PHYSIOPATHOGENIE
DES FIBROMES UTERINS
Alain AUDEBERT
IGF1
35, rue Turenne-Bordeaux
INTRODUCTION
De
localisation très variable au sein de l'utérus, le léiomyome
utérin, est une tumeur mésenchymateuse développée
aux dépens du muscle lisse et souvent séparée du myomètre
normal par une pseudo-capsule liée à la condensation du tissu
conjonctif.
L'origine unicellulaire (monoclonale) de chaque myome est aujourd'hui bien admise
(1) : ainsi deux myomes chez la même patiente, provenant donc de cellules
différentes, peuvent donc avoir une évolution tout à fait
différente.
Ce sont les tumeurs pelviennes bénignes les plus fréquentes, touchant
de 25 à 30 % des femmes durant leur période d'activité
génitale (2).
Bien
qu'asymptomatiques dans près de 50 % des cas, ils représentent,
néanmoins encore, la première cause d'hystérectomie pour
lésion bénigne (environ 2/3 des cas). Heureusement, des méthodes
thérapeutiques moins invasives sont disponibles, tout au moins pour certaines
localisations.
L'hormono
dépendance des fibromes utérins est bien établie depuis
de nombreuses années. Il a fallu attendre cette dernière décennie
pour qu'enfin on applique des outils modernes à l'étude de ces
lésions, afin de mieux comprendre leur physiopathologie.
Cette meilleure connaissance peut conduire, éventuellement, à
la mise au point de nouvelles approches thérapeutiques, voire à
une prévention primaire efficace, au moins dans les populations à
risque.
Avant
d'aborder les connaissances récentes sur la physiopathologie, il paraît
utile de rappeler quelques données épidémiologiques, apportant
des arguments qui viennent corroborer les mécanismes, hypothétiques
ou non, qui seront envisagés.
RAPPEL
EPIDEMIOLOGIQUE
Nous
avons rappelé la grande fréquence des myomes, qui affectent 20
à 25% des femmes (2) et près de 40% de celles de plus de 40 ans(3).
Si l'on étudie les pièces d'hystérectomie, qu'il y ait
ou non des antécédents cliniques évoquant la présence
de fibromes, des lésions sont retrouvées dans 77 % des cas. Leur
fréquence réelle apparaît donc beaucoup plus grande que
celle estimée cliniquement (4).
Ils apparaissent aussi rarement isolés et les localisations multiples
sont fréquentes.
On
retrouve des fibromes chez environ 5 % des femmes infertiles, mais le fibrome
peut être considéré comme la cause de l'hypofertilté
dans environ 3 % des cas seulement (2).
La dégénérescence maligne touche près de 0,5 % des
myomes.
Enfin les femmes noires semblent être 2 à 3 fois plus souvent affectées.
Les
facteurs de risque ont été bien identifiés par différentes
études épidémiologiques.
lIs sont rappelés sur le tableau II et confirmés par deux études
épidémiologiques récentes (Tableau III). La connaissance
de ces facteurs en cause permet de mieux discerner les populations à
risque, mais pour lesquelles on n'a pas démontré l'efficacité
d'éventuelles mesures préventives (il paraît difficile de
recommander le tabagisme!!).Les données concernant un rôle protecteur
éventuel de l'utilisation de la pilule sont controversées, et
celles du DIU libérant du lévonorgestrel non encore validées
bien que probables.
Ces
notions épidémiologiques reflètent néanmoins le
rôle du milieu hormonal et apportent des arguments pour l'estrogéno-dépendance
des myomes utérins (5).
Tableau
II. : Facteurs de risques admis des myomes utérins
Prédisposants
|
Protecteurs
|
Nulliparité |
Post-ménopause |
Préménopause
|
Multiparité |
Obésité
|
Faible
BMI |
Ethnie
|
Tabagisme |
Menstruations
précoces |
Exercice
physique |
Education
élevée |
Pilule? |
Utilisation
de DIU cuivre |
DIU
lévonorgestrel |
Hypertension
|
|
Tableau
III : Données de deux études épidémiologiques(28,29)
|
RR
(Ros 1986 (6))
|
RR
(Parazzini 1998 (7))
|
|
Nulliparité |
-
|
1
|
Parité
>5 |
0,24
|
-
|
Parité<3
|
-
|
0,5
|
Age
1 ère menstruation
|
<12 |
-
|
1
|
|
>15 |
-
|
0,8
|
Poids
>70 ks |
2,82
|
-
|
Post-ménopause |
0,18
|
1,1
|
Tabac(>15
cig/J.) |
0,65
|
0,5
|
|
PHYSIOPATHOLOGIE
Elle
fait l'objet actuellement de multiples recherches, grâce à l'utilisation
des outils en biologie moléculaire et, maintenant, on discerne mieux
les différents enjeux.
