Les
fausses couches à répétition,
quels traitements, avec quels résultats en 2002
Joëlle BELAISCH-ALLART et Jean Marc MAYENGA,
Service
de Gynécologie Obstétrique, CHI Jean Rostand, 141 Grande Rue,
92318 Sèvres Cedex
La
définition communément admise des fausses couches (FCS) à
répétition repose sur la survenue d'au moins 3 avortements consécutifs
pour un même couple. Des calculs statistiques démontrent que si
le risque moyen de FCS par grossesse est de 15 %, le risque d'en observer 3
est de 0,153 soit 3,4 pour mille, le taux observé est bien supérieur,
ce qui rend compte de l'existence de la maladie abortive. Cependant un certain
nombre de FCS à répétition (estimé de 20 à
40 %) sont liées à la simple malchance et ne relèvent pas
de la maladie abortive (multiplication des probabilités). Cinq étiologies
sont habituellement retenues : les causes chromosomiques, anatomiques, endocriniennes,
infectieuses et immunologiques, cependant l'étiologie reste inconnue
dans la majorité des cas. Si les causes génétiques n'ont
pas de traitement, les autres causes relèvent d'un traitement spécifique
quant aux FCS d'étiologie inconnues, elles relèvent jusqu'à
présent de l'empirisme thérapeutique !
I
- Les différents causes des FCS à répétition
Les
causes anatomiques
Elles
sont détaillées dans le chapitre de FX Aubriot. Elles seraient
en cause dans 15 à 20 % des FCS à répétition et
leur diagnostique repose sur l'hystérographie, l'hystéroscopie,
parfois la clioscopie et leur traitement est bien entendu chirurgical.
Les
causes infectieuses
Si
l'infection est une cause certaine d'avortement occasionnel (ex : listériose),
sa responsabilité dans les FCS à répétition est
très discutée car il faudrait une infection chronique et suffisamment
importante.
La pratique d'un prélèvement cervico-vaginal complet (avec recherche
de mycoplasme et chlamydiae) doit cependant faire partie intégrante du
bilan des FCS à répétition.
Les
facteurs immunologiques
L'origine
immunologique des avortements est traitée dans le chapitre de M.F. Reznikoff.
S'il est clair que certaines maladies auto immunes telle le lupus érythémateux
disséminé sont associées à un taux élevé
de FCS, les autres théories immunologiques sont toujours en cours d'évaluation.
La proportion de causes immunologiques de FCS varie selon les études
et l'importance des tests réalisés à la recherche d'anticorps
variés pour atteindre 44,4 % dans l'étude de Tulpala (1). La conception
de l'embryon greffon d'autant plus mal toléré que la concordance
des antigènes d'histo compatibilité serait forte entre les deux
parents est plus discutée.
Les
facteurs endocriniens
L'insuffisance lutéale a été souvent évoquée
… et a donné lieu à de multiples essais de traitement par
hCG et/ou progestérone.
Plus actuelles sont les explications liées aux ovaires polykystiques
(PCO) et aux FSH élevées.
Tulpala et al ont retrouvé 2 fois plus de PCO en cas de FCS à
répétition que chez les femmes témoins (44 versus 20 %)
(2).
Trout et al ont comparé 36 femmes présentant des FCS à
répétition inexpliquées à 21 femmes qui présentait
des FCS d'étiologie bien déterminées. Les taux de FSH et
d'oestradiol sont plus élevés dans le groupe inexpliqué
alors que tous les autres paramètres (âge, parité) ne différent
pas. Ils en concluent qu'une réserve ovarienne diminuée peut être
cause de FCS à répétition (3).
Autres
facteurs
De nombreux autres facteurs ont été évoqués dans
la genèse des FCS à répétition sans que leur rôle
ait été scientifiquement démontré tel l'âge
du père, la toxicomanie et des anomalies du sperme. Le tabac mérite
une place particulière. En effet, la majorité des études
ont établi une relation positive entre tabagisme et FCS. Le tabagisme
passif pourrait également intervenir. Le plus souvent aucune cause n'est
reconnue et les traitements ne reposent alors sur aucune base scientifique (plus
de 50 % pour Tulpala et al [1]).
II - Les traitements actuels des FCS à répétion
L'arrêt
du tabac est toujours à proposer, l'origine génétique à
éliminer par les caryotypes parentaux, l'anatomie utérine à
vérifier voire à corriger, la réserve ovarienne à
évaluer. Les traitements sont ensuite à adapter à l'étiologie.
Les traitements chirurgicaux sont envisagés dans le chapitre rédigé
par FX Aubriot.
A)
Les traitements hormonaux
Bien qu'ils soient supposés corriger une insuffisance lutéale,
ils sont souvent proposés aux FCS à répétition sans
cause.
Bien qu'une méta analyse ancienne ait démontré que l'hCG
est un meilleur traitement que le placebo en cas de FCS à répétition
(4), aucune étude récente n'a pu confirmer ce fait.
