5 ans ;
nouveau cancer quand l'intervalle de temps est supérieur à 5 ans.
Bien entendu ces intervalles de temps sont discutables et certains proposent 1 an, 1
à 7 ans et plus de 7 ans.
Nous avons réalisé en 1990 une enquête nationale pour éclairer ce problème. Dans
l'impossibilité de contacter tous les gynécologues, chirurgiens ou radiothérapeutes,
nous avons adressé un questionnaire aux services de gynécologie des centres hospitaliers
universitaires, aux centres de lutte contre le cancer, aux membres de la Société
Française de Colposcopie et Pathologie Cervico-Vaginale. Nous avions colligé 26 cas en
1991 [7] et la poursuite de cette enquête par l'envoi de plusieurs relances nous a permis
de rassembler à ce jour 90 cas.
Tableau I - Intervalle traitement CIN - diagnostic cancer invasif
C'est donc 73 % des cas après traitement que l'on pourrait peut-être éviter par la
surveillance post-thérapeutique.
SURVEILLANCE POST-THERAPEUTIQUE
Situation actuelle
Avant d'envisager les modalités de surveillance, il faut d'abord souligner la
difficulté de l'obtenir. Toutes les publications s'accordent pour regretter que l'on
s'adresse à une population de femmes jeunes, peu dociles, changeant souvent de résidence
donc de thérapeute.
Le tableau 2 montre l'importance de suivis défectueux après traitement des CIN.
Tableau II - Perdues de vues après traitement de lésions précurseurs
Dans notre enquête le diagnostic de cancer invasif est évoqué dans 1/3 des cas
devant des signes cliniques et non sur la surveillance colposcopique ou cytologique qui,
le plus souvent, n'a pas été réalisée.
Moyens de surveillance
La cytologie serait plus souvent en défaut après le traitement des lésions de
CIN, selon Falcone et Ferenczy [11] : 20 % de frottis faux-négatifs. En fait ce chiffre
de faux-négatifs s'inscrit dans la fourchette des chiffres de frottis faux-négatifs
habituellement rapportés dans la littérature [12]. Dans notre enquête les chiffres sont
encore plus importants puisque de 25,8 %.
La colposcopie est indispensable puisqu'elle a permis le diagnostic des cancers
invasifs occultes dans les 25,8 % des cas de notre série où le frottis était en
défaut. Mais nous n'avons pas de renseignements suffisants dans notre enquête pour dire
si elle n'a pas été employée plus tôt ou si elle était en défaut dans ces mêmes cas
avant que la lésion ne devienne invasive. Selon Falcone et Ferenczy, le recours
systématique à la colposcopie couplée au frottis ferait tomber le taux de
faux-négatifs de 20 à 3 %.
Il faut souligner les difficultés de la surveillance colposcopique
post-thérapeutique. Celles-ci ne sont pas le fait des modifications épithéliales qui
peuvent survenir. Rarement, il peut s'agir de tableaux équivoques comme nous l'avons
observé dans un cas avec une épithélialisation normale recouvrant presque complètement
une lésion incomplètement éradiquée. En fait, la colposcopie est souvent non
concluante en raison de la difficulté à voir la jonction squamo-cylindrique. En effet,
les sténoses du col sont fréquentes après traitement et les chiffres de la littérature
vont de 0,8 à plus de 25 % [13], [14].
Modalités optimales de surveillance
Avant de traiter une lésion précurseur du col utérin, il est important d'insister
sur la nécessité de surveillance ultérieure scrupuleuse. Trop souvent, on entend dire
que dans les lésions de bas grade il faut traiter les patientes qu'on n'est pas sur de
pouvoir surveiller ultérieurement. Dans notre enquête 21 cancers invasifs apparaissent
après traitement d'une lésion de bas grade. Il est important d'établir avec sa patiente
un véritable contrat précisant le rythme et les modalités de la surveillance
ultérieure. Bien qu'un délai de 6 semaines soit trop précoce pour juger valablement de
la guérison, ce premier contrôle permettra dans quelques cas de lever sans difficulté
une éventuelle synéchie de l'orifice cervical.
Le premier contrôle effectif de la qualité de traitement doit être fait entre
trois et quatre mois. Il doit être colposcopique et cytologique mais il nous paraît
important de ne pas mettre en oeuvre les deux méthodes dans la même séance :
l'épithélium jeune est fragile, la colposcopie est souvent impossible après l'abrasion
d'un frottis. Nous avons l'habitude de les réaliser à un mois d'intervalle. Si une
sténose interdit la visualisation de la jonction squamo-cylindrique, la colposcopie n'est
pas concluante. Il faut alors réaliser une stomatoplastie bi-commissurale. Celle-ci
permet de retrouver la visibilité de la jonction dans 2/3 des cas de notre série. En cas
d'échec, il faudra se contenter d'une surveillance uniquement cytologique.
Puis la surveillance dépendra de deux paramètres :
- résultat du premier contrôle colposcopique et cytologique ;
- caractère in sano ou non in sano de la section en cas de conisation ou
d'électro-résection. En effet, le risque de récidive est de 2 à 3 % en cas de section
in sano, de 9 à 55 % en cas de section non in sano [15].
En pratique, plusieurs situations peuvent se présenter :
1. traitement destructeur ou exérèse in sano, premier contrôle colpo-cytologique
normal : nouveau contrôle à six mois puis rythme annuel ;
2. exérèse non in sano et cytologie et colposcopie concluante normale : surveillance
tous les trois à quatre mois pendant un an puis rythme annuel ;
3. anomalie cytologique et/ou colposcopique significative : nouveau traitement ;
4. anomalie colposcopique et/ou cytologique non significative : surveillance tous les
trois mois pendant un an et nouveau traitement en l'absence de régularisation.
Combien de temps poursuivre cette surveillance annuelle ?
Robertson à propos de 896 CIN3 traités n'observe aucune récidive au-delà de sept
ans. Il nous semble donc devoir imposer la surveillance colpo-cytologique annuelle pendant
sept ans dans tous les cas. Au-delà de ce délai, si la jonction squamo-cylindrique est
bien visible, frottis tous les trois ans et colposcopie les années intercalaires, si la
jonction n'est pas visible, frottis annuel.
CONCLUSION
La surveillance post-thérapeutique est difficile à obtenir. Même si les cancers
invasifs après traitement des lésions précurseurs sont rares, il est indispensable d'en
expliquer l'absolue nécessité. Une surveillance optimale permettra de diagnostiquer
après traitement des lésions précurseurs les échecs ou récidives avant qu'elles ne
deviennent invasives.
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J.C. BOULANGER ET J. GONDRY* Centre de gynécologie obstétrique,
CHU Amiens.
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