Les constatations cliniques classiques (apparition des fibromes à la
puberté, régression durant la ménopause, aggravation durant
la grossesse, plus grande fréquence en cas d'obésité....)
soulignent les relations entre myome et milieu hormonal estrogènique.
En fait de nombreux autres facteurs plus récemment identifiés
jouent aussi un rôle.
Nous les aborderons en les regroupant dans des catégories arbitraires
(les interactions sont nombreuses entre eux) avec, comme arrière-pensée,
les grands modes thérapeutiques qui peuvent en découler.
FACTEURS
HORMONAUX
Ils
sont variés, mais trop longtemps on a focalisé uniquement sur
le rôle des estrogènes.
1-Les
estrogènes
Ils
ont un effet mitotique bien admis, médié en grande partie par
les facteurs de croissance par une régulation autocrine et paracrine.
L'estradiol (E2) stimule, expérimentalement, la croissance des cellules
musculaires lisses de l'utérus (8). Les cellules des myomes ont une activité
mitotique accrue en comparaison avec celle du myomètre et une apoptose
diminuée (9).
Si les taux plasmatiques d'estradiol ne sont pas forcément élevés,
on reconnaît le rôle essentiel d'un milieu hyperestrogénique
local (concentrations plus élevées d'E2, d'estrone et leurs sulfates).
Il résulte d'anomalies métaboliques, comme la moindre conversion
d'E2 en estrone, et de concentrations plus fortes de cytochrome P450 (aromatase)
(8). D'ailleurs, on note souvent au niveau de l'endomètre proche d'un
myome sous-muqueux une certaine hyperplasie.
Enfin
les concentrations en récepteurs à E2 (RcE2 alpha et bêta)
sont plus fortes dans les myomes que dans le myomètre normal (10).
Les
thérapeutiques visant à diminuer le volume des myomes cherchent
à induire une hypo estrogènie, au niveau plasmatique (analogues
de la Gn-RH) ou localement au niveau du tissu myomateux.
Les
estrogènes ont donc une activité stimulatrice pour la croissance
de la cellule myomateuse, par ailleurs davantage apte à répondre
à cette stimulation.
2-La
progestérone
Le
rôle de la progestérone (P) est plus équivoque.
Au
cours de la phase lutéale l'activité mitotique des myomes est
accrue (11). Expérimentalement, en culture cellulaire, la progestérone
a un effet stimulateur sur le léiomyome (12).
Au niveau des myomes, on constate une concentration plus élevée
en RcP et une expression plus forte de l'ARN messager (ARNm) de la progestérone
(13).
La progestérone augmente significativement la production de Bcl-2 (anti-apoptotique)
par la cellule musculaire lisse (14).
Cliniquement
une augmentation du volume des fibromes a été observée
en cas d'administration de fortes doses de progestatifs (15). Les analogues
de la Gn-RH entraînent une réduction variable du volume des myomes,
elle est diminuée, voir supprimée, si l'on associe un progestatif
("add-back therapy"). Enfin l'administration d'un agent antiprogestérone
(RU 486 à la dose de 25 mg/J.) réduit de 50 % le volume des myomes
(16).
Toutes
ces données sont en faveur d'un rôle trophique de la progestérone
vis-à-vis des myomes et d'une inhibition de la mort cellulaire programmée.
3-La
prolactine
La
prolactine est synthétisée par le tissu myomateux ; elle a les
mêmes caractéristiques biologiques et immunologiques que celle
d'origine hypophysaire (17) .
Son activité mitotique s'exerce au niveau de la cellule du myome et sur
les cellules myométriales normales. Elle se comporte donc comme un facteur
de croissance autocrine ou paracrine (18). Les estrogènes tendent à
accroître sa sécrétion, alors que la progestérone
exerce un effet suppresseur.
FACTEURS
DE CROISSANCE
L'implication
des facteurs de croissance, souvent régulés par les stéroïdes,
est de plus en plus évidente. Certains ayant une activité angiogènique
prédominante seront analysés dans le chapitre consacré
à ce sujet.