Dès 1992, dans une étude randomisée Harrison n'a pas observé
d'amélioration dans l'évolution des grossesses avec l'hCG par
rapport au placebo (5).
Puis, toujours en cas de FCS à répétition, chez des femmes
normo ovulantes, Quenby et Farquharson ont confirmé dans une étude
randomisée que l'hCG administré en début de grossesse ne
change pas le taux de succès. Par contre, les femmes en oligoménorrhée
ont un taux de grossesses évolutives de 40 % dans le groupe placebo contre
85 % avec l'hCG (6).
De même Pearce et Hamid ont démontré l'effet positif de
l'hCG administré en cas de FCS à répétition chez
les femmes porteuses d'ovaires polykystiques avec 81 % de naissances dans le
groupe hCG contre 54 % dans le groupe placebo (7). L'effet de l'hCG est plus
net encore chez les femmes dont le taux de LH en début de phase folliculaire
est supérieur à 10 UI/l. Il est intéressant de noter dans
cette étude que l'hCG n'a d'effet positif que chez les femmes qui ont
reçu du citrate de clomifène !
Quant à l'administration de progestérone dans les FCS à
répétition elle n'a pas démontré d'effet bénéfique
(8, 9).
En effet, plusieurs méta analyses évaluant l'intérêt
de la progestérone en cas de FCS à répétition se
contredisent. Daya en 1989 avait annoncé un intérêt à
l'administration de progestérone (10). Une étude plus récente
admet qu'il est impossible de conclure (11).
En pratique quotidienne, la progestérone naturelle souvent associée
à l'aspirine est prescrite en première intention (12).
B)
Les traitements immunologiques
De nombreux essais thérapeutiques ont été engagés
dans le cadre du syndrome des antiphospholipides utilisant les corticoïdes,
les gamma globulines IV, l'aspirine ou l'héparine. Dans le cadre de l'intolérance
maternelle au ftus, les essais thérapeutiques portant sur l'injection
de leucocytes du conjoint, les perfusions de gamma globulines IV, les corticoïdes,
l'aspirine et l'héparine ne sont pas toujours validés.
Schématiquement, en cas de FCS à répétition avec
anticoagulant circulant et ou anticardiolipide, le traitement comporte des héparines
de bas poids moléculaire (HBPM) à dose préventive ou curative
selon les cas. Elles peuvent être associées à de l'aspirine
à faible dose. Le traitement est institué parfois même avant
la fécondation si les fausses couches sont très précoces.
Si le taux d'anticardiolipides est très faible (en dessous de 30 uGPL)
il n'y a pas de consensus (13). Reznikoff et al (13) ont obtenus des résultats
encourageants avec du cortancyl 0,3 à 0,5 mg/kg et de l'aspirine à
faible dose avant la fécondation si nécessaire et pendant le premier
trimestre de la grossesse pour le cortancyl et l'aspirine seule ensuite jusqu'à
la fin du 7ème mois. Aucune complication de diabète, d'hypertension
ou de petit poids du nouveau-né n'a été observé
contrairement aux équipes étrangères qui gardent les corticoïdes
tout au long de la grossesse. Par contre Laskin et al (14) n'observent pas d'amélioration
avec les corticoïdes tout au long de la grossesse associés à
l'aspirine à faible dose. Kutteh montre que dans ces cas, l'héparine
préventive associée à l'aspirine à faible dose est
supérieure à l'aspirine seule (15).
Les traitements gamma globulines IV ont donné lieu à des études
aux résultats variés sinon conflictuels. Daya (16) dans une méta
analyse de 4 essais comparant les gamma globulines à un placebo a conclu
que les gamma globulines pouvaient avoir un rôle favorable mais que cela
n'a pas formellement démontré !
Tout récemment, Reznikoff et al ont identifié une nouvelle cause
de FCS à répétition, le déficit en vitamines B12
(13). Dix patientes dépistées ont été traitées
par vitamines B12 injectable, 4 sont devenues enceintes et 3 ont accouché.
Dans
les FCS sans étiologies, à bilan strictement normal, aucun traitement
n'est actuellement validé. Aspirine, progestérone, hCG, corticoïdes
sont souvent administrés mais aucune étude n'a à ce jour
démontré leur supériorité sur un placebo, ou la
simple répétition des tentatives de grossesse jusqu'à l'obtention
de la grossesse évolutive.
Mots
clefs : fausses couches à répétition, immunologie, progestérone.
Bibliographie
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9. SHEARMAN R, GARRET W, Double-blind study of effect of 17 hydroxyprogesterone
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12. VINATIER D, DUFOUR P, BERARD J et LEROY JL, Avortements spontanés
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13. REZNIKOFF-ETIEVANT MF, CAYOL V, LEJEUNE V, CARBONNE B, MILLIEZ J, Quoi de
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14. LASKIN CA, BOMBARDIER C, HANNAH ME et al, Prednisone and aspirin in women
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