1-Epidermal
Growth Factor (EGF)
Des
récepteurs de l'EGF ainsi de l'ARNm pour EGF ont été identifiés
au niveau des myomes (19,20), ils augmenteraient sous l'influence d'E2.
La progestérone augmente l'EGF, alors que l'effet d'E2 serait plutôt
négatif.
L'expression de l'ARNm pour l'EGF est aussi augmentée en phase lutéale
(21).
Il semblerait donc, que l'action des estrogènes sur la croissance des
fibromes soit immédiatement induite en partie par l'EGF, dont les récepteurs
sont plus sensibles à la régulation par les estrogènes.
L'EGF est par ailleurs capable de stimuler la synthèse d'ADN par les
cellules myomateuses en culture (22).
2-Insuline-like
Growth Factors (IGF)
Une
deuxième famille de facteurs de croissance est celle des IGF.
IGF-I et IGF-II sont produits par les cellules de l'utérus et leur expression
est contrôlée par les hormones stéroïdiennes ovariennes.
Les récepteurs de l'IGF-I ont une concentration augmentée en comparaison
avec le myomètre (23), et les fibromes expriment l'ARNm à la fois
pour IGF I et IGF II (24).
Des études in vitro ont montré qu'IGF-I avait une action mitogène
pour les cellules myométriales et les cellules myomateuses (25).
L'expression d'IGF-1 diminue notablement chez les femmes traitées par
un agoniste de la Gn-RH (26).
3-Platelet
Derivated Growth Factor (PDGF)
Le
léiomyome exprime aussi l'ARNm pour PGDF (22). L'action mitogène
d'IGF-I in vitro est accentuée par l'association avec EGF et PDGF (23).
Ce facteur de croissance a aussi une action angiogénique.
4-Hormone
de croissance
Enfin
des récepteurs à l'hormone de croissance (HG) ont été
identifiés au niveau des myomes (27).
Expérimentalement dans divers modèles animaux, HG stimule la croissance
utérine.
Mais le rôle d'HG dans la physiopathogénie des fibromes humains
reste encore incertain.
La
plupart de ces facteurs interviennent dans la croissance des fibromes. On peut
alors imaginer l'utilisation d'agents bloquant leur action, comme cela a été
essayé pour les cicatrices chéloïdes avec anticorps anti
IGF-1 (28).
FACTEURS
ANGIOGENIQUES
Les
fibromes ont une vascularisation riche. On peut même considéré
que leur vascularisation est anormale tant au plan structurel que fonctionnel.
Cette dysrégulation apparaît comme un élément déterminant
de cette affection. Il est normal que des facteurs angiogéniques soient
fortement impliqués dans la régulation de la croissance des myomes.
On connaît le rôle des estrogènes sur la vascularisation
utérine, facilement mesuré par Doppler couleur au niveau des artères
utérines.
Les principaux facteurs angiogèniques sont le Fibroblast Growth Factor
(FGF), le PDGF, le Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF), l'Heparin-Binding
Epidermal Growth Factor (HBEGF) et l'Hepatoma-Derived Growth Factor (HDGF) (29).
1-Vascular
Endothelial Growth Factor
Le
myome exprime l'ARNm pour VEGF (30). VEGF apparaît aujourd'hui comme assez
puissant stimulateur de la prolifération myométriale (31).
L'expression de VEGF ne paraît pas régulée par les stéroïdes
ovariens.
2-Heparin-Binding
Growth factors
Divers
HBGF sont produits par le myome et le myomètre normal (29). Ces facteurs
de croissance sont non seulement capables de stimuler fortement le développement
des cellules endothéliales, mais aussi de stimuler la croissance des
cellules musculaires lisses (29).
Comme
en oncologie, il est possible d'envisager l'utilisation d'agents inhibiteurs
des facteurs angiogèniques (interférons), et en particulier, des
HBGF pour le traitement des fibromes utérins. Une étude pilote,
portant sur 20 patientes traitées par interféron alpha, a montré
que le volume utérin était significativement diminué, parfois
dès la première semaine de traitement (32).
MATRICE
EXTRACELLULAIRE
Les
léiomyomes contiennent de grandes quantités de matrice extracellulaire.
Ils contiennent 50 % de collagène de plus que le myomètre correspondant.
Cette composante joue donc un rôle non négligeable, au moins en
termes de volume, dans la réponse potentielle aux différents agents
thérapeutiques utilisés.
La
matrice extracellulaire est essentiellement composée de divers types
de collagènes, de protéoglycans et de fibronectine (29).
Elle
semble présenter des différences de composition par rapport au
myomètre normal : il y a 50 % de plus de collagène type V et moins
de collagène type III en raison d'un métabolisme accru.
La régulation de la matrice extracellulaire par les stéroïdes
n'est pas encore aujourd'hui démontrée.
Un
facteur de croissance le Transforming Growth Factor bêta (TG- bêta)
est impliqué dans la réparation des cicatrices et dans certaines
maladies fibrotiques (29). TGF-bêta1 et TGF-bêta3 ont une action
inhibitrice vis-à-vis de la prolifération des cellules musculaires
lisses du myomètre normal. Au contraire, au niveau de la cellule myomètriale,
TGF-bêta1 n'est plus inhibiteur et TGF-bêta3 exerce au contraire
une action stimulatrice sur la prolifération (33).
Les fibromes ont une expression pour TGF-bêta3 3,5 à 5 fois plus
élevés que dans le myomètre correspondant (33).
Il
semble donc exister au niveau des fibromes une dysrégulation de ces facteurs
de croissance. Elle est comparable à celle des cellules musculaires lisses
de la paroi artérielle en cas d'athérosclérose ou au niveau
des fibroblastes des cicatrices chéloïdes (29). Cette similitude
avec certaines maladies fibrotiques permet d'anticiper de nouvelles modalités
thérapeutiques, avec l'utilisation d'agents antifibrotiques. Deux produits
(pirfenidone et halofuginone) ont ainsi été testés in vitro,
montrant des effets inhibiteurs intéressants (29).
Les
protéines trans-membranaires (constituant des " gap junction "),
appelées connexines (Cx), peuvent aussi jouer un rôle sur l'inhibition
de la croissance cellulaire (34). La stimulation de l'activité mitotique
induite par la progestérone pourrait résulter d'une diminution
temporaire de l'expression de la Cx-43 (34). La présence de Cx-43 dans
les cellules myomateuses pourrait constituer l'un des facteurs empêchant
la dégénérescence des fibromes.
FACTEURS
GENETIQUES
Les
recherches dans le domaine génétique se sont développées
principalement au cours de cette dernière décennie.
Des
observations anciennes ont suggéré la possibilité du caractère
héréditaire des myomes. Un syndrome associant des léiomyomes
utérins et cutanés observés dans une même famille
semble lié à une transmission sur un mode autosomique dominant
(35). Des recherches détaillées dans les familles affectées
par ce syndrome devraient permettre d'identifier le gène en cause.
Pour
les myomes eux-mêmes, leur grande hétérogénéité
laisse penser que de nombreux locis sont impliqués, ce qui rendra l'identification
des anomalies plus difficile.
Deux
aspects sont concernés : la prédisposition à la survenue
de myomes et les modifications cytogénétiques du clone cellulaires
d'un myome favorisant sa croissance et éventuellement sa dégénérescence
maligne. Les données concernent essentiellement le premier aspect. La
recherche de gènes de susceptibilité est en cours, mais aucun
gène prédisposant pour leur survenue n'a encore été
identifié.
Comme
beaucoup de tumeurs mésenchymateuses, les myomes sont l'objet de nombreuses
mutations somatiques.
Près
de 50 % des myomes, selon la technique utilisée, présentent des
anomalies clonales (36). Ce sont surtout les lésions ayant une forte
activité mitotique qui sont le plus prédisposées à
présenter des mutations.
Les aberrations cytogénétiques décrites sont multiples
et hétérogènes, impliquant principalement les chromosomes
1, 6, 7, 12, 13, 14 et 19 (37), expliquant l'hétérogénéité
de ces tumeurs mésenchymateuses.
Les principales anomalies observées sont à type de délétion,
de translocation et de duplication (38). Nous n'envisagerons que quelque unes
d'entre elles.
1-Translocation
entre les chromosomes 12 et 14
La
translocation équilibrée entre les chromosomes 12 et 14 est la
plus fréquemment retrouvée dans les léiomyomes utérins
(35, 38).
La
translocation t (12;14) (q15;q24.1) perturbe le gène hREC2 (39). Le gène
humain du récepteur à l'estradiol bêta (ESR2) est en effet
situé sur le locus 14q23-24.1 ; il est donc situé au voisinage
du site de la translocation t (12 ;14). Il est ainsi possible de spéculer
qu'ESR2 soit dérégulé par cette translocation chromosomique
et que ce mécanisme soit impliqué dans la pathogénie des
fibromes (40).
On retrouve des réarrangements de la région q14-q15 dans de nombreuses
autres tumeurs mésenchymateuses (41).
Certaines anomalies ont été retrouvées dans diverses autres
lésions (fibrome ovarien, fibrothécome ovarien...) ce qui suggère
l'implication d'un gène situé sur le chromosome 12 dans ces processus
néoplasiques.
Les
régions sur le chromosome 14, impliquées dans la translocation
t (12;14) (q15;q24.1) présentent un grand intérêt, car elles
sont assez spécifiques des fibromes (Gross).
Ainsi le gène RAD5ILI, gène de réparation de la recombinaison
de l'ADN, est situé sur le chromosome 14, son éventuel rôle
demande à être élucidé (41).
2-Chromosome
7
Il
a été aussi identifié des délétions interstitielles
du bras long du chromosome 7.
La délétion 7q22 est retrouvée dans environ 35 % (128/366)
des cas étudiés présentant une anomalie génétique
(42). Cette délétion a été aussi retrouvée
dans d'autres tumeurs (par exemple la leucémie myéloïde aiguë)
suggérant qu'un gène suppresseur tumoral puisse être localisé
dans cette région (42).
Le
gène CUTL 1 est l'un des gènes situés sur 7q22. Il a été
démontré qu'il encode un répresseur transcriptionnel qui
réduit l'expression de c-MYC (l'activation du potentiel oncogènique
de c-MYC a été identifiée dans de nombreux cancers). CUTL
1 pourrait ainsi agir comme un gène suppresseur tumoral (42). Une analyse
portant sur 50 léiomyomes utérins, a montré que les niveaux
de d'ARN messager de CUTL 1 étaient abaissés dans 8 tumeurs sur
13, par analyse Northern blot ; on peut ainsi penser que CUT L1 peut agir comme
un gène suppresseur dont l'inactivation serait susceptible d'intervenir
dans la pathogénie des léiomyomes utérins (42).
Certaines
anomalies ont été retrouvées dans diverses autres lésions
(fibrome ovarien, fibrothécome ovarien...) ce qui suggère l'implication
d'un gène situé sur le chromosome 12 dans ces processus néoplasiques.
Les
délétions portant sur les chromosomes 7 et 13 peuvent conduire
à la perte des gènes suppresseurs et ainsi à la progression
de la tumeur.
L'observation
fréquente de délétions interstitielles du bras long du
chromosome 7 peut laisser supposer la perte de fonction d'un ou plusieurs gènes
supresseurs, mais aucun gène candidat potentiel n'est encore identifié
au niveau de la région 7q22.
3-Protéines
du groupe de haute mobilité
Enfin
deux gènes sont directement impliqués dans la pathogénie
des tumeurs mésenchymateuses. Il s'agit des gènes HMGI-Y et HMGI-C
qui appartiennent au groupe des protéines à forte mobilité
(high mobility proteins ou HMG).
Ces
protéines non-histone, associées à la chromatine, sont
caractérisées par une grande mobilité dans les gels polyacrylamides.
Des études récentes ont montré que HMGI-Y et HMGI-C sont
des éléments importants, ayant un rôle dans la régulation
de la fonction et de la structure de la chromatine (43). Elles sont, en effet,
responsables, avec d'autres protéines HMG, de la configuration tridimensionnelle
correcte des complexes protéine-ADN, jouant ainsi un rôle essentiel
dans la transcription de l'ADN.
Il a été montré récemment que le gène encodant
pour HMGI-C est altéré par les réarrangements au niveau
de 12q13-15, anomalie aussi fréquemment retrouvée au niveau des
fibromes (41).
De
même, le locus 6p21, localisation du gène HMGI-Y, est fréquemment
le siège de réarrangements dans les fibromes.
Ces
constatations conduisent à penser que les deux gènes HMGI-C et
HMGI-Y jouent un rôle dans le développement des léiomyomes
utérins.
Normalement chez l'adulte, l'expression de ces protéines est absente
ou très faible au niveau des tissus différenciés.
Dans une étude portant sur 33 femmes devant subir une hystérectomie
pour fibrome, il a été démontré pour la première
fois que 48,5 % des léiomyomes analysés présentaient une
forte expression pour HMGI-C et HMGI-Y soit isolément soit de manière
associée (44). Cela peut conduire à penser que les cellules des
léiomyomes utérins représentent une forme dédifférenciée
des cellules musculaires lisses du myomètre.
Enfin,
HMGI-Y et HMGI-C sont probablement les gènes dont les modifications sont
les plus souvent impliquées dans les néoplasmes (45).
4-Léiomyosarcomes
Avec
des techniques plus sophistiquées, des anomalies chromosomiques sont
retrouvées dans 66,7 % des léiomyosarcomes (8/12) analysées
(46).
Dans
une analyse par hybridization gènomique comparative, évaluant
14 léiomyomes et 8 léiomyosarcomes, 2 léiomyomes seulement
ont démontré des altérations, réduites à
une des pertes sur les chromosomes 1 et 4 et des gains sur les chromosomes 14
et 19.
Au
contraire, tous les léiomyosarcomes ont montré de multiples aberrations
(47) ; ces constatations n'apportent pas de preuve pour affirmer la progression
des léiomyomes bénins vers les léiomyosarcomes et suggèrent
que dans la genèse de ces derniers une instabilité génétique
accrue joue un rôle important.
De
même, 8 léiomyosarcomes sur 14 présentent une perte d'hétérozygocité
sur le chromosome 10, alors qu'aucun des 13 léiomyomes examinés
ne présente cette anomalie (48).
SYNTHESE
On
peut distinguer 4 aspects dans la pathogénie des myomes utérins
:
1-Prédisposition
génétique :
On
a toutes les raisons de penser qu'il existe une prédisposition génétique.
Mais, à ce jour, aucun gène de susceptibilité n'a pu être
identifié. La recherche est en cours…..
2-Initiation
du développement :
Les
facteurs en cause dans l'initiation du myome restent encore méconnus.
Une fois encore, des facteurs génétiques apparaissent comme les
déterminants les plus probables.
3-La
croissance des myomes :
Les
facteurs impliqués dans la croissance des myomes sont mieux identifiés.
Il est possible de schématiser, malgré les nombreuses interactions
entre elles, en distinguant 3 dysrégulatiions principales :
a-Dysrégulation
de la cellule myométriale :
La cellule musculaire lisse est pourvue de tout l'équipement pour entretenir
un climat local hyper estrogénique favorisant sa croissance. Les estrogènes
exercent leur action mitogène par la mise en jeu de divers facteurs
de croissance. Elle apparaît aussi plus sensible à leur action.
L'activité mitotique intense contribue à l'apparition des diverses
mutations et altérations génétiques, elles-mêmes
capables d'induire des dysrégulations, favorisants à leur tour
la croissance, et dans certains cas la transformation maligne.
b-Dysrégulation de la vascularisation :
La vascularisation des myomes est structurellement et fonctionnellement anormale,
elle résulte de l'action de divers facteurs angiogèniques, dont
certains ont d'ailleurs aussi une action stimulant la prolifération.
c-Dysrégulation de la matrice extracellulaire :
Sa composition est différente de celle du myomètre normal. Le
système des TGF est dysrégulé, avec la disparition de
son activité inhibitrice remplacée par une action stimulatrice
sur la cellule musculaire lisse.
4-La
transformation maligne
Elle semble dépendre de divers facteurs oncogènes et probablement
de mutations somatiques mettant en jeu des altérations de divers gènes
suppresseur bien connus.
CONCLUSION
Cette
brève revue montre la complexité de la croissance des myomes.
Les facteurs hormonaux, les facteurs de croissances et les facteurs angiogèniques
jouent un rôle d'autant plus important qu'il existe des dysrégulations
dans tous les compartiments des myomes. Certaines d'entre elles sont probablement
la conséquence d'anomalies génétiques
affectant divers gènes clés de la régulation des tumeurs,
en particulier mésenchymateuses.
Ces connaissances permettent d'entrevoir diverses approches thérapeutiques
nouvelles.
L'initiation reste toujours aussi mystérieuse, et les gènes de
susceptibilité n'ont pas encore été identifiés.
MOTS
CLES : Léiomyomes utérins-Physiopathogénie-Facteurs de
risque
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